GROUPE HUGO
Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 20 janvier 2001

Présents: Anne Ubersfeld, Guy Rosa, Marieke Stein, Jacques Seebacher, Colette Gryner, Florence Naugrette, Arnaud Laster, Vincent Wallez, Frank Laurent, Sandrine Raffin, Françoise Sylvos, Marieke Stein, Jean-Marc Hovasse, Marguerite Delavalse, Sylvie Vielledent, Stéphane Desvignes, Denis Sellem, Bertrand Abraham, Rouschka Haglund, Josette Acher, Françoise Chenet, Marie Tapié, Hélène Cauchard, Stéphane Mahuet, Philippe Andrès, Thomas Harlay, Caroline Delattre, Judith Wulf, Stéphanie Rosier, Sharon Allen, Jean-Pierre Vidal, Patricia A. Ward, Carine Fréard, Gérard Berliner, Christiane Frémont, Christiane Gumilar.

Excusés: Agnès Spiquel, Delphine Gleizes, Chantal Brière, Ludmila Charles-Wurtz, David Charles, Sylvie Jeanneret.


INFORMATIONS

Présentations

Guy Rosa présente les personnes nouvelles venues : le nom de Patricia Ward, souvent cité dans les bibliographies, les notes et les textes sur Hugo, est familier aux hugoliens (pour ne citer que ce qui se trouve à notre bibliothèque : The medievalism of Hugo (Pennsylvania Univ. Press), Joseph Joubert, Platonism ans Romanticism, Droz), et plusieurs articles en tiré à part : « Tristesse d’Olympio et l’expérience romantique de la nature », « Le processus créateur dans Saison des semailles », « Le 16° siècle des romantiques – Hugo, Michelet... », « Le concept de type chez Hugo et Nodier », « Sur Les Chansons des rues et des bois », « L’évolution politique de la vision médiévale chez Hugo » et, bien sûr, outre les carnets bibliographiques publiés chez Minard, le « Hugo et le mythe de Mirabeau au 19° siècle » donné au colloque de Cerisy de 1985. Récemment nommée à l’Université Vanderbilt, Patricia Ward y a pris la succession de Claude Pichois à la tête de l’important centre de recherche sur Baudelaire basé dans cette université. G. Rosa fait circuler son dernier livre (il vient de parvenir à la bibliothèque pour compte rendu dans Romantisme) : Baudelaire and the Poetics of Modernity, Vanderbilt University Press, 2001. Patricia Ward –qui est en France cette année, à la direction de l’Institut Vanderbilt-en-France, à Aix- nous a fait le grand plaisir et l’honneur de nous dire qu’elle sera à nouveau des nôtres à Cerisy pour une communication sur « Hugo et l’invective politique.

 

Gérard Berliner est homme de spectacle –théâtre, chanson... ; il a en projet, peut-être même en préparation, un spectacle musical ayant pour thème la vie de Hugo .

 

Christiane Frémont est maître de recherches au CNRS, en philosophie ; elle achève, pour Romantisme,  un article où le personnage de Jean Valjean est confronté à une bien curieuse proposition esthético-morale de Leibniz.

 

Christiane Gumilar vient d’achever le mémoire de fin d’études du cursus professionnaliséde psychologie à notre UFR de Sciences humaines cliniques ; il est consacré à Hugo.

Courrier

G. Rosa fait part du courrier reçu :

B. Lintz dit son bon souvenir du (et au) Groupe, ses vœux et confirme sa proposition de communication pour le colloque de Cerisy, sur « la rhétorique de la corruption dans les écrits sur le Second Empire et autres textes » ou sur « langage et pouvoir dans Bug-Jargal » ;

de son côté, S. Jeanneret propose de traiter de « l’orateur révolutionnaire dans Quatrevingt-treize ».

Un doctorant, qui travaille sur Hugo et la tour de Babel à l’université de Vienne (Autriche), félicite C. Brière pour sa communication sur le langage architectural chez Hugo [cf. séance du 22 janvier 2000].

Jim Phillips, qui participa quelque temps au Groupe, lorsqu’il était en France,  annonce l’envoi à la bibliothèque de son livre (en Anglais) dont le titre traduit est Stratégies de la représentation dans les Misérables et dans un choix de dessins de Hugo -  comparaison.

