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Séance du 22 janvier 2000

Présents : Guy Rosa, Florence Naugrette, Anne Ubersfeld, Arnaud Laster, Josette Acher, Rouska Haglund, Vincent Wallez, Sylvie Vielledent, Myriam Roman, Junia Barreto, Chantal Brière, Jean-Marc Hovasse, Delphine Gleizes, Bernard Degout, Sandrine Raffin, Marie Tapié, Agnès Spiquel, Colette Gryner, Stéphane Mahuet, Stéphane Desvignes, Vital Philippot, Jean-Paul Papot, Marguerite Delavalse, Claude Rétat, Valérie Presselin, Jean-Luc Gaillard, Bertrand Abraham, Bernard Leuilliot, Pierre Laforgue, Vincent Laisney, Marieke Stein, Olivier Decroix, Denis Sellem, Jacques Seebacher.


Informations

Publications

. Guy Rosa signale l'édition par les soins de  Bernard Degout d'un texte de Géraud Venzac, De l'Alliance du Trône et de l'Autel sous la Restauration, éd. Cristel.

 

Correspondance et présentation

. Anthony James envoie ses voux au groupe -qui lui répond par les siens

 

.Mme Zimmermann soumet cette question : d'où provient, dans Hugo, cette citation trouvée dans un roman de Knut Hamsun, Mystères, qui se traduit en substance ainsi : " Puisse votre fer/épée/couteau être aussi pointu(e)/acéré(e)/cruel(le) que votre non/refus " ?

Il s'agit évidemment d'un héros (d'une héroïne) prêt(e) à se tuer avec l'arme de la femme (del'homme) qu'il (elle) aime et qui se refuse à lui (elle). Est-ce dans le théâtre (B. Leuilliot) ? Dans Antony (J. Seebacher) ? G. Rosa propose Angelo, tyran de Padoue, A. Laster également. [N.D.L.R.: texte exact en 3,3,3 : "Eh bien, c'est ce mot-là qui me tue, malheureux! ton poignard ne fera que m'achever."] Dans le même livre, un autre mystère : qui est le baron Jacques Lesdain qui demande à Hugo : " Qui est le plus grand écrivain français ? ", et obtenu la réponse " Musset est le second ". Cette anecdote paraît très peu vraisemblable à l'unanimité.

 

.Rainier Grutman propose une communication pour la séance de juin sur le rôle de la langue et de la littérature espagnole dans l'ouvre de Hugo.

 

.Vital Philippot explique son projet de faire jouer -et de jouer- Hernani du 3 au 15 juillet 2000 dans la cour d'honneur de la Sorbonne.

 

.Jean-Luc Gaillard se présente comme un amateur, mais ardent et ancien : effet du Centenaire de 1985. Il a entrepris une chronologie hugolienne, d'abord manuellement. Informatisée maintenant, elle comprend environ 1200 pages et 4000 notes. Son objectif est d'en faire un document le plus complet possible, à laisser à d'autres chercheurs, et de contribuer à une meilleure connaissance de Hugo. G. Rosa en profite pour faire le point sur la chronologie Massin informatisée: elle va jusqu'à la fin 1867 (tome 13) et comporte 12000 dates. L'avant-dernier volume est en cours de saisie. Une fois celle-ci achevée, les CD-Rom seront actualisés et redistribués : au groupe ensuite de décider de la suite -si suite il doit y avoir. Le serveur, maintenant "bi-processeur", répond à une vitesse foudroyante. J.-L. Gaillard dit avoir téléchargé la totalité de la chronologie en moins d'une minute. G. Rosa signale que la déontologie -la loi aussi, mais Paris 7 ne se lancera pas là-dedans- veut que la chronologie puisse être utilisée, mais pas diffusée.

 

.S. Raffin signale un article de Nicole Savy, à paraître dans le premier numéro d'Histoires littéraires, " Victor Hugo et les Belges ", début février 2000.

