Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"
Présents : Anne Ubersfeld, Jacques Seebacher, Arnaud Laster, Florence Naugrette, Bertrand Abraham, Josette Acher, Myriam Roman, Sylvie Vielledent, Valérie Presselin, Jean-Marc Hovasse, Sandrine Raffin, Chantal Brière, Véronique Charpentier, Junia Barreto, Jean-Pierre Vidal, Denis Sellem, Stéphane Mahuet, Rouschka Haglund.
Excusés : Guy Rosa, Philippe Andrès .
Jean-Marc Hovasse présente les excuses de Guy Rosa, qui sest rendu aux obsèques
dAnnie Prassoloff. Ce jour est aussi celui de lanniversaire de Jacques
Seebacher : il précise que Juliette Drouet, également née le 10 avril, a été
déclarée le 11. Adèle II, quon pense née en juillet 1830, est en réalité du 24
août, jour de la Saint-Barthélémy, comme cela a été établi depuis peu.
Jacques Seebacher fait un appel à la solidarité des membres du groupe pour épauler -en
tant que de besoin- Myriam Roman, qui commence un travail " historique, philosophique
et donc romanesque " sur la peine de mort et la prison, autour de Claude Gueux
et du Dernier Jour dun condamné. Toute information, problématique ou
factuelle, est bienvenue (on peut téléphoner directement à M. Roman au 01 40 47 67 26).
Jacques Seebacher signale la parution dun livre tout à fait remarquable de Bruno Clément, Le Lecteur et son modèle, PUF (Ecriture), 1999, dont un chapitre traite de Victor Hugo et William Shakespeare. Lauteur se fonde sur le système de " lénarration " : lécrivain est étudié dans le miroir de ses sources, quil récupère et remodèle.
Peu de membres du groupe ont vu Lucrèce Borgia et Quasimodo del Paris
(ou ils nosent pas le dire). Arnaud Laster est allé voir la pièce, quil a
appréciée tout comme Junia Barretto et Jean-Marc Hovasse.
C. Millet : Dans le Monde, larticle sur le film était vengeur : il
reprochait au réalisateur de camper Esmeralda en bourgeoise, tout en mettant en valeur le
caractère baroque du roman hugolien. En revanche, dans son numéro sur Hugo, le Nouvel
Observateur népargne que le théâtre.
A. Laster : Cette position est nouvelle : auparavant, on acceptait tout, sauf le
théâtre.
J. Seebacher : On nacceptait rien du tout - Hugo était grotesque, ridicule, mauvais
-, hormis aux yeux de quelques esthètes.
A. Ubersfeld : Quand ?
J. Seebacher : Après la guerre de 1914.
A. Laster : Cétait surtout les maurassiens.
J. Seebacher : Un des premiers signes de la résurrection de Hugo a été le numéro
dEurope de 1935, avec un article dAlain.
A. Ubersfeld : Ce nest pas tout à fait exact. Il existait, j'en ai entendu l'écho
dans mon enfance, une tradition socialisante pour Hugo, représentée par exemple par
Maurice Bouchard qui lui consacre un des dix volumes de sa Vie profonde, avec
extraits et analyses très sérieuses. C'est dans la culture bourgeoise, celle du lycée,
que Hugo était juste touché du bout du doigt.
J. Seebacher : La récupération fondamentalement populaire de lidée mythique de
Hugo nest pas fausse : lopération canadienne de Plamondon et Cocciante
nest pas méprisable, elle relève dune mode. La position à la fois
populaire, antiraciste et socialisante qui s'appuie sur les révélations de Hugo dans les
mythes de Quasimodo, Esmeralda ou dans Les Misérables (re)devient rentable.
A. Laster : Même Quasimodo del Paris, dont jattendais le pire,
ma étonné. Il ne sagit pas du tout dune parodie destructrice.
J. Seebacher : Cest une transposition ?
A. Laster : Oui, et parfois assez réussie. Frollo est nettement meilleur que
dhabitude.
