GROUPE HUGO

Université Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 18 mars 1995

Présents : Delphine Gleizes, Valérie Presselin, Jean-Marc Hovasse, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Arnaud Laster, Pierre Laforgue, Marguerite Delavalse, David Charles, Ludmila Wurtz, Josette Acher, Gabrielle Chamarat, Christine Cadet, Anne Ubersfeld, Bernard Leuilliot, Myriam Roman.
Excusée : Valérie Papier, Florence Naugrette.


Informations

En librairie

* L'anthologie de travaux critiques réunis par Guy Rosa, Victor Hugo, "Les Misérables", Klincksieck, «Parcours critique», vient de paraître.

* L'édition des Contemplations par Pierre Laforgue, en GF, est sortie.

* Guy Rosa nous signale un article de Pierre Larthomas sur la conception de la langue chez Victor Hugo, publié dans le dernier numéro (86) de Romantisme.

Cinéma, expositions, spectacles

* Le film de Claude Lelouch, Les Misérables du XXème siècle, sort mercredi.

* Jean-Marc Hovasse offre à la Bibliothèque le catalogue de l'exposition-vente de certains dessins de Hugo, qui se tenait à Bruxelles. (Rappel : Jean-Marc Hovasse a publié un ouvrage intitulé Victor Hugo chez les Belges).

* Le samedi 6 mai à 15h et 20h30, représentations de la pièce de J.M. Hovasse Coups de théâtre, comédie polyptyque en cinq actes, en vers et en prose pour trente acteurs, 11 place du cardinal Amette, Paris 15ème. Réservations : J.M. Hovasse, 15 rue Lakanal. 48.56.19.47. (voir feuille ci-jointe)

Un sondage...

Arnaud Laster a entendu à la radio que d'après un sondage publié dans Le Figaro Magazine, Victor Hugo est pour 49 % des personnes interrogées, l'écrivain français le plus populaire, loin devant La Fontaine (38 %). A. Laster précise cependant qu'il aurait aimé voir le journal et connaître précisément la question posée ; il rappelle en effet que la célèbre exclamation de Gide («Victor Hugo, hélas !») répondait à la question : «Quel est votre poète préféré ?»

Courrier

* Guy Rosa communique le résultat des recherches de Mme Chenet (voir feuilles ci-jointes)


Intervention de Jacques Seebacher sur la topographie des Misérables

* Jacques Seebacher rappelle l'utilité de la géographie et distribue les cartes qu'il a établies des lieux dans Les Misérables, en travaillant à partir de cartes des régions françaises, de plans divers faisant mention des noms de rues dans les communes avoisinant Paris, etc. Il nous rappelle que seul Marius-François Guyard, pour l'édition Garnier, a fait des recherches sur les noms de lieux et de personnes dans le roman de Hugo. J. Seebacher nous invite alors à suivre avec lui les traces de Jean Valjean, de Myriel et de Fantine. (voir les quatre cartes jointes au compte rendu)

1) Carte de Montfermeil (voir la carte) :

J. Seebacher a découvert que la mise en place topographique de Montfermeil est d'une exactitude référentielle absolument remarquable. Montfermeil est situé sur un plateau, entre deux vallées, entre la Marne et l'Ourcq. J. Seebacher a relevé une seule inexactitude dans le livre «Accomplissement de la promesse faite à la morte» (II, 3) : en toute logique l'ordre du voyage aller aurait dû être Gournay / Neuilly-sur-Marne et non l'inverse (II, 3, 6).
Jean Valjean vient de Chelles, abbaye royale de la plus haute importance, puis il monte vers l'église de Montfermeil. (De nos jours, la rue qui passe au travers du bois vers la source de Cosette s'appelle la rue de la Fontaine de Jean Valjean.) A l'époque et aujourd'hui encore, l'endroit où Cosette va chercher de l'eau s'appelle le Fond de l'Abîme. Toute la scène se passe dans la forêt de Bondy où Charles VI est devenu fou.
Quand Jean Valjean et Cosette quittent la maison des Thénardier, ils tournent d'abord à gauche vers Gagny, puis vers Clichy sous-bois, vers le nord (II, 3, 10).

