Benoît de Cornulier : Sur la versification de Victor Hugo dans Les Contemplations

Communication au colloque d'agrégation des 4-5 novembre 2016
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Mon propos est ici d’étudier quelques aspects de la versification de Victor Hugo dans les Contemplations en m’appuyant sur un relevé métrique exhaustif des poèmes de ce recueil. Il s’agit d’une base de données, consistant en un tableau (informatique) où chaque pièce métrique – poème ou partie métriquement cohérente d’un poème – est analysée en fonction de quelques critères de régularité. À l’occasion d’un exposé destiné à des candidats au concours d’agrégation de lettres de 2017, j’ai constitué un tel relevé sous la forme rudimentaire d’un tableur Excel, consultable en ligne[1]. Chaque pièce métrique y est représentée par une ligne où sont notés, dans les cases successives, des éléments d’identification du poème (un numéro informatique, puis son titre ou incipit), puis des données analytiques, comme, le cas échéant, le nombre des strophes, leur schéma rimique, leur mètre de base, leur schéma de mètre, leur schéma de cadences (masculines ou féminines), et éventuellement de répétitions régulières, etc. Cette organisation et les modes de codage descriptif utilisés sont décrits dans un fichier complétant le tableur (« spécification » de cette base de données, expliquant ses codages[2]) et mis en ligne avec lui.

J’essaierai ci-dessous de dégager de ces données quelques généralités, et, parfois, de regarder de plus près des poèmes qui, à l’égard de ces généralités, apparaissent comme exceptionnels.

 

1. Des poèmes périodiques en rime, mètre et cadences

 

Périodicité générale en rime et mètre

Une première constatation massive peut se faire d’un simple coup d’œil sur la colonne du tableau correspondant au critère « P », où est codée la forme globale de chaque pièce métrique, cette pièce métrique étant un poème complet s’il est métriquement homogène (cas majoritaire), ou une partie de poème, si le poème est un ensemble métriquement composite :

 

Près de 99 % des pièces métriques sont des suites périodiques pour la rime et le mètre.

 

Il suffit en effet de remarquer que, dans cette colonne « P », il y a presque toujours un nombre entier supérieur à 1 ; par exemple, dans la ligne de commençant par le numéro « 10 000 005 », qui sert à identifier informatiquement le premier poème (« Un jour je vis… »), le nombre « 4 » indique que cette pièce métrique est une suite de quatre groupes de vers dont certaines propriétés communes sont décrites dans les cases qui suivent sur la même ligne.

Une définition plus explicite de ces groupes successifs équivalents permettra de formuler des résultats plus précis.

Une suite peut être dite périodique si elle est faite d’éléments, dits ses périodes, qui y apparaissent, chacun au moins deux fois, toujours dans le même ordre. Ainsi aaaaa… est une suite périodique dont la période est a ; abab cdcd efef… est une suite périodique de période abab. Ces deux suites périodiques sont unaires (ou simples) en ce sens que, ainsi analysées, elles ne contiennent chacune qu’un type de période (a dans l’une, abab dans l’autre). Elles sont binaires si, comme abababa…, ou comme une suite de abab alternant régulièrement avec des aa, elles roulent sur deux types de périodes[3].

Une suite rimée en aa bb cc dd ee… et ainsi de suite, est périodique en schéma de rime (ce qu’on peut abréger en r-périodique) à l’égard du schéma de rime aa, qui est le schéma rimique de chacune de ses périodes ; en effet le second distique d’une suite schématisée en aa n’est pas moins un « aa » que le premier, même si, quand on les code en séquence, on le note « bb » simplement parce qu’on le note après l’autre. Une suite rimée en abab cdcd efef… est également une suite périodique à l’égard du schéma de rimes abab, sa période rimique, puisque le groupe noté ici cdcd n’est pas moins, en soi, un « abab » que le quatrain précédent.

Une suite de quatrains rythmés en 8.8.8.4   8.8.8.4   8.8.8.4… est périodique en séquence de mètres (ce qu’on peut abréger en M-périodique) à l’égard de ces quatrains, puisque tous ont la même séquence de mètres 8.8.8.4 qui de ce point de vue correspond à leur période pour le mètre[4].

 

Une suite est périodique en schéma de rimes et en séquence de mètres de même période (ce qu’on peut abréger en rM-périodique) si chacune de ses périodes en schéma de rime (par exemple abab) correspond à une période en schéma de mètres (par exemple 8.8.8.4).

 

Moyennant ces définitions, un coup d’œil sur la colonne P du relevé métrique permet d’exprimer des observations plus précises ; par exemple, d’abord :

 

Sur les 166 pièces métriques du recueil, 164 sont périodiques à la fois en schéma de rimes et séquence de mètres (suites rM-périodique).

 

Les deux exceptions – moins de 1% des pièces métriques du recueil, concernant moins de 1 vers sur 1 000 –  sont un distique aa isolé dans Magnitudo parvi (V) et l’unique abba du poème Écrit au bas d’un crucifix. Il vaudra la peine de s’interroger sur ces poèmes à cause de leur caractère exceptionnelle, et autant que possible sur la raison (stylistique ?) de ces exceptions.

 

Strophe et stance

Souvent, en analyse métrique, on ignore cette (presque) généralité, parce qu’on s’intéresse spécialement à celles des rM-périodes qui sont graphiquement démarquées (et le plus souvent sémantiquement autonomes), en leur réservant le nom de strophes (notamment depuis le début du xxe siècle), ou parfois (avant ce même siècle) de stances. Et on traite de ces « strophes » ou « stances » sans traiter en même temps des aa, qui pourtant, le plus souvent, ne sont pas moins des rM-périodes, et sont comme on le verra structuralement apparentés. Si j’avais ainsi négligé les suites périodiques de aa, j’aurais seulement noté que près de la moitié des pièces métriques des Contemplations sont rM-périodiques, passant à côté d’une généralité beaucoup plus forte (164 sur 166), donc plus significative, et je n’aurai pas pointé les deux exceptions mentionnées ci-dessus.

M’écartant légèrement de cette terminologie actuelle, j’appellerai les périodes en schéma de rime et en mètres (rM-périodes) des strophes même quand, comme ces pauvres aa d’alexandrins (majoritaires dans le recueil), elles sont imprimées et traitées en continuité.

Je réserverai le nom de stances aux strophes (rM-périodes) graphiquement démarquées et plus souvent sémantiquement autonomes, cas notamment de toutes les suites de quatrains ou de sixains dans le recueil. Autrement dit, je nomme souvent stance ce qu’on nomme plutôt strophe dans les traités actuels, et je fais du mot strophe un usage plus large que dans ces traités en y incluant les distiques de rimes plates.

 

Mono- ou bi-strophie

 Dans chaque pièce métrique, la périodicité repose sur, au plus, 2 types de strophes (rM-périodes). Par exemple, dans La coccinelle (1.15), chaque strophe est un quatrain rimé en abba et rythmé en 7.7.7.7 ; cette suite peut être dite unaire à cet égard (suite rM-périodique unaire) ; dans Magnitudo parvi II (dans 13.30), chaque strophe est, tour à tour, soit un ababcccdeeed rythmé en 8-voyelles, soit un ababcccb rythmé en alexandrins ; c’est donc une suite binaire à l’égard des schémas rimiques et séquences de mètres (suite rM-périodique binaire, roulant sur deux types de strophes). En regardant les champs « rime » (schéma rimique), « Mb » (mètres de base) et « Mètres » (séquence de mètres), on peut observer ce qui suit :

 

Sur les 166 pièces métriques du recueil, 164 sont des suites de stances de même schéma rimique et de même séquence de mètres (suites rM-périodiques).

    – Sur ces 164 suites rM-périodiques, 159 sont unaires (toutes leurs strophes ont même schéma rimique et même séquence de mètres).

    – Dans les 5 autres, où alternent deux formes de strophes :

 

        – 1 seule suite est binaire non seulement en séquences de mètres, mais même en schéma de rimes, donc composée de strophes de deux types rimiques (et « métriques ») : Magnitudo parvi II, par alternance de douzains et septains.

        – 4 sont alternantes (binaires) uniquement à l’égard des mètres (donc sont tout de même des suites r-périodiques unaires).

 

Il vaudra aussi la peine de revenir sur ce cas unique d’alternance de schéma rimique (bi-strophie rimique) dans le recueil.

 

Mètre de base et mètre contrastif. Clausules.

Dans ce qui suit concernant les mètres, sont, parfois, déjà utilisées des notions d’analyse strophique qui plus bas seront définies plus précisément.

L’importance de l’alternance de séquences de mètres dans des strophes de même schéma rimique (binarité seulement de mètres) peut être fortement relativisée, si on tient compte de la notion de mètre de base : le mètre de base d’une strophe (r-période) est le premier mètre qui y apparaît au moins deux fois, à condition qu’il ne soit pas minoritaire. Exemple : dans une strophe rythmée en 8.4.8.4 comme dans Ibo, comme le mètre 8 apparaît au moins de fois, réapparaît avant le mètre 4, et apparaît une fois sur deux (n’est pas minoritaire), cette strophe a un mètre de base et c’est 8.

Une strophe pourrait ne pas avoir de mètre de base ; par exemple une strophe rythmée en 8.4. 8.4.4 n’en aurait pas parce que 8 y est premier répété, mais est minoritaire (deux vers sur cinq), et que 4 est répété et non-minoritaire, mais ne reparaît qu’après 8. Le mètre de base (ou les deux mètres de base pour les deux sous-suites périodiques dans le cas de Magnitudo parti II) est signalé dans la colonne « Mb » du relevé métrique. À l’examen de cette colonne et de la colonne décrivant les séquences de mètres apparaît la généralité suivante (sans exception) :

 

Dans les 164 suites périodiques des Contemplations, toutes les strophes ont un mètre de base, qui ne change pas d’une strophe à l’autre dans la suite périodique (ou sous-suite périodique en cas de suite binaire). Les strophes ont le plus souvent un seul mètre (strophes monométriques, sans autre mètre que le mètre de base) ; dans près d’une suite périodique sur cinq, il y a deux mètres par strophes (strophes bimétriques), le mètre de base étant complété par un mètre secondaire, contrastif, contrastant avec lui. Il n’y a jamais de troisième mètre, donc il y a toujours un mètre de base, parfois un mètre contrastif, jamais plus[5].

Dans les 4 suites ou sous-suites périodiques dont les strophes varient en séquence de mètre, mais non en schéma de rimes, le mètre de base lui-même reste constant, et seul varie un mètre secondaire contrastif.

Le mètre de base lui-même n’alterne que dans des suites strophiques binaires où les deux types de strophe en alternance n’ont pas le même schéma rimique (seul cas dans ce recueil : Magnitudo parvi II).

 

Les quatre suites de strophes dont la séquence de mètres varie, mais non le schéma rimique, sont :

Saturne (3.3) : stances rimées en ab‑ab, à mètre de base 6‑6 ; alternativement monométriques (quatre alexandrins) et rythmées en CC C8 [6] ; on peut, avec Martinon 1912), nommer clausule cette variation finale de séquence de mètres, en l’occurrence par abrègement).

Joies du soir (3.26) : stances rimées en aab‑ccb à mètre de base 6‑6, alternativement monométriques rythmées en CCC CC8.

À quoi songeaient les deux cavaliers… (4.12) : stances rimées et rythmées comme les précédentes.

À Villequier (4.15) : stances rimées en ab‑ab à mètre de base 6‑6 et rythmées C8 C8 (clausules de module).

 

Dans ces suites dont les strophes n’alternent qu’en séquences de mètres, un type de strophe sur deux est monométrique à base de 6‑6, et dans l’autre, la seule variation consiste en un abrègement métrique de 6‑6 en 8, soit en clausule de groupe rimique et strophe (CCC CC8 ou CC C8), soit en clausules de chacun des modules constituants de la strophe (C8 C8).

La motivation stylistique éventuelle de ces alternances, qui peuvent paraître relativement discrètes, ne me paraît pas évidente, même si, dans 4.12, elle peut sembler être en harmonie, sinon en correspondance strophe par strophe, avec la dualité des points de vue des deux cavaliers dont l’un « regarde en avant » et pense « à ceux qui vivent, l’autre « regarde en arrière et « pense à ceux qui ne sont plus » ; cette dualité de perspective est scandée en parallélismes rhétoriques et rythmiques, à divers niveaux (hémistiches, vers, strophes…) d’un bout à l’autre du poème, le tout dans une atmosphère de ballade germanique.

Quant aux ab‑ab masculins rythmés en C6 C6 dans À Villequier, forme qui n’est pas très commune, ils peuvent faire écho à ce qui fut peut-être le plus célèbre poème de Malherbe : sa Consolation à M. du Périer dont les stances ont précisément cette forme, et dont le succès fut tel qu’à sa suite « beaucoup de poètes adoptèrent ce rythme pour écrire des Consolations »[7]. L’auteur de À Villequier est un père qui a perdu sa fille jeune comme celui à qui Malherbe s’adresse ; il précise que rien ne peut le « consoler », mais conseille de se résigner et de ne pas « murmurer » contre la volonté de Dieu, comme Malherbe conseille de « vouloir ce que Dieu veut » et de ne pas « murmurer » contre la Mort. Mais Hugo renouvelle cette stance à clausules en la faisant alterner avec des stances monométriques ; elle est, semble-t-il, essentielle au poème, qu’elle conclut, par l’ampleur[8] et l’effet de pause rythmique qu’elle induit, grâce à cette alternance, au niveau de la périodicité strophique.

 

Répertoire des mètres des Contemplations.

Il y a parfois peu de sens à mélanger statistiquement les mètres de base et contrastifs, leurs fonctions étant différentes et les contrastifs valant par contraste avec le mètre de base, ainsi que par la combinaison qu’ils peuvent former avec ce mètre. Les mètres de base qu’ils forment avec des mètres contrastifs sont distingués dans le répertoire suivant :

 

       Répertoire des mètres de base[9].

                   – mètre composé :                   6‑6,  4‑6 (trois fois), 5‑5 (une fois),

                   – mètre simple :                      8, ou 7.

                     6‑6 puis 8 sont très majoritaires.

 

       Répertoire des combinaisons mètre de base/mètre contrastif.

                   –                                          6‑6/8,  6‑6/6.