Marie Tapié signale dans le dernier numéro de Studio (n° 144, avril 1999, p. 144-145) un article sur le nouveau film de Régis Wargnier, Est-Ouest : on y verra une représentation de Marie Tudor avec Catherine Deneuve, inspirée de celle de Vilar.
C.Millet souhaite revenir quelques instants sur le projet évoqué la dernière fois. Le
problème de la direction de cette entreprise se pose : Anne Ubersfeld ne souhaitait pas
sen charger et nous avons préjugé de notre capacité de travail. Peut-être
quArnaud Laster
?
A. Laster : Pourquoi ce projet ne reste-t-il pas collectif ?
C. Millet : Il faut un fédérateur et un interlocuteur unique vis-à-vis de
lextérieur.
A. Ubersfeld : Je men serais chargée, quelques années auparavant.
C. Millet : Guy Rosa s'est engagé à s'occuper de la partie administratives et
financières. Mais nous avons besoin de quelquun pour penser le projet et organiser
la distribution du travail. Peut-être devons-nous revoir notre projet pour 2002 , qui
doit rester collectif. Nous nallons pas refaire une édition des uvres comme
en 1985 et le projet d'une biographie serait tentant mais Guy Rosa n'a peut-être pas tort
de penser qu'une biographie de Hugo est une oeuvre personnelle, demandant une sensibilité
et un style. Nous nallons pas non plus recopier élégamment Decaux et Juin. A moins
de se découper le travail
J. Seebacher : Il reste pourtant de nombreux points à préciser sur ses connaissances et
ses amours.
C. Millet : Il faut envisager un projet de remplacement spécifique - outre le colloque -
si nous ne trouvons pas de responsable qui puisse organiser les recherches et penser la
mise en forme du CD-ROM. Après tout, les gens lisent le Nouvel Observateur.
A. Ubersfeld : Pourquoi pas la poésie de Hugo à travers le XIXème siècle ? On peut
imaginer une histoire de la poésie au siècle dernier autour de son uvre.
C. Millet : Cest la thèse de Jean-Marc Hovasse !
J.-M. Hovasse : Une partie.
C. Millet : Je propose un sujet de colloque sur Hugo et le journalisme : Hugo journaliste,
Hugo et les journaux, les journaux et Hugo
J. Seebacher : En faisant appel à Jean-Claude Fizaine et à Chartier.
A. Ubersfeld : Cela constitue un bon sujet de colloque. Mais nous sommes trop tentés
danalyser les retombées extérieures de luvre de Hugo. Et si on se
recentrait sur lécriture ?
A. Laster : Je demande réflexion pour le projet de CD-ROM. La première étape est de
convoquer une réunion de toutes les personnes intéressées pour faire une mise au point.
F. Naugrette : Il est nécessaire que quelquun prenne complètement la direction des
opérations.
J. Seebacher : Et sans hésiter à faire un coup de force. Sans Guy Rosa, lédition
Bouquins nexisterait pas. Certains tomes, Roman I et II et Poésie III sont déjà
épuisés et ne seront pas réimprimés.
A. Laster : Cest une grave lacune : cette situation va peut-être se débloquer en
2002.
J. Seebacher : Les éditeurs ne veulent plus de livres avec de nombreuses notes : ils
préfèrent des préfaces brillantes et alléchantes au début dun petit ouvrage.
J. Seebacher: A propos des romans de Hugo, et de Notre-Dame de Paris, il faut
signaler limportance de linfluence dun historien, Pierre Matthieu, et de
son ouvrage, Histoire de Louis XI. Cet historiographe de Henri IV et Louis XIII a
bouleversé la langue en utilisant les techniques du grotesque et de la fantaisie pour
écrire de lhistoire. Selon lui, la nation, fondamentalement populaire, repose sur
la question de la poétique de la langue, plurielle, quelle dépouille de ses
carcans.
A. Ubersfeld : Mais que devient le travail de la Révolution pour lunification de la
langue ? Cette articulation entre poésie et histoire constitue la vision de
lépopée de Hugo, avant les Petites Epopées.
