Présents : Guy Rosa, Florence Naugrette, Arnaud Laster,
Philippe Andrès, Bertrand Abraham, Josette Acher, Rouschka Haglund,
Myriam Roman, Vincent Wallez, Sylvie Vielledent, Anne Ubersfeld, Jean-Marc
Hovasse, Delphine Gleizes, Valérie Presselin, Maxime Del Fiol, Marguerite
Delavalse, Sandrine Raffin, Hélène Labbe, Véronique
Charpentier, Junia Barreto, Jean-Pierre Vidal, Claude Millet, Marieke Stein,
Stéphane Mahuet, Florence Codet, Sarah Jacquet.
Excusés : Jacques Seebacher, David Charles, Ludmila Wurtz,
Marie Tapié.
Après la présentation de Junia Barreto et de Mme Charpentier, la première travaillant, en doctorat sous la direction de Mme Mireille Sacotte à Paris III, sur la figure du monstre dans les uvres romanesques et théâtrales de Hugo et la seconde ayant travaillé, en maîtrise sous la direction de P. Barberis, sur limage de la Monarchie de Juillet dans Les Misérables et, pour le DEA, sur Chateaubriand, Guy Rosa annonce le colloque " Lécrivain et limaginaire au pouvoir au XIXème siècle ", à Montpellier, du 19 au 21 novembre : laprès-midi du dernier jour est consacré à Victor Hugo, avec les interventions de Pierre Laforgue, David Charles, Jean-Pierre Vidal et Patricia Mines.
Un autre colloque vient de se tenir à Tours, sur Paul-Louis Courrier et la traduction, avec deux communications hugoliennes : une de Myriam Roman qui portait sur la représentation de la langue à partir de la préface à la traduction de Shakespeare par François-Victor et du texte dit "Les traducteurs" ("reliquat" de William Shakespeare), l'autre de David Charles sur les idiomes et idiolectes dans les romans de Hugo. Ces deux interventions seront sans doute communiquées ultérieurement au groupe Hugo. Mis à part un texte de Henri Meschonnic, Ce que Hugo dit de la langue, le sujet a été peu traité : une sémiologie (ou une sémiotique) générale hugolienne reste à écrire (G. Rosa) -mais la thèse de Delphine Gleize aborde largement la question.
Pour Sylvie Vielledent, Stéphane Desvignes -et pour tous, Sylviane
Robardey communique les références exactes des ouvrages et
articles auxquels elle avait fait allusion:
-Iandoli, Louis John, The private theatre of Victor Hugo: a study
of the 'Théâtre en liberté' 1865-1869, Yale University,
1981 (AAC 8125682 Proquest Dissertation Abstracts);
-Ginestier Paul, "L'anti-théâtre de Victor Hugo", Revue
d'histoire du théâtre, 1985 (2).
-Thomasseau, Jean-Marie, "Pour une analyse du para-texte théâtral;
quelques éléments du para-texte hugolien", Littérature,
1984, n° 53.
* Une lecture de La Légende des siècles est donnée en ce moment par Michel de Maulne à la Maison de la Poésie, jusquau 20 décembre.
* Au musée dOrsay se tient une exposition de photographies de lexil à Jersey (jusquau 24 janvier), " Victor Hugo : en collaboration avec le soleil " et une autre à la maison de Victor Hugo, " Dans lintimité de Victor Hugo à Hauteville House " (photographies de Olivier Mériel, 1998, jusquau 24/01); invités à leur vernissage couplé par les soins de Nicole Savy, les hugoliens du Groupe s'y sont rendus en nombre.
* Dans le cadre de la seconde, est prévue une conférence
de Françoise Heilbrun, la commissaire de la première, le
jeudi 19/11 à 18h30, à la Maison Victor Hugo. La dernière
partie de lexposition d'Orsay, qui opère des rapprochements saisissants
entre dessins et photos, est, selon A. Laster, la plus réussie et
la plus belle. Les dessins de Victor Hugo continuent à sidérer
le public : ce qui fut peut-être du snobisme (volontiers hostile
à l'uvre: "il a raté sa vocation") est maintenant partagé.