                   –                                          4‑6/3   (une fois).

                   –                                          5‑5/5   (une fois).

                   –                                          8/4,  7/4.

Position du mètre contrastif

Dans la plupart des suites périodiques (28 sur 30) où apparaît un mètre contrastif (en strophe bimétrique), il est plus bref que le mètre de base et figure en clausule de stance (exemple : ab‑ab en 8.8 8.4) ou, moins souvent, en clausule de module de stance (exemple : ab‑ab en 8.4. 8.4).

 

Les deux exceptions sont :

– « Que le sort, quel qu’il soit… » (2.24) : bref poème de seulement deux stances en ab‑ab cd‑cd rythmées en C8 C8 CC 88, avec clausule double de strophe en 8.8. La diversité de clausules (clausules simples de modules dans le premier quatrain composant, rare clausule double de stance plutôt que simplement de quatrain), combinée avec la forme globale typique du poème (un 2‑stances) et l’équi-composition des stances (chacune composée de deux GR ab‑ab), cette conjonction de propriétés semble caractériser nettement un style métrique de chant.

 – Quia pulvis es (3.5) : trois (seulement) aab‑ccb, rythmées en 8CC C88, forme exceptionnelle chez Hugo[10]. Double singularité : la clausule double en 8.8, et ce qu’on peut appeler une modulation initiale (de strophe) en 8 apparaissant avant le mètre de base, et non après lui seulement.

Ces particularités de distribution de mètre contrastif s’allient, dans ces pièces, à d’autres propriétés formelles tendant à caractériser un style métrique de chant : extrême brièveté de la suite périodique conférant à l’ensemble une forme globale typique (3-stances ou 2-stances) dans les deux cas ; et, dans un cas, strophe équi-composée[11], le groupe composé ab‑ab cd‑cd résultant de la jonction de deux groupes rimiques[12] équivalents en ab‑ab ; diversité de la distribution des variations de mètre, en clausule de modules (premier quatrain composant) puis de groupe rimique ou de stance dans le premier poème, avec, de plus, rare clausule double en 8.8) ; modulation initiale puis clausule double de stance dans le second, Quia pulvis es ; dans ce dernier, à la forme très lyrique est associée une forte densité de parallélismes opposant morts et vivants notamment dans le cadre du 8-voyelles initial (« Ceux-ci partent, ceux-là demeurent » et dans le cadre du 8.8 final de chacune des trois stances.

J’emploie ici la catégorie style métrique de chant d’une manière large. Il vaudrait sans doute la peine d’essayer d’y distinguer des nuances ou même des sous-catégories. Par exemple, le lyrisme formel de ces deux pièces, bien différent de celui des chansons d’amour que nous examinerons tout à l’heure, évoque plutôt des rythmes de cantiques que des rythmes de chansons et semble s’accorder à une tonalité plus grave.

 

Périodicité ou bouclage verbal (répétitions)

Répétition périodique en style métrique de chant.

À l’égard des répétitions, trois poèmes sont des suites périodiques de stances, à savoir :

 

       – « Mes vers fuiraient doux et frêles » (2.2),

       – Chanson « Si vous n’avez rien à me dire » (2.4),

       – « Viens, une flûte invisible » (2.13).

 

Quoique séparés dans le recueil, ces trois poèmes s’y trouvent concentrés en quelques pages, étant les 2e, 4e et 13e du livre II de L’âme en fleur. Formellement, ils s’apparentent non seulement par un système de répétitions, mais par leur mètre simple (7 ou 8), ainsi que leur forme globale de 3‑stances. Ce faisceau de propriétés, dont la répétition est peut-être la plus frappante, caractérise nettement un style métrique de chant. L’un s’intitule Chanson, un autre (2.13) parle d’abord de « flûte » et répète le mot « chanson » dans chacun des deux derniers vers de ses trois stances. Les trois sont des chansons d’amour, en accord manifeste avec l’idée d’âme en fleur. Il convient donc au moins de les comparer.

 

Répétitions équivalences verbales concrètes ou structurelles.

La notion de répétition est employée selon les analystes de façon plus ou moins extensive et peut couvrir des phénomènes très différents. Précisons qu’ici il sera d’abord question d’équivalence systématique entre des strophes, vers, ou modules, etc. composés intégralement, ou en partie significative, des mêmes mots (où mot s’entend d’une forme avec son sens) ; soit des équivalences en séquences de mots, qu’on peut nommer équivalences verbales. De ces équivalences verbales concrètes en séquences de mots, on doit distinguer les équivalences verbales structurelles entre strophes (ou vers, ou poèmes…) ayant le même schéma d’équivalence verbale concrète, par exemple des strophes ayant en commun que leur dernier vers répète leur premier vers, sans qu’il y ait répétition (mots communs) entre ces strophes[13].

 

« Mes vers fuiraient… », 2.2 :

                                                rime        verbal-initial[14] contraste final[15]

Mes vers fuiraient, doux et frêles,

Vers votre jardin si beau,                      ab

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’oiseau.                    ab             Ax                   …N (oiseau)         

 

Ils voleraient, étincelles,

Vers votre foyer qui rit,                         ab

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’esprit                       ab             Ax                  …N(esprit)

 

Près de vous, purs et fidèles,

Ils accourraient nuit et jour,                   ab

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’amour.                     ab            Ax                   …N (amour)

 

La périodicité verbale concrète s’installe au niveau des modules (distiques), par le fait que les trois commencent par les mêmes mots « Si mes vers avaient des ailes, des ailes comme… ». Cette équivalence est notée ici « Ax » où « A » note la partie initiale constante et « x » la fin variable qui la complète.

Comme cette équivalence « initiale » est évidemment une équivalence totale à l’exception du substantif final, elle sert de support à un contraste, qui est une sorte de contre-équivalence entre les mots « oiseau > esprit > amour », série contrastive en progression jusqu’à « amour ». Ce contraste est en quelque sorte plus important que l’équivalence qui lui sert de support, mais cette répétition initiale et la série contrastive qui la couronne sont solidaires[16].

Notons accessoirement que dans cette périodicité verbale concrète strophique s’inscrit une petite équivalence verbale concrète intra-strophique : dans le module répétitif, le second vers commence par « des ailes » par quoi le précédent s’était terminé ; cette relation d’enchaînement (verbal) commune dans diverses traditions orales n’était pas rare dans la poésie française pré-classique avant qu’elle n’ait divorcé de la tradition orale.

La troisième chanson du trio est formellement très proche de la précédente.

 

« Viens ! – une flûte… », 2.13 :

                                         rime        verbal-initial                  contraste final

 

Viens ! – une flûte invisible

Soupire dans les vergers. –

La chanson la plus paisible               a              Ax                              …Adj (paisible)

Est la chanson des bergers.              b             Bx                               …N (bergers)

 

Le vent ride, sous l'yeuse,

Le sombre miroir des eaux. –

La chanson la plus joyeuse               a             Ax                               …Adj (joyeuse)

Est la chanson des oiseaux.              b             Bx                               …N (oiseaux)

 

Que nul soin ne te tourmente.

Aimons-nous! aimons toujours ! –

La chanson la plus charmante          a            Ax                            …Adj (charmante)

Est la chanson des amours.              b            Bx                             …N (amours)

 

Comme « Mes vers fuiraient… », cette chanson est un triplet de ab‑ab masculins de 7‑voyelles. Comme elle, elle présente une périodicité strophique verbale concrète au niveau des modules ; de même encore, cette répétition est le support d’un contraste verbal au niveau de son module conclusif de strophe, contraste qui, dans les deux chansons, concerne à chaque fois exactement un mot bivocalique (adjectif ou nom) ; reste cette différence dans cette ressemblance : dans « Mes vers fuiraient… », le contraste est simple en ce sens qu’il n’affecte que le dernier mot de module, alors que, dans « Viens, une flûte… », il est composé, en ce sens qu’il affecte le dernier mot de chacun des deux vers du module répétitif, d’où, en ce cas, la série contrastive binaire : « paisible/bergers > joyeuse/oiseaux > charmante/amours ». Le même mot « amour(s) » conclut les deux séries, le « mot » oiseau(s) » appartient aux deux. Comme « Mes vers fuiraient… », cette chanson n’a pas de titre, à la différence de celle qui les sépare.

On peut aussi observer que, comme dans la chanson « Mes vers fuiraient… », une notion verbale, ici « la chanson », se répète du premier au second vers du module répétitif, sans qu’il s’agisse cette fois précisément d’un enchaînement de la fin du premier au début du second.

Nous n’avons repéré jusqu’ici que des périodicités verbales concrètes. Voici enfin la 3e chanson :

 

Chanson 2.4

                                                    rime          verbal-initial        contraste final

 

Si vous n'avez rien à me dire,

Pourquoi venir auprès de moi ?

Pourquoi me faire ce sourire

Qui tournerait la tête au roi ?

Si vous n'avez rien à me dire,                   a                      Ax                   oui

Pourquoi venir auprès de moi ?                 b                      Bx                   oui

 

Si vous n'avez rien à m'apprendre,

Pourquoi me pressez-vous la main ?

Sur le rêve angélique et tendre,

Auquel vous songez en chemin,

Si vous n'avez rien à m'apprendre,           a                      Ax                   oui

Pourquoi me pressez-vous la main ?         b                      Bx                   oui

 

Si vous voulez que je m'en aille,

Pourquoi passez-vous par ici ?

Lorsque je vous vois, je tressaille :

C'est ma joie et c'est mon souci.

Si vous voulez que je m'en aille,               a                      Ax                   oui

Pourquoi passez-vous par ici ?                   b                      Bx                   oui

 

Cette Chanson s’apparente formellement aux deux précédentes qu’elle suit et précède de près dans le recueil, tout en s’en différenciant nettement. Regardons à la fois certaines de ces ressemblances et différences.

Comme les deux autres, cette chanson est un 3-stances de vers simples (7 ou 8-voyelles) et possède un faisceau de propriétés de style métrique de chant. Les deux autres sont en 7v, celle-là seule en 8v, mais cette différence entre mètres simples n’est pas une différence d’organisation métrique, car les impressions procurées par la longueur 7 et la longueur 8 sont seulement des différences concrètes comparables à la différence entre deux terminaisons rimiques[17].

Remarquons au passage que dans aucune de ces trois chansons un air (musical) connu n’est indiqué ou même (si je ne me trompe) évoqué. Ce sont donc, semble-t-il, des chansons au sens où cette notion est parfois étendue à des paroles de chansons (sans leur musique) ou même à des poésies écrites en style métrique de chant (plus ou moins net), mais n’évoquant aucune musique. Le caractère monométrique de ces trois chansons, leur périodicité strophique simple (sans alternance de deux types de strophes dont l’une éventuellement serait un refrain), l’alternance des cadences d’un bout à l’autre de chacune, et même l’absence de mètres plus courts comme 4 ou 5, font que tout en ayant un style métrique de chant évident, elles ont une allure de poésies littéraires. Bien différent était le cas de plusieurs chansons qui, dans le recueil antérieur des Châtiments, malgré leur qualité littéraire, pouvaient avoir des propriétés formelles par lesquelles elles se démarquaient ostensiblement de la tradition proprement littéraire, voire, pouvaient évoquer un air ou une chanson populaire, comme si le poète prêtait alors sa voix à une collectivité anonyme ; par exemple, le 9-voyelles (rythmé 3‑3‑3), non littéraire, se rencontre dans 5.1 Le sacre, mais on est prévenu que c’est « sur l’air de Malbrouck ». – Dans les chansons des Contemplations, c’est le sujet-poète qui parle ; il commence même par dire : « Mes vers » au début de la première des trois examinées ici ; dans chacune il parle à une femme à la deuxième personne, même si elle peut rester fictive et indéterminée.

Comme dans les deux autres chansons, le module-distique terminal est ici le siège d’une répétition, équivalence périodique verbale, concrète ; comme dans les deux autres, cette équivalence, initiale, est complétée par une variation finale ; comme dans « Viens ! – une flûte… », cette variation finale est composée, affectant la fin de chacun des deux vers du module. Mais ici la partie équivalente initiale est moins longue et la partie variante à la fois plus longue et moins rigide que dans les deux autres chansons, en sorte que l’effet de contraste proprement dit (si contraste il y a) peut être moins net dans « Si vous n’avez rien à me dire ».

 

Une suite périodique par répétition initiale et contraste final

La différence formelle la plus évidente entre cette chanson et les deux autres est peut-être le fait qu’elle est rythmée en sixains, triplets de modules, au lieu de quatrains, paires de modules.

Cette différence entre ab‑ab‑ab (3 modules) et ab‑ab (2 modules) enveloppe une ressemblance, car, dans chaque triplet ab‑ab‑ab, le 3e module n’est qu’un retour bouclant au 1er ; ceci renforce l’impression que ces ab‑ab‑ab sont des paires de modules ab‑ab (quatrains de vers) augmentées d’un 3e ab. On pourrait donc considérer que les trois chansons sont des triplets de quatrains – quatrains augmentés en sixains par bouclage externe dans celle-ci seulement.

Si on considère le dernier module des trois stances de ces trois chansons, on constate que, dans les trois, il détermine une suite périodique par équivalence verbale concrète, partielle du seul fait d’un contraste final (refrain à variation)[18]. En négligeant le fait que le contraste final n’affecte que le dernier mot du module dans une chanson (2.2), le dernier mot des deux derniers vers dans une autre (2.13), et plusieurs mots des deux derniers vers dans « Si vous n’avez rien à me dire » (2.4) – contraste simple dans 2.2, composé dans les deux autres –, on peut noter que ces trois chansons sont, à l’égard de la répétition verbale concrète (partielle avec contraste final), des suites périodiques (verbalement) en …AB au niveau des vers, ou …A au niveau des modules[19].

 

Une suite périodique par équivalence verbale structurelle

La différence de calibre strophique entre la chanson « Si vous n’avez rien à me dire » et les deux autres (sixains ou quatrains) est solidaire du bouclage de ses sixains. Si c’était le second module-distique qui répétait le premier, et non un 3e module ajouté, cette répétition immédiate ferait l’effet d’un simple bis plutôt que d’un bouclage, chose in concevable en poésie littéraire. Le bouclage externe au quatrain ainsi augmenté est nécessaire pour éviter cette conséquence.