J. Seebacher : Avant de demander " avez-vous lu Victor Hugo ? ", il faut
demander : avez-vous lu Pierre Matthieu ? Et avant 1830, Hugo lisait beaucoup de Mathurin
Régnier. [angoisse muette sur tous les bancs]
L'encyclopédie mystérieuse
Arnaud Laster précise que A Victor Hugo Encyclopedia - ouvrage en anglais, de John
Andrew Frey - nest pas encore publié car lauteur est mort avant davoir
pu corriger les épreuves. Confié aux soins dun exécuteur testamentaire, il
devrait sortir au printemps. John Frey a publié un livre sur Les Contemplations,
en développant un point de vue différent de celui de Jean Gaudon. Arnaud Laster, à qui
John Frey avait demandé une préface, a lu les épreuves et a proposé différentes
corrections. Ne peut-on envisager que ce livre ait déjà été publié (J. Seebacher) ?
Il porte la date de publication de janvier 1999 sur le site Web de la librairie
internationale " amazon.com " (S. Raffin). Mais Arnaud Laster aurait dû être
prévenu. ["suite de l'énigme" à la prochaine séance]
A la question de Jean-Marc Hovasse sur la forme de cette encyclopédie, A. Laster répond
quelle adopte lordre alphabétique, comme celle de Philippe Van Tieghem,
rééditée.
C'est là, dit Jacques Seebacher, un très bon petit livre, remarquable de netteté, de
mon ancien professeur. Il a dailleurs formé la plupart des maîtres, dont René
Pomeau. Philippe Van Tieghem a proposé un petit recueil de morceaux choisis de Victor
Hugo chez Hachette, avec une clarté pédagogique extraordinaire, un Musset complet et un Musset
par lui-même au Seuil, ainsi quun ouvrage sur le théâtre au XIXème siècle
(Anne Ubersfeld). Il appartient à une grande famille duniversitaires : son père,
Paul Van Tieghem, a fondé la littérature comparée et son grand-père, Philippe Van
Tieghem, a été le bras droit de Pasteur, tous les deux athées, républicains et
humanistes parfaitement distingués.
Hugo et la bourgeoisie
Arnaud Laster revient sur une formulation de Myriam Roman dans sa communication
précédente : " Lévolution de lhomme Victor Hugo peut donc se décrire
comme une désolidarisation progressive davec la bourgeoisie au fur et à mesure que
celle-ci renie la république et un rapprochement vers le peuple, lidéal hugolien
(et petit bourgeois) étant une république qui refuse dappréhender la société en
termes de classes " (p.3). Cet idéal hugolien date-t-il davant 1850 ou
caractérise-t-il tout son parcours ?
Myriam Roman : Jai résumé ici la formule de Guy Rosa (dans son article " Hugo
en 1848 : de quel côté de la barricade ? "), mais lidéal de Hugo évolue
surtout entre 1848 et 1850. La suppression des classes est toujours à son horizon.
A. Laster : Votre phrase pouvait laisser penser que Hugo refusait les classes
elles-mêmes. Dans William Shakespeare, en 1864, Hugo revient sur ses positions
politiques : " La transformation de la foule en peuple ; profond travail. Cest
à ce travail que se sont dévoués, dans ces quarante dernières années, les hommes
quon appelle socialistes. Lauteur de ce livre, si peu de choses quil
soit, est un des plus anciens ; le Dernier jour dun condamné date de 1828 et
Claude Gueux de 1834. Sil réclame parmi ces philosophes sa place, cest
une place de persécution. " (Ed. Robert Laffont, Bouquins, tome Critique, " Les
Esprits et les Masses ", pp. 390-391).
J. Seebacher : Cest la position des bourgeois.
A. Laster : Journet faisait remarquer que dès lexil le peuple constituait pour Hugo
une classe antagoniste de celle de la bourgeoisie, qui ne linclut pas.