 

.J. Seebacher : Mme Christine Oddo, la cheville ouvrière de l'édition Robert Laffont en 1985, fait une recherche sur la famille Bibesco et demande aux bonnes volontés de se manifester. Elle s'est renseignée sur les ancêtres de Mme Bibesco (la petite-fille de Ney) à propos d'un poème de Toute la Lyre, " Ecrit sur le livre du jour " dédicacé à Michel Ney le 14 avril 1847. Hugo fréquentait à l'époque ce milieu héritier des maréchaux d'Empire comme l'indique le Dictionnaire des Contemporains, bien avant la lettre à Edgar Ney en 1849. L'un des parents des Bibesco est un Murat, député de Montreuil-sur-Mer en 1836 ( ou 1846).

 

.A. Ubersfeld signale un article très intéressant dans le dernier numéro du Bulletin de la société Théophile Gautier sur Hugo et Judith Gautier. L'article montre que cette liaison, qui paraissait peu importante et courte, si l'on en croit les documents de la maison de Victor Hugo, s'est en réalité prolongée. Il explicite aussi l'une des façons dont Hugo avait eu connaissance de Wagner.

G. Rosa : Il y a sur ce sujet des développements curieux dans la thèse de J.-M. Hovasse : la littérature n'y était pas étrangère, ni Théophile Gautier...

J.-M. Hovasse : dont un article, très antérieur, observe que Goethe n'écrivit de sonnets que très tard, pour une femme aimée. Hugo retint la leçon peut-être; du moins fit-il de même.

A. Ubersfeld : Cette liaison est intéressante sur le plan psychique : elle relève d'un étrange amour triangulaire où celui de Gautier pour Hugo et de Hugo pour Gautier compte autant que celui de Hugo et Judith. Les choix d'écriture aussi peuvent se comprendre dela sorte : composer des sonnets revient à renvoyer à Gautier ce qui est sa création.

D. Gleizes signale un article de Marie-Claude Shapira sur les liens littéraires entre Judith et les amis de Théophile  (actes d'un récent colloque tenu à Lyon).

 

.A. Laster demande si l'on a lu  ce livre qui vient de paraître sur la fille de Louise Michel et de Victor Hugo.

G. Rosa fait circuler le prospectus : Yves Murie, Victorine, sous-titré " le grand secret de Louise Michel ", à compte d'auteur (Cherbourg). La Bibliothèque se le procurera.

J. Seebacher : Beaucoup de gens se croient descendants de Victor Hugo : cela ne change rien à la littérature, à l'inverse des liaisons elles-mêmes, importantes, comme celle avec Judith Gautier ou celle qui aurait pu avoir lieu avec Mme de Girardin. (G. Rosa se demande avec inquiétude à quelle date il doit enregistrer dans la chronologie une liaison qui aurait pu avoir lieu.)

A. Laster : Louise Michel a tout de même eu une relation épistolaire importante avec Hugo; elle signait Enjolras.

C. Rétat : La correspondance de Louise Michel vient de sortir, éditée par Xavière Gauthier (Je vous écris de ma nuit, Correspondance générale 1850-1904, Les Editions de Paris).

   

Rectificatifs aux comptes rendus précédents

.A. Laster signale que le mémoire de maîtrise de Mlle Weil portait sur les rapports entre Hugo et Wagner et non Weber, ce que tout le monde aura rectifié de soi-même.

.Jean-Marc Hovasse demande rectification du compte-rendu du 11 décembre 1999 : Hugo n'a pas traité Musset de "petit poète crasseux" (sic), mais de "petit poëte gracieux" (Massin XV-XVI/2, pp. 176-177) - ce qui n'est pas exactement la même chose. Il s'engage à articuler plus distinctement la prochaine fois qu'il interviendra.Quant au Gringoire de Banville, ajoute-t-il une fois mis en train, ses représentations à Compiègne sont les consécrations d'un grand succès public, et non la marque d'un quelconque insuccès...
     