À l’échelle du poème, l’équivalence verbale intégrale interne à chaque stance de « Si vous n’avez rien à me dire » peut être schématisée, au niveau des vers, en AB xx AB, CD xx CD, et au niveau des modules en AxA, BxB, CxC. Il en résulte une périodicité strophique verbale non plus concrète, mais structurelle, qu’on peut exprimer en disant que ce poème est une suite périodique verbale de AB xx AB (au niveau des vers), ou, plus adéquatement, de AxA (au niveau des modules)[20].

La Chanson « Si vous n’avez rien à me dire » combine donc, en les croisant, ces deux types de périodicité strophique verbale : périodicité concrète (toutes les stances se terminent par les mêmes mots, à quelques variations près) et périodicité verbale structurelle (dans toutes les stances, les modules extrêmes sont constitués des mêmes mots). Cette dernière propriété qui la distingue des deux autres chansons est, comme on l’a vu, la cause du fait que les quatrains y soient augmentés d’un 3e module[21].

 

Trio de chansons d’âme en fleur ?

Il est difficile de ne pas reconnaître dans ces trois chansons, d’autant plus qu’elles sont assez voisines, une sorte de trio de chansons. Ce trio formel est-il composé rythmiquement et sémantiquement ? Sans répondre avec certitude, on peut relever quelques indices de composition.

Rythmiquement, la nette distinction de la seconde des trois chansons (quatrains augmentés d’un module bouclant) et la forte ressemblance des deux autres peut faire penser à un ensemble du type dit ABA pour des constructions musicales en triplet dont le 3e élément boucle l’ensemble par retour au premier.

Sémantiquement, quoiqu’il s’agisse clairement de trois chansons d’amour en un sens large, elles sont bien différenciées. Chacune des deux premières inclut une relation conditionnelle en « si… », dont la portée varie de l’une à l’autre. Dans « Mes vers fuiraient… » (2.2), le sujet dit à une femme qu’il vouvoie que ses vers – c’est donc un poète, sans doute celui qui parle en ce recueil – iraient à elle, si ils avaient des ailes ; mais ont-ils des ailes ? En tout cas, le sujet et la femme ne sont pas proches. Peu après, dans la seconde (2.4) « Si vous n’avez rien à me dire », le sujet demande à une femme pourquoi elle vient près de lui, lui sourit tendrement, lui presse la main, et semble rêver d’amour, si elle n’a « rien » à lui dire de son rêve d’amour ? Veut-elle de lui ? Elle est donc près de lui, et le reproche qu’il lui fait semble voiler une demande d’aveu d’amour – au moins. Dans la troisième, chanson (2.13), toute trace conditionnelle d’incertitude a disparu ; il la tutoie en l’entraînant avec lui dans la nature  (« Viens ! », « vergers », « eaux », « oiseaux »), il souhaite qu’ils s’aiment « toujours » ; la formule conclusive du dernier module parle même de « la chanson la plus charmante » un peu comme si, en « chanson des amours », elle se comparait aux deux précédentes et marquait un sommet. Les mois se suivent raisonnablement dans les datations souscrites à chacune des chansons, respectivement mars, mai et août (mois chaud ![22]), même si l’année n’est jamais précisée (« 18.. »). Cette progression par étapes suffisamment respectueuse, commençant par le vouvoiement et se terminant par le tutoiement, contraste à cet égard avec 1.21 « Elle était déchaussée, elle était décoiffée » (dans le livre précédent de l’Aurore), où, en un seul poème et en deux phrases, le sujet fait « venir à lui » une « fille » qu’il croise dans la nature déjà « décoiffée » et qu’il « tutoie » directement et familièrement (« Veux-tu nous en aller sous les arbres… »). – Mais, en admettant qu’un tel montage inter-poèmes puisse être imaginé et qu’il s’agisse de la même femme dans les trois, cela n’est nulle part signifié et ce sont bien trois poésies autonomes[23].

 

Lise (1.11), bouclage verbal de stance et de poème

Avant le trio de l’âge de l’Âme en fleur, « hier » en quelque sorte dans la vie du poète, il y a, avant hier, un chant des amours de l’enfance : Lise (1.1), où le style métrique de chant résulte de la convergence, notamment, du aa final de strophe, du mètre 4‑6 et de quelques répétitions comme dans cette première stance :

 

       J'avais douze ans ; elle en avait bien seize.

       Elle était grande, et, moi, j'étais petit.             ab

       Pour lui parler le soir plus à mon aise,

       Moi, j'attendais que sa mère sortît ;                ab        ab‑ab ?

       Puis je venais m'asseoir près de sa chaise

       Pour lui parler le soir plus à mon aise.              aa        ab‑aa ?

 

Le caractère narrativement introductif du premier module peut favoriser l’impression que le dernier vers, en répétant le troisième, boucle une apparence de quatrain constitué par les quatre derniers vers, de structure rimique ab‑aa (= « ax‑aa ») bouclé par équivalence verbale concrète en ax‑xa, comme un quatrain initial (qui serait féminin) de triolet. Cette organisation, virtuelle et incertaine, en Distique+Quatrain, est superposée en contrepoint plutôt qu’incompatible avec la structure de ce sixain en quatrain ab‑ab suivi d’un distique a‑a ; cette structure ab‑ab cc est plus classique en métrique littéraire malgré son style métrique de chant (dû à son aa), et impliquée dans la périodicité du poème. Car quoique cette strophe initiale soit superficiellement rimée en ab‑ab aa, et les autres en ab‑ab cc, elle est, comme les autres, composée de deux groupes rimiques autonomes, un ab‑ab et un a‑a, et la reprise d’un timbre rimique du quatrain dans le distique est une conséquence obligée du retour d’un mot-rime du quatrain, « aise », qui reparaît en mot-rime dans le distique ; en quelque sorte ab‑ab aa est ici un ab‑ab­ cc où une répétition induit la reprise de timbre a, de sorte qu’on peut considérer que le poème est, au fond, une suite périodique de stances en ab‑ab‑ cc.

La particularité tout de même incontestable, et frappante, de la première strophe dans cette suite périodique peut apparaître comme un cas de modulation initiale de la suite périodique de strophes, plutôt que pure et simple exception. Elle a cependant de toute manière une autre fonction plus évidente à l’échelle du poème, car, après cinq autres strophes rimées en ab‑ab cc, un nouveau bouclage évident  se forme à l’intérieur de la dernière :

 

       Jeunes amours, si vite épanouies,

       Vous êtes l'aube et le matin du cœur.

       Charmez l'enfant, extases inouïes !

       Et quand le soir vient avec la douleur,

       Charmez encor nos âmes éblouies,

       Jeunes amours, si vite évanouies!

 

L’équivalence verbale concrète des vers extrêmes de cette dernière stance est nuancée par un petit détail phonologique : du premier mot-rime « épanouies » au dernier, « évanouies », graphiquement seule une lettre change, et le changement correspondant du phonème /p/ à /v/ tient seulement au mode d’articulation et au voisement, /v/ étant la constrictive voisée la plus proche de l’obstruante sourde /p/. Il est vrai que cette légère variation phonique a une conséquence lexicale puisqu’elle remplace un radical verbal par un autre, et une conséquence sémantique majeure puisqu’elle renverse l’idée d’épanouissement en celle d’évanouissement – et cela dans le tout dernier mot d’un assez long poème. – Mais le contraste phonémique et graphique, d’une lettre est si discret qu’il se laisse écraser par certains éditeurs : dans l’édition (excellente) de Pierre Albouy en collection de la Pléiade en 1967 (p. 506), le dernier mot du poème, « évanouies », est remplacé par « épanouies », comme si peut-être l’éditeur ou un typographe avait cru devoir corriger une coquille.

La rapidité et la facilité de cette transition d’un seul phonème du premier au dernier vers d’une seule stance peut mimer la vitesse de transformation de l’épanouissement en évanouissement ; renversement brutal de la tonalité « charm[ante] » du poème et du souvenir, qui pourrait justifier la cadence féminine du dernier vers, donc du poème.

La dernière stance de Lise est donc bouclée par équivalence verbale concrète de son dernier vers au premier, équivalence supportant un contraste lexical final.

Comme les deux premiers vers de la première stance peuvent sembler introduire tout ce qui suit en situant le poème comme souvenir d’enfance, et que, dans cette mesure, ce souvenir commence à partir du 3e vers, donc à partir des quatre derniers vers du sixain initial, on peut considérer qu’il est bouclé par équivalence verbale structurelle entre le bouclage de ce quatrain et le bouclage du sixain terminal.

Ces bouclage répétitifs, qu’il s’agisse du bouclage verbal concret dans chaque stance extrême ou du bouclage structural qui en résulte au niveau global du poème, complètent le style métrique de chant, et là encore ce style spécial est associé aux « extases » des « amours »[24].

 

Remarque sur la périodicité et l’allure métrique générale du recueil

Hors de certains traits liés, dans une poignée de poèmes, au style métrique de chant, la périodicité, sous ses formes les plus classiques, caractérise d’une manière générale le recueil des Contemplations. Les premières quasi-généralités qu’on a déjà dégagées en ce sens sont en elles-mêmes significatives : elles peuvent contribuer à l’impression, que confirmera l’étude des formes strophiques, d’une versification sérieuse et d’un ton soutenu même dans les pièces plus légères. La métrique littéraire rigoureuse y laisse peu de place à la (relative) liberté de versification « lyrique » dont l’auteur, plus jeune, avait largement usé notamment dans ses Odes et Ballades. Lamartine, aîné auquel il pouvait naturellement se comparer, usait encore d’une telle liberté (métrique) lyrique dans ses Harmonies poétiques et religieuses (1830) et ses Recueillements poétiques (1839) ; nombre de vers de ces deux derniers recueils n’appartiennent pas à une suite périodique de strophes.

Je ne parle ici que des formes de poèmes – ou de pièces métriques – et des formes de strophes ; et non, par exemple, de la souplesse avec laquelle, parfois, le discours se coule dans l’alexandrin ; cette effet de liberté, voire d’irrégularité, qui choquait certains contemporains de Hugo, était d’autant plus sensible qu’il contrastait avec l’allure globale du recueil ; je ne l’étudie pas dans le présent article[25].

La périodicité de schéma rimique n’était pas compatible avec une forme codifiée de poème telle que le sonnet, dont le « cadre » préfabriqué – bascule du 2-quatrains à un unique groupe rimique de modules-tercets – plutôt que la brièveté sans doute, a rarement tenté Victor Hugo (presque la moitié des poèmes des Fleurs du Mal [1857] sont des sonnets, mais leur auteur est d’une génération postérieure) ; pourtant ni la fin surprenante (même en « pointe » ou « chute »), ni la brièveté ne sont absentes des Contemplations, où vingt-cinq poèmes n’ont pas plus de quatorze vers). Sans être aussi formellement codifiée que la forme métrique du sonnet, il était presque convenu aux yeux de certains que le sonnet devait se terminer d’une manière surprenante (délicate, piquante, paradoxale, ou spirituelle de quelque manière), traditionnellement désignée dans les notions de chute ou de pointe ; on comprend peu la poétique du sonnet de Baudelaire, si on ne comprend pas qu’il est souvent construit à partir d’une fin paradoxale par rapport à son 2-quatrains initial. Hugo a souvent construit des poèmes même très longs de manière à préparer une pointe d’une brièveté parfois extrême, mais dans des suites périodiques de longueur libre, où la surprise est plus surprenante. Le sonnet pour lui s’apparentait peut-être encore au madrigal.

 

Le poème-stance 3.4 Écrit au bas d’un crucifix, en tant que quatrain ab‑ba, n’a pas une forme moins « fixe » (comme on dit) qu’un sonnet ; en témoigne la notion même de quatrain, qui pouvait désigner un poème quatrain aussi bien qu’une période rimique (on y reviendra plus bas). Enfin, quand une suite « périodique » se borne à une longueur de 2 ou 3 périodes, sa forme globale est sensible et peut être typée. Ainsi certains 2 et 3-stances pouvaient s’apparenter par leur forme globale, entre autres choses, à des chansons ou chants : six poèmes du recueil sont des 2-stances, onze sont des 3-stances. Il n’est pas surprenant que le 2-stances 3.15 s’intitule Épitaphe (malgré ses longues strophes) ou que le 3-stances 2.4 « Si vous n’avez rien à me dire » s’intitule Chanson. Ces pièces brèves contrastent nettement avec les immenses poèmes méditatifs du recueil. Quant aux fantaisies ou acrobaties métriques diverses dont rivalisaient nombre de ses contemporains, l’auteur des Odes et Ballades et des Orientales, plus jeune, avait déjà donné ; il n’avait plus besoin de faire la roue et pouvait les laisser « fixer de loin, dans l’ombre, un œil humilié ».

 

 

2. Formes strophiques

Groupes rimiques « classiques » et modules

Comment peut-on caractériser la forme des strophes des Contemplations ? L’analyse scolaire en « dispositions » de rimes « plates » en aabb…, « croisées » en abab et « embrassées » en abba n’y suffit pas et surtout n’y convient pas puisque, par exemple, elle découperait aveuglément le dixain des Mages (6.23) en abab‑cc‑deed, soit deux prétendus « quatrains », l’un croisé et l’autre embrassé, séparés par un prétendu « distique » de rimes plates, alors qu’il est composé d’un quatrain abab et d’un sixain ccd‑eed (comme l’analysait Martinon en 1912). D’autre part, ne pas analyser les suites en aabb… selon la même méthode que les suites en abab cdcd…, où l’on reconnaît à juste titre des suites périodiques de période abab, c’est passer à côté d’une généralité majeure. Les suites aabb… sont des suites périodiques à l’égard de la forme aa comme les suites abab cdcd… le sont à l’égard de la forme abab. Que les suites de aa soient couramment, sinon toujours, formatées et traitées en continuité, alors que les abab ou aabccb d’une suite de quatrains ou sixains sont généralement formatés et traités distinctement, cela doit être reconnu, mais pour apprécier cette distinction, encore faut-il comprendre qu’elle distingue deux types de périodes dans le vaste ensemble des suites périodiques en schéma de rime.

Convenons provisoirement d’écrire, pour rendre plus sensible leur analogie, que les suites de aa sont des suites de « a‑a », que les suites de abab sont des suites de « ba‑ba », et que les suites de aabccb sont des suites de « bba‑cca »[26].