Les portraits de Hugo donnent lieu à différents commentaires
qui paraîtraient oiseux une fois transcrits : laid, beau, ressemblant
à Baudelaire lorsque Nadar n'arrange pas les choses, etc. Que voulaient
faire voir les photographes de lépoque ? Anne Ubersfeld se dit
frappée par la tristesse du regard de Hugo dans les années
de Jersey .
Certaines photos présentent une double légende, et donc
une infinité dinterprétations possibles, comme ce " Victor
Hugo écoutant Dieu / Victor Hugo écoutant Phèdre
", dont on ignore lauteur ou les auteurs (A. Laster).
Arnaud Laster rappelle lexistence dun opéra de Carlos Gomez, Maria Tudor, sur CD. Il souligne les accents très hugoliens de lopéra de Zemlinsky, Le Nain (Der Zwerg), en ce moment au Palais Garnier. Ce nain, donné en cadeau à linfante dEspagne, ne s'est jamais vu dans un miroir et ignore tout de son apparence. Lhilarité quil provoque à chacune de ses arrivées reste un mystère pour lui : fable de la condition humaine pour A. Laster ou représentation de notre relation à lespace selon A. Ubersfeld, cet opéra, tiré dOscar Wilde, développe un thème profondément hugolien. Mais on peut également lire ce texte de façon autobiographique, Zemlinsky ayant du mal à saffirmer dans son siècle, au milieu des autres compositeurs comme Mahler (A. Laster).
A. Laster annonce diverses projections de films tirés de Notre-Dame de Paris, à la Vidéothèque des Halles, le mercredi à 13h45 : le 18/11, la version de Wilhelm Dieterle avec Charles Laughton, le 16/12, celle de Delannoy (avec Anthony Quinn et Gina Lollobrigida, sur une adaptation de Jacques Prévert), le 13/01 celle de Capellani, de 1911. Lentrée est fixée à 15F, à régler à A. Laster avant la projection.
Rectificatifs au compte rendu doctobre
Arnaud Laster précise, à propos des dénouements
laissés au choix des distributeurs, que seul est concerné
LHomme qui rit, film muet de Paul Leni. (Mais il est vrai que,
pour ses pièces à double fin, Hugo laisse également
le choix, quoique de manière implicite.) La version finale, sans
doute la meilleure tirée dune uvre de Hugo, qui a la particularité
doffrir des intertitres en français - et non en italien -, fut
présentée au festival de Cannes : elle provient de deux copies,
lune à Bologne, lautre à Paris. Cette version comporte
un dénouement heureux, où Gwynplaine rejoint Dea sur un bateau
qui les emporte au loin. La Cinémathèque donne en ce moment
ce film , restauré par ses soins : la salle était comble
et les spectateurs qui ne connaissaient pas le roman sortaient ravis.
Rectification aussi de ce qui concerne l'édition de Mangeront-ils?
par René Journet : lorsque deux versions coexistaient sur le
manuscrit, Journet a opté pour le texte de la ligne principale.
Il a ainsi donné non un état définitif du texte mais
le premier état de la mise au net.
(compte rendu donné sous toutes réserves: la discussion ayant été aussi vive que peu ordonnée, il est extrêmement ardu d'en rendre compte; d'autant plus qu'à l'écrit, le fil de certains échanges, perceptible sur le champ à la direction du regard ou du geste, est rompu; on a tenté de ne censurer ni de déformer aucune intervention, mais on reconnaît que la fidélité fait ici obstacle à la clarté.)
Evolution du grotesque et du sublime dans luvre
Anne Ubersfeld ne croit pas que le grotesque soit absent de William
Shakespeare et veut le prouver par la lecture d'un extrait; (G. Rosa
estime l'exercice peu convaincant : le ton donné au texte dépend
trop de l'interprétation; il faudrait citer les occurrences du terme
-et il est fort probable qu'on n'en trouverait aucune). Le grotesque subsiste
jusquau Théâtre en liberté compris: lesthétique
de Hugo ne subit aucun changement profond. Cela tient au caractère
même de ce grotesque hugolien, romantique, qui est toujours lié
à la mort (ce que Bakhtine lui reproche).