G. Rosa fait circuler la copie de la lettre, propriété d’un collectionneur, dont la destination reste problématique (voir compte-rendu de décembre 2000). Aucune nouvelle hypothèse, mais on s’accorde à reconnaître l’écriture et la signature.

Expositions, spectacles

A. Laster annonce une initiative sympathique : l'orchestre du Crous présentera la 1° février au Grand Amphithéâtre de la Sorbonne une "version scénique" (mise en scène?) de Rigoletto.

 Un Rigoletto dirigé par Carlo Mutti sera présenté à la Scala de Milan, à partir du 9 février.

On annonce également Lucrèce Borgia, de Donizetti, à partir du 1° mars à Bologne.

Bertrand Abraham distribue des dépliants concernant un spectacle sur Hugo, "Ce Siècle avait deux ans…" proposé dans les établissements du secondaire par Ecla Théâtre.

A. Ubersfeld relève en soupirant des inexactitudes dans ce dépliant : l'exil n'a pas duré "14 ans"…

J. Seebacher fait le compte rendu de la séance, à Jussieu, le 11 janvier, intitulée « Le Jeu d’Hugo ». Il s'agissait d'une réunion de l'Oulipo ("Ouvroir de Littérature Potentielle", auquel participent Jacques Roubaud, Marcel Benabou…). Hugo y était l’objet de quelques unes des pratiques, bien rôdés et efficaces, de ce groupe. Par exemple, une lecture à 3 voix : l’une pour le texte « normal », l’autre pour tous les « u », une autre pour les « go » ; cela mettait en évidence la fréquence des deux syllabes –et beaucoup d'humour. D'autres exercices étaient proposés : quelqu'un lisait à haute voix un texte, très beau, de plusieurs pages, et le résumait ensuite en trois lignes, faisant ainsi sentir ce que c’est que l’écriture. C’était magnifique, et très drôle.

A. Laster regrette que le compte rendu n’ait pas signalé ou pas suffisamment la récente exposition de dessin à la Maison de Victor Hugo.

G. Rosa rappelle qu’elle a été annoncée avec ses dates et références dès la séance d’avril et, à nouveau, lors de la séance du 16 septembre –voir comptes rendus.

A. Laster en fait l’éloge : on pouvait y voir un grand choix de dessins, dont beaucoup étaient inédits, voire inconnus. L'exposition a eu beaucoup d'effet sur les visiteurs, qui en sortaient émerveillés…

G. Rosa évoque la conclusion de l’article consacré par le Figaro à cette exposition -information due à Jean-Marc Hovasse : "En voyant ces merveilleux dessins, on se prend à regretter que Hugo ait perdu tant de temps à écrire Les Misérables."

En revanche, témoignent J.M. Hovasse et A. Laster, l’article du Monde était parfait : élogieux et intelligent sur la qualité des dessins de Hugo sans que l’auteur, Philippe Dagen, se sente obligé de dévaluer l’œuvre par les dessins. Appréciation d’autant plus remarquable que Le Monde, d’ordinaire, ne déborde pas d’hugolâtrie et se montre volontiers sévère avec les expositions à sujet littéraire.

Hugo et Balzac : exposition et colloque

Françoise Sylvos annonce le projet commun des Maisons de Balzac et de Hugo –toutes deux relèvent de la Ville de Paris- d'organiser une exposition sur "Hugo et Balzac, Regards croisés". Elle-même contribuerait à son organisation. Deux salles pourraient être consacrées  l'une au regard de Hugo sur Balzac, l'autre à Hugo vu par Balzac. On se servira, bien sûr, du Discours prononcé aux funérailles de M. Honoré de Balzac ; on exploitera les caricatures ; mais, d’une manière générale, F. Sylvos constate que les documents et les oeuvres à présenter ne sont pas légion.

A. Laster évoque les souvenirs rapportés par Hugo de sa visite à Balzac mourant, dans Choses vues. Il ajoute qu’il s’est toujours étonné du développement, dans le discours sur la tombe de Balzac, qui montre en lui un « écrivain révolutionnaire ». Révolutionnaire, Balzac ne passait pas pour tel et Hugo propose un assez violent paradoxe. Il a été amplement justifié, ensuite, par toute la critique marxiste, mais, alors, était-il neuf et tout à fait surprenant ou déjà esquissé par tel ou tel commentaire ?

