GROUPE HUGO
Equipe de recherche "Littérature et
civilisation du XIX° siècle"
Présents: Anne Ubersfeld, Guy Rosa, Marieke Stein, Agnès Spiquel, Pierre Georgel, Arnaud Laster, Vincent Wallez, Delphine Gleizes, Frank Laurent, Sandrine Raffin, Jean-Marc Hovasse, Marguerite Delavalse, Sylvie Vielledent, Stéphane Desvignes, Denis Sellem, Rouschka Haglund, Josette Acher, Françoise Chenet, Marie Tapié, Armand Erchadi, Hélène Cauchard, Stéphane Mahuet, Thomas Harlay, Caroline Delattre, Olivier Decroix, Judith Wulf, Adrien Thomas, Stéphanie Rosier, Sharon Allen, Carine Fréard.
Excusés: Jacques Seebacher, Colette Gryner, Florence Naugrette.
A. Laster précise que Paul Gaillard, l'auteur du "Profil" sur Les Contemplations, est décédé.
G. Rosa invite les nouveaux arrivants à se présenter. Sharon Allen, actuellement pensionnaire à l’ENS, prépare une thèse en littérature comparée à l'université de Princeton sur les formes urbaines de la conscience, de la mémoire et de la folie dans les récits en prose à la première personne. Elle analyse la façon dont la ville structure la mémoire du récit dans les romans du commencement de la modernité, de Hugo à Proust, Gogol et Dostoïevski, etc.- Un chapitre portera sur Le Dernier Jour d'un condamné. "Qu'est-ce que les convulsions d'une ville auprès des émeutes de l’âme?"...[Les Misérables, "Buvard, bavard", 4ème partie, livre 15ème, ch. I, 1ère phrase.].
Judith Wulf vient de soutenir une thèse en stylistique dirigée par G. Molinié, à l'université de Paris 4, sur les modes de formation du sens dans les quatre derniers romans de Hugo. Elle distingue dans cette perspective une pensée spécifiquement « littéraire » des formes classiques et abstraites de la pensée philosophique.
Stéphanie Rosier, en DEA à Paris 12 sous la direction de J. Thélot, travaille sur le sublime dans l'œuvre de Victor Hugo, objet, déjà, de son mémoire de maîtrise à propos du seul Homme qui rit.
Adrien Thomas, en maîtrise à Paris 3 avec A. Laster, travaille sur l'adaptation de Notre-Dame de Paris par Patrick Timsit, Quasimodo d'El Paris.
Carine Fréard travaille à Paris 3 avec A. Laster également sur la figure de Quasimodo dans différentes adaptations cinématographiques de ce roman.
Marie Tapié soutient sa thèse sur une partie des adaptations de Notre-Dame de Paris le 5 février 2001 à Paris III en début d'après-midi. Son jury sera constitué de ses directeurs, Philippe Hamon et A. Laster, ainsi que de Daniel Compère et G. Rosa.
Florence Naugrette parlera du "devenir des emplois tragiques et comiques dans le théâtre de Hugo" au colloque Jeux et enjeux dans le théâtre classique, organisé par le Centre de recherche sur l’histoire du théâtre de Paris 4 les 2 et 3 mars 2001.
D. Sellem offre au groupe Hugo et à la Bibliothèque le catalogue de la vente d'objets de l'exil qui s'est tenue à Drouot le 29 novembre dernier.
P. Georgel précise qu’il s'agit de la troisième vente Allix, depuis la mort d'Emile Allix, -sans d’ailleurs que le fonds soit entièrement épuisé. La pièce principale, le grand album de photos de l'exil destiné à Augustine Allix, a été achetée par la maison de Victor Hugo. C'est une très bonne nouvelle.
