GROUPE HUGO
Université Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 16 février 1991

Présents : J.C. Nabet, G. Rosa, A. Ubersfeld, D. Charles, F. Chenet, A. Spiquel, P. Georgel, C. Porcq, L. Wurtz, A. et D. Laster, F. Naugrette, C. Aubaud, C. Millet, F. Laurent, V. Dufief, J. Acher, P. Laforgue, C. Treilhou-Balaudé, S. Haddad, M.-F. Melmoux.
J. Delabroy s'excuse et pense bien à tout le monde.


Actualité hugolienne

P. Abraham, dont nous espérons qu'il sera bientôt des nôtres, prépare, sous la direction de P. Hamon, une thèse sur le roman hugolien : il étudie plus précisément le rapport entre la réécriture au sens génétique et la réécriture au sens scriptural.

Signalons la parution, aux éditions du CNRS de Carnets d'écrivains I. Deux articles concernent Hugo, l'un de J. Gaudon, l'autre de G. Rosa : les convergences entre les deux points de vue sont frappantes.

Le 2ème tome de la correspondance générale, sous la direction de J. et S. Gaudon et de B. Leuilliot, avec la contribution d'A. Laster, est sorti en librairie.

L'arrière des bus annonce la seconde mouture des Misérables en opérette, sous forme de "tragédie musicale". Cette nouvelle version doit beaucoup à son passage chez les Anglo-saxons. On peut noter que si les mélodies sont restées les mêmes, et aussi le découpage général, les textes sont, dans le détail, assez différents et ont été adaptés aux diverses nationalités: le chant final de Jean Valjean, par exemple, bref en français, prend une envergure métaphysique en allemand. Selon A. Laster, l'orchestration est beaucoup plus riche dans la version anglo-saxonne : on a affaire à une véritable West Side Story hugolienne. Rappelons enfin, pour mémoire, que ce spectacle a attiré en France quelque 500 000 spectateurs et qu'il en est, pour l'ensemble du monde, à 16 millions.

Anne de Broca jouait Juliette ce samedi soir 16 février, à l'hôtel Lutetia, commémorant, selon le rite, la première nuit.

Une exposition sur le retour des cendres en 1840 a lieu actuellement, et montre de nombreuses lithographies, l'événement ayant été très bien "couvert" en son temps par les images. Leur comparaison avec le récit de Hugo serait intéressante. P. Georgel nous rappelle -nous apprend serait sans doute plus exact- que le jour où la Princesse Mathilde voulut organiser, en 1869, une fête pour son impérial cousin, elle demanda qu'on lût Le Retour de l'Empereur (publié en 1840 et repris dans La Légende (XLVIII)). Avait-elle le sens de l'humour ?... Napoléon III en avait vu d'autres. Un souvenir de l'actrice Mle Judith rapporte que, venu assister à Marion de Lorme, juste après le coup d'Etat, le Prince-Président n'eut plus qu'à faire bonne figure devant une salle hostile. Il va sans dire que ce fut la dernière représentation.

A. Laster annonce que le dernier acte de Rigoletto sera donné en concert le 19 mars à la Maison de Radio France. L'entrée est libre; il s'agit de jeunes chanteurs. C. Porcq reste défavorable à l'interprétation musicale de VH par Verdi dans Rigoletto. D'autres, concédant qu'Hernani est trahi par le livret, considèrent que Rigoletto est une réussite maîtresse. En effet, les préfaces de VH, qu'on pourrait qualifier, de façon anachronique, de "médiatiques", figent un peu le sens des pièces de façon réductrice. Or, les rapports père-fille dans l'opéra de Verdi sont très beaux. Il est vrai qu'il a gauchi la figure du roi qui devient un duc, mais c'est une figure plus riche, plus sensible que François Ier, dotée d'une partition pour ténor magnifique qui requiert un beau volume affectif. Enfin, Verdi a nettement marqué sa fidélité à VH, en luttant contre la censure.

