Présents : Guy Rosa,
Annie Ubersfeld, Jacques Seebacher, Jean-Pierre Reynaud, Yvette Parent, Ludmila
Charles-Wurtz, Claire Montanari, Loïc Le Dauphin, Jean-Marc Hovasse, Vincent
Wallez, Bernard Le Drezen, Delphine Van de Sype, Marguerite Delavalse, Jean-Claude
Fizaine, Myriam Roman, Franck Laurent, Marieke Stein, Chantal Brière, Pierre
Georgel, Françoise Chenet-Faugeras, Josette Acher, Denis Sellem, Bernard Degout,
Mathieu Liouville, Colette Gryner, Vincent Guérineau.
Bertrand Abraham, souffrant, ne pourra parler, le 21 mai, des sources anglaises de LHomme qui rit. La séance sera donc entièrement consacrée aux soutenance de DEA : celui de Vincent Guérineau qui rendra compte de son travail sur le « Reliquat » de LHomme qui Rit, et celui de Claire Montanari qui a travaillé sur les interférences entre vers et prose dans les Fragments première étape dune thèse qui serait consacrée à la genèse poétique : le vers, le poème, le recueil.
Franck Laurent ouvre la réunion en demandant, pour un ami qui travaille à lédition du Journal (ou des carnets ?) de Ramuz, la source possible dune phrase sibylline où il est question dun tabouret, dun parapluie et de Jean Valjean. Séchage général on sen remet à Frantext. Ultérieurement donc on découvre que la phrase est vraisemblablement associée, dans un code personnel, à cette notation de V, 8, 4 : « Quelquefois, quand le temps était mauvais, il avait sous le bras un parapluie, quil nouvrait point. Les bonnes femmes du quartier disaient :Cest un innocent. Les enfants le suivaient en riant. »
Françoise Chenet fait circuler, après lavoir présenté, louvrage de Baldine Saint Girons, Les Monstres sublimes, Victor Hugo, le génie et la montagne (éditions Paris Méditerranée), illustré de superbes dessins de Hugo.
Yvette Parent avait, au cours de la séance du 12 février, à propos dun certain sadisme hugolien à légard des femmes, évoqué un poème de La Légende des siècles (« Première série », VI, 3)) : « Sultan Mourad ». Elle précise en citant :
Mourad fut sage et fort ; son père mourut tard,
Mourad laida ; ce père avait laissé vingt femmes,
Filles dEurope ayant dans leurs regards des âmes,
Ou filles de Tiflis au sein blanc, au teint clair ;
Sultan Mourad jeta ces femmes à la mer
Dans des sacs convulsifs que la houle profonde
Emporta, se tordant confusément sous londe ;
Mourad les fit noyer toutes ; ce fut sa loi ;
Et quand quelque santon lui demandait pourquoi,
Il donnait pour raison : « Cest quelles étaient grosses. »
On peut, ajoute-t-elle témérairement, faire le rapprochement avec Léonie Biard, enceinte au début de sa liaison avec Hugo.
F. Laurent : A ceci près que le sultan Mourad nest pas exactement une figure du poète.
G. Rosa indique quil a reçu de Jacques Cassier le texte numérisé des Misérables et quil compte lemployer à la publication des Misères, tel que la description du manuscrit par Journet et Robert permet de le reconstituer.
Il rappelle que lédition de Marius-François Guyard (Garnier « jaune »), avec une honnêteté toute particulière, nomme, dans ses notes, « texte des Misères » non pas, comme on pourrait limaginer naïvement, sa propre reconstitution de létat du texte en 1848 mais la publication de Gustave Simon, effectivement intitulée Les Misères. Cela le dispensait de se servir du manuscrit.
On sait lutilité de cette publication de Gustave Simon qui, seule, permet de lire le texte en continu et de lapprécier comme un texte et non comme un matériau génétique- mais on sait aussi, dans le détail, sa faible fiabilité : G. Simon donne, rarement, comme texte des Misères des rédactions que Journet et Robert datent de lexil et, souvent , il omet des additions que Journet et Robert datent davant lexil. Mais il arrive également que Journet-Robert datent davant lexil des éléments quon est bien tenté de placer en 1860-62. Dune manière générale G. Simon majore certainement la part de lexil, mais il nest pas tout à fait exclu que Journet-Robert aient tendance à la minorer.
