Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"
Présents : Guy Rosa, Florence Naugrette, Arnaud Laster, Josette
Acher, Rouska Haglund, Vincent Wallez, Sylvie Vielledent, Myriam Roman, Junia
Barreto, Françoise Chenet, Jean-Pierre Vidal, Chantal Brière, Jean-Marc
Hovasse, Delphine Gleizes, Sandrine Raffin, Marie Tapié, Agnès Spiquel,
Colette Gryner, Stéphane Mahuet, Stéphane Desvignes, Vital Philippot,
Jean-Paul Papot, Fabien Musitelli, Marguerite Delavalse, Claude Rétat, Valérie
Presselin.
Excusés : Bernard Degout, Franck Laurent, Claude Millet, Denis
Sellem.
-Félicitations à Delphine Gleizes
qui a soutenu sa thèse le 29 novembre dernier -dans un grand recueillement,
très studieux- et encouragements à Jean-Marc Hovasse qui la soutiendra le
samedi 18 décembre après-midi, amphi 56 A, Paris 7.
[NDLR après la bataille :
torride! La salle était "chauffée". Chacun des six actes a été
bien applaudi.]
-Valérie Presselin soutient sa thèse sur “ Orphée chez Ballanche ”, dirigée par Jean Delabroy, le vendredi 28 janvier 2000, matin, à Paris 7, salle des thèses.
-Guy Rosa présente Claude Rétat, que certains connaissent déjà, et dont on a déjà annoncé la publication du livre : X ou le divin dans la poésie de Victor Hugo à partir de l’exil, CNRS Editions, 1999.
-Evelyne Blewer soutient sa thèse sur la pratique théâtrale de Hugo le vendredi 17 décembre à 9h à Paris 12.
Pour
éveiller la curiosité et contrebalancer l'effet de l'heure et de l'éloignement,
G. Rosa en résume les grandes lignes. La thèse est constituée de deux
parties. La première, à propos d’Hernani, est consacrée à l’étude
des transformations du texte (de la communication du manuscrit à la censure
aux reprises de 1867 puis 1877). Tantôt de sa propre initiative, tantôt pour
tenir compte de telle critique ou de telle réaction du public ou des acteurs,
Hugo a beaucoup changé son texte, en modifiant ou supprimant plusieurs
centaines de vers. Le détail et l'histoire de ces changements est l'objet du
travail de Mme Blewer pour qui il existe un Hernani de théâtre (lui-même
changeant) comme il existe pour certaines pièces de Claudel une version théâtrale.
A ceci près que les écarts sont beaucoup moins grands et que Hugo a
clairement désavoué le texte joué en 1830 dans une note assassine de l’édition
Renduel de 1836. Jusqu’en 1867, on joue donc un texte tronqué et falsifié ;
Vacquerie laisse la Comédie-Française jouer celui dont elle dispose - le
fameux "manuscrit du souffleur", dont E. Blewer donne l'édition- en
faisant pourtant les corrections exigées par le public lui-même, qui avait
lu le texte originel et le demandait à grands cris: “ lion ” à
la place de “ seigneur superbe et généreux ” etc. Le texte, à
nouveau rectifié, joué en 1877, s’en rapproche encore davantage. Une des
conclusions de E. Blewer est que Hugo accepte plus facilement les corrections
sur les mots que celles sur les "idées", en particulier politiques.
La deuxième
partie fait le récit de la crise des théâtres en 1848-1849 (pas de
spectateurs, obligation de demander des "secours" à la République)
et sur l’intervention de Hugo dans cette crise. Mais le travail de Mme
Blewer déborde cet objectif et en vient à rendre compte de la manière dont
Hugo accède à la députation. Sa candidature est provoquée par un mouvement
corporatif, né dans les associations d’auteurs et comédiens (que désigne
le titre du discours "aux cinq associations d'art et d'industrie" -6
en réalité-, dans Actes et paroles). La question jusque-là obscure
des motifs de Hugo (ambition, envie, rivalité avec Lamartine ou générosité
et souci pur du bien public ?) est résolue : ni l'un ni l'autre,
mais l'effet d'une situation où comptent sa notoriété, son audience très
large, un position politiquement peu marquée et acceptable par tous. Autre découverte,
tirée des comptes rendus inédits des réunions de ces associations (la SACD
en particulier) : Hugo était un homme d’institution avec beaucoup
d’autorité et de sens des situations.