A.     Ubersfeld : Personne avant Hugo n'avait vu en Balzac un révolutionnaire.

J. Seebacher : Ce texte est provocateur, paradoxal…

G. Rosa : Il faudrait connaître la composition de l'auditoire qui, peut-être, autorisait ce discours et cette qualification surprenante. On sait, par Hugo, que Baroche, ministre de l’Intérieur, assistait à l’enterrement. Etait-ce courant de la part d’un Ministre de l’Intérieur (et, alors, des Beaux-Arts et des Cultes) pour un écrivain somme toute peu honoré par les institutions ?

J. Seebacher : Le discours a été apprécié! Il était doublement provocateur : Hugo dit à la droite que Balzac était un révolutionnaire, mais en même temps il dit aux républicains que les vrais révolutionnaires, ce sont les génies… comme lui, Hugo!

A.     Ubersfeld : Sait-on si Victor Hugo a lu Le Médecin de campagne?

G. Rosa : Et s'il existe des traces d'une réaction de Hugo à La Cousine Bette? On imagine mal qu’il n’ait pas pris connaissance de cette biographie passablement farcesque et très irrespectueuse de la famille Hugo et de ses frasques -flagrant délit d'adultère compris.

F. Laurent : On ne connaît pas de notes de Hugo sur Balzac avant sa mort.

A.     Laster : Si! Certaines sont consignées dans Pleins Feux sur Victor Hugo.. Je rappelle aussi que Illusions perdues est dédié à Hugo.

F. Laurent : Hugo a fait campagne pour l'élection de Balzac à l'Académie française, conformément à son programme explicite d’être la tête de pont académique du groupe romantique. Il rapporte dans le Journal de ce que j'apprends chaque jour (14 janvier 1847) une intéressante conversation sur ce sujet avec un autre académicien.

G. Rosa profite de cet échange pour annoncer le projet d’un colloque Hugo/Balzac, organisé en commun par l’Université de Tours, le Groupe et les balzaciens du GIRB (Groupe International de Recherches Balzaciennes). Ces derniers sont convenu avec l’Université de Tours du principe d’une série de colloques balzaciens, tous les deux ans, au château d’Azay-le-Ferron, qui est le Cerisy de l’Université de Tours. Il a proposé au GIRB d’inscrire dans son programme, ou en supplément à son programme, ce colloque Hugo-Balzac. Les balzaciens sont intéressés (Nicole Mozet, responsable du GIRB a déjà, elle-même, travaillé à cette question), Tours aussi. La date n’est pas arrêtée : sûrement pas 2002 mais peut-être 2003 ou 2004 –si du moins les idées et les propositions, auxquelles on fait appel dès maintenant, prouvent qu’un tel colloque peut être nourri de travaux neufs.

Publications

G. Rosa signale un excellent article, dans le dernier numéro de la Revue d’histoire du 19° siècle, de Jean-Marc Charlot, auteur d'une thèse intitulée "Waterloo dans la mémoire française –1815-1914", sur le colonel Charasse. Outre son intérêt propre (tous les liens entre les républicains et la chose militaire) l'article intéresse les hugoliens, ne serait-ce qu’en raison des analogies entre les carrières et les destins du soldat et du poète. Son père, engagé volontaire en 92 finit général de brigade et est mis en demi-solde à la Restauration ; son oncle a suivi une carrière analogue, arrêtée au grade de colonel ; mais lui-même, en 1815, reçoit, ainsi que ses frères, une nomination dans l'Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis (équivalente aux "Fleurs de Lys" attribuées à Hugo et à ses frères…). Charasse a fait la révolution de 1830 avec ses camarades Polytechniciens ; mais dès avant 1830, il était engagé dans les rangs républicains. Sous la Monarchie de Juillet, officier brillant, il monte en grade sous les ordres de Bugeaud et de Lamoricière. C’est un « africain ». Après février, il devient un des adjoints de Cavaignac au Ministère de la guerre et contribue à l’épuration de la hiérarchie dans un sens républicain. En juin, il est un des principaux artisans de la répression et à double titre : comme chef d’état-major de fait de Cavaignac, comme commandant sur le terrain (il participe aux combats rue Saint-Antoine). Ce qui ne l’empêche pas, député, d’être de ceux qui soumettent –et votent- toutes les propositions d’amnistie aux combattants (Hugo ne va pas jusque là, du moins pas tout de suite). Inutile de dire qu’il soutient la candidature de Cavaignac. Le décret du 9 janvier 52 –le même- l’exile. Il séjourne en Belgique, en Hollande puis en Suisse jusqu’à sa mort en 1865. Il avait refusé l’amnistie de 1859 : « Je crache dessus en attendant que je tire dedans ».