 

Objection : Pourquoi ne pas dire tout simplement que « abab » se divise en « ab‑ab » comme « aabb » se divise en « aa‑bb » ? – La réponse tient d’abord à la différence des équivalences concrètes et des équivalences structurelles explicitée plus haut. Pour un exemple bref, rapprochons ces deux quatrains éloignés dans les Djinns de Hugo (Orientales) : « Mur, ville / Et port, / Asile / De Mort… //… On doute / La nuit ; / J’écoute : / Tout fuit. » Les deux premiers vers du premier quatrain riment concrètement en « ‑ile, ort » avec les deux suivants ; même chose dans le quatrain suivant où deux vers en « ‑oute, ‑it » riment concrètement avec deux vers en « ‑oute, ‑it ». Pourtant ces deux quatrains ne riment pas concrètement entre eux, car les terminaisons en « ‑oute » et en « ‑it » sont indépendantes des terminaisons en « ‑ile » et en « ‑ort » ; mais ces quatrains sont équivalents en schéma de rime, disons structurellement, parce qu’ils admettent tous deux le même schéma abab, abstrait à partir des terminaisons concrètes, et qu’on peut dire structurel.

Comparons à ces quatrains quatre vers en aa bb, par exemple « L’autre jour au fond d’un vallon / Un serpent piqua Jean Fréron. / Que pensez-vous qu’il arriva ? / Ce fut le serpent qui creva » (Voltaire). Les deux premiers vers ne riment pas concrètement avec les deux derniers parce que leurs terminaisons en « ‑a » sont indépendantes de celles en « ‑on » ; par contre (si je peux me permettre cette locution française), ils ont le même schéma rimique, parce deux vers en « ‑on » ne riment pas moins en aa que deux vers en « a ». Les deux distiques de aa bb sont donc structurellement équivalents – ont même schéma rimique – comme les deux quatrains successifs abab cdcd ; et les deux vers d’un a‑a riment concrètement par leur terminaisons comme les deux distiques d’un ab‑ab par leurs couples de terminaisons.

 

On constate, donc, que ces suites périodiques en schéma de terminaison rimique sont largement majoritaires dans les Contemplations, soit en continuité (cas de la plupart des a‑a), soit en stances formatées séparément (cas de la plupart des ba‑ba et bba‑cca), soit en composants de stances (comme le ba‑ba initial et le bba‑cca qui le suit dans un dixain des Mages[27]). Trois exemples pour illustrer  l’analyse de tels groupes[28] :                      

 

                                                                              rime     rime        groupe

                                                                              simple composée rimique

Marchands de grec! marchands de latin! cuistres! dogues!         ogues

Philistins! magisters! Je vous hais, pédagogues!                     = ogues                  a‑a

Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,                       é

Vous niez l’idéal, la grâce et la beauté!                                  = é                     = a‑a

 

 

     Je suis celui que rien n’arrête,

            Celui qui va,                                                              ête/a

     Celui dont l’âme est toujours prête

              À Jéhovah;                                                             ête/a        ba‑ba

 

      Je suis le poëte farouche,

              L’homme devoir,                                                  ouche-oir

       Le souffle des douleurs, la bouche

              Du clairon noir…                                                  ouche-oir   =ba-ba  

 

Ce tableau illustre la différence des rimes concrètes simples (entre un vers et un vers, dans les quatre premiers) et des rimes concrètes composées (entre deux vers et deux vers, dans les huit derniers), et la communauté de structure entre des distiques équivalents en schéma de rime a‑a (dans les quatre premiers vers) et des quatrains équivalents en schéma de rime ab‑ab (vers suivants). Ce dernier schéma est noté ici ba‑ba, au lieu de ab‑ab qui revient au même, pour mieux faire sentir l’analogie entre les a‑a et les ba‑ba. Car ces groupes de un vers rimant avec un vers, ou de deux vers rimant avec deux vers, ont une structure commune : ils sont composés de deux moitiés, qu’on peut nommer modules, liées par l’équivalence de terminaison épelée ici en a ; cette rime principale de liaison entre modules est terminale au moins du premier module (c’est donc sa terminaison globale), et singulière dans chaque module. Dans chaque module de plus d’un vers, le ou les vers ne rimant pas par la rime principale (représentée par un seule terminaison de vers dans chaque module) riment ensemble par une rime secondaire ; celle-ci fonctionne au sein du module même si possible, comme dans un sixain bba‑cca (souvent noté aab‑ccb[29]), où les deux vers non pourvus de rime par la rime principale peuvent rimer entre eux, séparément, à l’intérieur de chaque tercet (en « b » dans « bba », en « c » dans « cca ») ; dans chacun des modules de ba‑ba, comme un seul vers n’est pas pourvu de rime par la rime principale « a », une rime secondaire en « b » assortit ces deux vers au niveau du groupe, en ba‑ba.

On peut appeler les groupes ainsi constitués des groupes d’équivalence rimique (« GR ») ; ceux-ci binaires en tant que composés de seulement deux modules. Le GR ternaire en ab‑ab‑ab est représenté une seule fois, dans la Chanson 2.4 « Si vous n’avez rien à me dire » (où il est lié à une répétition). Les groupes ternaires a‑a‑a et aab‑ccb‑ddb sont absents du recueil.

Les GR binaires du type qu’on vient de décrire sont largement majoritaires dans les suites strophiques du recueil (en incluant bien sûr les suites de a‑a). Au vu du relevé métrique, il apparaît qu’on en trouve de différents dans seulement dix pièces métriques des Contemplations.

La majorité de cette minorité est constituée par des quatrains rimés en abba – ceux qu’on appelle souvent « embrassés » –, qu’on rencontre dans six pièces métriques : quatre suites périodiques de ab‑ba stances simples (1.15, 4.2, 4.13 et 6.12, totalisant seulement 18 quatrains), un ab‑ba isolé en poème-quatrain examiné plus bas (3.4 Écrit au bas d’un crucifix), et onze quatrains composants de sixains ab‑ba cc dans 2.28. L’analyse de la ponctuation moyenne de nombreux abba de l’œuvre de Hugo confirme que chez lui comme dans la tradition classique ces abba sont analysables en ab‑ba de deux modules. Ils apparaissent alors comme apparentés aux ab‑ab, comme les aab‑cbc traditionnels s’apparentent aux aab‑cbc : dans un ab‑ba comme dans un aab‑cbc, au lieu que la terminaison dernière et globale du premier module (ici notée en « b ») revienne en finale du second module, elle y paraît anticipée d’un rang[30]. À la suite de Martinon qui parlait en tels cas d’inversion des deux dernières terminaisons rimiques, il peut être commode de distinguer ces quatrains et sixains comme invertis par rapport aux ab‑ab et aab‑ccb dont leur forme peut paraître dérivée[31].

On peut appeler GR classiques (étiquette assez arbitraire mais commode) les GR binaires (à deux modules) ainsi caractérisés, qu’ils soient invertis ou non. On peut alors observer que, dans 162 des 166 pièces métriques des Contemplations, les vers sont rimés en GR classiques, que ces GR soient autonomes (comme en strophes quatrains ou sixains) ou composants de strophes composées (comme les dixains des Mages composés d’un GR quatrain et d’un GR sixain).

À l’intérieur de la classe des GR classiques, on peut distinguer sous le nom de symétriques (inspiré de Martinon) ceux dont les modules sont de même longueur en nombre de vers ; ainsi chacun des deux modules est de 1 vers dans a‑a, de 2 vers dans ab‑ab, de 3 vers dans aab-ccb, etc.). Dans deux poèmes seulement on trouve (ou peut soupçonner) des GR dissymétriques (qu’ils soient classiques ou non), à savoir dans les quintils de 2.5 Hier au soir en ab‑aab et dans ceux de 4.10 « Pendant que le marin… ».

 

Suites strophiques continues  ou discontinues (stances)

En strophes simples, ces trois types se répartissent nettement, conformément à la tradition, en deux groupes stylistiquement bien distincts, et même si évidemment distincts que leur parenté structurale en paires de modules classiques est souvent méconnue des analystes.

Les a‑a en suite périodique sont généralement traités en continuité : non distingués graphiquement, ils sont souvent enjambables avec encore plus de liberté que deux ou trois siècles plus tôt, et assez souvent le poème est formaté en paragraphes sémantiques dont les frontières ne coïncident pas avec une frontière de distique. Pour exemple frappant, ces cinq vers formant le dernier des deux paragraphes de Mugitusque boum (5.17), où le poète s’adresse aux mugissements des bœufs :

 

       Ainsi vous parliez, voix, grandes voix solennelles ;

       Et Virgile écoutait comme j’écoute, et l’eau

       Voyait passer le cygne auguste, et le bouleau

       Le vent, et le rocher l’écume, et le ciel sombre

       L’homme… Ô nature, abîme ! immensité de l’ombre !

 

Ces cinq vers sont des alinéas métriques, le passage à la ligne et la majuscule initiale y étant déterminés métriquement (quel que soit le sens) en correspondance réglée avec un mètre (6‑6) et une terminaison rimique finale. Ils forment un paragraphe sémantique de statut comparable à un paragraphe de prose, donc sans statut métrique, comme en témoigne le fait qu’un même GR a‑a inclut le dernier vers du paragraphe précédent (« …éternelles ») et leur premier vers (« …solennelles »). Leurs quatre derniers vers sont saturés de contre-rejets et rejets : au moins chacun des syntagmes « Et Virgile écoutait + comme j’écoute] », « [et l’eau / Voyait passer le cygne auguste », « voyait passer le cygne + auguste] », « [et le bouleau // Le vent] », « et le rocher + l’écume] », « [et le ciel sombre / L’homme] » il y a au moins un contre-rejet ou un rejet autour d’une frontière d’hémistiche (notée « + »), de vers (notée « / ») ou de groupe rimique (notée ici « // »). Au moins dans ces trois derniers syntagmes, la forme GN1 – GN2 chevauche parallèlement tour à tour trois frontières métriques différentes (sorte de glissement métrique) en mettant face à chaque fois un regardant et un regardé, paires d’éléments de la nature analogues entre elles et, collectivement, analogues à la relation de Virgile écoutant avec la nature écoutée. À son tour cet ensemble concluant le poème après la longue citation des « voix » des bœufs fait globalement écho aux quatre premiers vers introduisant ces voix ; dans le groupe (non métrique[32]) des quatre derniers, Virgile écoutant (à l’imparfait) la nature est comparé au sujet poète (Victor Hugo) écoutant (au présent) ; cette relation est parallèle à la comparaison, dans le groupe (sémantique) des quatre premiers vers du poème, entre le « temps du doux Virgile » et « aujourd’hui », dans quatre vers également déjà marqués par une succession de décalages métriques parallèles (« au temps du doux Virgile, / Comme aujourd’hui », « le soir… // Ou le matin »). Ces décalages du sens et des formes métriques sont d’autant plus remarquables qu’ils contrastent avec la relative concordance de la trentaine de vers qu’ils encadrent, vers exprimant la voix des bœufs parlant à l’homme et la nature. Sur un autre plan, culturellement, ces vers faisaient écho au passage des Géorgiques alors célèbre où le poète romain Virgile disait dans sa langue le bonheur des paysans (« fortunatos… / agricolas] » comblés par la nature, en des vers chargés d’enjambements ; les mugissements des bœufs, « mugitus[‑que] boum », richesse des agriculteurs, y sont mentionnés dans un vers et une proposition qui commence par un contre-rejet et se termine par un rejet de ce vers. Dans une traduction encore célèbre au début du siècle, Jacques Delille, père « d’une prétendue école d’élégance » selon la préface de Cromwell, avait « traduit » ces vers de Virgile en suites de a‑a d’alexandrins paisiblement concordants : « Heureux l’homme des champs, s’il connaît son bonheur ! […] Un troupeau qui mugit, des vallons, des forêts ; … », etc. La souplesse d’articulation de la parole à son organisation métrique était telle dans les vers (et les distiques suivis) de Hugo que déjà nombre de ses contemporains, embrouillés, se plaignaient que ce ne soient plus des « vers ».

Contrairement aux suites de a‑a d’alexandrins où non seulement (comme ailleurs) la division des vers en hémistiches[33], mais la division des suites de vers en groupes rimiques a‑a n’est pas graphiquement dictée au lecteur, la concordance ou l’articulation du sens à l’organisation métrique est généralement plus évidente dans les stances de Hugo[34]. Chez lui comme dans la tradition, les groupes rimiques de dimension supérieure à a‑a sont généralement, seuls ou combinés par paires, organisés en stances graphiquement démarquées, évidentes et guidant le traitement rythmique dans l’esprit du lecteur[35]. Une exception tout à fait remarquable à la clarté de la structure strophique sera examinée à propos des quintils du « marin qui calcule et qui doute » (2.10).

Il s’agit ici de « lyrisme » littéraire. Dans la tradition française, en métrique de chant, ou (en poésie littéraire) en style métrique de chant, le distique a‑a est commun, que ce soit en couplet (chanson populaire) ou en refrain. Il est commun aussi en composant strophique, par exemple avec lui-même en aa bb (groupes équi-composé) ou en finale comme en ab‑ab cc. Cette dernière forme, avec quatrain pur ou inverti, est représentée dans deux poèmes des Contemplations qui seront examinés plus bas.

 

L’alternance des rimes masculines et féminines et les groupes rimiques alternables

L’alternance totale des cadences

Rappelons d’abord la règle, aujourd’hui dite d’alternance, dont l’importance n’est plus toujours bien comprise, mais qui, du temps de Hugo, n’était pas sans conséquence dans la distribution des strophes. Cette règle consistait, en poésie littéraire, à changer de cadence de vers (féminine ou masculine) à chaque fois que, d’un vers à l’autre, on changeait de rime ; elle était déjà bien établie du temps de Malherbe à l’intérieur des suites continues de a‑a d’alexandrins et à l’intérieur des stances (alternance intra-strophique) ; mais, tout en tendant à s’étendre aux passage d’une stance à l’autre depuis la seconde moitié du XVIIe siècle (alternance trans-strophique), elle ne s’était pas absolument imposée, et divers poètes, comme Lamartine, ne s’en souciaient pas systématiquement. Or à cet égard, dans ses vers littéraires, Hugo était une sorte d’extrémiste : il pratiquait l’alternance non seulement aux frontières de strophes, mais d’un bout à l’autre d’un poème même métriquement composite : contrainte considérable. Le nombre d’exceptions à cette règle dans les plus de onze mille vers des Contemplations est : zéro. Cela ne va pas sans conséquences, même si ces conséquences ne sautent pas aux yeux de lecteurs indifférents (comme on l’est généralement aujourd’hui) à la distinction des cadences.