J. Seebacher : Dans le Dictionnaire de la Conversation de 1834-36, à
larticle " Bourgeoisie ", on trouve de quoi justifier ce discours : elle
ne doit pas agir à son bénéfice (ce quavait fait laristocratie), mais
constituer le peuple comme peuple sinon elle sera balayée. Elle revendique son statut de
" classe ouverte " (voir Marx), mais cette revendication est démentie par
lhistoire. Durant lexil, Hugo tente de récupérer le mot " socialisme
" pour arrêter le discours antidémagogue de 1848-1849 : cette position stratégique
remarquable ne change rien à sa position de classe comme personnalité. Le Hugo de la
Troisième République, le Hugo de lavenue dEylau, cherche des points
dunion entre les groupes socialistes (ou anarchistes) et les fractions les plus
éclairées de la bourgeoisie voire de laristocratie, dont les anciens pairs de
Louis Philippe comme dAlton-Shée ou de Boicy. Dans sa biographie de Musset,
Lestringant traite de ces personnages qui rejoignent les socialistes sur le thème de la
République universelle.
A. Laster : Il ne faut pas oublier que Les Misérables ont été écrits avant
lexil. Hugo sest livré à un travail subtil dadaptation du texte des Misères
à sa position daprès lexil.
J. Seebacher. Cest vrai. Et La Guerre aux démolisseurs en est un autre
exemple : Hugo justifie sa nouvelle édition sous prétexte que lancienne était
pleine de fautes dimpression. En réalité, il fait de très nombreuses corrections
pour retoucher ses positions ultra, anti-bourgeoises et anti-républicaines, comme sa
réponse véhémente à Paul-Louis Courier. Sur la peine de mort (dans Le Dernier
Jour dun condamné), Hugo a une position identique à celle de Chateaubriand,
Montalembert et Lamennais, des ultras -du moins des monarchistes- qui, pour des raisons
sociales et religieuses, sont ennemis de la peine capitale. Entre 1832 et 1834, Hugo
écrit Claude Gueux, dont la fin est extraordinaire de ralliement évangélique.
A. Laster : Il le réaffirme en 1848. Mais il ne le dirait plus en 1850.
J. Seebacher : La question religieuse est omniprésente dans Châtiments : elle
donne le diapason de lécriture hugolienne.
A. Ubersfeld : Et son sens.
Hugo et Gambetta
A. Laster : La position de Vacquerie est radicale : contrairement à Hugo, il ajoute
lathéisme à lanticléricalisme.
J.-M. Hovasse : Hugo est caricatural dans les livres de Vacquerie.
A. Laster : Ses éditoriaux du Rappel (dont la bibliothèque possède le microfilm,
incomplet) ne sont pas caricaturaux. Ils sont importants car ils nous donnent une idée
des opinions de Hugo au moment où il nécrit plus.
J. Seebacher : Il est alors bloqué par sa famille. Vous souvenez-vous des personnes qui
suivaient immédiatement le cercueil lors des funérailles ? Georges, bien sûr, et
Robelin, qui est un camarade du jeune Hugo, architecte et franc-maçon. Pour cette raison,
il a été accueilli dans la famille, mais Hugo na jamais vraiment été
franc-maçon. Jean Massin a analysé cette relation comme la source de la documentation
ésotérique de Hugo.
A. Laster : On sest trompé en classant Hugo comme gambettiste car toute la
politique du Rappel est radicale, anti-Jules Ferry et aussi anti-Gambetta. Que
lon se reporte à la ligne éditoriale de Vacquerie et Lockroy.
J.-M. Hovasse : Ils sont plus radicaux que Hugo, surtout parce que plus violemment
anticléricaux.
A. Laster : Cela paraît difficile.
J. Seebacher : Les renseignements sur Hugo à la préfecture de Police sont classés dans
la rubrique "menées radicales".
A. Ubersfeld : Depuis le début, depuis le Dernier Jour dun condamné, et
jusque dans les années 1860, Hugo est paradoxal car il développe dans ses textes
théoriques des positions opposées en apparence à celles des textes de fiction. Que
lon compare ce quil dit de la bourgeoisie dans les deux cas, à partir des Misérables.
On retrouve cette dichotomie chez Gide.