J. Acher :
Il avait l'expérience de la Chambre des Pairs.
G. Rosa :
Elle était surtout mondaine.
F. Chenet :
Alexandre Dumas s’est présenté dans le même type de conditions…
G. Rosa :
Comme Félix Pyat. Mais Dumas n’a pas été élu.
A. Laster :
Ils sont sur la même liste que Hugo, avec Halévy, à la première élection
à la Constituante.
G. Rosa :
A la première, aucun n’est élu. A la seconde, Hugo et Pyat sont élus.
A.
Laster : Il aidait beaucoup les autres et était très efficace : il
a trouvé pour Berlioz un poste de bibliothécaire au Conservatoire.
G.
Rosa : On se rend compte aussi que, dans ce groupe de personnalités du
monde des spectacles, les orientations politiques étaient très floues ou
divergentes. La position mal définie de Hugo est à rapprocher de celle de ce
milieu -au moins, car les choses n'étaient pas beaucoup plus claires
ailleurs; les clivages politiques ne se font que plus tard.
A.
Laster : La liste est frappante parce que les candidats sont tous représentatifs
d’un métier artistique spécifique, avec des orientations soit plus républicaines,
soit plus bonapartistes.
G. Rosa a transmis les projets ou les avis du groupe à Nicole Savy pour le musée d’Orsay et à Philippe Régnier pour l'équipe 19° de Lyon et l'Ecole Louis Lumière, qui les ont accueillis sans problème.
- Guy Rosa rappelle les dates des conférences du jeudi soir à l’auditorium
du musée d’Orsay (18h30) susceptibles d’intéresser les hugoliens :
le 6 janvier, “ Musset, le retour de l’enfant du siècle ? ”,
par Frank Lestringant.
le 13 janvier, “ Hugo et les Girardin : stratégies d’exil. ”
par Jacques Seebacher.
le 27 janvier, “ Le coucher du soleil romantique ”, à propos de
Baudelaire et Hugo, par André Guyaux.
- S. Raffin annonce un récital de poésie de Fred Personne à la Maison de la Poésie, du 13 janvier au 19 février, qui mêle Hugo, Aragon, Anna de Noailles, Robert Desnos, Paul Eluard…
- A. Laster regrette d'avoir vu jusqu'au bout La Reine écartelée, adaptation d’Amy Robsart (F. Naugrette et S. Vielledent, n'en pouvant plus, sont parties avant -bien avant- la fin). Adaptation “ épouvantable ”. A. Laster rappelle que ce texte, peu connu, est bien de la main de Hugo : Journet a réglé la question. Quand Hugo affirme que seul le 5ème acte est de lui - façon de parler -, c’est pour revendiquer son originalité. De fait, la pièce constitue un laboratoire de recherche pour le théâtre futur.
-Seul également à être allé au Raincy voir un spectacle musical adapté des Misérables par Emmanuel Touchard, A. Laster en revient plus content : à la fin, ovation aux acteurs et musiciens, lancés dans une farandole révolutionnaire du plus beau rouge. Un "phénomène" sans doute rendu possible par le succès de Notre-Dame de Paris. L'adaptation elle-même tranchait dans le texte “ à coups de serpe ”, et la musique sentait son Schönberg (l'autre), malgré des moments à la Kurt Weill.
-Personne n’a vu l’Intervention, au Labo, signalée par M. Tapié. V. Wallez précise qu’il semblerait n’y avoir sur l’affiche que trois acteurs et non quatre (peut-on seulement jouer ainsi la pièce ?), ce qui panique A. Laster, qui s’y rend le soir même. Il cite - pour se rassurer ?- le précédent fameux de Vitez employant 8 acteurs pour les 27 rôles des Burgraves.
-A. Laster propose des places pour le Freischütz de Weber et signale le parallèle entre cette œuvre et l’Epée, sujet d’un mémoire de maîtrise de Paris 10, par Mlle Weil. Mais elle avait cru que Weber avait pu lire l’Epée, alors que c’est l’inverse, puisque le texte n'a été publié qu'après la mort de Hugo.