Conférence

J. Seebacher rappelle la prochaine conférence d'A. Guyaux, le 27 janvier, à 18h30 au Musée d'Orsay, " Le coucher du soleil romantique ". Les conférences seront publiées dans la revue du musée d'Orsay, 48/14.

Il demande si l'on sait quel est le premier texte de Hugo sur Byron, où il voir en lui le type du génie poétique ?

V. Laisney : Dans la Muse française en 1824.

G. Rosa : Sans M. Laisney, on aurait demandé " Byron " dans la chronologie [qui indique, effectivement, l'article de juin 1824 dans le numéro 12 de La Muse française, au milieu de plusieurs autres (Vigny, Guiraud); la mort de Byron était parvenue en France le mois précédent]. La chronologie apprend beaucoup, par exemple que de nombreux textes (articles ou lettres rendues publiques) ne figurent ni dans Massin, ni dans Bouquins. Ce ne sont sans doute  pas des textes majeurs mais ils existent.

J. Seebacher : Comme existe la lettre où Hugo répond à Mme de Girardin qu'il reste du côté des grands héros de l'humanité, de ceux qui disent non (type Jean de Patmos) : il cite tous ceux qui viendront bientôt causer autour de la table.

 

Théâtre

.M. Delavalse signale une représentation des Misérables de Schönberg, sur des arrangements d'Amirati, chantés par 500 élèves de primaire les 13 et 14 janvier 2000 à Reims.

 

.A. Laster signale la reprise de Lucrèce Borgia au théâtre de Saint-Maur, le soir même, et redit la bonne impression laissée par ce spectacle. Marie-José Nat y interprète une Lucrèce peut-être très adoucie mais intéressante. Le rythme est obtenu par la musique entre les tableaux et par les effets stroboscopiques, qui peuvent parfois être agaçants, mais qui fonctionnent bien ici.

Il indique aussi, jusqu'au 30 janvier, la version des Misérables en marionnettes au théâtre Dunois, par la compagnie Garin Trousseboeuf, déjà jouée en Avignon , dont il a entendu du bien.

 

.A. Laster et V. Wallez rendent compte de l'Intervention au Labo. Les acteurs n'étaient effectivement que trois, dans un tout petit théâtre, les rôles de Gerpivrac et de Gombert étant tenus par le même acteur. Pourquoi pas ? puisque V. Wallez a cru qu'ils étaient deux !

A. Laster : Nous avons affaire à une double projection de l'auteur : ouvrier ou dandy. Cette identification à l'ouvrier du faubourg Saint-Antoine est à la fois générale et littéraire - à l'ouvrière aussi, ajoute J. Seebacher, avec Marcinelle. A. Laster cite un mot des Goncourt, qu'il apprécie tout particulièrement, disant de Hugo qu'il était " surexcité " dans son révolutionnarisme contre l'Assemblée et Versailles, " avec la méchanceté d'un ouvrier manuel ". D'un autre côté, il est aussi Gerpivrac, au moment où, dans les années 40, il aurait pu verser dans le dandysme un peu cynique. V. Wallez cite son autoportrait, proche de ce type de personnage, dans Maglia, écrit en 1844, et qui se termine sur ces mots : " Il faut bien hurler avec les loups et braire avec les lions. " (Ed. Massin, tome 6, p. 1049).

A. Laster ajoute : L'idée apparemment saugrenue de ne faire jouer que trois acteurs est finalement assez stimulante pour la réflexion.

 


Communication de Pierre Laforgue : «Han d'Islande, roman ultra, ou littérature, idéologie et romantisme» (voir texte joint)


Discussion

B. Degout : Je regrette que dans votre intervention vous ne fassiez aucune allusion aux travaux précédents sur le sujet, ni à Chateaubriand, ni aux liens qu'entretient Han d'Islande avec les Odes, qui sont publiés ensemble, de façon anonyme. Je voudrais également nuancer vos affirmations sur le mal : Hugo ne pose pas la question du mal en dehors de la Révolution, comme tous les ultras. Les critiques ne lui ont pas été épargnées et il a été qualifié de " romantique ", ce qui est dégradant.