A. Laster : Avec lexil, on a une impression de rapprochement entre les positions
explicites et luvre.
Rectificatif
Denis Sellem rectifie le titre du film attribué au réalisateur Axel Clévenot : il faut
lire " Droits dasile " et non " Droits dexil ".
Arnaud Laster dédie à la mémoire dAnnie Prassoloff cette intervention, dont il précise qu'elle a été proposée au colloque de Dijon.
A. Ubersfeld : La banalisation de lespace théâtral est la conséquence dun
problème technique et matériel, au XIXème comme au XXème siècle : il est impossible
de changer six fois de lieu au cours dune représentation. La couleur locale ne peut
plus être quune couleur locale extérieure. Deux possibilités soffrent au
metteur en scène : vider lespace ou tout montrer, mais elles sont impensables au
XIXème siècle. Doù les solutions bâtardes de lépoque.
A. Laster : Ce type dentreprise nest-il pas possible aujourdhui ?
A. Ubersfeld : Oui, mais cela reste très cher.
J. Seebacher : Cest pour ça quon a inventé le cinéma.
A. Ubersfeld : La fin du XVIIIème siècle a lutté contre la banalisation de
lespace théâtral : le décor de Mithridate, à Versailles, était
esthétique vase de fleurs et lumière - mais pas réaliste. Et la mise en scène
par Vilar de Marie Tudor était extraordinairement visuelle.
A. Ubersfeld : Les didascalies de Hugo sèment toujours la confusion. Vilar, en montant Marie
Tudor, les avait respectées.
F. Naugrette : Il y a deux sortes de didascalies, les unes essentielles au sens et les
autres plus accessoires, dont on peut ne pas tenir compte.
A. Laster : On a tort de croire que le respect des didascalies relève du traditionalisme.
A. Ubersfeld : Le drame romantique a été victime de ses didascalies. Et la technique
théâtrale nétait pas capable de les assumer.
C. Millet : Et il a été mal reçu par la critique.
A. Ubersfeld : Les mises en scène de Hugo dans les années 1840-1850 étaient
épouvantables pour ces raisons-là.
A. Laster : Je maccommode de formes très différentes de mise en scène, même
dun rideau noir et dun décor unique, si dautres moyens sont mis en
uvre.
A. Ubersfeld : Des moyens visuels, justement. Le drame élisabéthain utilisait des moyens
visuels riches, sans être décorativiste.
A. Laster : Il faut entendre le décorativisme comme un système qui a le décor comme fin
en soi, constitué en objet de plaisir esthétique indépendemment de la pièce.
J. Seebacher : Actuellement, applaudissons-nous le décor au lever de rideau ?
F. Naugrette : Jamais !
A. Laster : Cela est arrivé récemment, à lOpéra de Massy-Palaiseau pour La
Flûte enchantée. Mais il sagit sans doute d'un comportement inspiré par celui
des enregistrements télévisés dans le titre Au théâtre ce soir.
Bertrand Abraham : On a applaudi les costumes de Kenzo à lOpéra Bastille.
A. Laster : Le reproche que je fais au décor spectaculaire mais unique de Mesguish est
quon s'en lasse, une fois passé létonnement.
J. Seebacher : A lépoque de la parodie dArnold Mortier, Le Patron
samuse, en 1879, les patrons ont compris quils avaient besoin du
prolétariat. Lamnistie des communards constitue ainsi un principe de
réintégration du prolétariat dans la nation.
A. Laster : Je doute que sur ce point la parodie reflète la réalité.
C. Millet : La pratique de transposition est liée au vedettariat actuel du metteur en
scène, qui se fait voir à travers ses choix, comme Jonathan Miller. Elle joue comme
signature : on va moins voir une pièce ou un auteur que son metteur en scène.
A. Laster : Ponnelle, au début des années quatre-vingt, utilise tous les moyens du
cinéma dans sa mise en scène de Rigoletto. Il a lu Le Roi s'amuse et
sen inspire dans les détails ; son modèle cinématographique est le Satyricon.