- Reprise de Lucrèce Borgia à Saint-Maur le 22 janvier, dans la mise en scène de Jean Martinez, avec Marie-José Nat. Cet honnête spectacle avait été donné au théâtre Mouffetard.
- Une version pornographique de Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Pigalle sur le câble (TPS), tard le soir, en ce moment (A. Laster).
G. Rosa réoriente la discussion sur le théâtre de Banville, que J.-M. Hovasse cite dans sa thèse et semble donc avoir lu. Qu'en est-il ?
J.-M. Hovasse : On connaît Gringoire. Pourle reste, ce sont des pièces courtes, assez ressemblantes au Théâtre en liberté.
A. Laster : A-t-il eu du succès ?
J.-M. Hovasse : Gringoire a été joué une semaine ou quinze jours à Compiègne, c’est court.
G. Rosa cherche, sans succès, un lecteur du célèbre Tragaldabas.
A. Laster : Il a beaucoup écrit... Après avoir vu Tannhäuser, Baudelaire écrit que ç’a été sa plus grande jouissance musicale, et, après les Funérailles sur l’honneur que c’était sa plus grande jouissance théâtrale.
G. Rosa : Coup monté.
J.-M. Hovasse : Pas sûr : dans un article sur Tannhäuser, Baudelaire le rappelle.
A. Laster : Vacquerie et Meurice sont des personnages intéressants.
G. Rosa évoque avec émotion le bel ancien temps où il y avait trois thèses en cours sur Hugo (Pierre Albouy : la poésie, Jacques Seebacher : le roman, Annie Ubersfeld : le théâtre) et une pour chacun des "auteurs" de l'entourage : une pour Léopold, une pour Charles, une pour François-Victor, etc… C'était la grande époque de la thèse d'Etat.
A.
Laster : Vacquerie écrit bien et est un très bon journaliste.
A. Spiquel : Il rassemble un choix de ses chroniques dans Aujourd’hui
et demain, paru en 1875. C’est une grande plume de l’époque, salué
par toute la presse, beaucoup plus que Meurice. Sa poésie - Mes premières
années de Paris - n’est pas inintéressante (J.-M. Hovasse fait une
moue dubitative).
A. Laster : Lockroy aussi.
A. Spiquel : Ses démonstrations sont limpides.
G. Rosa : Mais il donnait des coups de pied à Hugo tout vieux !
A.
Laster : C’est ce qu'on dit les calottins de la famille de Hugo,
car Lockroy était très anticlérical.
A. Spiquel : Pelletan a une verve extraordinaire et c’est un régal de
lire le Rappel (A. Laster approuve).
A. Laster, ému : Il était daté selon le calendrier révolutionnaire -et,
à côté, la date du calendrier julien.
Parenthèse
J. Acher fait un rectificatif au titre de sa thèse tel qu’il est donné
dans Dix-neuvième siècle : il faut lire son sous-titre “ Prélude
au XXème siècle ” et non “ au XIXème ”.
G. Rosa rappelle aux jeunes docteurs d’envoyer un résumé de leur thèse
(soutenue) pour le Dix-neuvième siècle, à Eric Bordas (Paris 3). Il
propose d'envoyer résumé de thèse sur “ La fortune littéraire de Tragaldabas ”.
Vacquerie rebondit.
A. Laster : Tragaldabas a eu un succès d’estime.
G. Rosa : Il restera dans la mémoire des siècles.
J.-M. Hovasse : Une édition de luxe a été publiée…
A. Laster : La pièce a suscité beaucoup de curiosité, de la part de
personnes très diverses. Mais a-t-elle eu du succès auprès du public ?
G. Rosa : Nous manquons d'études érudites …A. Laster : Oui, car
Hugo lisait les œuvres de son entourage. Et qui a lu le Cochon de
Saint-Antoine de Charles Hugo ? G. Rosa : Bernard Leuilliot, je
crois.
F. Chenet : Ce texte, très lisible et qui annonce Flaubert, est dans
Massin. Charles Hugo l’a écrit en rapport avec la Légende du beau Pécopin…,
qui était pour lui la plus atypique des productions de Hugo.