P. Laforgue : Je n'ai pas l'impression que Han d'Islande se pense en relation avec Chateaubriand.

B. Degout : Il est possible d'avancer que, par rapport à l'ordre social fondé par Maistre (le couple roi/bourreau), Hugo signale que la Révolution représente un mal incarné par Han. Le Comité de salut public serait le bourreau identifié par Maistre.

P. Laforgue : A ce sujet, il faut renvoyer à votre thèse, qui reste la grande référence. Joseph de Maistre, qui meurt en 1821, est très présent dans le roman.

 

A. Laster : Vous avez cité Nodier en indiquant que vous adhériez à son opinion sur le roman, qualifié de " jeux barbares d'une imagination malade " : comment l'expliquez-vous ? Croyez-vous vraiment que Hugo était malade en écrivant Han ?

J. Seebacher : Oui, c'est une maladie : le " charismatisme anticharismatique ". Lamennais a permis à Hugo de se marier à l'église en prouvant qu'il était catholique.

G. Rosa : Lamennais n'a pas établi de certificat de baptême. C'est l'attestation du père qui a valu comme preuve.

J.-L. Gaillard : A l'époque, Hugo est très tourmenté : il a perdu sa mère, Eugène devient fou, on lui refuse la main d'Adèle, ce qui n'est pas sans conséquence sur son écriture.

J. Seebacher : Lamennais a alors une importance capitale, parce qu'il représente une autre voie par rapport à l'ultracisme ministériel et à celui de Rohan-Chabot. B. Degout, qui connaît sans doute cette période mieux que quiconque, ne dira pas le contraire. Le charismatisme mennaisien est un passe qui permet de traverser (comme par anamorphose) l'histoire événementielle ; il nécessite également un type d'écriture fantasmatique où le langage doit être pris en travers. Il a une vertu critique par rapport au charismatisme maistrien. A la référence à Chateaubriand et à tous les autres s'ajoute toute une critique de la raison raisonnante, bourgeoisement comptable depuis la monarchie et l'Empire. Cette bourgeoisie est liée à l'industrie, qui sert l'Eglise : le toit de la cathédrale, fait à partir des mines de charbon et de cuivre, incarne l'édification du cléricalisme comme pouvoir. La révolution ultra ne s'oppose pas aux travailleurs et aux ouvriers : dans Han d'Islande, tout démarre par un accident du travail, inacceptable pour un chrétien. Les bourgeois sont, eux, de la pire espèce : ils dilapident les trésors des châteaux en les monnayant en pièces de cuivre, d'argent et d'or : la réflexion économico-sociale de l'idéologie est à critiquer. L'ultracisme rêve d'un roi idéal et d'un système de noblesse de mérite. D'où la création d'une nouvelle noblesse au royaume de Danemark.

P. Laforgue : Le père Schumacker voulait le faire.

J. Seebacher : L'horreur - le frénétisme - en histoire est par définition une critique de la raison : la folie. C'est elle qui prévient la raison.

A. Laster : C'est donc conscient ! Je repose ma question : comment concilier l'analyse rationnelle, qui guide la stratégie et l'implication de Hugo, et son comportement décrit par Nodier ?

P. Laforgue : Han d'Islande est un roman intelligent, jouissif mais mal fagoté.

G. Rosa : La question d'A. Laster est pertinente : le frénétique est traité par Laforgue comme une méthode critique intellectuelle, mais il ne dément pas ceux qui le jugent comme un dérèglement.