On le suggère avec prudence car le manuscrit offre, grosso modo, cinq types décriture dont seules la première, dans le temps, et la dernière sont aisément identifiables. Il nempêche que, exceptionnellement, Journet et Robert eux-mêmes font des erreurs, datant comme davant lexil une correction de « il y a quinze ans » en « il y a trente ans » ou affectant à des dates différentes des lignes, sur la même page, dont on jurerait que lécriture est la même et du même jour et de la même encre.
Tout cela serait sans grand intérêt si le nombre et limportance des intercalations par paragraphes entiers- ne modifiaient très profondément la physionomie du texte entre le tout premier jet et le texte définitif.
J.-P. Reynaud : De surcroît rien ninterdit de penser que Hugo ait recopié, en exil, un paragraphe écrit avant lexil
G. Rosa : Cest possible mais peu probable : dune manière générale, Hugo, à linverse de Flaubert par exemple, est très économe de sa main, ne surchargeant ou ne corrigeant que le strict nécessaire, avec un génie déconcertant du réemploi des mots et des lettres.
F. Chenet-Faugeras : Mais Juliette navait-elle pas commencé à recopier Les Misères ? Cette copie a-t-elle été conservée ?
G. Rosa : Je lignore mais, si elle la été, Journet et Robert aussi. Ce qui est sûr, cest que la copie, antérieure ou postérieure à lexil, est parfois adjointe au manuscrit, soit que le texte autographe manque, soit que Hugo ait corrigé la copie de Juliette mais dans ce cas, presque toujours, il reporte les corrections et ajouts sur son propre manuscrit. (Il arrive quon ait une copie de la copie, à nouveau corrigée et même des corrections en cours dimpression attestées par le livre de Bernard Leuilliot !)
Bref, la datation des manuscrits de Hugo nest pas aisée. Non seulement le savoir qui était celui de Mme Daubray et de Journet et Robert sest perdu, mais eux-mêmes ne sont ni toujours daccord entre eux, ni même constants dans leurs datations. Pour les fragments, Jacques Cassier prend un malin plaisir à relever ces incohérences : tel texte daté dune façon par Journet, lest dune autre par Robert, et dune troisième par Cécile Daubray. Pour ne pas parler des fantaisies de Guillemin et, surtout, de Juin.
J. Seebacher : Faire la transcription de la totalité dun manuscrit est un labeur héroïque. Dautant que les conservateurs de la BN imposent le passage par le microfilm. Or, étudier un manuscrit à partir des seuls microfilms disponibles, cest insuffisant : on ny distingue pas les couleurs (ils sont en noir et blanc), on ne sait pas à coup sûr sil sagit de crayon ou dencre, on ny lit pas avec la même facilité que sur le document original Cest la croix et la bannière pour disposer du manuscrit en vue dune consultation prolongée !
F. Chenet : On accède facilement au manuscrit quand il ny a pas de microfilm disponible !
J. Seebacher : Gallimard prépare un nouveau tirage de Notre-Dame de Paris. Si par hasard lun ou lune dentre vous avait des corrections à signaler, quil les envoie immédiatement.