 

Écrit en 1846 et Écrit en 1855

Comme les poèmes sont en général des pièces (ou suites de pièces) métriques autonomes, Hugo ne se souciait tout de même pas d’alternance d’un poème à l’autre. Ainsi le premier poème du premier livre (À ma fille) se termine par un vers féminin (en « plain‑dre ») auquel succède au début du poème suivant un vers féminin (« Le poète s’en va dans les champs ; il admi‑re » ; une telle succession de rimes féminines, aléatoire d’un poème à l’autre, n’est pas forcément significative[36]. Il s’ensuit qu’une rupture d’alternance entre deux rimes dans un poème serait ici un indice de discontinuité. Cette conséquence fournit un argument formel pour considérer que l’ensemble d’alexandrins rimés en suite périodiques de a‑a sous un seul et unique numéro « III » dans le 5e livre, mais divisé sous deux titres (reproduits dans la table des matières), Écrit en 1846 et Écrit en 1855, forme bien deux et non une seule pièce métrique, à cet égard traitées comme deux et non un seul poème ; car la première partie se termine, et la seconde commence par un vers féminin. Cette rupture d’alternance est bien marquée par le fait qu’on passe sans transition des rimes suspensives « m’emporte / mère morte » (fin de la première partie) à la rime non moins suspensive « J’écoute » (initiale de la seconde) ; noter la syllabe féminine commune en « ‑te » d’un poème à l’autre ; à la rime « J’écoute = doute » succède ensuite immédiatement le mot-rime « morts » où « morte » reparaît au masculin sémantique et rythmique. – Ce probable jeu éditorial et métrique s’articule à une fiction épistolaire. L’Écrit en 1846 se présente comme le corps d’une lettre, l’Écrit en 1855, comme un post-scriptum épistolaire par ces mots en début du premier vers : « J’ajoute un post-scriptum + après neuf ans » où l’intervalle de neuf ans est souligné en rejet. Mais Hugo ne fait pas semblant d’avoir conservé une lettre neuf ans avant de l’envoyer. Le caractère fictif, voire ludique de cette fiction se dénonce dès l’épigraphe du corps de la lettre : y est longuement citée une prétendue « Lettre à Victor Hugo, Paris, 1846 » du « marquis de C. d’E… » à qui va (tout de suite !… dans le recueil !) répondre le poète. Ce marquis de Coriolis d’Espinouse ne risquait pas d’en être l’auteur, étant mort cinq ans plus tôt[37]. Le choix d’un « marquis » bien réactionnaire et bien mort était significatif de l’évolution du poète qui, fils d’une « vendéenne », n’était pas, lui, tourné vers le passé ; avec le temps, tout en restant fidèle à son devoir, il est devenu, souligne-t-il, homme de progrès. – La discontinuité cadentielle de la lettre au post-scriptum pourrait n’être pas sans rapport avec ces changements d’époque, par lesquels Hugo se justifie des reproches d’un « marquis » d’un autre temps[38].

 

Groupes rimiques alternables, ab‑ba et alternance

À l’égard de l’alternance des cadences, les quatrains invertis, très minoritaires dans les Contemplations comme chez la plupart des poètes, ont une propriété combinatoire qui a pu jouer un rôle dans leur distribution[39]. Les GR invertis ab‑ba et aab‑cbc possèdent avec le GR a‑a une propriété commune : si l’alternance est observée dans un tel groupe, ses deux vers extrêmes (premier et dernier) sont de même cadence, par exemple en fm‑mf ou ffm‑fmf. Conséquence : dans une suite périodique de a‑a, de ab‑ba ou de aab‑cbc (à alternance interne), l’alternance trans-strophique ne peut être préservée qu’à condition d’inverser les cadences de vers d’un GR à l’autre ; par exemple, si ce sont des a‑a, en rythmant la suite en ff, mm, ff, mm… (cas de toutes les suites d’alexandrins en rimes dites plates), ou, si ce sont des ab‑ba, en fmmf, mffm, fmmf,… (cas de La coccinelle, 1.15) ; Martinon 1912 appelle cela les alterner, et dit qu’en de tels cas les strophes sont alternes. Historiquement, comme il l’a partiellement montré, ce conflit formel a pu contribuer à la raréfaction progressive, en poésie littéraire, des stances rimées en ab‑ba et aab‑cbc ; quant aux suites périodiques de a‑a, comme les a‑a n’y étaient pas séparés en stances, mais traités en continuité, l’alternance d’un GR distique à l’autre ne semble pas y avoir gêné les poètes. – Il est nécessaire de comprendre cela pour comprendre certains aspects de la versification des Contemplations, parfois à l’échelle du détail.

Vers le milieu du XIXe siècle, certains poètes peu soucieux d’alternance trans-strophique pouvaient encore rythmer des suites de ab‑ba en, par exemple, fm‑mf, fm‑mf…, avec non-alternance aux frontières de quatrains, comme Baudelaire dans l’Avis au lecteur en tête des Fleurs du Mal (1857). Disons que de tels ab‑ba, quoique alternables (c’est-à-dire sujets, a priori, à alterner parce que bordés par des vers de même cadence), ne sont pas effectivement alternés, donc alternes au sens de Martinon. Mais chez un poète toujours soucieux comme Hugo d’alternance trans-strophique, et, d’autre part, souvent soucieux d’uniformité de cadence de ses stances, la seule solution était d’éviter, sauf raison suffisante, les suites périodiques de GR alternables.

Dans les Contemplations, en ce qui concerne les sixains paires de tercets, on constate la solution radicale : alors que les aab‑ccb sont fréquents, il n’y a pas un seul aab‑cbc. Mais Hugo n’a pas renoncé à la forme ab‑ba, qu’elle soit indépendante ou combinée avec une autre dans un groupe composé.

Quatre poèmes (1.15, 4.2, 4.13, 6.12), sont des suites périodiques de ab‑ba. Logiquement, Hugo y a alterné les quatrains féminins et masculins. Peut-on imaginer une motivation pour la forme invertie dans ces poèmes ? Sans argument ni la moindre certitude, j’imaginerais volontiers qu’a pu jouer dans 1.15 La coccinelle le souci de conclure par le bon mot : « Les bêtes sont au bon Dieu ; / Mais la bêtise est à l’homme » ; l’option ab‑ba permettait de conclure sur le mot « homme », rythmiquement féminin, en ne rendant féminin qu’un quatrain sur deux, alors qu’en ab‑ab tous les quatrains, alignés sur le dernier, auraient dû être féminins (sauf raison particulière, Hugo écrivait en stances masculines). Encore plus timidement, j’ose à peine suggérer que, de la même manière, la conclusion de 4.2, 15 Février 1843 « Sors avec une larme ! entre avec un sourire ! » (je souligne), a pu favoriser le choix de la forme invertie. De 4 .13 Veni, vidi, vixi, je me contenterai de remarquer que la cadence féminine me semble bien convenir à ses derniers mots « Afin que je m’en aille et que je disparaisse ». Et de 6.13 Aux anges qui nous voient, je constate simplement qu’il se termine (seul de ce groupe de quatre poèmes) en cadence masculine (« Oh ! cachez-moi, profondes nuits ! »).

Un seul autre poème est rimé en ab‑ba, mais ce schéma rimique n’y pose aucun problème à l’alternance trans-strophique pour une raison radicale : c’est un quatrain unique – Écrit au bas d’un crucifix (3.4) – on s’interrogera plus bas sur cette cadence féminine en examinant les deux exceptions à la périodicité strophique.

 

Combinaison de a‑a et GR classique en stances : un couple de chansons

L’immense majorité des GR a‑a des Contemplations appartiennent à des suites de 6‑6-voyelles traités en continuité, et non en stances de deux vers graphiquement démarquées. En stances périodiques, le a‑a ne rencontre que dans deux poèmes où, en 4‑6-voyelles, il est combiné avec un autre GR, quatrain ab‑ab (dans 1.11) ou en ab‑ba (2.28). Avant de les examiner, rappelons qu’en poésie littéraire classique, le GR a‑a, avec ses modules d’un seul vers, est caractéristique d’un style métrique de chant[40]. Ce style est confirmé dans les deux cas par le mètre 4‑6, souvent associé au style de chant à la même époque[41].

 

Lise (1.11), en ab‑ab cc alternes de 4‑6v.

Outre la présence du distique final de type a‑a à modules simples dans sa forme rimique, ce poème présente plusieurs autres propriétés convergentes de style métrique de chant : le mètre 4‑6 (même si ce n’est là qu’une des valeurs de ce mètre), des répétitions ou parallélismes marqués, dont le bouclage répétitif des strophes extrêmes et du poème (voir plus haut), des énoncés simples coïncidant souvent avec le vers, et jusqu’au nom de « Lise », typique de la chansonnette amoureuse ou érotique, choisi pour titre.

Le souci de versification littéraire reste marqué aux frontières de stances : chacune étant automatiquement de cadences mfmf‑mm ou fmfm‑ff, Hugo a pris soin d’alterner les cadences d’une stance à l’autre, alors qu’en chant surtout il est plus commun (sinon constant) de privilégier l’uniformité cadentielle des stances. La dernière, concluant le poème en cadence féminine, peut contribuer à la tonalité mélancolique (« élégiaque ») exprimée par les derniers mots (« Jeunes amours, si vite évanouies »[42].

 

« Un soir que je regardais le ciel » (2.28), en ab‑ba cc féminins de 4‑6v.

L’alternance trans-strophique y est compatible avec l’uniformité des cadences de stances par le fait que celles-ci ne contiennent pas un seul, mais deux GR alternables, ab‑ba cc combinant un GR ab‑ba et un GR a‑a[43] : le groupe composé résultant a forcément des vers extrêmes de cadences différentes, à savoir, ici, en mf‑fm ff.

Le style de chant de ces ab‑ba cc, marqué par les a‑a qui les concluent, est confirmé par le mètre 4‑6 et par des répétitions verbales, ainsi que, thématiquement, par le ton (le sujet se confie à des rochers, etc.) et par l’allusion finale à la coupe du roi de Thulé. Cette allusion (décalée[44]) était chargée de connotations musicales à travers le Faust de Goethe où Marguerite (Gretchen) chante la chanson dite du roi de Thulé, présage de son malheur, puis Nerval, Schubert, Berlioz…

La cadence féminine de ce poème 2.28 et de toutes ses stances[45] convient à la tonalité non simplement mélancolique, mais plutôt désespérée de l’idée finale : dans l’avant-dernière strophe, le sujet parle encore des « souvenirs » comme d’un trésor même s’il n’est plus aperçu que « du seuil et du dehors d’un temple » comme s’il s’en éloignait ; mais, dans la dernière strophe, « l’espérance est vidée » et il se résigne à jeter ce trésor et « sa joie » au « fond des mers » de « l’oubli » ; la fin de la joie, « cette fleur rapide de la jeunesse » selon la préface, clôt les deux livres de l’Aurore et de l’Âme en fleur sur cette cadence féminine, dans des vers dont le rythme 4‑6 peut aussi faire écho aux 4‑6v du poème À ma fille qui ouvrait le livre I[46].

 

Parenté de Lise et Un soir que je regardais le ciel.

Lise et Un soir que je regardais le ciel sont les deux seuls poèmes (et pièces métriques) du recueil dont les stances sont composées d’un GR quatrain et d’un GR a‑a, et même les seuls à stances incluant un a‑a. On peut même considérer que sont les seuls à mètre de base 4‑6 strictement internes au recueil, en ce sens que le seul autre, À ma fille, quoique premier poème du premier des six livres, forme avec À celle qui est restée en France, poème postposé au dernier livre, une sorte de cadre dédicatoire du recueil à la fille disparue[47].

Cette parenté formelle invite à prêter attention aux différences formelles et sémantiques des deux poèmes. Dans le premier, comme le quatrain ab‑ab ne compensant pas la forme alternable du a‑a qui l’accompagne, il provoque l’alternance des stances tour à tour masculines et féminines, et ainsi équilibre à l’échelle du poème la proportion des stances masculines et féminines : même si la dernière est féminine, ce n’est donc pas un poème en stances féminines ; on peut ainsi le comparer, par exemple, à Booz endormi, poème viril, nuptial et symbolisant un espoir de fécondité masculine, où  des quatrains masculins et féminins alternent en nombre comparable même si la dernière stance est féminine[48]. Le dernier poème du livre II n’est pas seulement un poème féminin (par la « joie » jetée) : il est tout en stances féminines ; cette cadence peut alors avoir sa valeur « élégiaque » (comme disait Banville).

Or les stances alternes de Lise et celles féminines d’« Un soir… » ouvrent, dans ce livre d’Autrefois, sur deux perspectives inverses : la première renvoie au bonheur perdu de l’enfance – avant « hier » –, mais dont le souvenir hier encore pouvait la charmer ; dans la seconde est évoqué (aux temps grammaticaux du passé) le souvenir d’un amour heureux d’Autrefois, mais, au lieu d’en jouir simplement, le poète prévoyant la fin des jours heureux décide de jeter dans la mer la coupe de l’espérance, désormais vide[49] ; cette finale désespérée ouvre sur le malheur d’Aujourd’hui[50]. Au souvenir heureux correspond, dans les derniers vers de Lise, l’impératif « Charmez encor nos âmes éblouies » ; à la renonciation au souvenir correspond, dans le dernier poème, l’impératif « Laissons tomber la coupe au fond des mers » [51] ; les derniers vers précisent que la mer sombre, c’est « l’oubli ».

Complémentairement, on observe que le style métrique de chant est plus marqué dans le premier poème que dans le second, au moins par le bouclage verbal des deux stances extrêmes et le bouclage structural du poème qui en résulte.