Claude Millet : La mort est extrêmement importante car elle constitue
le point de jonction du grotesque et du sublime. On peut y adjoindre deux
autres catégories nécessaires à laccès au
sublime, le mal (monstruosité ou difformité) et lhorreur
(qui contient, contrairement à la terreur, une dimension dabjection).
G. Rosa : Un objet (la guerre pour l'épopée) entre ordinairement
dans la définition d'un genre ou d'une catégorie esthétique;
la mort semble être plus un thème (non assignable à
un genre) qu'un objet.
A. Ubersfeld : La distinction entre les deux pose de grandes difficultés
théoriques.
Cl. Millet : Tout le temps, luvre de Hugo change : des lignes de
fracture se dessinent dès Napoléon-le-Petit.
A. Ubersfeld : A la fin du Roi samuse sont déjà
conjugués grotesque et sublime.
G. Rosa : Ils sont opposés dans la préface de Cromwell,
ce qui signifie quils sont bien distincts; l'idée proposée
par Jean-Pierre Vidal -qui est une idée neuve- est que, dans l'exil,
une partie du grotesque, celle qui offre de la grandeur, est absorbée
par l'épique qui est un élément du sublime -et donc,
évidemment n'entre plus en opposition avec lui. Les textes cités
par Vidal sont irrécusables: Dante et Callot, regroupés sous
la même catégorie du grotesque dans la
Préface de Cromwell, sont ici disjoints et affectés
à deux catégories esthétiques différentes.
A partir de lexil et des Châtiments, Hugo fait la distinction
entre un grotesque petit, représenté par Callot, et un grotesque
grand qui bascule du côté de lépique.
La question de la conjonction du sublime et du grotesque -comme deux
faces dune pièce de monnaie, précise Florence Naugrette-
est différente.
J.-P. Vidal : A chaque fois, la beauté est associée au
couple.
Cl. Millet : Lélément constituant de lépouvantable
beauté de la grandeur est surtout lhorreur, catégorie que
Hugo substitue à celle de la terreur.
A. Laster : Pourquoi cette substitution ? Sans doute parce que la terreur
est dans le tragique selon Aristote, et non dans lépique ; dautre
part, elle est trop connotée par la Révolution pour que Hugo
lutilise.
J.-P. Vidal : Un spectacle sublime est également horrible, donc
fait peur, comme le prouve son étymologie. Cette peur tient à
la grandeur de lobjet spectaculaire et est nécessaire pour quil
soit sublime.
Importance des " Fleurs " dans la relation grotesque/épique
A. Ubersfeld: Situé à un tournant de la production hugolienne,
au Second Empire, Les Fleurs, qui ont inspiré entre autres
Jean Genet, démontrent justement que le grotesque est lié
à la mort.
A. Laster : Les deux grotesques que Vidal distingue ont toujours coexisté,
depuis Bug-Jargal.
Cl. Millet (dans la suite d'une définition des catégories
esthétiques par les émotions produites plus que par la nature
des objets représentés ou les caractères de leur représentation)
: Il faut penser, depuis lexil, la triade grotesque/sublime, épique
et pathétique ; Hugo laffirme dans William Shakespeare :
" Il faut que lépopée pleure ". Ces trois fonctionnements
émotionnels, toujours différents dun texte à lautre,
travaillent cependant toujours ensemble, en interaction. On trouve également
réunis dans Les Orientales lhorreur et le sublime, lhorreur
étant une catégorie fondamentale de lépique.
A. Laster : Cest justement après lexil, et avant Les Fleurs,
que se met en place la formule clé de Hugo : le sublime est en bas,
et où il prend de plus en plus conscience du caractère subversif
de sa conception du grotesque.
Cl. Millet : Quant au grotesque, il reste en bas, du côté
du pouvoir : le carnaval de Notre-Dame de Paris nest-il pas payé
par la police ? Mais il ne faut pas privilégier les Fleurs,
qui nest pas un texte fondateur, mais un moment parmi dautres dune mise
en relation permanente de ces fonctionnements émotionnels.
G. Rosa : Le texte fondateur dune position épique de Hugo serait
plutôt Les Châtiments -voir L'Expiation; c'est
l'idée de Pierre Laforgue dans son article sur La vision de Dante,
l'épique dérivant, en quelque sorte, du prophétique.