G. Rosa a reçu de la part d'un collectionneur, qu’il tient à remercier de sa générosité (pour son propriétaire, la publication d’un manuscrit inédit ne va pas toujours de soi), la transcription d'un autographe de Hugo :
"Je vous dois, Monsieur, beaucoup de reconnaissance. Vous me faites lire de beaux vers ; ces beaux vers me sont adressés, et ces beaux vers me dédient tout un livre de votre recueil! Vous me traitez beaucoup trop bien ; en me louant plus que je ne mérite, vous m'ôtez presque le droit de vous louer autant que vous le méritez. Il y a dans votre Ode quelque chose de mâle, de libre, de hardi et de fier qui me plaît, un accent de franchise et de poésie auquel je voudrais atteindre. Je serai ravi, Monsieur, de vous connaître et de vous remercier personnellement de votre belle Ode. Je suis bien fier de l'avoir inspirée, je serais plus fier encore de l'avoir faite. Croyez moi, je vous prie, bien cordialement, votre dévoué et reconnaissant confrère. V. H. le 1 mai 1828."
Or cette lettre ne contient aucune indication de son destinataire. Question : à qui Hugo s’adresse-t-il ?
J.-M. Hovasse : A Gaspard de Pons, qui a écrit sur la Grèce ?
P. Georgel : Sans doute pas. A cette date, Hugo le connaît et ne s'adresserait pas à lui en ces termes. Il faudrait vérifier dans La Couronne poétique, recueil de poèmes du XIXème dédiés à Victor Hugo, publié en 1902 pour le centenaire de sa naissance.
J.-M. Hovasse : Ces textes sont tous postérieurs à 1828.
A. Laster : Si le livre est publié, comme il semble, il faut consulter la Bibliographie de la France de cette année-là.
P. Georgel : Du moins le style, quoique imitable, est-il parfaitement vraisemblable.
G. Rosa : Particulièrement élogieux, cependant.
J.-M. Hovasse : Il existe un poème sur la Grèce qui date de ces années-là, dédié à Victor Hugo. Mais de qui ?
F. Chenet demande si quelqu’un sait ce que sont les "collerettes de Henri IV", plante apparemment inconnue, même des botanistes, qui apparaît dans la description de la source où Cosette va puiser de l'eau (Les Misérables, 2ème partie, livre 3ème, ch. V). On la retrouve dans Les Travailleurs de la mer : que signifie ce nom ? Est-ce une création de Hugo ?
G. Rosa : Il s'agit en tout cas d'un ajout de l'exil.
F. Chenet : Oui. Sa signification est importante : avec des « mousses », c’est la seule plante mentionnée. Le thème de la collerette (du vêtement) n’est pas que là associé à Cosette. Un autre élément végétal a de l'importance dans le roman : le châtaignier malade, au pied duquel J. Valjean enfouit son argent et dont l’emplâtre en zinc lui permet de le reconnaître dans la forêt. Or cet arbre ne peut avoir d’autre maladie que la "maladie de l'encre". Il participe donc à la construction du sens en assimilant l’argent du héros à un livre. Le rapprochement a d’ailleurs déjà été fait à propos d’un autre endroit, lorsque Jean Valjean apporte la dot de Cosette chez Gillenormand. Remarquons, pour l’arbre malade qu’il se trouve à côté d'un chantier, d'un tas de pierres...
G. Rosa : Mais, pour l’épisode chez Gillenormand, ce n’est en rien un « rapprochement » :la comparaison est faite par Mlle Gillenormand, par le texte lui-même.
A. Laster s’enquiert du Mille francs de récompense joué au théâtre de Neuilly, très mal annoncé.
S. Desvignes : Voilà peut-être pourquoi, le soir de la première, la salle était à moitié pleine. Le plus intéressant était la différence de réaction des publics présents face à un "nouveau" Hugo : les abonnés de Neuilly n'avaient manifestement pas la même conception de l'auteur que les groupes scolaires présents, enthousiastes.
A. Laster: A Saint-Quentin-en-Yvelines, la salle était comble. Cette mise en scène valait vraiment le déplacement.
On joue aujourd’hui 16 décembre Rigoletto à Budapest et le 17 à 23h10 Paris Première diffuse la comédie musicale des Misérables, version anglaise.
On pourra voir Le Jeu de Hugo le jeudi 11 janvier 2001 à l'université de Paris 7, tour 24, amphi 24, dans le cadre des " Jeudis de l’Oulipo ".