 

La chanson du roi de Thulé de et le problème des cadences

Il se trouve qu’en traduisant la chanson de Marguerite (Gretchen) dans le premier Faust, Gérard de Nerval lui-même avait rencontré un problème de cadences strophiques. L’innocente Marguerite (Gretchen) « se met à chanter » : « Autrefois un roi de Thulé… », chanson qui présage son malheur, en ab‑ab masculins de 8-voyelles, sauf le premier quatrain rimé seul en ab‑ba. À cette curieuse exception près, ces ab‑ab étaient conformes au modèle allemand[52], où ces quatrains étaient cadencés en fm‑fm.

La ballade de Goethe introduisait naturellement son personnage légendaire en cet incipit (particulièrement important dans un chant dont on ne chante pas le titre) : « Es war ein König in Thule » (Il était un roi à Thulé). Dans les diverses variantes successives qu’on connaît de la transposition de cette chanson chez Nerval[53], le schéma rimique varie, mais une chose demeure en place comme naturellement : le « roi de Thulé » en rime d’incipit (« roi à Thulé » aurait fait hiatus). Mais alors que l’allemand « Thule » était de cadence féminine, le français « Thulé » est de cadence masculine. Il semble donc que, désirant d’abord coller au plus près possible du modèle strophique de Goethe, ab‑ab et fm‑fm, et tenant, chose incompatible, à l’incipit prosodiquement masculin en « roi de Thulé », Gérard se soit d’abord contenté d’un accommodement par cette légère exception à la périodicité strophique. On pourrait formuler la chose en disant que, comme ce roi obligeait un module initial en mf dans un premier quatrain dès lors mf‑fm, et conséquemment le schéma ab‑ba, qu’on peut aussi bien noter ba‑ab, Gérard a en quelque sorte inversé en ab le premier module dans une série de ba‑ab. Au prix de cette unique inversion, tous les quatrains suivants pouvaient être masculins comme chez Goethe, tout cela dans le respect de l’alternance trans-strophique.

Ce choix du traducteur entraînait une finale masculine du poème, d’abord « Il ne boira plus désormais ». Se basant sur cette transposition pour le livret de sa Damnation de Faust, Berlioz (1846) conclut tout de même sur une terminaison féminine en bouclant le chant par retour du module initial seul féminin (« …fidèle »[54]).

Dans les versions (connues) suivantes[55], Gérard s’écarte du respect littéral du rythme allemand et du même coup régularise l’exception rimique initiale en alignant tous ses quatrains sur le rythme ab‑ba du premier. Respectant l’alternance trans-strophique qui prévalait en poésie française littéraire, il alterne les cadences d’une stance à l’autre, ce qui permet à la moitié d’entre elles d’être féminines, et surtout à la dernière de l’être par son dernier vers, « Jamais on ne le vit plus boire », – heureux progrès dans l’esprit de la rythmique française[56].

 

 

3. Poème ou pièce métrique non-périodique

Seules deux pièces métriques des Contemplations ne sont pas rM-périodiques : Écrit au bas d’un crucifix (3.4) – un seul quatrain ab–ba – et la 5e pièce métrique de Magnitudo parvi (début de sa partie sémantique V) : un seul distique a‑a.

 

Quatrain unique au bas d’un crucifix.

Écrit au bas d’un crucifix (3.14)

 

       Vous qui pleurez, venez + à ce Dieu, car il pleure.    3-5-4 ?

       Vous qui souffrez, venez + à lui, car il guérit.           4-4-4 ?

       Vous qui tremblez, venez + à lui, car il sourit.           …

       Vous qui passez, venez + à lui, car il demeure.          …

 

Ci-dessus la frontière des hémistiches en 6‑6 est notée « + » (sans sens arithmétique), et si un syntagme amorcé dans le premier hémistiche  se poursuit dans le second sans aller jusqu’au bout, son empiètement (rejet) dans le second hémistiche est mis en italiques. On constate un rejet à la césure dans chacun de ces vers.

C’est le seul poème essentiellement non-périodique (non rM-périodique) dans les Contemplations. Le seul dont tous les vers (rien que quatre, mais quand même…) sont strictement parallèles[57]. Le seul dont tous les vers présentent un rejet (parallèle) à la césure. Exception énorme et concentrée dans le poème le plus bref du recueil.

Mais, à défaut d’être métrique par équivalence contextuelle, ce poème était évidemment métrique, pour la quasi-totalité des lecteurs métriques de Hugo, par conformité au modèle familier du groupe rimique, et plus précisément des stances en ab‑ba. On verra que cette relation de conformité externe peut elle-même être historiquement précisée. Parmi les formes les plus communes de poème-stance étaient le distique et le quatrain. Plus ou moins rares (voire exceptionnelles) dans les recueils de poésie littéraire, elles étaient communes en apposition à des objets – en légende de gravure, d’images diverses, inscription (tombale, dédicace…), ou à l’état isolé quasi-formulaire (sentences, devinettes, épigrammes dont l’étymologie veut dire : écrit sur »). C’est ici fictivement le cas puisque le « titre » de ce poème est l’indication fictive « Écrit au bas d’un crucifix », soit une inscription, comparable à l’écriteau de quatre lettres « INRI » cloué sur un crucifix. Cette apposition imaginaire à un crucifix, que ce soit le crucifié (« crucifixus ») ou, avec lui, la croix sur laquelle il est cloué, suggère un symbolisme graphique du quatrain, strophe dont le nombre de vers peut être reconnaissable à l’œil nu ; quadri-partition valorisée par la correspondance exacte et spectaculaire des 4 vers avec 4 énoncés ; analogues aux 4 branches de la croix à laquelle ils sont fictivement apposés. On appelait un poème-quatrain un quatrain (c’était un nom de strophe, et un nom de poème composé d’une seule telle strophe).

Il se trouve de plus qu’en son temps, pour de nombreux lecteurs, à cause de son caractère moral et universel (en un sens large de ces mots), ce quatrain pouvait évoquer le modèle initialement fourni par une série de quatrains moraux aujourd’hui oubliés, mais alors encore célèbres : Les Quatrains du seigneur de Pibrac, Guy du Faur, édités puis souvent réédités depuis 1574. Chacun de ces quatrains était sémantiquement autonome (comme un bref poème), et la périodicité formelle de leur succession en recueil était comparable à celle de sonnets publiés en série du temps de Pibrac. En voici un, cité ici d’après l’édition de Jules Claretie en… 1874, le 105ème :

 

                   Ne voise au bal, qui n’aymera la danse,

                      Ny au banquet qui ne voudra manger,

                      Ny sur la mer qui craindra le danger,

                      Ny à la Cour qui dira ce qu’il pense.

 

Ce poème-quatrain est rimé en ab‑ba et cadencé en fm‑mf comme tous les autres quatrains du recueil et comme le quatrain du crucifix. Il est même également constitué de quatre vers parallèles (cas minoritaire chez Pibrac). Il est également moral et formule une série de préceptes parallèles.

On peut objecter au rapprochement proposé ici que les vers de Pibrac sont rythmés en 4‑6 et ceux de Hugo en 6‑6, mais cette différence matérielle recouvre une équivalence culturelle. Le grand mètre traditionnel pouvait encore être le 4‑6 pour un auteur comme Pibrac (même si l’alexandrin l’avait déjà bousculé chez certains poètes depuis une ou deux dizaines d’années) ; mais, pour Hugo, le grand mètre était sans contestation le 6‑6, et le 4‑6 avait acquis une valeur désuète ou spécialisée (notamment en style de chant), qui ne convenait pas au quatrain du crucifix. Moyennant cette transposition culturelle, la conformité du quatrain Écrit au bas d’un crucifix au modèle de Pibrac est parfaite.

Le modèle de Pibrac avait déjà été transposé en alexandrins vers le début du xviie siècle. C’est le cas des Quatrains de Pierre Matthieu, qui avaient été édités à la suite des quatrains de Pibrac (et d’un autre sire) en 1746 dans La belle vieillesse ou les anciens quatrains des sieurs de Pibrac, du Faur, et Matthieu, Sur la vie, sur la mort, & sur la caducité des choses humaines, nlle éd, par l’auteur des Rems sur M. le Duc de la Rochefoucault (Paris, chez Quillau). En voici un, premier d’une première « centurie » (p. 214) :

 

                   Tout passe, tout s’en va, rien ferme ne demeure,

                   Le temps qui fauche tout, lui-même se détruit,

                   La nuit chasse le jour, le jour chasse la nuit,

                   Les saisons, les saisons, & l’heure chasse l’heure.

 

C’est là déjà un « pibrac » en alexandrins. Dans les deux « centuries » suivantes, pour quelque raison, Matthieu substitue la forme ab‑ab à ab‑ba.

Il y a lieu de penser que le vers fondamental du quatrain de Hugo est – chose commune en bonne poésie – son dernier vers. Et, le crucifié étant un homme mort, un quatrain écrit auprès de ce cadavre est équivalent à une épitaphe. Ses premiers mots, « Vous qui passez », sont en effet équivalents aux premiers mots de nombreuses épitaphes, païennes puis chrétiennes, depuis l’Antiquité, où on demandait au passant (par exemple en latin « viator »), de s’arrêter (demeurer) un instant devant une tombe. Dans la mesure où le quatrain de Hugo peut être analogue à une épitaphe (même si les trois premiers vers s’écartent de cette fonction), sa forme brève n’en est que plus motivée.

Deux fondateurs de religions, Moïse et Mahomet, auront droit chacun à un poème quatrain (assez loin l’un de l’autre…) dans la première série de la Légende des siècles. Mais ce ne sont pas des pibracs. Rimés en aa‑bb, leur forme équi-composée (réunion de deux GR équivalents a‑a) les apparente plutôt à une vieille tradition orale, voire populaire, avec laquelle s’accorde l’humour bonhomme du quatrain sur Mahomet.

 

Distique isolé dans Magnitudo parvi : une transition de cadence

La dernière partie de cet immense poème métriquement composite (en 5 pièces métriques[58]) se réduit à cette insertion narrative dans les longs propos d’un père à une enfant :

 

                   Et je repris, montrant à l’enfant adorée

                   L’obscur feu du pasteur et l’étoile sacrée :

 

En indiquant par ces mots que le poète montre à la fois deux feux (« deux mondes ») dont il vient de parler dans deux sections distinctes, cette insertion introduit leur mise en relation dans les strophes qui concluent le poème[59].

À défaut d’être métrique par périodicité, on peut sans doute considérer que ce groupe a‑a unique est du moins métrique par conformité à un modèle mémorisé de période rimique, le distique a‑a. Mais, tout en minorant le caractère exceptionnel de cette exception, cela n’en fournit pas une motivation sémantique comme on peut en trouver une pour le quatrain du crucifix.

Après l’introduction narrative intégrée aux première stances du poème, ceci est la seule insertion narrative dans l’immense discours du poète à l’enfant. On pourrait considérer que sa fonction narrative le justifie comme cas limite d’une suite périodique de a‑a d’alexandrins, forme la moins lyrique de versification dans les Contemplations. Mais cela encore ne rend pas compte de sa non-périodicité.

Tout compte fait, il me semble que la motivation, sinon pour le lecteur, du moins pour l’écrivain, est liée à la rude contrainte d’alternance des cadences que Hugo s’impose d’un bout à l’autre de chacun de ses poèmes. Le distique a‑a intervient ici entre deux suites périodiques de stances. Les stances qui le précèdent sont rimées en aab‑ccb rythmés en CC6 CC6 ; ces stances sont masculines, conformément à la tendance normale chez Hugo (c’est la cadence de strophe normalement conclusive et neutre). Donc le distique narratif succède à un vers masculin, donc il doit être en rimes féminines et l’est en effet (en « ‑ée »).

Hugo aurait pu conclure son poème par une suite de stances masculines à vers initiaux féminins, comme le plus souvent chez lui. Mais, pour quelque raison, il a choisi de le conclure par un type de stance qui, chez lui, du moins dans la première partie de sa carrière, était préférentiellement féminin : le sixain aab‑ccb rythmé en CC8 CC8, cadencé en mmf‑mmf ; cette suite commençait donc par un vers masculin[60]. Elle ne pouvait donc pas succéder sans conflit d’alternance à une suite de stances masculines.

Le distique unique (donc en nombre impair) inséré entre les deux séries de stances inconciliables résout le conflit, parce qu’il commence et finit par une rime féminine. Il a donc vraisemblablement, dans ce passage d’une section en sixains masculins à clausules de module de 6 à une section de sixains féminins à clausules de module de 8, une fonction de transition de cadence[61].

 

Périodicité douteuse dans un diptyque de paires de quintils

Voici un poème tout à fait exceptionnel (me semble-t-il) dans les Contemplations par le fait que sa périodicité rimique, apparente à qui se contente d’en épeler les rimes – « C’est deux quintils en abbab ! » –, peut paraître réellement douteuse s’il ne s’agit pas simplement d’épeler des séquences de rimes, mais d’analyser des rythmes : 4.10.

                                                                                                    

       Pendant que le marin, qui calcule et qui doute,

       Demande son chemin aux constellations ;                    ab

       Pendant que le berger, l'œil plein de visions,

       Cherche au milieu des bois son étoile et sa route ;        ba        d’où : ab‑ba

       Pendant que l'astronome, inondé de rayons,                 b         d’où : ab‑ba a

 

       Pèse un globe à travers des millions de lieues,              bc ?    

       Moi, je cherche autre chose en ce ciel vaste et pur.       cd ?

       Mais que ce saphir sombre est un abîme obscur !          dd ?

       On ne peut distinguer, la nuit, les robes bleues

       Des anges frissonnants qui glissent dans l'azur.             cd ?

 

L’analyse de ce problème serait trop longue pour prendre place dans ce paragraphe. J’en ai proposé une consultable en ligne (Cornulier, 2016 b) dont je résume ici les conclusions.

La première stance est clairement organisée en ab‑ba‑b, soit un GR classique ab‑ba augmenté d’un vers (module ?). Pour que le poème soit r-périodique, il faudrait que l’unique stance qui suit se prête également, sans torture mentale, à un traitement rythmique en ab‑ba‑b. Le poète a manifestement pris le soin d’empêcher ça en construisant – à partir du dernier vers du premier quintil – un leurre rythmique propre à détourner le lecteur du rythme ab‑ba‑b.