J.-P. Vidal : Je me suis mal fait comprendre. Avec Les Fleurs,
Hugo nabandonne pas le grotesque, toujours lié au sublime, mais
son inspiration prend sa source dans la grandeur. Celle-ci fait passer
son écriture et son esthétique dune étape de polymorphisme,
marquée par le grotesque, à une pensée générique,
lépopée. Le grotesque est alors transfiguré, voire
change détat (au sens physique) sous laction du sublime, pour
devenir épique. Les Fleurs, par rapport aux Châtiments,
présentent un véritable basculement dans la définition
du sublime, qui se transforme et transforme la pensée hugolienne
de lépopée.
Cl. Millet : On peut considérer quelle existe déjà
dans Les Orientales et, pour le théâtre, dans Les
Burgraves.
Jean-Marc Hovasse : La dernière partie de L'Expiation
n'est pas exactement épique.
Bertrand Abraham : Peut-être faut-il considérer que les
procédés dexpression hugoliens sont indépendants
les uns des autres : les choix décriture discutés ici seraient
éclairés par des considérations deleuziennes, en faisant
jouer les concepts de déterritorialisation et de reterritorialisation.
Les différents traitements du grotesque et du sublime tiendraient
à ces deux orientations, la première allant vers le sublime
subversif (avec lexemple de la barricade hétéroclite) et
la deuxième vers le grotesque (en se concentrant sur un élément
précis, comme un visage).
Cl. Millet : Attention à ne pas faire de catégorisation
qui conclurait à un grotesque dynamique
A. Ubersfeld : Depuis la préface de Cromwell, Hugo a
affirmé la fusion du grotesque et du sublime dans le drame : ici,
elle devient fusion dans lépopée. La fin de la section V
de la préface est un art poétique qui démontre que
rien nest petit dit grandement (Homère) et que seule suffit la
compassion, mot clé du théâtre de Hugo.
Grotesque et pouvoir
A. Laster (dans la suite d'une grande circonspection, sinon d'un refus,
vis-à-vis de toute périodisation autre qu'idéologique
de l'uvre de Hugo) : Sans doute lévolution de la pensée
de Hugo est-elle moins esthétique que politique. En prenant conscience
de la conjonction entre art, écriture et politique (position sociale),
Hugo fait dun certain grotesque une des formes du sublime et lui imprime
un mouvement de démocratisation. Dans " Le livre épique "
(I ," La Révolution ") des Quatre vents de lesprit, il donne
un nouveau sens à ces catégories en faisant rire les mascarons
du Pont-Neuf, images des règnes successifs qui finissent à
la guillotine
La sublimation du grotesque devient un instrument de subversion
profondément démocratique, qui inclut même le petit,
le sale, le méchant. Dans La Légende des Siècles,
Le Sultan Mourad est en un exemple (d'ailleurs incompris, comme
le prouve l'histoire de la réception de ce texte).
J.-P. Vidal : Lévolution des catégories esthétiques
est effectivement politique : il n'est pas surprenant que lépopée
nouvelle formule permette de penser le monde de manière nouvelle
ou dérive de la nécessité de le faire -comme j'ai
cru l'indiquer.
A. Laster: Lauteur fait alors le choix de tenir un discours grand
sur tel ou tel objet, de dire le petit grandement, qui prend alors les
apparences du sublime.
C. Millet: Le grand et le sublime ne doivent pas être confondus,
tout comme on doit prendre en compte lambivalence de " petit ", qui reste
infime ou devient grand par la compassion. Il faut prendre garde à
ne pas simplifier les relations entre le grotesque et le pouvoir : dans
La Légende des siècles, le grotesque
se trouve autant du côté du discours libérateur
(Le Satyre) que du pouvoir aliénant (Le Crapaud
ou Sultan Mourad).
G. Rosa : Sans doute, mais sans doute pas l'épique. Le Satyre
met en scène précisément le passage à l'épique
du grotesque contenant de la grandeur. On peut le lire comme une représentation
narrativisée de l'opération théorique envisagée
par la communication de J.-P. Vidal.