Il ny a pas quà la consultation des manuscrits quon fait obstacle : à lautre bout de la chaîne, un éditeur comme Gallimard, pour la Pléiade, vous impose de ne jamais commenter le texte dans les notes. Il faut se limiter à lexposition des faits. Et encore
Un exemple. A propos du mariage à la cruche cassée je cite dans une note [1] le Dictionnaire infernal de Collin de Plancy. Eh bien non : cela vient dune note de la France pittoresque (1835) dAbel Hugo. Lauteur y discute alors la classification « ethnographique » cest-à-dire, « par langue » des différentes populations de la France réalisée par le géographe Balbi. Aux cinq familles définies et délimitées par ce dernier (la Gréco-Latine, la Germanique, la Celtique, la Basque et la Sémitique), A. Hugo propose den ajouter une autre : « la Famille hindoue, pour les Gitanos des Pyrénées-Orientales et de lHérault (connus sous le nom de Bohémiens, dans le reste de la France) ». Il fait ensuite lhistoire et brosse le portrait de cette population, au moyen entre autres dune note écrite par le secrétaire générale de la préfecture des Pyrénées-Orientales et, surtout, de souvenirs personnels. Cest là quil fait mention de la pratique matrimoniale de la cruche cassée [2] . Eh bien, de cela, Gallimard ne veut pas ! Pourtant, cest bien un fait
Françoise Chenet signale, dans Le Rideau de Milan Kundera, une critique de Hugo, de Quatrevingt-treize plus précisément : son lyrisme, son pathétique sont désapprouvés. Critique peu digne dun tel écrivain.
F. Laurent : Milan Kundera nest plus ce quil était. Son discours sest calcifié depuis une quinzaine dannées. Sollers non plus na pas évolué à propos de Hugo
Il y a plus actuel et qui devrait intéresser Bernard Le Drezen : Yves Salesse, co-président de la fondation Copernic, place en exergue de son dernier ouvrage la fameuse intervention de Hugo sur les « Etats-Unis dEurope » [3] , avec les interruptions indignées. Ce qui fait de Hugo, peut-être pas à tort, le génie tutélaire du « non ».
J. Seebacher : Du moins naurait-il pas pu souscrire à un « traité » écrit dans une telle langue. Cest un texte ininterprétable une notice pour magnétoscope.
C. Brière : Hugo a-t-il, un jour ou un autre, cité le nom de Viollet-le-Duc ? A-t-il eu vent du projet de restauration de Notre-Dame ?
J.-P. Reynaud : Je crois quil parle de Viollet-le-Duc à propos de la réfection dun portail romain dans son voyage à Dijon
P. Georgel : Non : cest de Soufflot quil parle.
J. Seebacher : Hugo nen a-t-il pas parlé à la Commission des monuments historiques, en 1843 précisément ?
G. Rosa : Ses commentaires sur les restaurations sont généralement négatifs.
P. Georgel : Effectivement, mais il ne cite le nom de personne.
B. Le Drezen : Il est question de Viollet-le-Duc dans Choses vues, alors que Hugo visite Marquis, lequel se déclare élève de larchitecte.
J. Acher : Je tiens à préciser que le séminaire sur lidentité dirigé par Lévi-Strauss, que javais évoqué à propos du sens du mot « lalouette », a été publié par le Collège de France. Je lai parcouru de nouveau ; le mot alouette désignait couramment un enfant trouvé : né dans le sillon.
J. Seebacher : Louet, cest aussi un nom de famille.
F. Chenet : Ça a aussi rapport avec le loup
G. Rosa : Ah ? Donc, lalouette, cest la femelle du loup !
J. Seebacher : Bref, il faut aller consulter un dictionnaire des patronymes.
La discussion qui suit a été complétée par un texte reçu de Jean-Claude Fizaine, intitulé, au choix, Veuillotines ou Journalisme et polémique religieuse au 19° siècle; L'Univers et L'Evénement, assorti dun complément bibliographique. Il en est ici très vivement remercié : pour la qualité de cette intervention bien sûr, mais aussi pour lexemple quelle donne. (voir texte joint)
A. Ubersfeld : Vous dites : « moins raide ». Ce qui métonne, moi, cest la mollesse de Montalembert, une certaine inconsistance. Ce que ne pardonnait pas Hugo, cest la sottise et la pensée peu claire. Montalembert nest peut-être ni sot ni obscur ; du moins sa pensée est-elle faible parce quelle est intérieurement contradictoire. Sous le Second Empire, ces contradictions ne peuvent plus tenir.
Après 1832, la condamnation de Lamennais par le pape le met dans une situation intenable. Aussi se raccroche-t-il à son catholicisme comme à un bâton. Après quoi le voilà pris de compassion pour les pauvres ; et sa réflexion perd encore en solidité.