J.
Acher : La “ métaphysique de l’art ” dont vous parlez
est-elle véritablement réservée à une élite ?
F. Chenet : C’est l’expérience elle-même - celle de la
contemplation- qui est réservée à une élite, aux hommes grands.
G. Rosa : Pas besoin d’aller sur les hauteurs pour contempler le beau.
Et l’on ne peut pas parler d’“ expérience ”, du moins au
sens moderne, mais plutôt d’“ entreprise ”.
Les montagnes sont utilisées pour la métaphore
de la variété plus que pour l’inaccessibilité du génie, que
n’atteindraient pas ceux qui ne sont pas encordés.
F. Chenet : La montagne représente effectivement la totalité, les précipices,
bref la variété dans l’un, principe hugolien. Font partie de la variété
les expériences multiples que l’on peut faire en montagne.
C. Rétat : C’est le principe du pic du Midi : il faut s’éloigner
pour le voir. C’est du visuel pris dans le temps.
F. Chenet : Le génie est la montagne. Plus qu’une expérience,
c’est une “ aventure ”.
M. Roman : L’analogie, puisque c’en
est une, entre la nature (ses merveilles, son gigantisme) et l’œuvre
d’art est un lieu commun de la pensée romantique, déjà chez Mme de Staël.
Elle sert à exprimer la valeur du génie en opposition à une littérature de
la moyenne, de la médiocrité. L’utilisation de ce parallélisme entre
nature et art fonctionne dans une polémique contre la critique
journalistique.
F. Chenet : Effectivement, nous avons ici une analogie, et je l’ai
montré ailleurs à propos du Mont analogue de René Daumal, qui se réfère
à une lettre de Hugo. Ce n’est pas seulement un stéréotype, si l’on
compare à ce qu’en dit Senancour.
A. Laster : Qu'en est-il de la phrase
prêtée à Leconte de Lisle, disant Hugo “ bête comme l’Himalaya ” ?
J.-M. Hovasse : Hugo la note sur ses Carnets en 1872, donc
après William Shakespeare, en ajoutant que “ bête ” lui
convient.
C. Rétat : Il écrit “ Ce mot ne me déplaît point ”.
G. Rosa : Hovasse a une curieuse hypothèse
sur la suite de cette note. Hugo y renvoie, sans beaucoup d'esprit, à L'Ecole
des femmes : "Et de Monsieur de L'Isle il prit le nom pompeux".
Mais cette banalité, pour Hovasse, cache une allusion plus cruelle à la
disposition chez Leconte de Lisle à tomber amoureux des filles de ses maîtresses.
A. Laster : Dans la version que Pierre Albouy donne de l’affaire,
Leconte de Lisle prend la défense de Hugo.
C. Rétat : Il a affirmé que sa formule était un compliment.
G. Rosa : La réponse de Hugo à la critique de bêtise est beaucoup plus
ancienne et elle est faite au moins deux fois dans William Shakespeare.
C. Rétat : Je suis frappée par l’utilisation
de l’expression “ coup d’état ” à propos d’esthétique.
Existe-t-il d’autres dérives du vocabulaire politique de cet ordre ?
F. Chenet : Oui, sans doute. Le mot “ parlementaire ” est
employé assez curieusement, lorsqu’il est lié à “ académique ”.
C. Rétat : Etre parlementaire serait donc négatif ?!
G. Rosa : Dans “ Ce que c’est que l’exil ” également :
"il est bon d’être tombé…tout est permis à qui tout est défendu;
vous n'êtes plus contraint d'être académique et parlementaire".
C.
Rétat : Comment imaginer cette dissociation des valeurs de la
tribune et de l'art?
C. Brière : Lorsqu’il décrit des lieux politiques, lieux faits par
l’homme, Hugo insiste sur leur géométrie, qui est le squelette de l’art.
C. Rétat : L'ambiguïté peut s'expliquer quand il s’agit de la
Convention.