- "" Construire une chimère... ". Grandeurs et misères de l'imaginaire chez Victor Hugo", dernière semaine de septembre 2002, Université Stendhal-Grenoble 3, Centre de Valence. F. Chenet lance un appel à communications : le colloque, organisé par le Centre de recherche sur l'imaginaire de cette université, est ouvert à tous, non hugoliens compris. Si Hugo utilise davantage le terme d'"imagination", il a forgé ceux de "chimérisme" et d'"art chimérique".
- "Hugo et le romanesque", Université d'Amiens, 22 et 23 février 2002. A. Spiquel apporte quelques précisions sur ce colloque, déjà annoncé : il est organisé par le Centre d'études du roman et du romanesque et portera non sur le roman, mais sur la notion de romanesque. Depuis le séminaire de M. Murat à Paris 4, on sait que cette notion est problématique, mais on peut particulièrement l'interroger à travers l'œuvre de Hugo.
A. Ubersfeld : Mais qu'est-ce que le romanesque ? Comment parler d'une notion aussi vague sans ajouter à son flou?
A. Laster : Du moins, dans "romanesque", y a-t-il "roman" : on peut trouver trace du roman dans le théâtre, dans la poésie et dans le roman lui-même.
G. Rosa : Il y a aussi du roman sans romanesque : Le Dernier jour d'un condamné.
A. Spiquel : Le sujet a d’ailleurs déjà été abordé : par M. Roman qui avait fait, ici même, une communication sur le refus du romanesque, sur la tension entre romanesque et non-romanesque dans le roman
hugolien.
F. Laurent : On pourrait avoir le même type de débat avec les notions de « mythique » ou de « poétique ».
A. Ubersfeld : Ou de « théâtral ».
F. Laurent : Il ne faut pas considérer comme une Idée ce qui fonctionne dans une histoire : le romanesque évolue et le terme change de sens selon les discours qui l'utilisent. Souvent, il apparaît comme un contre-modèle. Les Misérables, avec Mme Thénardier, en fournissent un évident exemple : « C’était l’époque où l’antique roman classique... toujours noble mais de plus en plus vulgaire... incendiait l’âme aimante des portières de Paris et ravageait même un peu la banlieue...Plus tard, quand les cheveux romanesquement pleureurs commencèrent à grisonner, quand la Mégère se dégagea de la Paméla, la Thénardier ne fut plus qu’une grosse méchante femme ayant savouré des romans bêtes. Or on ne lit pas impunément des niaiseries. Il en résulta que sa fille aîné se nomma Eponine. Quant à la cadette, la pauvre fille faillit se nommer Gulnare ; elle dut à je ne sais quelle heureuse diversion faite par un roman de Ducray-Duminil, de ne s’appeler qu’Azelma. ». Un déplacement a lieu : il faut se demander non pas quelle est la définition du romanesque ni comment Hugo l'applique dans son œuvre, mais quelle idée du romanesque il construit en vue de quel type de roman.
A. Spiquel : Merci. J’intégrerai vos remarques à mes réflexions sur le colloque.
[NDLR : Appel à communication à la suite de ce compte rendu.]
G. Rosa signale que J. Seebacher a pris rendez-vous avec Guy Schoeller, directeur de la collection Bouquins chez Laffont, à propos de la réimpression souhaitable de plusieurs volumes actuellement épuisés, en particulier Poésie III et IV et Théâtre I et II. Cette indisponibilité n’est pas si mauvais signe : elle prouve que la totalité du tirage initial a été vendue (en quinze ans, mais le tirage était important). J. Seebacher a rappelé à l’éditeur qu’aux termes du contrat, conclu entre la maison Laffont et l'université de Paris 7, l’université retrouve la pleine propriété des textes (établissement du texte, notes, notices et structure de l’ensemble) dès lors que l’éditeur n’en assure plus la disponibilité.
A. Erchadi : J'ai entendu dire que la réédition était suspendue faute d'argent.
On ne sait qui : Sans doute ne s’agit-il, effectivement, que de cela. Mais cette édition a déjà été subventionnée par l’Etat...
A. Ubersfeld : Le successeur de José Corti, M. Fillaudeau, va réimprimer Le Roi et le bouffon.
G. Rosa : En fera-t-il autant pour Lire les Misérables, qui est également épuisé ?
G. Rosa, après un petit silence : Il est malaisé d’intervenir : votre propos, très dense, restait abstrait parce que nous n’avons pas, comme vous, présentes à l’esprit, les images qui lui donnent corps.