Charasse est proche de Hugo. Assez du moins pour l’informer, en mai 1850, de l’imminence d’un coup d’état et l’avertir de veiller à sa sécurité ; assez aussi pour participer financièrement à la création de l’atelier d'imprimerie, à Jersey, qui devait composer les Châtiments. Pendant tout l’exil sa position politique semble avoir été strictement identique à celle de Hugo : front républicain élargi, de Cavaignac à Barbès et Blanqui, et refus de toute participation aux élections. A ceci près que Charras, en cela plus lucide que Hugo (ou peut-être plus explicite seulement), considère les unités nationales italienne et allemande comme dangereuses pour la France et l’équilibre européen. A la différence de beaucoup –et de Hugo- il est favorable au statu quo des frontières de 1815.

Il était lui-même historien militaire ; sa principale œuvre est l'Histoire de la Campagne de 1815, parue en 1854 et dont Hetzel a géré la publication, puis, pour sa quatrième édition, rééditée chez Lacroix en 1863 -les mêmes hommes donc qui publient Hugo. Mais, à la différence des Misérables,  le livre, jugé trop engagé, est refusé en France par Pagnerre, le seul éditeur susceptible d’oser une telle irrégularité –ce qui, au passage, accrédite les craintes de Hugo quant à l’interdiction des Misérables. Le livre de Charras a été un grand succès, immédiat et sans précédent pour un ouvrage d’histoire militaire. Marx lui rend hommage –et pas à Hugo, Dieu sait- dans la seconde édition du 18 Brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte. Peut-être cet ouvrage n’est-il pas étranger à l'ajout tardif du livre "Waterloo" dans Les Misérables. Il existe d'ailleurs une lettre de Hugo par laquelle il demande à Hetzel le supplément de cartes qui était joint au livre de Charras pour expliquer la configuration géographique de Waterloo.

Charasse y expose une thèse neuve : Napoléon a bel et bien été vaincu, et non pas trahi (thèse de Thiers). Défaite militaire parce que politique : Napoléon n’avait pas su ou voulu mobiliser la France populaire.  On se souvient que, sur ce point, Hugo s’oppose à lui : « ...je regagne la bataille... Quelle faute pour un parti de se dénationaliser ! Cette faute, je ne la ferai jamais. » Assez curieusement, entre le poète et le soldat, l’esprit « national » (y compris s’agissant des unités allemande et italienne) trouvait plus d’écho chez le poète.

 

A.     Laster : D'après cet article, Charras était-il sur la même ligne politique que Cavaignac?

G. Rosa : Tout à fait ; et il est probable que Charras, leader de la proscription à Bruxelles tant qu’il y réside (jusqu’en 1854), aurait tenu un rôle important après 1870 –comme Hugo ou Louis Blanc, s'il n'était pas mort avant.

A. Laster : Le Larousse du XIX° siècle nous apprend que Cavaignac, élu député de Paris au Corps législatif en 1852 et 1857, n’y a pas siégé, ayant refusé de prêter serment au régime. A la fin de sa vie, il avait pris la haute direction du Siècle.

Rectificatifs

A. Laster corrige le prénom de l'auteur du "profil" sur Les Contemplations : Pol (et non "Paul") Gaillard.

Il signale également qu'il n'est pas le directeur de la thèse de Marie Tapié, dirigée par Philippe Hamon.

A propos de cette thèse (dont la soutenance aura lieu le 5 février, à Paris III) et de la présentation qui en a été faite à la précédente séance, J. Seebacher rappelle toute la critique de dénigrement de Notre-Dame de Paris, qui s'est longtemps appuyée sur l'idée que la cathédrale est le personnage principal du roman pour en déduire que tous les autres personnages sont ridicules et inconsistants. J. Seebacher est impatient d'entendre Marie Tapié tirer d’autres conclusions de cette proposition.

Réforme de l'enseignement du Français

B. Abraham s'alarme des nouveaux programmes de Première, qui éliminent les œuvres du XIX° siècle au profit de celles des XVI° et XVII° siècles.