2) Carte de Paris (voir la carte) :

Jean Valjean, arrivant de Montfermeil ne rentre pas par la barrière de Montreuil (ce qui aurait été logique), mais par celle de Monceaux car il se sent traqué (II, 3, 11).
Pourquoi Fantine, qui souhaite aller à Montreuil-sur-mer, au Nord, vient-elle à passer par Montfermeil qui est à l'Est de Paris (I, 4, 1)? Parce que dans sa détresse, elle se trompe de Montreuil ! et passe par la barrière de Montreuil (aujourd'hui Montreuil-sous-bois).

3) Carte de France (voir la carte)

«Le numéro 9430 reparaît, et Cosette le gagne à la loterie» (II, 3, 11) : Jean Valjean à Toulon sort près du Cap Brun ; c'est à Balaguier que le bagnard peut se mettre en civil ; on le retrouve ensuite au hameau des Pradeaux, puis vers Grand-Villard, mais aussi dans Les Pyrénées (Accous ?) et dans les environs de Périgueux. Grâce à un ami, J. Seebacher a découvert aux environs de Périgueux un lieu nommé Les Brunies (une maison, peut-être une maison et un château) dans les environs de Périgueux : la topographie du roman est parfaitement renseignée.

4) Carte de Digne (voir la carte)

La totalité des lieux qui apparaissent dans le 1er livre des Misérables («Un juste») peuvent être repérés sur une carte. L'histoire de Cravatte se passe au col de Larche (vers l'Italie), à la limite du territoire de Myriel : l'évêque est en train de sortir de son diocèse (I, 1, 7).
Quand Jean Valjean arrive à Digne (I, 2, 1), il vient des Gorges du Verdon, mais comme Fantine, il n'a pas choisi le plus court chemin ; il est passé par Grasse (I, 2, 3) et a pris la route Napoléon (que Napoléon vient de prendre en débarquant de l'île d'Elbe). Puis brusquement Jean Valjean quitte la route Napoléon et descend toutes les Gorges du Verdon pour reprendre la route de Brignoles (I, 2, 1). Cette distribution de lieux réels figure une constellation secrète qui croise les destins de Napoléon et de Myriel : Jean Valjean quitte la route Napoléon pour prendre une route dangereuse, à l'écart de la route Napoléon et du «Joug de l'Aigle» (I, 1, 7) : entre ces deux points se trouve l'évêque. Cravatte se trouvait à l'Est ; Jean Valjean au sud ; la topographie dessine une croix. Chavailles se trouve ici, et non dans les Pyrénées comme le place Hugo (II, 3, 11).
J. Seebacher nous propose de revenir à Périgueux ; nous lisons l'extrait de La France pittoresque consacré à cette ville ; la rubrique «Curiosités» mentionne une «Source de l'Abîme» au Nord-Ouest de Périgueux. On peut aussi rêver, ajoute J. Seebacher, sur le toponyme des Brunies, qui au singulier donne La Brunie (Labrunie...).
La Source de l'Abîme à Périgueux, ou le Fond de l'Abîme à Montfermeil, correspondent à l'itinéraire de J. Valjean qui est toujours un parcours sur les marges : les lieux qu'il parcourt sont souvent frontaliers ou se prolongent dans les profondeurs. On pourrait parler d'une épopée du monde caché ; Jean Valjean manque toujours d'être obligé de se sauver, contraint à s'exiler. En outre, il est sur les traces, dans les lieux mêmes de Myriel qui a été un émigré.
A. Ubersfeld souligne alors à quel point le territoire fondamental et mystérieux de Myriel est l'Italie (I, 1, 1).


Communication de Gabrielle Chamarat sur Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, de Sainte-Beuve. (voir texte joint)


Discussion

Anne Ubersfeld : — Ce qui m'a frappée en lisant les extraits que vous avez fait circuler, c'est que Sainte-Beuve se bat sur deux fronts : d'une part il affirme au début de la pensée XVIII une idée subjectiviste, d'autre part il approuve les recherches formelles. Sa théorie ne serait-elle pas confuse ?