A. Laster : C'est l'inconvénient du résumé de thèse. J'aimerais cependant mieux comprendre ce que vous avez dit à propos des trois unités.
M. Tapié : Lors du rapprochement entre structure romanesque et structure dramatique, j'ai détaché les trois unités, de temps, de lieu et d'action. Pour la première, j'ai montré qu'on pouvait différencier l'Histoire et l'histoire, c'est-à-dire l'intrigue.
A. Laster : Mais ce sont des règles classiques que Hugo ne suit pas.
G. Rosa : De toute manière on ne peut guère identifier le théâtral ou le dramatique aux trois unités : beaucoup de poèmes
lyriques s’y conforment ; beaucoup de pièces ne le font pas
V. Wallez : Il est bien rare que les auteurs classiques eux-mêmes respectent ces unités, que ce soit Corneille ou Racine.
J. Acher : Je crois que vous avez dit que Notre-Dame de Paris est un personnage « immortel ». Ce n'est pas exact : comme les personnages, elle subit l'anankê, au moins celle du temps. Long peut-être, mais pas éternel. Le texte consacre d’importants développements à cette histoire de la cathédrale.
P. Georgel : Qu'appelez-vous le "conservatisme" de Hugo ?
M. Tapié : Il défend les monuments, dénonce les restaurations.
P. Georgel : Il faut alors changer votre terme car il est ambigu.
G. Rosa : Et désigne imparfaitement le " geste de conserver ".
F. Laurent : Cela se comprend cependant : à partir de ce rapport au patrimoine, M. Tapié a construit une signification idéologique...Mais la lutte pour la préservation s’analysable difficilement elle-même comme une position idéologique.
P. Georgel : Ou politique. D’autant plus qu’elle a changé de bord. Sous l'Empire et la Restauration, c'est la bourgeoisie libérale qui procède à la destruction des monuments –et la justifie, voire la revendique. Les légitimistes, eux, militent pour la préservation sinon du « patrimoine » à proprement parler, du moins des monuments des temps révolus qu’ils voudraient voir renaître. Les positions s’inversent ensuite.
F. Laurent : Mais les premiers textes de conservation du patrimoine sont promulgués par la Convention... Dans le roman lui-même cependant on voit apparaître des conservateurs royalistes et, au moment de l'attaque des truands contre la cathédrale et de sa défense par Quasimodo, le texte n’a pas un mot pour déplorer les destructions qu’il indique assez joyeusement (la poutre jetée par Quasimodo amoche au passage statues et ornements), ni pour condamner le pillage qui motive l’ardeur des truands autant que la délivrance d’Esmeralda.
P. Georgel : Il existe cependant un lien organique entre les avatars romanesques de la cathédrale et les développements sur la
conservation des monuments historiques.
F. Laurent : Mais on ne peut pas pour autant inverser "Ceci tuera cela" : hymne à la presse, à l'imprimerie, au livre meurtrier de l’architecture. Le quatrième poème des Voix intérieures, "A l'Arc de Triomphe", est une évocation magnifique de Paris en ruine. Il n’en reste que trois monuments : l'Arc de Triomphe, la colonne Vendôme et l'église bâtie par Charlemagne, Notre-Dame de Paris. Mais les strophes suivantes disent que même cela disparaîtra...
G. Rosa : Puisque nous ne vous avons pas bien comprise, pouvez-vous nous indiquer l’objet général de votre réflexion ?
M. Tapié : La problématique de l'adaptation, que j’entends comme l’analyse des choix des adaptateurs, concernant les faits et les personnages conservés, ou supprimés.
G. Rosa : Sans doute, mais cela risque de rester descriptif. Quelle est la question posée ?
A. Ubersfeld : Tout changement implique une idée.
H. Cauchard : M. Tapié a expliqué que la plupart des choix des adaptateurs américains, concernant la figure de Frollo, avaient des causes religieuses.