J. Seebacher : Et que dire de Rabelais : est-il obsédé ou a-t-il une méthode gaillarde pour traiter la question ?

G. Rosa : C'est déjà assez compliqué avec Hugo...

D'autre part, le rapprochement que vous établissez dans votre exposé entre frénétique et ultracisme m'embarrasse : le salon de Mme de T. dans les Misérables n'est pas en proie à la frénésie.

P. Laforgue : J'ai rapproché uniquement philosophie et idéologie. Les humeurs, c'est autre chose -pour Hugo comme pour Mme de T.

 

A. Laster : B. Degout pourrait-il nous éclairer sur la réception du roman et répondre à cette question : les ultras y ont-ils reconnu un des leurs ?

B. Degout : Nodier est beaucoup plus ironique qu'on ne l'a dit et ne doit pas être pris au pied de la lettre. C'est surtout du côté des libéraux que l'on trouve les grands articles ; du côté des ultras " pomponnés ", on dit que c'est un roman " de place de Grève ". La troisième préface du Dernier jour d'un condamné reprend ces critiques, qui ont affecté Hugo. La production ultra n'a pas été comprise par les ultras de son temps. La ligne ultra est suggérée à Hugo mais il la complique et la dépasse très tôt, déjà dans les Odes. Il est en définitive mal reçu dans l'opinion royaliste.

J. Seebacher : Hugo est l'auteur de pamphlets du type :  " Ultras, encore un effort si vous voulez être royaux ! "

B. Degout : Le merveilleux sert à faire comprendre, comme la figure de la femelle du bourreau. Hugo veut déborder la dualité de Maistre et poser face à l'ultracisme pyramidal quelque chose de bien plus effrayant.

 

A. Spiquel : Il est significatif que ce soit le faux Han d'Islande qui descende dans la grotte ; le vrai ne descend pas. Et quant au fils d'Ahlefeld, dévoré tout cru par son père, il pose la question de la paternité. La description, là, est frénétique.

J. Seebacher : Ce personnage vaut pour le système monarchique, dévoré par la Révolution qu'il a lui-même créée.

 

B. Abraham : Comment articuler la présence intertextuelle massive du roman baroque précieux - autre forme de frénésie ? Sert-il à réécrire ce qui se passe dans Han d'Islande ? Le texte frénétique est-il une réécriture du roman baroque ?

 

B. Leuilliot : Je suis un lecteur de longue date de Han d'Islande et j'avoue n'y rien comprendre. Ce n'est pas un méchant roman, pour preuve : plus on le lit, moins on le comprend. Il n'est réductible à aucune interprétation qui irait dans le sens d'une allégeance à quelque parti que ce soit. Il faut lire le roman dans la perspective de l'avenir de l'ouvre de Hugo, par exemple à propos de la peine de mort. Le personnage de Han n'est pas toujours un monstre : dans son apparition finale, il est un petit bourgeois, comparable à " M. le Maudit ". Ce personnage fonctionne comme dénonciation du fantasme de la frénésie : sa silhouette n'est pas du tout frénétique. Il est essentiel dans le roman que le monstre se révèle.

J. Seebacher : .un bon père : on lui a tué son fils et il n'est pas content.

B. Abraham : Son nom annonce un cri.

B. Leuilliot : Le roman a été écrit en deux temps et il s'agit d'une des rares ouvres dont nous n'ayons pas le manuscrit. Entre ces deux campagnes de rédaction, de nombreux changements se produisent. Le premier jet, vers 1820, raconte l'histoire d'Ordener comme une histoire d'amour, genre "troubadour". J'ai tendance à penser - c'est de l'ordre de l'indémontrable - que le frénétique a rendu dérisoire l'histoire amoureuse, écrite en pensant à Adèle. Alors, pourquoi le frénétique n'aurait-il pas la même fonction sur le plan politique ? On n'a jamais développé non plus le rapprochement, qui me semble évident entre Ordener et Hamlet. Si Hamlet est derrière Ordener, cela aussi comporte une signification de dérision.