Bref, la rupture entre Hugo et Montalembert sexplique surtout, à mon sens, par lincompatibilité entre leurs pensées. Celle de Hugo nignore pas les contradictions, mais elle les affronte, les reconnaît et les travaille. Celle de Montalembert sempêtre dans les siennes.
J. Seebacher : Dans les années 1830, que voit-on ? Un auteur reconnu dun côté et ne manquant pas de séduction, un gamin de vingt ans de lautre, fort beau. Et ce, dans un temps où laura personnelle compte et où lon attend tout de ces jeunes hommes nouveaux. Rien nest compréhensible sans la connaissance, du moins lintuition de ces relations complexes dautorité et de fascination dans ce groupe Hugo, Vigny, Lamennais, Rohan-Chabot .
Cette fascination a évidemment à voir avec la féminité la page, étonnante, de Chateaubriand sur Rohan-Chabot nest pas la seule. Il y a toujours chez Montalembert, dit Larousse « du prêtre et de la femme » : il « sentait la robe ». Où est la femme dans cette histoire ? Avec qui sest-il marié ?
B. Le Drezen : Avec la fille de M. Félix de Mérode, dont le frère sera ministre du pape Pie IX.
J. Seebacher : Cette famille de Mérode est une grande famille belge qui joue un rôle important dans la révolution belge et la formation de la Belgique. Mais, contrairement à ce qui se passe en France depuis 89, la liberté que prend la Belgique en 1830, cest la liberté catholique contre les Hollandais protestants. La Belgique a connu une révolution catholique et libérale.
F. Laurent : Mais Montalembert parle fort peu de cette révolution.
J. Seebacher : Des années 20 aux années 40, une pulsion de liberté jaillit entre le catholicisme le plus spiritualiste et les mouvements révolutionnaires et populaires. Au milieu de tout cela, beaucoup de gens ensoutanés, célibataires, et qui ont vécu une vie de disciple.
Deux forces contraires, donc : une aspiration à la liberté, sentie comme irremplaçable ; mais une sécularisation de la liberté sentie comme impossible.
B. Le Drezen : Cétait dailleurs une récidive : avant cette épouse belge, Montalembert avait aimé une Polonaise.
J.-P. Reynaud : Ce brusque refroidissement de 1833 na-t-il rien à voir avec le remplacement dAdèle la légitime par Juliette Drouet ? La coïncidence est frappante.
F. Laurent : Sans doute ; Vigny aussi se désole de voir Hugo « mal tourner ». Il y a tout de même plus simple. Pour aller vite : en 1833, le refroidissement na rien détonnant. Montalembert lâche alors Lamennais, lequel incarne aux yeux de Hugo une figure possible, honnête, de ce que lui-même comprend de la fidélité au catholicisme.
G. Rosa : Bien sûr. Laffaire a eu un très grand retentissement. Et durable : le catholicisme libéral, voire républicain, renaît en force en 48. Lamennais est député de lassemblée législative et Hugo vote avec lui ; le traître, à Hugo, à Lamennais, cest Montalembert.
F. Laurent : Un élément fondamentale de la pensée de Lamennais est la séparation du spirituel et du temporel.
A ses yeux, lerreur du catholicisme, cest sa collusion avec pouvoir temporel de là sa condamnation du gallicanisme et un ultramontanisme qui ne procède pas du tout dune dévotion spéciale pour le pape. Ainsi se comprend son combat, permanent et qui lui vaut un emprisonnement retentissant, pour la liberté de lenseignement : non pas lenseignement libre, cest-à-dire aux mains dune Eglise liée à lEtat, mais des institutions denseignement indépendantes de tout pouvoir. Ce qui ne se confond pas avec les deux revendications de léglise catholique : dune part, retrouver le droit de fonder des congrégations denseignement ; de lautre, reprendre pied dans luniversité (au sein des organes de décision et de contrôle). La loi Falloux va répondre à tout cela : des institutions religieuses denseignement pourront être créées ; les évêques sont membres de droits des différents « Conseils de lUniversité » - locaux (léquivalent des rectorats) ou national.