Cl. Millet : Mais il arrive aussi, chez Hugo, que lhomme ne parvienne
pas au sublime -ou à l'épique- et soit finalement condamné
à en rester au grotesque, à l'absence de grandeur, à
l'impuissance. Dans Les Quatre vents de lesprit ce sont les "mascarons":
"Masque de Rabelais sur la face de Dante"; dans Les Travailleurs de
la mer; l'océan despotique représentant
toutes les formes du mal politique, dont la guerre, est une figure du sublime,
mais dun sublime qui, dit par lhomme, reste proche du grotesque; l'esprit
de la tempête finit par ressembler au roi des Auxcriniers. Lêtre
qui incarne la puissance meurtrière est la pieuvre, dont la description
est très curieusement semblable à celle du bouffon. Hugo
déplace ainsi lépopée de la guerre vers une épopée
cosmique où sont associés pouvoir, sublime et grotesque ("
pouvoir " ne doit pas être confondu avec " puissance ").
G. Rosa : Pour illustrer d'une autre manière ce que dit Vidal,
on peut observer que, dans Les Châtiments, la Cour des Miracles
a changé de valeur : elle image le pouvoir et non plus le peuple.
Il ne sagit pas pour autant dune anti-épopée : Vidal a
raison de critiquer cette idée (que nous avons reprise, Jean-Marie
Gleize et moi, à Albouy); elle permet de résoudre à
moindres frais le problème du passage du satirique à lépique
mais de manière finalement peu acceptable. En parlant d'épopée
à lenvers, on laisse en suspens la question la question à
la quelle on semble répondre qui est celle de la coexistence, dans
Châtiments, de l'épique et du
grotesque objet de satire. Mais Vidal ne la résout pas non plus
: une partie du grotesque est bien absorbée par l'épique,
mais qu'en est-il de l'autre? Ce qui est petit reste petit et il ne va
pas de soi qu'en accumulant du petit on fasse du grand -si du moins c'est
ainsi qu'il faut lire "assez de piloris pour faire une épopée".
J.-P. Vidal: Mais je n'ai pas non plus prétendu la résoudre.
A mes yeux, Châtiments n'est pas le lieu
de la résolution de la contradiction, mais de son apparition: le
moment de la mise en crise de l'esthétique et des catégories
antérieures. Elle ne sera résolue que plus tard, avec Les
Misérables en particulier où ce n'est pas l'Empire qui
est la matière de l'épique mais la misère -voir l'évocation
de la barricade Saint-Antoine: "c'était un tas d'ordures et c'était
le Sinaï".
A. Laster : Le choix de lépique sexplique par le refus de
la satire classique : pour être moderne, la satire doit contenir
dautres genres.
Cl. Millet (revenant, si l'on a bien compris, sur sa première
position) : Le texte des Fleurs, loin dêtre anecdotique,
est en réalité essentiel comme tous ceux écrits au
Second Empire : il consiste en une réponse directe à une
situation politique précise, où le pouvoir opère la
fausse sublimation de lui-même, sublimation perverse et illusoire.
Napoléon III, se mettant lui-même en scène comme héros
dépopée, neveu de son oncle, court-circuite le sublime et
le grotesque. Hugo est contraint de faire l'opération inverse :
de conjurer le risque dune héroïsation épique du régime,
en remplaçant limage héroïsée de lidéologie
dominante par celle du bandit ou du soldat foireux de la guerre de Crimée.
J.-P. Vidal : C'est exactement ce que je voulais dire. Hugo frôle
la contradiction lorsquil fait de Napoléon III un personnage de
son uvre, mais il en est conscient dès le début.
Claude Millet: Et le texte fut, effectivement, efficace dans lhistoire.
En cela, s'il n'était pas épique dans les formes, il l'est
devenu dans les faits.
Delphine Gleizes : Connaît-on la réception à lépoque
du grotesque et du sublime, tels que Hugo les théorise ? Démonte-t-il
le cliché du grotesque lié à la caricature, figure
de lécart, en décevant lhorizon dattente du public ?
A. Laster : Hugo névacue pas la caricature, qui reste cependant
lécueil suprême
J.-P. Vidal:
car elle est liée au grotesque.