G. Rosa ajoute que, quoique revue par J. Lang qui a maintenu la dissertation au Bac, la réforme supprime le commentaire composé, remplacé par une « composition française sur un sujet d’imagination ».

J. Seebacher : De quand date l'instauration de l'épreuve de la dissertation?

G. Rosa : De 1902, je crois.

J. Seebacher : Non! En 1902, c'était la composition française qui remplaçait l’ancienne composition de vers latins… La dissertation est largement ultérieure, avec son plan aberrant "thèse/antithèse/synthèse" !

G. Rosa : Cela s’appelait composition française, mais pas sur des sujets d’imagination.

F. Laurent : Le plan « thèse/antithèse/foutaise » n'a jamais été inscrit dans la consigne de l'exercice! A propos de la réforme, la focalisation sur la littérature des XVI° et XVII° siècles ne me paraît pas mauvaise: elle peut servir à maintenir une littérature de moins en moins connue des élèves et des étudiants : ils connaissent Balzac et Zola, mais pas ce qui précède, et ignorent le plus souvent Corneille! Je trouve bien plus grave la suppression du commentaire composé, seul exercice de lecture de textes ; beaucoup d'étudiants ont de grosses lacunes dans la compréhension des textes!


Communication de Françoise Sylvos : « L’utopie chez Hugo – Les Châtiments ( voir texte joint)  


Discussion

G. Rosa : Votre dernière phrase, où vous dites que Hugo, pendant l'exil, trouve dans la Babel littéraire l'énergie pour résister n’est que partiellement exacte. Il puise aussi cette énergie et cet espoir dans des réalités historiques.

F. Sylvos : Quelles sont ces réalités?

G. Rosa : Dans les premières années, on ne croyait pas à la durée de l'Empire ; l’opposition à l’étranger est unanime ; le régime paraît privé de tout soutien. Le succès de Napoléon-le-Petit le prouve. Les années 52-53 ne sont pas les plus noires de l'exil ; Hugo n’était pas le seul à penser alors que l'Empire ne durerait pas. Dans le même ordre d’idées, les déportés des pontons ne devaient pas se sentir embarqués sur un « paradigme insulaire nettement dystopique ».

J. Seebacher : Vous avez posé la question du rapport entre Louis-Napoléon et Haïti, ou du moins, de son rapport avec les Iles : Louis-Napoléon était fils d'Hortense de Beauharnais, la Reine Hortense (reine, car mariée à Louis, le frère de Napoléon) ; sa mère était Joséphine de Beauharnais (de son premier mari, guillotiné en 1793), née Tascher de la Pagerie, impératrice des Français –grandes familles créoles.

G. Rosa : Votre propos porte exclusivement sur les références aux textes utopiques ; on attendait aussi l’étude de l'utopisme lui-même.

F. Sylvos : L'utopisme au sens strict, et en particulier le prophétisme, fait aussi partie de mon programme, mais pas dans l'immédiat.

G. Rosa : D'autre part, je ne souscrit pas vraiment à votre méthode, qui décline "utopique", "eutopique", "dystopique"… Le dystopique ("tout ce qui va mal") me semble être assez artificiellement et par jeu de mots relié à la question de l'utopie. De même pour l'eutopie. Toute critique du présent pourrait être ainsi assimilée à une utopie inversée.

F. Sylvos : Non, dans la mesure où dans les Châtiments, la particularité des lieux, de l'espace, prouve l'existence du thème utopique.

J. Seebacher : L'Enfer de Dante est dystopie.

F. Laurent : Je pense qu'on peut effectivement parler de dystopie dans la mesure où chez Hugo, le présent n'existe pas. C'est d'ailleurs propre à Hugo de faire une critique sociale en disant "tout ça n'existe pas".

J. Seebacher : L'univers carcéral est aussi un univers fantasmatique…

G. Rosa : …Sans rapport avec l'utopie. Toute désorganisation de l'espace n'est pas utopie renversée.

F. Sylvos : La prison peut être utopique, chez Chateaubriand par exemple : lieu de réflexion, lieu où l'on écrit…

Ch. Frémont : Je pense au contraire que ces distinctions dépassent le simple jeu de mots ; c'est une façon d'organiser un espace, un espace de pensée… Il n'est pas inutile de passer par l'exhaustivité de cette déclinaison.