F. Chenet organise un colloque-séminaire informel, en Espagne, sur le paysage, en préparation du colloque de Cerisy, en 1992. Cela devrait se passer à une centaine de kilomètres de Barcelone, fin août-début septembre.

L'exposé de la prochaine séance, par V. Dufief, portera sur le texte des Proses philosophiques de 1860-1865, intitulé Promontorium Somnii.


Communication d'Annie Ubersfeld: "Hugo et le poeme du ciel etoile" (voir texte joint)


Discussion

G. Rosa regrette l'absence de J. Seebacher: il aurait, mieux que lui, parlé de l'hyperbole, cette fonction -et cette courbe- qui met en continuité les deux infinis parce qu'un accroissement ou une diminution infinitésimale d'une valeur fait passer l'autre aux deux extrêmes de l'asymptote : de l'infiniment grand à l'infiniment petit d'un infini négatif.

A. Laster : L'infini est un concept mathématique totalement refusé par les astro-physiciens contemporains.

A. Ubersfeld : En fait, on se trouve face à un univers qui n'a pas évolué de Pascal à VH.

A. Laster : L'image de "l'affreux soleil noir d'où rayonne la nuit" est une formulation possible du "trou noir" des astrophysiciens: ces agrégats de matière si dense que leur force d'attraction interdit qu'il en sorte aucun rayon, ni radio-électrique, ni atomique, ni lumineux..

A. Ubersfeld et C. Porcq: Il y a aussi une mise en cause de la matière : l'opposition matière-esprit s'efface.

J . Acher : VH avait-il lu Kant ? Il y a dans cette conception quelque chose de l'analytique du sublime, comme dans la Critique du Jugement.

A. Ubersfeld : Oui, bien sûr, VH avait lu Kant.

P. Georgel : Ce travail de déstructuration concertée des codes de la représentation, pour rendre l'écriture adéquate à l'infini est tout à fait analogue aux moyens utilisés dans l'oeuvre graphique. On pense par exemple à la manipulation du haut et du bas, à l'utilisation du positif et du négatif, au débordement du format de la page, à l'usage de papiers découpés qui égarent la perception du fond et de la surface. En tout cela l'exploration graphique est exactement parallèle au travail du texte.

A. Ubersfeld : VH ne met pas en question seulement les codes de la perception mais aussi tous les outils mentaux de la représentation: concepts, imaginaire et mythologies. Ici, il démolit délibérément le ciel des anges, l'image religieuse traditionnelle.

G. Rosa: Et pourtant, dans de nombreux textes, la valeur morale attachée à l'axe vertical est non seulement maintenue mais rationalisée et concrétisée dans cette curieuse théorie de la pesanteur du mal. N'est-il pas étrange de voir la métaphore éthique spatiale conservée alors même que la représentation de l'espace qui la fonde est contestée?

A. Spiquel : La division haut-bas est encore maintenue et cependant elle est aussi mise en question.

A. Ubersfeld : Quand Nemrod entreprend une marche vers le mal, c'est une ascension criminelle, une chute vers le haut. "Avait-il blessé Dieu?" C'est l'élévation d'un monstre qui, n'ayant plus rien à détruire sur terre, s'attaque à Dieu.

Plusieurs: méditent silencieusement sur cette bizarre question: "Avait-il blessé Dieu?" Finalement Georgel formule que cette énigme participe à la destruction hugolienne d'un Dieu personnel, destruction religieuse pourtant, et croyante.

F. Laurent : On peut penser aussi au Titan, dont la découverte est dramatisée : sa façon d'arriver au cosmos à travers le travail de la matière remet en cause la représentation traditionnelle éthérée du penseur. L'acte de pensée hugolien autant que "contemplation" est forage.

A. Laster : Il faudrait évoquer aussi les passages des Proses Philosophiques où il est question de l'infiniment grand et de l'infiniment petit.