" Dire le petit grandement "
A. Ubersfeld : Le grotesque nest pas dans lobjet, il est dans le regard
du poète. La préface de Cromwell présente une
histoire du grotesque : en 1860, le grotesque nest plus dans une perspective
historique mais dans labsolu du regard créateur du poète,
qui rêve dêtre Dieu. Lécriture du petit devient une
poétique.
A. Laster : Mallarmé lui-même fait dans sa correspondance
des concessions au non-sublime, se révélant presque hugolâtre.
G. Rosa : Nimporte quoi ne devient pas sublime, surtout pas Napoléon
III, malgré les opérations fallacieuses du Second Empire.
Dans l'esthétique et la philosophie hugoliennes, qui sont essentialistes,
les objets du monde ont des qualités et des caractères esthétiques
substantiels, réels, qui ne leur sont aucunement affectés
par le bon plaisir poète : il les dévoile et ne les invente
pas (ainsi dans Les Châtiments -et c'est bien ce que vous
avez montré vous-même, Annie, en étudiant la contre-théâtralisation
du tréteau). Hugo nest jamais relativiste.
A. Ubersfeld : Napoléon III peut devenir lobjet de la parole
sublime.
G. Rosa : Je ne crois pas, Hugo est ironique quand, dans Les Châtiments,
il évoque Thersite : " Thersite est le neveu dAchille Péliade
" (v. 11, VI, I, " Napoléon III ",p. 139 Ed. Bouquins, Poésie
II). Cette affirmation est fausse et vaut par antiphrase. Mais elle prend
le contre-pied de lautre référence à Thersite, -elle
aussi versifiée- dans Les Fleurs : " Homère est dans
Thersite autant que dans Priam " (p. 543, Ed. Bouquins, Critique). Dans
la préface de Cromwell, le personnage
de Thersite était invoqué comme exemple de l'antinomie entre
l'épique et le grotesque, la petite place réservée
à Thersite témoignant de cette incompatibilité entre
eux. La formule des Fleurs dit exactement l'inverse; mais celle
de Châtiments reste dans la ligne de la Préface
et même la durcit : rien à faire, Thersite n'est pas le
neveu du Péliade (où l'on entend Iliade). Cette difficulté,
qui reste entière, signale -pour répéter Vidal- la
crise quintroduit la nouvelle situation concrète du grotesque dans
le Second Empire. Le seul personnage susceptible de devenir un héros
épique est Napoléon 1er ainsi que l'affirme fortement
la page des Misérables qui procède
à l'explication de texte de Châtiments et justifie
rétrospectivement, tant bien que mal, son bonapartisme (démenti
par Enjolras) : la justice divine a été assez délicate
pour ne faire se rencontrer ni Tacite et César - ni Hugo et Napoléon.
A. Ubersfeld : Mais Homère traite Thersite très mal
M. Roman : Il faut rétablir les différents lectures que
le XIXème siècle fait des classiques, selon deux orientations
principales. La première consiste à lire de façon
ridicule la référence à lAntiquité (Napoléon
III en Thersite), la deuxième à la transposer en (faux) épique
comme dans les uvres dOffenbach. Ce type de pratique prend son origine
dans les exercices scolaires de lépoque, ni originaux ni subversifs
: le poète doit être plus complexe et ne pas faire de simples
transpositions.
A. Ubersfeld : Hugo nest pas un poète épique, mais lyrique,
hormis quelques fragments : léchec de La Fin de Satan en
est la preuve.
A. Laster : Notre vision de lépopée et de lépique
nest pas celle du XIXème , qui était sans doute plus érudite
: Hugo reconstruit les genres traditionnels par leur mélange, sans
brouiller véritablement les catégories.
J. Acher : Hugo emploie-t-il jamais le mot " catégorie " ?
Myriam Roman : Peut-être pas, mais il se sert de la chose. Ainsi
parle-t-il de " sublimité concrète " à propos du "
Sunt lacrymae rerum " de Virgile dans [Les Traducteurs
] : " Ce mot, entre tous, est irréductible à la traduction.
Cela tient à sa sublimité concrète, composée
de tout le fatalisme antique résumé et de toute la mélancolie
moderne entrevue. " (p. 631, Ed. Bouquins, Critique).
Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.