Le sens de ce piège est évident dans le poème même : à la différence du marin, du berger et de l’astronome, « Moi » cherche quelque chose, « autre chose », qu’on ne peut pas trouver.

Or ce poème présente plusieurs caractéristiques métriques exceptionnelles sinon en général, du moins dans le cadre du recueil. Il est l’un des deux seuls poèmes en quintils, et même en paire de quintils. L’autre, antérieur dans le recueil, 2.5 « Hier, le vent du soir… », clairement métrique en ab‑aab et de ton plutôt chantant, est en contraste avec lui comme « hier » temps d’amour d’Autrefois, avec Aujourd’hui, temps de deuil.

Le piège rythmique repose au départ sur un glissement métrique d’un poème (bien chantant), « Hier, le vent du soir… », à ce poème (dé‑chantant) « Pendant que le marin… » : Les deux sont principalement constitués d’une suite discursive du type « XXX… – Moi, je… », qui est bien calée autour de la frontière de stances dans le premier poème, mais qui est dangereusement décalée à un vers de cette frontière, dans « Pendant que le marin… », parce que le troisième syntagme du type « Pendant que… » occupe le dernier vers du premier quintil et le premier du second. À partir de là, le rythme strophique périodique, c’est-à-dire un rythme conforme à celui du premier quintil, ne paraît plus guère rattrapable.

Dans ce dernier poème, la dissolution métrique de la seconde stance, empêchant d’emblée la périodicité strophique (réelle), peut être une expression rythmique de la disparition. Le père en deuil ne peut distinguer sa fille disparue dans le ciel nocturne.

« Pendant que le marin… » me semble être le seul poème apparemment r-périodique des Contemplations qui déroute aussi brutalement le traitement périodique de ses strophes. Quant à la technique de versification employée, avec un faux distique chevauchant la frontière de stances, elle est proche de celle de Rimbaud dans un trois-quintils de 1872 où « Moi » – rejette dans le dernier quintil l’offre que vient de lui faire un pauvre songe.

 

Alternance strophique (rimique) dans Magnitudo parvi II

Sur les 164 pièces rM-périodiques du recueil, presque toutes roulent sur un seul type rimique de strophe (r-périodicité unaire). Une seule roule sur deux types rimiques de strophes (r-périodicité binaire) :

Magnitudo parvi (13.30, 2e partie sémantique de ce poème), suite de onze douzains ab‑ab cccd‑eeed (« 22‑44-vers ») alternant avec autant de septains ab‑ab‑ccb (« 223-vers »).

Cette alternance rimique est assez forte : elle oppose des triplets de modules (GR ab‑ab augmentés d’un module ccb) et des paires de GR (ab‑ab suivi d’un aaab‑cccb). Elle est renforcée par alternance des mètres de base, 6‑6 dans un cas, 8v dans l’autre.

Est-elle, comme souvent, un trait de style métrique de chant ? Rien ne le confirmerait, me semble-t-il. L’alternance strophique est-elle du moins en accord avec une alternance énonciative (par exemple dialogale), ou thématique (parallèle entre deux séries de choses) ? Apparemment non. Une motivation de l’alternance strophique me semble plutôt être suggérée par comparaison avec d’autres caractères exceptionnels de cette pièce :

– Ampleur exceptionnelle des stances. Les deux types de stances sont les plus longues du recueil (en nombre de syllabes métriques) : la première, rimée en ab‑ab cccd‑eeed, totalise 96 syll.mét., et est aussi la plus longue en nombre de vers (12) ; la seconde, rimée en ab‑ab‑ccb, compte 84 syll.mét. (la plus longue après elles dans le recueil est le dizain classique ab‑ab ccd‑eed de 8v, de 80 syll.mét.). Plus précisément, l’une et l’autre peuvent donner l’impression non simplement d’être longues, mais de s’allonger ; car la première, composée d’un ab‑ab et d’un aaab‑cccb, commence comme un dixain classique dont elle se différencierait, dans son second groupe rimique, par l’allongement des modules de 3 vers en modules de 4 vers ; la seconde peut paraître dériver d’un quatrain classique ab‑ab composé de deux modules par addition d’un troisième module de 3 vers.

– L’ampleur exceptionnelle de ces stances est à son tour amplifiée par l’alternance des deux formes, qui, même sans créer des paires métriques douzain+septain (que le sens ne favorise pas systématiquement), crée une effet d’ondulation supérieur à tout autre en longueur dans le recueil[62], et de loin : 204 syll.mét., soit plus du double de la longueur des périodes strophiques les plus longues dans le reste du recueil (80 syll.mét. pour les dixains de 8v comme dans les Mages).

– Longueur de phrase. Une seule phrase, amorcée dans la première stance de cette suite métrique, enjambe de stance en stance jusqu’à la fin de la quatrième. Ces quatre stances ainsi liées forment une suite de 720 syll.mét. : c’est la longueur, honorable, d’un poème de 60 alexandrins[63].

La pertinence sémantique de cette coalition de propriétés exceptionnelles semble évidente : il s’agit d’inciter l’enfant à qui le poète s’adresse – ou ses lecteurs – à imaginer un « voyage démesuré » dans les « énormités de la nuit » et de l’ « immensité » céleste, associée à l’ « éternité » comme le « sans fond » au « sans fin ».

L’immense houle rythmique résultant de l’allongement des stances combiné avec l’alternance strophique prépare un contraste extrême avec la pièce métrique qui lui succède dans Magnitudo parvi : cette pièce métrique 3.3 III est une suite périodique simple de quatrains de 8v – stance la plus brève du recueil si on excepte les quatrains en mètre plus court réservé au style métrique de chant et les tercets-modules des Feuillantines. L’effet de contraste se produit au moment où, venant de terminer la suite binaire de stances longues (13.2), on passe à la suite unaire de petits quatrains (13.3). Or ce moment de contraste rythmique coïncide avec un moment de contraste sémantique : c’est celui où, après avoir invité l’enfant et le lecteur à considérer dans l’espace l’« immensité » du « sans fond » associée à l’« éternité » du « sans fin », on l’invite à considérer à terre le modeste feu d’un pâtre et « le cœur d’un homme ». La coïncidence de ces contrastes justifie l’alternance strophique, qui contribuait largement à l’effet de longueur rythmique dans 13.2.

Cet effet de contraste initial est ensuite, peu à peu, équilibré par un effet inverse : il faut lire 116 stances – 24 pages – pour arriver à la fin de cette nouvelle partie métrique, immensité dont peut donner le sens, dans la dernière partie du poème, le vers : « Une âme est plus grande qu’un monde ».

 

Avec une longueur plus de 8 300 syll.mét., le poème entier Magnitudo parvi s’apparente à la Bouche d’ombre à peine plus longue (plus de 8 400 syll.mét.). Ces deux poèmes terminent respectivement les trois livres d’Autrefois (premier volume de 1856) et les trois livres d’Aujourd’hui (deuxième volume de 1856)[64]. Dans le premier, le poète-père parle à l’enfant, dans le second c’est l’ombre (abîme, où sans doute est désormais la fille disparue) qui parle au poète.

Ainsi l’énorme et le petit rythmiques, dans Magnitudo parti, sont en résonance avec le sens du poème et les deux termes de son titre.

 

 

Quelques références

Albouy, Pierre, 1967, éd. des Œuvres poétiques de Victor Hugo, vol. 2, Pléiade, Gallimard.

Benini, Romain, 2014, Chansons dites “populaires” imprimées à Paris entre 1848 et 1851, approche stylistique et métrique, thèse soutenue à l’ENS de Lyon en décembre 2014.

Combet, Georges, 1984, « Les parallélismes de Booz endormi », dans Victor Hugo 1, Approches critiques contemporaines, éd. par Michel Grimaud, Lettres modernes, Minard, p. 81-99.

Cornulier (de), Benoît, 1993, « Le système classique des strophes : Hugo 1829-1881 », dans Langue française n°99, 26-44, Larousse.

– 1999, Petit dictionnaire de métrique, http://www.normalesup.org/~bdecornulier/DicoMet.pdf.

– 2014, Répertoire des formes strophiques de Victor Hugo datant de 1995, http://www.normalesup.org/~bdecornulier/rephugo.pdf.

– 2016 a, Relevé métrique des Contemplations et Spécification de ce relevé (en ligne prochainement).

– 2016 b, « Un 2-quintils rythmiquement déroutant dans les Contemplations », en ligne (à préciser).

Gouvard, Jean-Michel, 2015, La Versification française, 2e éd., Quadrige Manuels, PUF.

Martinon, Philippe, 1912,  Les Strophes, Champion.

 


[1] Cornulier (2016 a). Merci à Romain Benini, Éliane Delente et Arnaud Laster pour de nombreuses corrections et suggestions.

[2] Les codages utilisés dans cette base de données sont peu différents de ceux que j’ai utilisés dans « Pour un relevé métrique des poésies anthumes de Malherbe » (en ligne http://www.normalesup.org/~bdecornulier/Malherbe.pdf).

[3] Analyser une suite du type ababababa… comme binaire (relativement aux périodes a et b) n’est pas exclure quelle puisse aussi, éventuellement, être unaire relativement à des périodes plus longues comme ab, ou même abab. D’une manière générale, les analyses codées dans le relevé ne sont pas restrictives et ne se prétendent pas exhaustives.

[4] J’utilise la minuscule « r » pour des schémas de rimes (plutôt que pour des séquences concrètes de terminaisons semblables) et la majuscule « M » parce qu’il s’agit de séquences de rythmes précis. On reviendra sur cette distinction entre équivalences concrètes et structurelles au début du § 2.

[5] La coexistence d’au moins deux mètres contrastifs (cas de trimétrie strophique), rare en poésie littéraire classique, peut être une marque de style métrique de chant ou de lyrisme. – Des quatrains à deux clausules de modules en deux mètres différents et tous deux plus brefs que le mètre de base, le Répertoire général de Martinon (1912 : 528) en fournit plusieurs exemples de la Renaissance au xixe siècle dans lesquels la seconde clausule est plus brève que la première, comme si elle ponctuait non seulement le second module, mais la strophe ; par exemple des quatrains en 8.6. 8.4. – Dans les strophes de Hugo (v. le répertoire de Cornulier 2014), la tri-métrie est généralement associée au moins à un style métrique de chant.

[6] Dans les formules de séquence de mètres, j’emploie occasionnellement « C » (signifiant  et pouvant se prononcer « douze » en notation dite hexadécimale) pour que ce mètre soit représenté par un seul symbole comme les mètres simples, ce qui facilite des comparaisons visuelles ; même chose pour « A » signifiant dix. Quoique la longueur totale douze ne corresponde pas à un rythme, elle suffit dans ce corpus à identifier le 6‑6.

[7] Martinon, 1912, p. 139 ; curieusement, à ce propos, il ne cite pas À Villequier.

[8] À Villequier contient plusieurs phrases enjambant à travers plusieurs stances, et qui se terminent sur une stance à clausules.

[9] « 6‑6/8 » se lit ici : 8 contrastant avec mètre base 6‑6.

[10] Dans le Cantique de Bethphagé (dans La Fin de Satan), le jeune homme au « cœur gonflé d’extase » chante son amour en cinq stances très lyriques à base d’alexandrins avec modulation initiale d’un 8v et clausule de 8.8, seules les deux extrêmes étant des sixains, tous deux en aab‑ccb, mais masculins.

[11] On peut ici parler avec Martinon (1912) de strophe géminée, notion un peu plus restreinte que celle d’équi-composition.

[12] La notion de groupe rimique sera précisée plus bas.

[13] L’équivalence étant une notion symétrique, il s’agit plutôt, dans la perception métrique, de ressemblance précise ; dans l’esprit d’une personne lisant une stance dont le premier et le dernier vers sont constitués des mêmes mots, le premier vers ne paraît pas équivalent au dernier vers au moment où on le lit ; c’est ce dernier qui, à la lecture, paraît équivalent au premier ; cette relation temporelle de ressemblance n’est pas symétrique.

[14] Équivalence verbale initiale (modules commençant par les mêmes mots).

[15] En fait la catégorie N, notée ici dans la colonne des contrastes, fait partie du fond équivalent où s’inscrit le contraste ; seul le choix du mot qui joue le rôle substantif varie. Comme il est toujours précédé de l’article /l/ (variante de jonction), on pourrait ajouter que le fait que ce nom soit jonctif et bi-vocalique fait partie du contexte d’équivalence.

[16] J’ai donné de nombreux exemples de contre-équivalences phoniques et verbales en tradition orale, dont quelques-uns de Hugo, dans « Rime et contre-rime en traditions orale et littéraire » dans Poétique de la rime, recueil édité par Michel Murat et Jacqueline Dangel, Champion, 2005, p. 125-178.

[17] L’effet de longueur 7 est le matériau de l’équivalence-mètre entre deux 7-voyelles comme la terminaison « ‑if » est le matériau de l’équivalence rime entre deux vers en « ‑if ».

[18] Le module initial n’est pas signalé ici en italiques parce que l’effet de répétition se produit essentiellement dans le module terminal.

[19] Cette notation n’indique pas que les A (modules), ou les A et les B (vers) peuvent n’être que partiellement identiques, mais on pourrait convenir de noter plus précisément …Ax(au niveau des modules) ou … Ax Bx (au niveau de leurs deux vers) la répétition avec contraste final noté par un « x » en exposant (comme j’ai fait plus haut dans les schémas en marge droite des chansons). – Il arrive dans certaines poésies qu’en cas de répétition partielle la partie répétitive soit finale et la partie variable initiale, comme dans « Il pleure dans mon cœur [] Qui pénètre mon cœur » (Verlaine, Romances sans paroles). Dans ce cas, la répétition, incluant le mot conclusif de vers, est essentielle, et ne sert pas de support à un contraste. Cette différence entre répétition initiale supportant un contraste final et répétition finale auto-suffisante est analogue à la différence entre l’équivalence phonémique initiale qui supporte un contraste final (contre-rime) dans « miront‑on, miront‑aine » et l’équivalence phonémique auto-suffisante dans une rime entre « miront‑aine » et « germ‑aine ».

[20] Dans le relevé métrique, cette périodicité verbale est notée au niveau des vers pour qu’elle s’aligne sur les schémas de rime et de mètres.