A. Ubersfeld : La question pourrait être, pour chacun des adaptateurs : pourquoi Notre-Dame de Paris?
G. Rosa : On en restera toujours à l’énumération, sans problématique d’ensemble. La question générale, pourrait être, par exemple, de caractériser ce qu’est une adaptation, en quoi elle consiste, quel est l’écart, évitable ou inévitable, qui la distingue du texte qu’elle adapte, bref, ce qui se produit quand une adaptation a lieu. Ensuite peuvent venir plusieurs problématiques locales, comme la question du quasi-monopole américain de ses adaptations (les 5/6èmes de votre corpus, comme vous l'avez dit, mais cela reste-t-il vrai de la totalité des adaptations du roman ?)
La fin de votre communication pose une autre question : celle du jugement de valeur.
O. Decroix : Le degré de littérarité que peut avoir une adaptation me semble une bonne question, que vous avez posée en partie. D'autre part, l'adaptation pose, comme toute œuvre, des problèmes de réception : l'adaptateur reçoit un texte, d'une certaine façon, et il crée une autre réception.
M. Tapié : Je reviens à la question du corpus : le choix d'un corpus de films que l'on peut voir en vidéo a limité son extension. La version française de 1905 est introuvable et celle de Capellani, très ancienne, n'est pas disponible. C'est pourquoi la plupart des adaptations étudiées sont très récentes (pour la plupart après celle des studios Disney) et américaines.
G. Rosa : Sans doute, mais, quelles qu’en soient les raisons, la composition de votre corpus selon les diverses formes filmiques (film d'animation, films muets, films parlants, couleur, noir et blanc) laissait attendre l’analyse de l’incidence de chaque forme sur l’adaptation.
M. Tapié : Je vous renvoie, pour cette question, à ma thèse.
F. Laurent : J'ai l'impression que vous développez une méthode de comparaison, presque de confrontation entre les genres, afin d'étudier les transformations survenues. Mais cette méthode présuppose que toute production artistique est résumable (ou descriptible) selon son adéquation à un système de codes compris comme genre. Ce n'est pas le cas. Dans l'étude d'une adaptation, la question à poser n'est pas seulement celle de la transposition, mais celle de l'auteur, celle de l'œuvre. Et comment faire une lecture idéologique du personnage de Frollo, qui apparaît d'une part dans l'un des chefs-d'œuvre de l'art romanesque et d'autre part dans des sous-produits ?
L'adaptation pose aussi le problème de l'attente du public, lectorat ou spectateurs, et de l’idée que l'auteur - Hugo ou les studios Disney - s'en fait.
L'adaptation réagence des éléments, vous l'avez dit, issus de la « banque de données » qu'est le roman. Il s'agit même parfois d'une transformation massive et, à ce titre, Frollo est sans doute moins intéressant que Phoebus, qui dans le roman est un personnage lâche, responsable de la mort d'Esmeralda et qui devient, dans les adaptations américaines, un "her. pos.", un "héros positif", pour le dire comme Aragon.
G. Rosa : Le terme de « banque de données » ne m’a pas semblé heureux : un récit, avec sa logique, s’apparente peu à une banque de données, aux éléments identiques et sans lien entre eux. Si les adaptateurs retiennent de Notre-Dame de Paris, certaines séquences, toujours les mêmes, n’est-ce pas d’abord parce qu’elles sont indissociables ?
M. Tapié : Certaines scènes sont, d’un film à l’autre, presque toujours présentes, mais non toujours, et leur disparition fonde la spécificité de chaque film.
G. Rosa : Ce serait amusant et bien intéressant que ce soient justement les scènes du scénario initial –de l’un des deux ; du quel ?
A. Ubersfeld : Ces séquences se succèdent selon un certain rythme, différent dans le roman et dans le film. Car un film se déroule selon un temps continu, tendu entre un début et une fin. Le roman est caractérisé par une certaine lenteur, parfois due à l'insertion de séquences non narratives.
A. Laster : Pour revenir à ce que disait F. Laurent sur l'adaptation elle-même, je rappelle que Hugo, le premier, a adapté son roman.
G. Rosa : Effectivement, difficile de ne pas commencer par La Esmeralda, puisque cette première adaptation, faite par l'auteur, fonde et autorise toutes les autres.