F. Chenet : Il y aurait une opposition à faire entre algèbre et géométrie.
G. Rosa : Si l’on se reporte à la préface de Cromwell et à la formule fameuse : “ Le goût, c’est la raison du génie ”,
on ne peut guère soutenir que le goût est sensuel. Kant développe à peu près
la même idée en disant que le jugement esthétique est un jugement sans loi,
idée sans doute difficile à concevoir et oxymorique mais analogue à celle
contenue dans la formule de Hugo. Le goût relève bien d’un jugement de la
raison, mais qui procède différemment. Le jugement n’est pas suspendu,
comme l’a dit Françoise Chenet.
D. Gleizes : Dans ce sens, on peut reparler de l’importance de la
lacune, qui est une sorte de test par suppression de ce qui constitue une
entité. L’expérimentation de quelque chose de beau est faite, mais sans
loi.
G. Rosa : A propos du trou, que l’on se souvienne de cette phrase de
Woyzeck, qui dit l’essence du sentiment amical : “ Ami, si tu veux,
je ferai pour toi un trou dans la nature ”.
En revanche, je suis moins d’accord avec l'anti-intellectualisme que Françoise
Chenet prète à Hugo; on ne peut pas affirmer que, pour Hugo, l’abstrait
est "volatile".
F. Chenet : Hugo ne refuse pas l’intellectualisme, lui qui se dit “ philosophe
du concret, peintre de l’abstrait ”. Il ne refuse pas non plus
l’abstraction, qu’il tire du concret, mais il a la volonté de les traiter
dans un même mouvement, sans les opposer. Car cette opposition n’existe pas
telle quelle dans la nature.
G. Rosa : Dernière objection : vous dites que Hugo refuse le côté
rigide et dogmatique des règles.
F. Chenet : Mais peut-il exister des règles molles ?
G. Rosa : Non, justement. Les règles tout court sont refusées par Hugo.
C’est l’idéologie contemporaine qui s'efforce soit de dissimuler soit
d'affaiblir la nécessaire rigidité de la loi.
F. Chenet : Hugo refuse l’enfermement, le cadre, que définissent (au
sens étymologique) les règles.
G. Rosa : Non, vous revenez à votre première position.
F. Chenet : Hugo propose d’expérimenter l’ordre sans règles,
c’est-à-dire le chaos.
G. Rosa (répétant ce qu'il a dit à la
soutenance de Delphine Gleize): Le plus surprenant chez Hugo est l’absence
de jugement négatif : il ne fait pas la critique des défauts des uns et
des autres, ni ne pose l’un de façon relative par rapport à un autre. De là
peut-être aussi, en partie, les encouragements universels donnés à tous les
écrivains qui s'adressent à lui.
J.-M. Hovasse : Il dit tout de même que Horace est moins grand qu’Homère…
G. Rosa : Certes. Le vrai problème est dans la juxtaposition de deux catégories
de classement esthétique dans William Shakespeare. Dans la première
seraient les génies, distingués de tous les autres, et égaux (sans plus ni
moins), dans la deuxième les autres, "très grands, moins grands".
La hiérarchie, rejetée hors du domaine de l'art, s'y réintroduit ainsi.
S. Mahuet : Goethe est dans la deuxième catégorie.
G. Rosa : Or c'est bien, dans le texte, l’art, qui est la région des
égaux, pas le génie.
Tous : Non, pas l'art, le "grand art".
G. Rosa: Peu importe. Est-ce que Hugo parle du "petit art"?
Tous: Il dit "le grand art". (On vérifie et l'on trouve:)
"Le grand Art, à employer ce mot dans son sens absolu, c'est la région
des égaux… Nous disons l'art comme nous disons la Nature… L'Art est la
branche seconde de la Nature..."
Perplexité générale.
V. Wallez : On trouve de nombreux emplois du mot
“ talent ”. Un certain nombre d’écrivains sont estimés à
l’aune du talent ou du génie. Hugo ne méprise pas ceux qui n’ont que du
talent.
F. Chenet : Ce sont plutôt des faire-valoir des génies.
V. Wallez : Hugo sait que la critique est bonne, même dans sa médiocrité.
J.-M. Hovasse : Mais il est vrai qu'il ne fait jamais de commentaires négatifs
aux poètes, il exprime seulement des restrictions idéologiques.