Gabrielle Chamarat : — En fait, non. Comme je l'ai dit, les pensées de Joseph Delorme sont ordonnées suivant une progression; on part d'une poétique et on ouvre peu à peu à une philosophie de l'intime la justifiant.

A. Ubersfeld : — Je me demandais également dans quelle mesure la note 1 de la page 131 n'était pas un épigramme visant Hugo.

G. Chamarat : — Non. Ici, c'est Victor Cousin. Les deux fronts sur lesquels Sainte-Beuve se bat sont d'un côté les néo-classiques, de l'autre l'École de Genève.

Bernard Leuilliot :— Peut-on mettre des noms et des titres sous ce que Sainte-Beuve nomme l'École de Genève ?

G. Chamarat : — Stendhal est nommé.

G. Rosa : — curieusement comme poète lyrique et rêveur.

G. Chamarat : — Ici, mais pas ailleurs: je n'ai photocopié que quatre "pensées" sur dix-huit. Autant les poètes néo-classiques sont faciles à identifier (Delille...), autant le problème de l'École de Genève est plus délicat ; ce sont en fait Mme de Staèl, les libéraux. Mais paradoxalement il n'y a pas de poètes.

B. Leuilliot : — Ce que vous avez dit du matérialisme m'a fait songer à Hugo, auquel on reproche le matérialisme de ses images.

G. Chamarat : — Oui, ce que l'on cherche à signifier par le terme de matérialisme, c'est l'idée d'une organicité qui ne cherche pas Dieu. Ce qui est important dans les pensées de Joseph Delorme, c'est que Sainte-Beuve réhabilite la subjectivité.

B. Leuilliot : — Je dirais que la subjectivité est ici le contraire du pittoresque.

G. Chamarat : — Oui, elle se définit comme quelque chose qui part de la sensation, du fameux «rayon jaune».

G. Rosa : — Dans la pensée XVIII, Sainte-Beuve procède par glissements logiques : dans la première partie, le fond est du côté de la nouvelle école ; dans la deuxième, Sainte-Beuve retourne les choses pour dire que, lorsque le poète n'a rien à dire, il s'intéresse aux formes uniquement et que ce n'est pas si mal après tout.

G. Chamarat : — Mais la pensée de Sainte-Beuve n'en est pas incohérente pour autant, car le propre de sa réflexion est justement de parler selon une dialectique fond/forme.

G. Rosa : — Hugo situe précisément le monde idéal en dessous du monde réel ; Sainte-Beuve me semble hésiter et le situer tantôt au-dessus («au-delà des phénomènes»), tantôt au-dessous («sous ce monde apparent»).

G. Chamarat : — Lorsque Sainte-Beuve parle d'«au-delà des phénomènes», il retranscrit le point de vue des philosophes.

B. Leuilliot : — La difficulté à formuler une poétique claire concerne toute l'époque et tient à la question primordiale du langage : les rapports entre les mots et la pensée ne sont pas perçus avec clarté. L'apparente incohérence de ce que dit Sainte-Beuve me semble un très intéressant symptôme de ce malaise de toute une époque.

Peut-être aussi ne faut-il pas oublier que Sainte-Beuve attribue ces réflexions à un personnage de fiction : le cas Joseph Delorme lui permet ainsi de proposer une étude clinique sur les problèmes d'un poète en 1829.

G. Chamarat : — La pensée de Sainte-Beuve ne me semble pas incohérente ; il ne faut pas oublier que dans les "pensées" J. Delorme parle d'abord au nom du Cénacle. Cette incohérence attribuée à la pensée de Sainte-Beuve a justement été une des raisons qui ont fait que trop longtemps les critiques l'ont négligée.