M. Tapié : Ce n’est pas la première.
A. Laster : Oui. Les premières adaptations ont eu lieu au théâtre.
G. Rosa : On pourrait aussi se demander pourquoi certaines œuvres de Hugo sont adaptées, d’autres non.
A. Laster : Tous les romans l’ont été au cinéma, sauf les romans de jeunesse.
G. Rosa : Notre-Dame de Paris et Les Misérables l’emportent tout de même largement. Pourquoi eux ?
F. Laurent : Il faut se poser aussi le problème des conditions de production des adaptations, qui guident le choix même de l'œuvre de référence.
P. Georgel : La remarque de Rosa vaut autant et plus pour la fortune de l'illustration. Du vivant de Hugo, Notre-Dame de Paris a généré une production d’images de toutes natures –illustrations, gravures, tableaux- très supérieure à toute autre oeuvre. Sans que la raison en soit évidente.
A. Ubersfeld : Ce roman, plus court que Les Misérables, contient beaucoup d'images fortes, ne serait-ce que celle de la cathédrale. Ou des images de groupe.
G. Rosa : L'Homme qui rit aussi, dont il est très étonnant qu'il n'existe pas d'adaptation.
A. Laster : Il en existe une, celle de Paul Leni (1928), d’ailleurs considérée par les spécialistes du cinéma comme le seul grand film né d'un roman de Hugo.
D. Gleizes : Considérer le roman comme une banque de données n’est pas si critiquable qu’on l’a dit : de fait, les choses se passent ainsi et le cinéaste aborde le texte comme une matière " à disposition ", désacralisée.
G. Rosa : Vous devriez vous expliquer : il faut avoir lu votre thèse pour savoir qu’effectivement les scénarios successifs d’Antoine, pour ses Travailleurs de la mer, donnent l’impression que le cinéaste manipule les séquences comme les cartes d’un jeu de cartes, triant, redistribuant, etc.
D. Gleizes : Autre question : qu’en disent les adaptateurs eux-mêmes ? Quelle est la politique avouée de réalisation vis-à-vis du roman ? Pour Les Misérables, il reste trace des commentaires de Blüwal.
Quant à la raison de disparition de telle ou telle fiche, de telle ou telle donnée concernant les personnages, elle est sans doute souvent idéologique, mais parfois plus diégétique : l’histoire de la Sachette prend tout simplement du temps de bobine.
Le rythme est effectivement très important. Il ne faut pas minorer ses liens avec la politique des studios et leur esthétique. Par exemple, si Dieterle soigne les enchaînements, tandis que Delannoy compose son œuvre par tableaux, cela correspond sans doute à la manière américaine, plus dynamique, face à une manière française, plus statique, plus inspirée par la pratique de l’illustration.
M. Tapié : Il est difficile de comparer les deux manières car le corpus ne comporte qu’un film français. J’ai l’exemple d’une motivation matérielle d’un adaptateur, Worsley, qui réalise Notre-Dame de Paris en 1923 : il a conçu le projet d’une nouvelle adaptation cinq ou six ans plus tard pour rentabiliser les décors, très chers, de la première version... Mais le studio a été racheté, les comédiens sont partis et ce projet n’a jamais abouti.
G. Rosa : On pourrait aussi comparer les titres. Celui des Misérables est intangible au point que le mot français passe tel quel en anglais ; pour Notre-Dame de Paris au contraire le titre originel n’est respecté qu’en France –dès les traductions d’ailleurs
A. Laster : Inexact pour Les Misérables, parfois intitulé Jean Valjean.
M. Tapié : Dans le roman, la cathédrale est le personnage central ; dans les adaptations, c’est Quasimodo.
A. Laster (lisant les titres étrangers du roman) : ou Esmeralda. Mais Hugo voulait garder le titre initial pour sa propre adaptation : il a été refusé par la censure, d’où le choix de La Esmeralda.
G. Rosa : La lecture qu’A. Laster vient de faire des titres du roman pourrait ébaucher une typologie de ses adaptations. Existe-t-il, pour Notre-Dame de Paris, des structures récurrentes de l’adaptation ?