La position de Lamennais est partagée par Hugo de 1830 à 1848. Il est et reste, jusque dans la discussion des lois Falloux, partisan de la liberté denseigner.
Au reste, entre les Falloux-Montalembert (pour ne pas parler de Veuillot) et la hiérarchie catholique les choses ne sont pas simples. Plusieurs évêques, en 48 à lAssemblée, sont proches des républicains et la hiérarchie nest pas si satisfaite que cela des lois Falloux -par peur des congrégations, notamment.
Enfin, il ny a pas danticléricalisme chez Hugo avant 1849. Il na donc pas de répugnance a priori à légard de la figure du prêtre. En revanche, dès quil y a compromission avec la tyrannie, Hugo la dénonce (voyez Angelo, tyran de Padoue).
J.- C. Fizaine remarque que l'orateur emploie, au début de sa communication, lexpression " catholicisme libéral ", puis, un peu avant sa conclusion, cette autre expression " libéralisme catholique ". Ne demanderaient- elles pas une définition ? Sont- elles synonymes ? Expriment- elles au contraire une évolution de Montalembert, de 1830 à 1848 ?
On entend dordinaire par la première le catholicisme influencé par la " théologie libérale " de Lamennais - le contraire dun " fondamentalisme ". La seconde, demploi plus rare, semblerait désigner plutôt une orientation sociale et politique. Ceci conduit aux paradoxes qui gouvernent la relation entre Hugo et Montalembert ; car, au début de leur relation (la séduction réciproque) comme à la fin (lexplosion violente), la relation entre les deux hommes passe par lintermédiaire dun tiers : en 1830 Lamennais, en 1848 Veuillot, dont les diatribes contre Hugo (portant surtout sur ses " apostasies ") exaspèrent le poète - représentant du peuple, surtout quand il les entend servilement reproduites à la tribune de lAssemblée par Montalembert.
Or la situation de Montalembert dans son groupe est, dans les deux cas, marqué par une certaine marginalité : par rapport aux mennaisiens il est imprégné dune tradition dautorité hiérarchique; face à Veuillot et ses amis il est haï pour son caractère aristocratique. Situation symétrique, dans une certaine mesure, de celle de Hugo dans son propre groupe : mais Hugo sait conserver une position dominante par rapport aux siens. Or, si la théologie libérale de Lamennais - et de Montalembert, qui lui reste à cet égard fidèle tout au long de son combat pour la liberté de lenseignement- agrée fort à Hugo, on comprend sa déception de voir Montalembert se mettre à la remorque des thèses fanatiquement " intégristes " dun Veuillot.
B. Le Drezen : Montalembert en effet ne peut supporter Veuillot. Mais son camp est très divisé. Veuillot sest attiré la réserve de Montalembert dès le début, dès 1840.
F. Laurent : Veuillot provoque des vagues dans le milieu catholique. Des évêques ont demandé à ce quil se taise. Mais il bénéficie du soutien du pape !
G. Rosa : Mais voyez Lacordaire. Entre lui et Hugo il ny a guère de polémique. La position de Montalembert est fluctuante, mais ne verse jamais du côté de laile libérale catholique. Certes, il na rien de commun avec Veuillot. Mais il na pas de position ferme.
J. Acher : La mère de Montalembert était-elle protestante ou catholique ?
J. Seebacher : Elle était écossaise
B. Le Drezen : ...donc catholique.
G. Rosa : On sous-estime la puissance du mouvement révolutionnaire après 1830 et jusquen 1832-33. Hugo y participe voir Sur Mirabeau. Parmi ceux qui conservent une certaine fidélité à ce mouvement, se trouve Lamennais. Du côté de Montalembert, la décrue a été rapide.
F. Laurent : Dès 1830, cest le rapport à la Révolution Française qui trace une frontière entre Hugo et Montalembert. La Révolution Française est un mouvement qui sétend à lEurope. Or, dans laffaire de la Pologne, jamais Montalembert nacceptera dy voir une continuation de la Révolution Française
J.-C. Fizaine : Dès lors, le refus de Hugo de donner quelques vers est symptomatique : cest une porte fermée, poliment, mais fermée.