Ce qui est en cause dans le roman c'est la relation entre Lamennais et Maistre, un conflit idéologique insoluble.

J. Seebacher : Ce sont les deux pôles de l'ultracisme.

 

A. Ubersfeld : Je suis largement d'accord avec l'intervention de B. Leuilliot. Cette ouvre, très complexe et très obscure, porte en germe les thèmes de l'avenir : on relève pour la première fois la présence du peuple et celle du héros tout seul. Hugo ne va pas dans le sens d'une idéologie ultra mais invente autre chose. La référence à Hamlet me paraît plus discutable : il est trop tôt dans le siècle.

J. Seebacher : Mais la plupart des épigraphes de Han d'Islande proviennent des Chefs-d'ouvre du théâtre étranger publié vers 1822-1823.

La discussion, loin d'être épuisée, est interrompue, faute de temps.


Communication de Chantal Brière : " Le langage architectural dans les romans de Victor Hugo : de la technique au symbole " (texte joint)


Discussion

J. Seebacher : Attention dans l'étymologie d'" archi/tecture " à ne pas être victime d'un mot : celui de " supplément ", qui sonne comme " ajouté ". Il vous ferait manquer l'organicité et la fonctionnalité qui s'y rattache. Il ne faut pas oublier que Hugo a fait des études de mathématiques très sérieuses. A la fin de " Paris à vol d'oiseau ", il prend de la distance par rapport à " Ceci tuera cela " : le hérissement de la ville part de la botanique (dans le fût des arbres emplis de sève) et circule dans les quatre forêts qui entourent Paris comme des buffets d'orgue. Toute la fin est musicale. Le principe d'" ordre " continu préside aux trois sens étymologiques d'" archê " : commencement, fin et commandement. La haine de Hugo envers l'architecture classique provient de ce qu'elle entasse : la Madeleine et la Bourse sont des colonnes sur lesquelles est posé un toit. La cathédrale, loin d'être un homard vide, est une architecture vivante qui contient quelque chose, dont, en haut, les cloches, c'est-à-dire la musique. Pourquoi l'architecture est-elle la maîtresse des arts ? Parce qu'elle est la plus composée, comme la musique.

C. Brière : C'est Port Saint-Peter qui est comparé à un homard.

G. Rosa : Le sens de " supplément " signifie que c'est plus que du construit.

J. Seebacher : C'est plus que du trou.

 

G. Rosa : Il faudrait se demander ce qui chez Hugo passe spécifiquement par l'architecture : à quoi est-elle utile, voire nécessaire, et qui ne pourrait pas être ou se dire sans elle ?

C. Brière : Peut-être sert-elle à l'écriture, mais elle n'est pas toujours, comme chez Proust, la métaphore de la création.

G. Rosa : Hugo a élaboré des créations architecturales extraordinaires, sans analogue chez Balzac ou Proust. Ses romans laissent en mémoire des édifices : Notre-Dame de Paris, l'éléphant de la Bastille, la Tourgue. Pourquoi ? Qu'est-ce qui passe par là ?

A. Ubersfeld : Je poserai le même type de question. Vous parlez de symbole : à quoi cela sert-il ? Hugo utilise l'architecture pour symboliser la dimension, la verticalité et les ouvertures-fermetures (les portes). Il met en regard le travail de l'humain - la maison-prison, l'église, le problème de l'ascension et la chute des personnages - avec sa symbolisation architecturale.

F. Naugrette : On le voit bien au théâtre : les indications de décor sont souvent excessives et datées, mais certains éléments restent indispensables dans les mises en scène contemporaines, même si elles se veulent les plus vides possible. Comment jouer Hernani sans escalier monumental ? Les portes dérobées et les escaliers subsistent nécessairement comme aires de jeu symbolique.

V. Wallez : On trouve une porte dérobée dans l'Intervention.

G. Rosa : Mais globalement, la première période théâtrale contient plus d'architectures remarquables que le Théâtre en liberté.