[21] À propos de bouclage par retour du dernier vers d’une strophe au premier, Albert Cassagne (notamment) parle de strophe encadrée (Versification et métrique de Charles Baudelaire, Paris, 1906, p. 116). Cette notion aujourd’hui commune a l’inconvénient de décrire comme atemporel et symétrique un phénomène qui n’affecte pas l’élément initial au même titre que le dernier ; car c’est ce dernier vers qui répète, et en quelque sorte ramène au premier ; c’est ce mouvement même que nommait autrefois plus adéquatement la notion de rentrement, c’est-à-dire de retour, comme dans le rondeau réflexif où Clément Marot dit à la fin de « rentrer » (retourner) au début, en illustrant ce retour par les mots « En un rondeau ». Ainsi le « rond » du rondeau et des formes apparentées est plutôt un mouvement qui ramène à son point de départ que le cercle atemporel et symétrique qui en peut en résulter. – La notion de retour (au début) correspond assez bien à celle musicale de da capo (la forme rondeau pouvait être associée à une musique). – L’image du rond pouvait être d’autre part favorisée par les danses où les danseurs forment un rond (image non temporelle même si ce rond peut tourner).

[22] Le choix de « Juillet » aurait risqué de paraître faire allusion à « Juliette » Drouet, « juillet » pouvant alors se prononcer à peu près comme « Juliette » (Corbière dans les vers pour « Rosalba » en ≤1869, Rimbaud dans « Juillet » en 1873 ou 1872, ont joué sur cette homonymie).

[23] Plutôt confidentielle en son temps que destinée à tout lecteur, la localisation « Les Metz » de la 3e chanson fait allusion à Juliette Drouet (P. Albouy, 1967, note p. 1440). – Pour comparaison, on peut penser à deux poèmes formellement différents et séparés par deux autres dans les Fêtes galantes de Verlaine (1869), Dans la grotte, propos d’un galant pressé et pressant qui menace ridiculement de se suicider si une « cruelle Clymène » reste une « tigresse » pour lui, puis Les Coquillages, propos très galant d’amant satisfait de ce qui l’a troublé « Dans la grotte où nous nous aimâmes ».

[24] On reviendra plus bas sur ce poème.

[25] Voir sur ce sujet la contribution de Brigitte Buffard-Moret, à paraître en 2016 dans Lectures des Contemplations, éditées par Judith Wulf, Presses Universitaire de Rennes.

[26] La ponctuation interne moyenne des abab et aabccb confirme ces divisions (v. Cornulier, 1993).

[27] Dans un dixain abab ccdeed traditionnel comme dans les Mages, le quatrain initial est un ba‑ba (= « ab‑ab ») et le sixain final, noté indépendamment du quatrain qui le précède, est un bba‑cca (= « aab‑ccb »).

[28] Exemples tirés de À propos d’Horace (1.13) et Ibo (6.2).

[29] C’est ce même schéma « aab‑ccb » qui est souvent noté « ccd‑eed » dans des sonnets, épellation malencontreuse qui parfois empêche d’apparenter les sixains autonomes et les sixains de sonnet.

[30] Rares chez Hugo, les aab‑cbc (autonomes ou composants) sont absents des Contemplations.

[31] La qualification traditionnelle de quatrains « embrassés » est séduisante, et sans doute même pertinente dans certains cas, mais elle ne tient pas compte de leur structure binaire ab‑ab (on imagine même parfois qu’ils incluent un distique bb médian « embrassé » par les deux a), et elle ignore leur communauté avec les aab‑cbc, que l’inversion des deux terminaisons finales ne rend pas « embrassés ». Dans les rondeaux préclassiques, les ab‑ba commutent avec des aab‑ba, tous deux s’apparentant aux formes ab‑ab et aab‑ab par inversion dans le second module.

[32] Il serait abusif d’appeler « quatrain », notion métrique, n’importe quel groupe de quatre vers, même formant deux distiques.

[33] C’est sans doute une hypothèse raisonnable que d’admettre que tous les 12-voyelles des Contemplations sont des alexandrins 6‑6, même si, dans un certain nombre, comme en contrepoint, des parallélismes internes favorisaient le rythme 4‑4‑4, voire d’autres rythmes apparentés. V. par exemple Cornulier (1995 : 85-86) .

[34] Il ne s’agit ici ni des vers dramatiques de Hugo, ni de la manière dont ses vers dramatiques ou non pouvaient être reçus par des auditeurs.

[35] Il n’est pas tout à fait évident que les « bataillons d’alexandrins carrés » dont se moque la Réponse à un acte d’accusation ne soient pas des bataillons carrés d’alexandrins (avec « d’alexandrins » en rejet à la césure).

[36] Sauf exception peut-être comme dans les deux Écrits en… examinés plus bas.

[37] Quant aux styles désuet (de l’épigraphe) et moderne (de la réponse), ajoutons que ce marquis d’Espinouse, né en 1776, avait publié, parmi divers écrits catholiques et réactionnaires, en 1818, un « dithyrambe » en vers bien lyriques à « l’ombre » de Jacques Delille.

[38] Le fait qu’il n’y ait pas rupture d’alternance au passage de la Réponse à un acte d’accusation (1.7) à sa Suite (1.8) – de « idée » à « vivant » – ne prouve rien à lui seul ; car si la non-alternance prouve que l’alternance n’est pas recherchée, l’alternance peut être aléatoire.

[39] Comme l’a bien expliqué Martinon (1912 : 93-100) que je suis notamment sur ce point. Cette alternance était plus souvent nommée mélange des rimes du temps de Hugo. De nombreux poètes, parmi lesquels Lamartine, étaient bien moins soucieux d’alternance que lui aux frontières de stances. Sur ces problèmes, il vaut la peine de lire au moins le § VII de la Conclusion de Martinon, notamment p. 438 (consultable en ligne).

[40] En poésie, en style métrique de chant, a‑a n’apparaît pas antéposé à un GR plus long que lui ; on rencontre surtout des ab‑ab cc et des aab‑ccb dd et leurs variantes à GR initial inverti, des a‑a b‑b équi-composés et des a‑a stances simples ; dans les deux cas, le a‑a sert souvent de bouclage strophique ou de refrain.

[41] Comme le confirme la thèse de Romain Benini (2014).

[42] La voyelle posttonique de ces rimes en « ‑ies » est sans doute moins fictive après la voyelle haute /i/ qu’elle ne l’est après /a/ dans « joie » (cf. Allons, enfants de la patri‑i‑e » et plus tard même des rimes en « i‑e » chez Apollinaire).

[43] Sont automatiquement alternables en contexte d’alternance les groupes simples ou composés incluant un nombre impair de groupes alternables ; tels sont a‑a, ab‑ab cc et aab‑ccb dd, qui contiennent un (seul) GR alternable.

[44] Le roi de la ballade et chanson de Goethe jette sa coupe, souvenir de celle qu’il a aimée, parce qu’au moment de mourir il ne veut la léguer à personne. Le sujet de Un soir que je regardais le ciel n’est pas sur le point de mourir et en train de léguer ses biens ; sans espérance, il renonce même au souvenir « de tout bonheur », même d’extase amoureuse.

[45] Le mot « joie » était rythmiquement féminin au moins conventionnellement et fictivement. Depuis la fin du xviie siècle, à une graphie d’e instable posttonique de mot comme celle de « joie » ne pouvait plus normalement correspondre une voyelle contribuant au mètre (anatonique) ; mais on en était assez conscient pour éviter de la compter pour rien dans le mètre, ce qui obligeait à l’élider fictivement comme dans l’hémistiche « Et la joie est le fruit » dans 5.26 Les Malheureux. Mais la voyelle ainsi supposée était souvent acceptée comme rendant au moins fictivement la rime féminine. Était-ce seulement un artifice « de papier » ? Il ne faudrait pas exclure a priori l’hypothèse suivant laquelle, dans l’esprit de certains poètes et même lecteurs imprégnés d’écriture poétique, cette voyelle fictive contribuait réellement au sentiment rythmique, phénomène mental complexe et culturel, et non acoustique.

[46] Comme me le fait remarquer Romain Benini.

[47] Le poème 1.1 À ma fille pouvait plus difficilement être antéposé aux six livres parce que cette place était occupée par le poème liminaire « Un jour je vis, debout au bord des flots mouvants… ». – D’autre part, cependant, Romain Benini me fait remarquer que deux poèmes en vers de 4‑6, À ma fille (1.1) et Un soir que je regardais le ciel (2.28), ouvrent et ferment l’ensemble thématique formé par les deux premiers livres d’Aujourd’hui.

[48] Le souci, même symbolique, des cadences, jusque dans l’exception, me paraît évident dans Booz endormi, poème écrit en 1859. Dans ce poème nuptial, « mariant », pourrait-on on dire, les stances des deux « sexes », les quatrains de la « voix de Booz » pendant son rêve – il se croit trop vieux et las pour avoir encore des « matins triomphants » et doute de son rêve (ithyphallique) – sont exceptionnellement encadrés par deux quatrains masculins car en ab‑ab prenant chacun la place d’un ab‑ba féminin. – La cadence féminine de la dernière stance pourrait être favorisée par le choix du mot « étoiles ». V. Cornulier, 1995, p. 144-148.

[49] Ce geste de la dernière stance correspond à la seconde indication de lieu (Bruxelles) et de date au bas du poème, correspondant à l’exil.

[50] L’avant-dernière stance du dernier poème, ajoutée sur manuscrit, chante le « trésor » des souvenirs – ce qui l’apparente au premier poème – juste avant qu’il soit jeté à l’eau, concentrant et relevant le contraste au passage de la mélancolie au désespoir.

[51] « Laissons tomber » est substitué pendant l’exil à « Il faut jeter » (Albouy, 1967, p. 1454).

[52] Comme l’observe Christine Lombez (p. 37 de « Traduction de la poésie en vers ou en prose ? Le cas de Gérard de Nerval » dans Transfer(t), Montpellier, Praxiling – Université de Montpellier III, n° 1, Poésie, traduction retraduction, textes réunis par C. Lombez, Cahier coordonné par Roger Sauter, p. 27-41).

[53] Dans le Faust de Goëthe [sic] suivi du second Faust, choix de ballades et poésies (traductions publiées par Gérard [de Nerval] chez Gosselin, 1840, p. 428) est proposée « une variante » de cette traduction où toutes les stances sont métriquement alignées sur la première, donc toutes féminines ; à la finale masculine « Désormais il ne boira plus » peut ainsi succéder la féminine « Jamais on ne le vit plus boire ». Dans les pages suivantes, le « Choix de poésies traduites en vers » commence par des traductions (par divers auteurs) de poésies de Goethe dont les deux premières, « La fiancée de Corinthe », sombre histoire, et la « Chanson de Mignon » sont rimées en ab‑ba cc ou ab‑ab cc d’alexandrins ; toutes ces stances sont féminines.

[54] Un tel retour n’était guère concevable en poésie littéraire à cause de la dépendance rimique de ce module. On bouclait plus volontiers par retour de GR ou stance initiale.

[55] Notamment dans le Choix de ballades et poésies de 1840, où le lecteur peut comparer, du Faust au choix de « poésies », les deux types de transposition.

[56] « Il est presque certain que Hugo avait lu les versions de 1827, 1830 et 1840 de la transposition de Nerval, étant donné leur diffusion dans les cercles littéraires », m’indique Capucine Echiffre, doctorante à l’Université de Nantes, que je remercie pour ses renseignements sur diverses « traductions » de la chanson de Goethe.

[57] L’effet dominant pour un lecteur d’aujourd’hui de « ternaires romantiques » en 4‑4‑4 est ici de pertinence métrique, sinon rythmique, incertaine. La seule chose métriquement certaine est que ces vers sont de mètre 6‑6, produisant, en contrepoint avec le parallélisme sémantique, un faisceau de rejets équivalents à la césure : c’est « à ce Dieu », « à lui…, à lui…, à lui », qu’il faut venir, martèlent ces rejets. Le rejet « à ce Dieu » n’induit pas de 4v final ; le triple rejet sémantiquement équivalent « à lui » ne forme, en un sens, qu’un seul et même rejet.

[58] Ne pas confondre les parties (sémantiques) du poème signalées dans l’édition et les pièces métriques (distinguées par analyse métrique). La 4e pièce métrique de Magnitudo parvi n’est que le début de sa partie « IV » (sémantique).

[59] La coïncidence du nombre 2 des vers du distique unique et du nombre des feux ne me paraît pas significative (mais qui sait ?).

[60] De cette préférence paradoxale, Martinon (1912) a proposé une ingénieuse et séduisante explication : Hugo jeune aurait été impressionné par les stances de la Jeune Captive de Chénier. Cette jeune femme supposée inconnue est désignée par le pronom « elle » signifiant le sexe féminin, par lequel la stance et le poème se terminent en cadence « féminine »,  convenant à une tonalité élégiaque. – Il semble que Hugo ait longtemps imité ce rythme sans l’associer forcément à une telle tonalité, par exemple, justement, à la fin de Magnitudo parvi.

[61] Même technique de transition de cadences dans À Olympio, poème antérieur dans Les voix intérieures), avec un ab‑ba cadencé fm‑mf au lieu d’un a‑a comme dans Magnitudo parvi. Il s’agit de passer d’une suite de ab‑ab (C6 C6) masculins (propos du sujet-poète) à une série de quatrains de même forme, mais féminins (réponse de son double Olympio) ; la seule inversion des cadences distingue les voix du poète et de son double dans cette double série de stances au rythme spécial. Là encore, la stance unique (en ab‑ba sans clausules) est narrative.

[62] De même que pour mesurer une longueur d’onde (physique) il n’est pas nécessaire de décider arbitrairement à quel point de l’ondulation chaque période commence et finit, de même pour sentir la longueur de l’ondulation des douzains et septains, il n’est sans doute pas nécessaire d’avoir l’impression qu’ils se regroupent systématiquement en paires.

[63] Soit de l’ordre du double de la longueur de chacune des deux longues phrases des deux premières parties de 3.3 Saturne ; de plus, à la différence de ces dernières, la longue phrase de Magnitudo parti II  progresse de manière suspensive (en attente d’une proposition principale).

[64] La réunion des deux parties des Contemplations en un seul tome (ou même seulement partie d’un unique ouvrage) oblitère cet effet.