B. Leuilliot : — Dire que la pensée de Sainte-Beuve se heurte à des apories est une manière de réhabiliter cette pensée, dans la mesure où ses apories sont significatives d'une crise passsionnante : il peut y avoir une vérité de la confusion. Ce qui m'intéresse le plus dans cette œuvre de Sainte-Beuve, c'est l'idée de rapporter sans cesse un modèle théorique à un cas empirique évoqué par la fiction.

G. Chamarat : — Oui, à condition de préciser que le cas de Joseph Delorme n'est pas un cas unique et pathologique, mais, comme l'a montré Barbéris, représente toute une génération. Ce que vous appelez "vérité de la confusion" n'est pas sans rapport avec une cohérence textuelle possible que j'ai essayé de montrer.

A. Ubersfeld : — J'ai été frappée par le contraste entre le ton biographique à la fin de la pensée XVII, et le ton plus grandiloquent au début de XVIII.

G. Chamarat : — La fin de XVII est justement le court et l'unique passage où Sainte-Beuve parle de sa propre poésie.

Josette Acher : — Cette biographie du poète est ancrée dans le social, et le montre comme représentatif d'une génération. On peut penser à Ymbert Galloix.

G. Rosa : — Je me demande d'où vient le débat sur l'impuissance du langage ?

G. Chamarat : — Sainte-Beuve s'en prend à la rhétorique néo-classique ; il essaie de dégager le langage poétique des conventions qui excluent toute espèce d'invention.

B. Leuilliot : — Oui, mais ce faisant, il retombe dans la rhétorique, comme Hugo d'ailleurs, car il y a là une aporie. Elle serait surmontable si l'on admettait que les mots ne sont pas des signes...(la suite se discutera dans un prochain déjeuner entre Gabrielle Chamarat et Bernard Leuilliot).


Compte rendu du 11 février : errata

p. 3, le paragraphe qui commence par «J. Seebacher précise que dans les années trente» : — l. 1-2 : les structures intellectuelles sur lesquelles se fondent les socialismes (et non la «Gauche» comme il est écrit) procèdent d'un retournement des structures héritées de Joseph de Maistre et de Bonald.

— l. 6-7 : L'Ami de la religion et du Roi devient L'Ami de la religion après 1830 (et non l'inverse comme je l'avais écrit)

Myriam Roman


Nota bene

Le temps a manqué pour donner lecture d'une brève communication d' Yves Gohin consacrée à Cosette, l'origine de son nom et sa parole: "Deux raisons d'être appelée Cosette". On la trouvera ci-après, avec une autre carte de géographie hugolienne. Qu'on me permette d'en souligner l'intérêt et d'en remercier l'auteur en mon nom et au vôtre.

Le temps a manqué aussi pour entendre la communication de Pierre Laforgue sur Le Curé de village comme "intertexte" des Misérables. Il accepte -et je l'en remercie- de la remettre à la prochaine séance, celle du 8 avril, où nous écouterons aussi Florence Naugrette exposer les principales conclusions de sa thèse (sur la mise en scène contemporaine du théâtre de Hugo).

Pour ne pas trop charger cet envoi, déjà lourd (à quand "L'Année hugolienne"?), je reporte aussi au compte rendu suivant l'envoi d'une étude sur Vacquerie, que Jean Malavié a eu l'amabilité de m'autoriser à reproduire pour le Groupe Hugo.

Enfin, je m'empresse de remplir la mission, que Jean-Marc Hovasse me confie, d'annoncer la possibilité de se procurer:
- le catalogue de dessins de Hugo mis en vente par la "Galerie L'Homme qui rit" (avec Hovasse on ne sait jamais si c'est bien sérieux) au prix de 100FF. (Place des Barricades, 4 / B- 1000 Bruxelles. Tél. (19 32 2) 218 63 67.
- ainsi que, pour les plus jeunes, un T-shirt noir sur lequel est écrit, en blanc:

CHOSE INOUÏE
C'EST AU-DEDANS DE SOI
QU'IL FAUT REGARDER
DEHORS

Une seule taille (grande); prix: 120FF; même adresse.

G. Rosa


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa ; 94, rue de Buzenval, 75 020 Paris.