F. Laurent : La suppression de l’épisode de la Sachette, très complexe, signifie qu’il n’est pas essentiel au roman. Mais l’infanticide ne doit pas y être pour rien. Comme Phoebus, la Sachette envoie Esmeralda à la mort. L’adaptation a ici deux fonctions : révéler la non-essentialité d’un épisode et réduire le caractère émotionnellement insupportable du texte. Il est d’ailleurs tout aussi impensable de révéler que la fameuse égyptienne, la bohémienne, l’étrangère, est une fille de Reims…
C. Fréard : Dans la version de 1923, la Sachette est une dame noble.
F. Laurent : Je n’ai d’autre part jamais été convaincu par la lecture idéologique du roman –celle qui traîne partout et, apparemment, imprègne les adaptations- qui y trouve un tableau de l’émergence de la Renaissance et de la décadence du Moyen Age.
G. Rosa : Il faut citer l’auteur de ce redressement de la lecture de Notre-Dame de Paris : J.
Seebacher.
F. Laurent : Il est vrai que les schémas de l’historiographie libérale ne sont pas absents ; ils figurent même tous : sur le progrès, la centralisation monarchique, l’alliance du peuple et du roi... Mais le texte ne prend pas en charge ce discours : il est tenu par Louis XI au moment où il est persuadé que le peuple s’attaque au bailli. Lorsqu’il comprend que c’est à lui qu’on s’en prend, il dit tout le contraire…Hugo montre la naissance de l’Etat monarchique moderne -et aucune Renaissance.
A. Laster : Je suis d’accord avec F. Laurent. Mais, pour l’épisode de la Sachette, je pense qu’il est supprimé parce qu’il est l’élément le plus daté du roman. Il subsiste dans quelques adaptations théâtrales cependant.
S. Vielledent : De fait, le public d’alors était habitué, au théâtre, au thème de la réclusion forcée de la femme.
G. Rosa : A vous entendre, on finit par se demander si l’adaptation ne consiste pas en un ensemble d’efforts pour réduire au tolérable un texte qui ne l’est pas. L’adaptation se ferait contre le texte…
A. Laster : Il faut connaître la démarche du producteur.
F. Laurent : Cela a peut-être lieu dans les sous-catégories. La liberté est plus grande dans le roman.
V. Wallez : J’ai l’impression que les scénarios des adaptations fonctionnent davantage par rapport aux scénarios antérieurs, que par rapport à l’œuvre initiale.
G. Rosa : Il faudrait bien tout de même, un jour, penser l’adaptation de manière un peu théorique. Le phénomène est important dans l’histoire culturelle, peut-être décisif dans l’histoire des oeuvres. Il le semble, en tout cas, pour Les Misérables et Notre-Dame de Paris dont on peut dire qu’ils n’existent plus guère qu’à travers leurs adaptations.
On se récrie.
G. Rosa : Interrogez vos étudiants : sur un groupe de 30, tous ont vu Les Misérables dans une adaptation ou une autre (ils ne les distinguent d’ailleurs pas) ; jamais plus d’un seul n’a lu le texte.
A. Laster : Un lectorat est généré par les adaptations elles-mêmes.
G. Rosa : Un lectorat infime. Dans la culture actuelle, Les Misérables existent comme film(s). Les œuvres de Hugo ne sont d’ailleurs pas seules dans ce cas : qui a lu la Bible, l’Iliade ou l’Odyssée ? Ce mode d’existence dérivé finit par l’emporter sur le mode d’existence originel.
A. Ubersfeld : Les francophones à l’étranger, qui lisent le français, lisent Les Misérables.
V. Wallez : Les grandes œuvres de Hugo ont un statut de monument, qu’on visite ou qu’on lit depuis l’étranger.
J. Acher : Il faudrait savoir comment le public lit l’œuvre après en avoir vu l’adaptation.
S. Allen : Aux Etats-Unis, effectivement, Notre-Dame de Paris et Les Misérables sont des monuments qu’on visite. Le Dernier jour d‘un condamné est lu dans les cours de français au collège et à l’Université. Mais le premier contact avec Hugo passe par le dessin animé de Disney, dont la connaissance est universelle, quasi obligatoire.