J. Seebacher : Quel est le dieu des portes ? Janus, qui regarde des deux côtés.

B. Leuilliot : La masure Gorbeau est entièrement fermée. Lors de la rédaction des Misérables, Hugo en exil a envoyé Théophile Guérin voir sur place le 50-52 boulevard de l'Hôpital, qu'il ne trouva pas. En réalité, Hugo lui avait demandé de vérifier précisément cette absence, qu'il voulait. Cette ellipse urbaine est redoublée par cette architecture absente, bouchée, murée.

G. Rosa : Longtemps je suis passé tous les jours boulevard de l'Hôpital. Le 50-52 était aisément reprérable. C'était un endroit très étrange, un enchevêtrement de petites maisons quinze mètres derrière le boulevard.

Il n'y a pas que les monuments dans les romans de Hugo, également des configurations urbanistiques -les abords de Weymouth, la banlieue de Paris, le village -Romainville?- du rêve de Jean Valjean. L'architecture peut recouvrir également l'organisation des paysages.

C. Brière : Hauteville-House fait-elle partie de l'ouvre de Hugo ?

J. Seebacher : Oui, on a pu dire que c'était de l'architecture autobiographique.

B. Leuilliot : Il faut se reporter à l'article de Biès dans le numéro d'Europe du centenaire (Jean Biès, " Hauteville-House ou le caravansérail de la rêverie ", pp. 137-151, mars 1985).

G. Rosa : Que pense Delphine Gleizes de la formule : " la forme d'abord, le sens après "?

D. Gleizes : Pas grand chose pour l'instant, mais l'architecture a effectivement deux caractéristiques qui la distinguent de tous les autres arts : une fonctionnalité (on y vit, ou prie.) -c'est, par définition, un art "utile"- et un volume creux  -la statuaire aussi connaît les trois dimensions, mais elle les ampute  : on n'entre pas dans la statue -sauf quand c'est l'éléphant de la Bastille.

J. Seebacher : C'est souvent l'espace de la forêt, avec du feuillage et de la végétation, qui est décrit.

B. Leuilliot : Mais l'analogie entre architecture et végétation est un lieu commun qui imprègne tout le 18ème siècle. Ce motif, qui concerne à la fois esthéticiens et architectes du paysage, est développé par Jurgis Baltrusaitis dans Aberrations: essai sur la légende des formes (Champs Flammarion). Hugo ne l'invente pas, comme Chateaubriand dans sa description des forêts d'Amérique n'est pas novateur. Michelet aussi le partage.

V. Wallez : On retrouve un autre lieu commun, le goût des ruines. Le neuf ou le restauré ne plaisent pas à Hugo.

B. Leuilliot : Je ne crois pas que pour Hugo prime le goût des ruines en tant que telles, mais plutôt le caractère problématique - cette incertitude - de l'ouvrage humain (ou naturel) dont on ignore s'il est en cours de construction ou de destruction. C'est le cas du cirque de Gavarnie.

V. Wallez : En même temps, cet ouvrage a vécu, possède une histoire : l'éléphant de la Bastille est déjà en ruine.

D. Gleizes : L'architecture a le mérite de prendre en compte la pluralité des points de vue, bien plus largement que la sculpture; du coup, elle intègre, au moins par les parcours qu'elle implique, l'expérience du temps. C'est encore plus vrai de son habitation. Comparer l'éléphant et les statues de La Révolution.

 

A. Ubersfeld : Pour revenir à ce que nous disions de Judith Gautier, je tiens à citer cette formule de Théophile dans une lettre écrite à Hugo en 1870 (afin de sauver son cheval, que l'on voulait manger), qui signe : " Un homme qui n'a aimé et adoré que vous en cette vie. "

 

 

Prochaine séance

Samedi 26 février, avec les communications d'A. Ubersfeld et de B. Degout.

  Sandrine Raffin


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