J.-P. Reynaud : De même, sur la question du risorgimento, Montalembert se montre incohérent.
J. Seebacher : Tout cela montre un jeu entre des personnes qui ne sont pas faibles et des personnalités fortes. Il y a chez ces poètes des espoirs damours intellectuelles, des amours didentité des peuples.
G. Rosa : Et le coup dÉtat ?
B. Le Drezen : Le matin même, Montalembert se rend à lassemblée, écrit une protestation, veut la publier, est refusé, et lapporte à Dupin
G. Rosa : Cest tout dire. Sous lEmpire, comment vit-il ?
B. Le Drezen : Il possède une belle fortune personnelle ; et puis il écrit. Mais ses succès étaient ceux de la tribune parlementaire et, là, cen est fini de lui. Il a participé au premier Corps législatif ; comme député du Doubs. Mais ses discours seront sans cesse censurés.
F. Laurent : Quels sont ses appuis auprès de Louis Napoléon Bonaparte ?
B. Le Drezen : Il va souvent à lÉlysée pendant les premières semaines de lEmpire ; Louis Napoléon lécoute, mais lécoute seulement.
G. Rosa : Je reviens sur la formule de Montalembert que vous avez citée : parlant de Hugo et de lui, il dit, à propos de lEmpire, « notre commune défaite ». Défaite peut-être mais pas vraiment commune, ni tout à fait la même.
[1] Notre-Dame de Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p. 1121 (note 1 de la page 95). Jacques Seebacher cite un extrait de larticle « Bohémien » du Dictionnaire infernal. Mais il fait remarquer aussitôt que lauteur cite une note du chapitre XLI de Han dIslande (éd. Folio, p. 412).
[2] Cf. France pittoresque, Delloye, Paris, 1835, p. 16 :
[
] Pendant la guerre dEspagne, en
1812, lauteur de la France pittoresque a été logé, à San Felipe
de Xativa, chez le roi ou chef de la tribu principale du royaume de
Valence, et il a eu loccasion de les observer ; les détails suivants
complèteront le tableau de ces peuplades encore si peu connues : « Les
Gitanos espagnols forment [
] un peuple distinct, se perpétuant sans
alliance étrangère à leurs tribus. Ils ont adopté quelques habitudes du pays
où ils vivent ; mais à leurs nouveaux usages, ils mêlent leurs anciennes
coutumes nationales. [
] Aux pratiques extérieures de la religion catholique,
ils joignent les cérémonies superstitieuses dun culte idolâtre. [
]
Dans leurs mariages, aux bénédictions de léglise, ils font succéder
des prières païennes. Ainsi, quand le curé vient de lier, pour toujours, par
le mariage chrétien, un couple gitano, les deux époux vont trouver
un vieillard de leur tribu ; celui-ci jette à terre un vase dargile
qui se brise en tombant. Le nombre des morceaux indique le nombre des années
que doit durer lunion des deux époux. Quand ces années sont écoulées,
on casse un autre vase ou bien on se sépare en se partageant les enfants selon
les sexes. »
[3] Y. Salesse, Manifeste
pour une autre Europe, Le Félin-Kiron, 2004, p. 7 :
M. Hugo. Après de longues épreuves, cette révolution a enfanté en France la République [ ] qui est pour le peuple une sorte de droit naturel comme la liberté pour lhomme. Le peuple français a taillé dans un granit indestructible et posé au milieu même du vieux continent monarchique la première assise de cet immense édifice de lavenir qui sappellera un jour les Etats-Unis dEurope.
M. de Montalembert. Les Etats-Unis dEurope ! Cest trop fort. Hugo est fou.
M. Molé. Les Etats-Unis dEurope ! Voilà une idée ! Quelle extravagance !
M. Quentin-Bauchard. Ces poètes !
(Journal officiel, 17 juillet 1851).
Vincent Guérineau
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
Auteur et administrateur du site: Guy Rosa.