A. Laster : Il reste à déterminer l’influence des comédies musicales pour la diffusion des Misérables.
S. Allen : Tout le monde au moins connaît l’histoire.
A. Laster : Apparemment, l’adaptation très récente des Misérables par Bille August, un échec en France, aurait marché aux
Etats-Unis.
G. Rosa : Puisqu’on en est aux anecdotes, en voici une. Jacques Téphany, auteur de la présentation, dans Massin, de Mille francs de récompense –pièce à la quelle était consacrée sa thèse, avait écrit une transposition de Notre-Dame de Paris. Le Centre Beaubourg était la cathédrale, Frollo le conservateur du musée et la Cour des Miracles était formée de bandes cosmopolites de jeunes musiciens, danseurs et danseuse (Esmeralda, brésilienne), artistes vagabonds, vivant sous le centre Pompidou, dans le métro et les égouts. Aucun éditeur n’avait reconnu la « source », mais certains avaient sentencieusement expliqué à l’auteur qu’il tenait là une excellente intrigue.
A. Ubersfeld : Voilà sans doute la raison des adaptations : la force de l’histoire.
G. Rosa : Nous en avons l’intuition, comme pour Les Misérables, mais quelle assise théorique lui donner?
H. Cauchard : Ces œuvres restent actuelles.
V. Wallez : Ces personnages sont des archétypes, inscrits dans la mémoire collective.
Une autre question à M. Tapié : je crois que la dernière adaptation de Notre-Dame de Paris de 1997 mettait en scène une autre cathédrale.
M. Tapié : Oui. C’était un décor de carton-pâte, un mélange de cathédrales à partir de celle de Rouen.
F. Laurent : D’après Le Goff, c’est une erreur de croire que les cathédrales sont bien construites : elles sont sans cesse en restauration, certaines s’effondrent (Beauvais). Les édifices du XVIème siècle sont plus solides.
G. Rosa : Pour conclure, l’idée dominante des adaptations de Notre-Dame de Paris est-elle le passage d’un monde à un autre ?M. Tapié : Plutôt le respect des autres individualités.
Prochaine séance : samedi 20 janvier 2001. Communication de Françoise Sylvos : « Hugo et l’utopie »
Sandrine Raffin
Avec ses meilleurs vœux (et ceux de G. Rosa)
Appel à communications pour le colloque
HUGO ET LE ROMANESQUE
organisé à Amiens les 22 et 23 février 2002
par le Centre d’Études du Roman et du Romanesque
Le « romanesque » est parfois considéré comme une de ces notions « molles » qu’il serait vain d’étudier en tant que telles. Pourtant, objet même de notre équipe de recherche, objet également d’un récent séminaire – suivi d’un colloque – à Paris IV, il apparaît comme un outil opératoire, non seulement dans les études génériques sur le roman, mais plus largement dans une réflexion sur l’écriture et sur le rapport au réel.
La notion de « romanesque » implique le non-vraisemblable, des péripéties extraordinaires – amours, aventures – qui font rêver. Elle comporte également un principe de secondarité : elle renvoie à un modèle que la vie tente de copier. En même temps, elle a une historicité propre à l’intérieur du genre romanesque, où elle fonctionne le plus souvent comme contre-modèle, chaque type de roman définissant son propre romanesque par opposition à d’autres. Et des écritures non romanesques sécrètent – ou sont habitées par – des formes spécifiques de romanesque.
L’œuvre de Hugo, dans sa diversité, nous est apparue comme un lieu propice à une interrogation sur le romanesque ; peut-être, paradoxalement, parce que la catégorie en est presque absente en tant que telle, même si elle sous-tend une « théorie » hugolienne du roman, dont les éléments sont disséminés dans des textes très divers.
Il ne s’agit donc pas d’un colloque sur les romans de Hugo – encore que ceux-ci ne soient pas récusés en tant que tels ; il s’agit de voir comment le « romanesque » travaille les textes de Hugo ; par exemple, comment y joue une tension entre romanesque et non romanesque ; comment s’y articulent le dramatique et le romanesque ; contre ou avec quel romanesque ils s’écrivent, et sur quels modes…
Les propositions de communication sont à envoyer avant le 30 mars 2001 à
Agnès SPIQUEL
email : agnes@soha.net
Equipe "Littérature et
civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2
place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.