G. Rosa : Et Goethe n’est pas condamné parce qu’il écrit mal.
A. Spiquel : Comme Mérimée. Hugo joue le jeu du grand homme.
G. Rosa : Il ne critique pas les défauts des écrivains.
S. Desvignes : Et Racine ?
J.-M. Hovasse : Hugo dit du mal de Sainte-Beuve.
A. Laster : Il critique Iphigénie.
M. Roman : Il critique l’idéologie sous-jacente à la transformation
du récit par Racine, au nom de la représentation sociale. Il ne s’agit pas
d’une critique de la forme.
G. Rosa : Ni d’une critique esthétique.
A. Spiquel : Elle est d’ordre esthétique lorsqu’elle porte sur la
langue de Racine.
A. Laster : “ Sur le Racine mort, le Campistron pullule. ”
J. Acher : C’est finalement un compliment pour Racine.
G. Rosa : C’est un rejet pur et simple de Campistron, qui n’est pas
comparé à Racine. Hugo émet des réserves sur l’idéologie de Corneille
et Molière.
V. Wallez : En particulier dans le Conservateur littéraire. Peut-être
y a-t-il une distinction à faire entre les auteurs vivants et les morts.
A. Spiquel : Dante est au-dessus de Pétrarque : il établit au
moins une hiérarchie et fait des critiques négatives.
M. Roman : Non, mais il y a une hiérarchisation.
G. Rosa : Cela pose problème : ils ne sont pas rejetés de l’art.
M. Roman : Une certaine quantité d’art doit être en eux.
A. Laster : Que l’on pense à l’image des 100 degrés : cela
bout ou pas; mais il y a des degrés.
G. Rosa : L’image des 100 degrés sert à définir l’art comme tout
ou rien. Il n’existe pas d’art moins grand. La vraie difficulté est que
l’art est défini par l’absolu. Que devient le relatif ?
M. Roman : Il y a une "quantité d’absolu".
G. Rosa : Ca n'arrange rien. Une échelle de valeur reste impossible.
A. Laster : Hugo établit quelque part une opposition entre le talent et
le génie.
G. Rosa : La même difficulté logique se pose face à la Révolution, ce
moment où l’histoire est en contact avec l’absolu. Peut-on seulement
penser plusieurs révolutions ?
Du point de vue de la logique abstraite, il est très difficile de concevoir
l’existence d’un petit art, de même que l’existence d’une pluralité
de génies dans la région de l’absolu et de l’infini (c’est-à-dire
Dieu). Mais il en va de même pour la "finalité sans fin".
F. Chenet : Dans “ Zoïle aussi éternel qu’Homère ”,
Voltaire est critiqué parce qu’il est critique, et non pas en tant
qu’auteur reconnu.
V. Wallez : Hugo apprécie davantage le Voltaire politique que l’écrivain.
Déjà à l’époque, son théâtre…
F. Chenet : Hugo refuse la critique qui émane d’un autre auteur.
G. Rosa : Ce n’est pas ce qu’il écrit à Baudelaire : “ Dans
tout grand poète, il y a un critique. ”
F. Chenet : Il accepte le jugement critique, en particulier sur sa propre
œuvre. Il s’oppose à la critique négative, petite ; il ne faut pas
dire de mal.
J.-M. Hovasse : Mais il a dit du mal de Musset, “ petit poète
crasseux ”, et du bien de Vacquerie.
G. Rosa : Reste tout de même, surtout en
comparaison des contemporains, un refus de la critique négative, qui est cohérent
et inclus dans sa doctrine esthétique. La transformation du goût en opération
de la raison est également nouvelle, et ne va pas de soi : c’est le
contraire de l’appréciation sensuelle.
F. Chenet : Mais dans [les Traducteurs], ne rattache-t-il pas le
goût à la fois au jugement et à l’appréciation des sens ?
Hugo veut dire que le goût est la règle, le principe de fonctionnement de la
raison (J. Acher approuve). Il définit le génie ; il est sa nature. Et
Hugo écrit que le goût est un estomac.
G. Rosa : Il faut le comprendre en ce sens : le goût ne fait pas la
fine bouche, le goût est un appétit.
Bonnes fêtes de fin d’année, meilleurs vœux, bon siècle et bon millénaire.
Sandrine Raffin
Equipe "Littérature et
civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2
place Jussieu, 75005
Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.