G. Rosa : Et enfin les références que vous étudiez finissent par n’avoir qu’une fonction bien mince ; elles donnent, dites-vous par exemple, «épaisseur littéraire au thème de la petitesse de l’Empire ». Est-ce autre chose qu’un ornement ? La pensée utopique comme telle s’en absente : vous en faites une source de figures de style.

J. Seebacher : Si on voit dans l'aspiration vers l'utopie un moteur d'action positif, alors on peut très bien voir le dégoût de l'envers de la société comme un moteur négatif. Ainsi, l'égout des Misérables est mis en ordre, inversé pour aboutir à un égout positif..

G. Rosa : Dans Les Misérables ; dans Châtiments il n'est pas question de "récupérer" le cloaque impérial.

J. Seebacher : La grande question de ces textes, c'est surtout l'appel au peuple ; Hugo exhorte le peuple à renaître, à sortir de son acceptation de l'Empire…

G. Rosa : C'est précisément un geste qui se situe en dehors de l'utopie. L'utopie ne fait aucun appel à une action historique.

F. Sylvos : J'ai surtout voulu étudier les usages de l'utopie chez Hugo.

G. Rosa : Il y a tout de même de l’utopie proprement dite dans Châtiments : Lux, bien sûr, mais aussi tous les développements sur le progrès, futur ou passé, la section 8 de Nox par exemple : « Ciel ! nous allions en paix devant nous, nous faisions/ Chacun notre travail dans le siècle où nous sommes, / Le Poète chantait l’œuvre immense des hommes, / La tribune parlait avec sa grande voix... ». La France était alors en voie de réalisation d'une utopie.

F. Laurent : Contrairement à ce que vous semblez dire, la formule "Napoléon-le-Petit", opposée à "Napoléon-le-Grand", prononcée par Hugo dans son discours du 17 juillet 1851 (Révision de la Constitution) ne marque pas sa rupture avec Louis-Napoléon ; celle-ci est déjà consommée à ce moment-là. D'autre part, j'ai l'impression que vous donnez à Louis-Napoléon bien trop d'importance auprès des milieux républicains et socialistes avant 1848. En réalité, son aura était assez faible, et l’on ne peut s’y tromper que par illusion rétrospective : on avait peu lu L'Extinction du paupérisme avant 1848, et Louis-Napoléon était presque un inconnu. C'est plus tard (après la faillite de la Seconde République) que Sand, Hugo et d'autres accordent de l'importance à ce livre. D'ailleurs, avant 48, le parti bonapartiste lui-même est presque inexistant ; il existe un napoléonisme, mais pas de bonapartisme.

A. Laster. Quelqu'un a-t-il lu L'Extinction du paupérisme? Il paraît que c'est un livre effrayant, qui propose de résoudre la question sociale par une organisation militaire. Hugo l'avait-il lu?

F. Laurent : Ce projet a connu une application concrète : la Cité Ouvrière, rue de Rochechouart, vers 1855, que les ouvriers ont vite surnommée "la cité-caserne". Il faudrait étudier le rapport entre Châtiments et les utopies sociales contemporaines : Fourier, Cabet, Saint-Simon. Hugo semble peu les connaître, contrairement à Michelet, qui s'y intéresse de près.

A. Laster. Je trouve que ce qu'a dit Françoise Sylvos sur le maniement par Hugo des références à Swift, et à Haïti, est très éclairant ; il est intéressant de rapporter ces références à leur source.

G. Rosa : Pour tout avouer, ma critique, qui reproche à Françoise Sylvos de traiter l’utopie uniquement comme espace et non comme problématique de la durée, tient au fait que j’ai moi-même travaillé en ce sens pour un article sur l’utopie romantique à paraître dans un ouvrage collectif sur l'utopie, sous la direction de Michèle Riot-Sarcey.

A. Ubersfeld signale la parution de son article "Lorenzaccio, écriture des utopies." dans Théâtre public.

A. Laster : puisqu’on en est à la liste de nos publications, j’indique, à paraître dans Cinemaction (numéro de janvier), un article titré "Notre-Dame : Prévert, Hugo : mêmes combats", où je compare les adaptations du roman par Delanoe et Dieterle. Cette revue est coéditée par Télérama. G. Rosa s’étonne : Télérama est propriété de la Congrégation des Assomptionnistes… comme, en son temps, l'Univers.

Marieke Stein


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.