J. Seebacher : Pour Les Burgraves, Jean Gaudon, pourtant amateur de théâtre,
préfèrerait une version cinématographique.
A. Laster : Bernard Leuilliot, lui, se méfie de la représentation théâtrale.
J. Seebacher : A partir de la dénégation de Jean Vilar, le théâtre est devenu mental.
Cela allait de pair avec ce que Jean-Bertrand Barrère appelle la " cure
damaigrissement du roman ".
Arnaud Laster commente ensuite sa contribution au programme de Rigoletto à
lOpéra Bastille, saison 1996-1997 ( "
Un roi qui samuse est un roi
dangereux ", pp. 47-58). Dans une lettre à son librettiste Piave, Verdi écrit :
" Triboulet est un personnage digne de Shakespeare ". Il ne faut pas se fier à
lidée répandue quil a transfiguré une mauvaise pièce en la transposant. De
plus, Verdi et Hugo font cause commune contre le Théâtre Italien.
Il est étrange de noter la corrélation entre la mauvaise réception des pièces de Hugo
et la mise en question de leur qualité intrinsèque : comme elles souffrent des
oppositions de la critique, elles sont considérées comme mauvaises. La solution de
lécrivain maudit ne semble pas fonctionner pour Hugo : le refus de ses uvres
nen fait pas un génie incompris.
La transposition de Verdi modifie les données de la pièce de Hugo : lorgie
disparaît de lopéra (doù lintérêt de la mise en scène de Ponnell).
Le personnage de Gilda, marqué par la simplicité, soppose à Blanche, très
complexe, à la fois précoce et naïve, capable de dire " mourir ayant si froid
". Certains spectateurs ont refusé cette naïveté. De la même façon, lorsque
Catarina dit sa peur de mourir dans Angelo, tyran de Padoue, mis en scène par
Barrault, les spectateurs ont réagi en ricanant. Or cette phrase, " Ciel, il va me
faire bien du mal ! " est loin dêtre une faiblesse de Hugo. Chez Verdi, Gilda
est plus héroïque. Luvre renvoie davantage à Eschyle quà Shakespeare
: la mort de Blanche ressemble à celle dAgamemnon.
Les audaces du grotesque sont atténuées dans lopéra : les plaisanteries, les
insolences de Triboulet comme ses traits dhumour noir disparaissent.
Lopposition est marquée entre la dimension populaire de Triboulet, entouré par le
peuple à la fin, et la solitude de Rigoletto. Verdi choisit de faire constater par
Rigoletto laccomplissement tragique de la malédiction ; il suit en cela la préface
a posteriori de Hugo , mais il fait oublier que la malédiction na pas pour
seul destinataire le bouffon. Le personnage le plus altéré est le duc, successeur du
roi. Le drame résulte de lamusement du roi : Hugo a été très audacieux de
prendre François 1er - fondateur du Collège de France, protecteur des Arts et
des Lettres - comme figure de roi, et den donner une mauvaise image. Lopéra
en fait un libertin touché par lamour. Est-ce une concession à la censure ? Au
dernier acte, Verdi fait disparaître lillusion du régicide. Mais on ne peut pas
parler dédulcoration ou de trahison de la pièce de départ.
A. Ubersfeld : La richesse du personnage du duc, par rapport à la faiblesse de son texte,
est dans la musique, comme pour Gilda. Verdi passe du Roi samuse à un niveau
proprement musical.
A. Laster : Le livret, dès la création, a été lobjet de nombreux changements
tandis que la musique a été tout de suite établie définitivement. Tantôt la fin a
été modifiée : lhéroïne ne meurt pas et cest la Providence quon
invoque, tantôt le personnage du duc est un arriviste qui mène deux cours à la fois.
Une autre adaptation, Lionello, montre le méchant puni et le bouffon en honorable
père de famille qui reproche au prétendant de ne pas tenir sa promesse dépouser
sa fille. Dans une autre version, la fille est remplacée par une maison
Sandrine Raffin
Prochaine séance
Samedi 29 mai : communication de Sylvie Vielledent sur les parodies dHernani.
Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.