A. Ubersfeld : En écrivant la Comète, fin 1874, VH avait fait des mathématiques l'outil de la connaissance -et spécialement de celle du cosmos. Peut-être la conception du Titan s'explique-t-elle par la nécessité de substituer au calcul, trop "soft", quelque chose de plus matériel et de plus laborieux, quelque chose de plus "rugueux".

C. Millet : Il y a tout de même, dès La Comète, la métaphore du dompteur. Et, curieusement, s'il y a chez lui une de défamiliarisation du cosmos, elle s'assortit de la familiarisation de sa connaissance par l'emploi d'images tirées du travail quotidien. Hugo est là proche de Galilée, du moins tel que le voit Brecht.

F. Laurent : La modification concerne aussi le politique. Dans les années 1830-1840 et jusque dans La Comète -et dans William Shakespeare encore- le poète effectue une sorte de va-et-vient du monde terrestre au cosmos, du spirituel au politique. Avec Le Titan, il prend un aller simple pour le ciel.

A. Ubersfeld : Et c'est la dernière étape de la pensée hugolienne.

A Laster : Phtos est un Jean Valjean d'après la Commune. La marche sous la montagne n'est pas sans rappeler les égouts ou la mine et les mineurs -mais Phtos ne revient pas marier Marius.


Communication de F. Chenet, "Herméneutique et esthétique : Pasages dans Pyrénées"


Discussion

A. Ubersfeld : Qu'entendez-vous par "écriture en réseau" ?

G. Rosa : C'est le contraire d'une écriture linéaire : il y a des liaisons entre des points disséminés qui rétablissent une harmonie secrète entre des objets qui ne sont en fait pas séparés.

A. Ubersfeld : Je ne suis pas sûre qu'on puisse vraiment rapprocher l'universelle analogie de Baudelaire de l'inextricable réseau vivant qu'on trouve chez VH.

F. Chenet : Chez Baudelaire, on a affaire à un univers organisé, alors que, chez, VH, ce qui compte, c'est le mouvement, la dynamique qui fait passer d'un ordre à l'autre.

G. Rosa : L'idée d'analogie est très antérieure à VH et Baudelaire. Mais, chez VH, il n'est pas vraiment question d'analogie. Il parle ici d'"harmonie secrète". Ailleurs, il évoque une "unité de composition". Les lois à l'oeuvre dans un secteur du monde naturel sont les mêmes qui agissent dans un autre secteur. L'idée n'est pas que les objets sont comparables, mais que les lois qui définissent leurs modes d'existence sont les mêmes dans tous les domaines. Est-ce encore l'universelle analogie ? L'"analogie" est alors réelle et tient à l'existence même des choses.

F. Chenet : En fait, le rapport entre VH et Baudelaire est un poncif qu'on trouve chez J.B. Barrère et P. Albouy : il n'est pas tout à fait juste.

A. Ubersfeld : Le problème est de savoir à quel niveau se situent les rapprochements, où réside la déformation du paysage : dans la nature ou dans la vision ? VH ne veut pas répondre et fait tout pour qu'il n'y ait pas de réponse possible. De nombreux procédés d'écriture permettent ce brouillage. Mais à quoi rime donc ce jeu? Il faudrait analyser le passage de l'observation des formes à l'idée d'une réalité inconnue : il y a en effet tout un jeu entre ce que je vois, ce que je pense et ce que j'imagine.

La discussion ici s'anime et se brouille -du moins pour le sténographe. Plusieurs textes sont cités, dont un, par F. Chenet, sur la fonction symbolique du Y, ce qui amène A. Ubersfeld à évoquer le cratylisme des poètes, notamment celui de Claudel et la discussion s'achève tout naturellement sur les rapports entre Claudel et VH, puisque, de l'aveu même du premier, son théâtre serait sorti, tout armé et casqué, d'Hernani et de Wagner.

V. DUFIEF


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa.