Présents :Bertrand Abraham, Josette Acher, Amir Biglari,
Patrice Boivin, David Charles, Françoise Chenet, Olivier Decroix, Pierre
Georgel, Delphine Gleizes, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot, Arnaud Laster,
Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Bernard Leuilliot, Claude Millet, Claire
Montanari, Yvette Parent, Marie Perrin, Martine Pitault, Jean-Pierre Reynaud,
Sylvie Vielledent, Pascaline Wadi, Vincent Wallez, Choï Young.
Claude Millet annonce que Jean-Marc Hovasse a soutenu brillamment son habilitation et que Franck Laurent a été nommé professeur à l’université du Mans.
Stéphanie Boulard, enseignante-chercheuse aux États-Unis, présente un projet réunissant des universités nord-américaines, anglaises et françaises visant à élaborer une conférence internationale à Londres en 2012 pour le 150ème anniversaire des Misérables. Elle fait circuler un appel à communication.
Franck Laurent et Dominique Dupart ont été interviewés dans le numéro 48 de la revue Vacarme sur l’éloquence de la démocratie. L’article s’intitule : « Hugo, Lamartine, le suffrage lyrique ».
Deux thèses viennent d’être publiées chez Champion : celle de Mathieu Liouville porte sur le rire dans la poésie romantique et a été dirigée par Claude Millet. Celle de Sylvie Vielledent s’intitule 1830 aux théâtres et a été dirigée par Guy Rosa. Claude Millet souligne l’intérêt du chapitre que Sylvie Vielledent a consacré à la représentation scénique de Napoléon.
Le numéro 3 de la revue Écrire l’Histoire vient de paraître. Le dossier principal s’attache à la notion de détail.
Arnaud Laster signale que les actes du colloque Paul Meurice et Victor Hugo, allumeurs d’étoiles viennent d’être édités par La Société des amis de Victor Hugo. L’ouvrage comprend vingt-et-une communications, dont deux articles de Florence Naugrette et de Vincent Wallez.
Arnaud Laster annonce que la version anglaise du spectacle musical Les Misérables passera la saison prochaine au Châtelet. Quelques dessins de Hugo serviront de décor.
Il tient également à évoquer une manifestation organisée par deux enseignants des écoles primaires d’Aubervilliers, Claude Miné et Elisabeth Desmonts, autour du roman des Misérables.
La prochaine séance aura lieu le samedi 26 septembre. Caroline Raulet-Marcel parlera de Bug-Jargal. La séance suivante se tiendra le vendredi 16 octobre.
CLAUDE MILLET : Merci beaucoup. C’était un plaisir de vous écouter raconter ce mystère du cahier rouge !
PIERRE GEORGEL : Vous devriez consulter le catalogue d’une exposition de 1935 consacrée aux Séjours de Victor Hugo. Cherchez ce qui concerne Jersey : vous y trouverez sans doute les notations que Gaudon évoque. Pourquoi le cahier 4 n’a-t-il pas été encore édité ?
JEAN-MARC HOVASSE : Il n’était pas visible avant le catalogue de 2002.
BERNARD LEUILLIOT : Je voudrais revenir sur ce qui caractérise, selon moi, le XIXe siècle : le couple spiritualisme / scientisme. La partie scientifique n’est pas absente des séances spirites puisqu’on en dresse toujours le procès verbal. Il y a, au XIXe siècle, union du positivisme et de son envers spiritualiste, – « jésuitique » : Rimbaud traitait Verlaine de Loyola, donc de jésuite ; Verlaine, quant à lui, comparait Rimbaud à Homais, le pharmacien positiviste… La nouvelle religion n’exclut pas le culte de la science. L’esprit du temps réunit les deux notions.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Il suffit de songer à Camille Flammarion…
CLAUDE MILLET : C’est très juste. Cette jonction de rapports neufs à la spiritualité, c’est ce qu’on appelle « les merveilles de la science ». Il est très important de ne pas plaquer les délimitations actuelles du champ scientifique sur le champ scientifique du XIXe siècle. Les fluides sont objets de science à l’époque. De même, la question de la pluralité des mondes est évoquée de façon très sérieuse. L’hypothèse de la vie sur d’autres planètes n’est pas seulement l’objet de la rêverie d’une George Sand ou d’un Victor Hugo – on la retrouve précisément chez ce Camille Flammarion que Bernard Leuilliot vient d’évoquer. Il convient donc de resituer les tables dans leur contexte, en particulier lorsque vous évoquez l’abandon de leur pratique ou le refus par Hugo de la publication des procès verbaux.
BERNARD LEUILLOT : La pratique des tables parlantes est liée à la période où la famille Hugo habitait Jersey. Pourquoi ? Je ne sais pas…
D’après moi, il ne sert à rien de s’interroger sur la croyance des Hugo. Ce sont les modernes qui se demandent si les grecs croyaient à leurs mythes. Ce qui m’interroge, c’est la pratique en elle-même des tables parlantes. Cela devait prendre beaucoup de temps. On devait s’ennuyer beaucoup à Jersey…
CLAUDE MILLET : La période 1853-55 est une période de très sombre dépression pour Hugo…
PIERRE GEORGEL : La publication des Contemplations liquide tout cela. Après elle, Hugo passe à autre chose.
CLAUDE MILLET : Les Contemplations permettent en effet de déplacer ailleurs le discours des tables parlantes.
ARNAUD LASTER : J’aimerais savoir ce que tu penses, Jean-Marc Hovasse, de la dépression dont parle Claude Millet. Il me semble que tu n’attaches pas, dans ta biographie, autant d’importance aux tables et à leur influence que ne le fait Patrice Boivin.
JEAN-MARC HOVASSE : J’ai dit seulement que ce qui est exprimé par la table n’est pas meilleur que du Hugo. Ce n’est cependant pas un phénomène que l’on peut occulter.
ARNAUD LASTER : L’étude que vous avez menée sur les documents me paraît précieuse. Je me suis cependant demandé dans quelle mesure vous adhériez aux croyances de Hugo. Quelle que soit votre réponse, je pense qu’il faut éviter d’aller trop loin dans l’interprétation. Je me permets de rappeler que le discours de « Ce que dit la bouche d’ombre » n’est pas placé dans la bouche du poète… Les paroles de la bouche d’ombre sont mises à distance : il ne s’agit que d’une voix parmi d’autres. Ce poème ne clôt d’ailleurs pas Les Contemplations : la pièce suivante contribue à le nuancer.
CLAUDE MILLET : Je n’ai, quant à moi, pas entendu la moindre ambiguïté dans le propos de Patrice Boivin.
PATRICE BOIVIN : Merci. Je dois dire que je me suis intéressé à ce sujet par hasard et que je suis parfaitement d’accord avec Arnaud Laster : il faut suspendre la question de la croyance lorsque l’on s’intéresse aux tables et s’attacher à des notions plus littéraires.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Hugo laisse cependant entendre que les tables l’ont influencé. Je le cite plus ou moins exactement : « tout un système entrevu par moi a été confirmé et magnifié par les tables ». La table ordonne comme on ordonne à un valet. Hugo dit qu’il exécute ce qu’elle lui commande.
ARNAUD LASTER : Oui, mais on ne peut pas généraliser cette simple déclaration. Il faut se méfier de la chronologie avec Hugo. On a souvent envie de le résumer avec une partie de son œuvre, mais cela ne peut fonctionner. Il faut sans cesse l’envisager dans son évolution.
CLAUDE MILLET : Mais dans ses carnets de 1870, la dame blanche revient avec insistance.
ARNAUD LASTER : Il faudrait nommer quelqu’un qui a longuement travaillé sur les tables, Naoki Inagaki. Il a mené une réflexion philosophique sur le syncrétisme puis a cherché à établir la matérialité des faits, avant de donner toute interprétation. Il me semble qu’il y a un poncif lorsqu’on parle des tables. Le 11 septembre, on dit que Léopoldine apparaît et qu’Hugo en est bouleversé. Elle n’est cependant nommée à aucun moment. Son nom n’apparaît que plus tard.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Les participants ont voulu croire qu’il s’agissait d’elle. La dynamique de groupe a produit cet effet.
PATRICE BOIVIN : Le 23 septembre, Claire Pradier apparaît. Notons que Juliette Drouet n’y croit absolument pas.
JOSETTE ACHER : On s’est parfois demandé si Charles Hugo ne dirigeait pas un peu les tables et ne répétait pas des choses qu’il avait déjà lues…
PIERRE GEORGEL : C’est l’hypothèse des Gaudon.
JEAN-MARC HOVASSE : Elle ne tient pas réellement debout, même si elle est plus rationaliste.
PATRICE BOIVIN : Victor Hugo disait qu’on a les esprits qu’on mérite.
CLAUDE MILLET : Il disait aussi : « l’idéal est une proportion. Chez certains, l’idéal est un bol de soupe ».
PIERRE GEORGEL : En tout cas, s’il y avait eu tricherie autour des tables, les Hugo ne s’y seraient pas attachés aussi longtemps.
PATRICE BOIVIN : Les participants aux séances étaient souvent quatre ou cinq, parfois trois. Il y avait souvent Charles, Adèle Hugo, Victor Hugo, Vacquerie, mais ils étaient occasionnellement plus d’une dizaine. Cela ne peut être une supercherie majeure.
CLAUDE MILLET : On pourrait prendre les choses autrement et réfléchir à la question de la sociabilité sous le Second Empire. Les Tables tournantes y participent. Il serait intéressant de pouvoir mesurer le degré de diffusion de ce type de pratique.
PATRICE BOIVIN : Gautier, Balzac, Sand et Maupassant ont participé à des séances de ce genre.
PIERRE GEORGEL : Le rapprochement entre la photographie à Jersey et les tables a parfois été fait. Ces deux pratiques sont liées à la notion de révélation. La révélation chimique de l’image photographiée a dû provoquer, à l’époque, une fascination extraordinaire. Victoria Tebar a, par ailleurs, montré que Hugo utilisait des écrans solubles dans ses dessins. Il trempait ses dessins dans des bains qui dissolvaient les couches solubles. Il y a, là encore, un caractère de révélation. Toutes ces choses convergent.
CLAUDE MILLET : Cela me fait penser à un article de Christian Chelbourg paru dans un numéro de Romantisme sur l’imaginaire photographique. Il expliquait que, pour Hugo, Balzac et Nerval, la photographie pouvait être comparée à une révélation spectrale.
PIERRE GEORGEL : L’idée du procès-verbal s’apparente aussi à la poétique de l’empreinte chez Hugo. L’accueil de ce qui est donné constitue un point central de l’esthétique de Hugo. Les Contemplations sont l’image d’un livre constitué par plusieurs couches de sédimentation.
FRANCOISE CHENET : L’exposition de photographies Trajectoires du rêve, au Pavillon des arts en 2003, rendait bien compte de ce que dit Pierre Georgel: elle mettait l’accent sur la photographie vue comme la matérialisation de l’irréel. Il faudrait aussi relire l’article de Sylvie Aprile sur les tables.
CAROLINE JULLIOT : Il y a également eu une exposition très intéressante, il y a trois ou quatre ans, à la Maison de la photographie.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Bernard Leuillot parlait tout à l’heure de l’arrêt des séances spirites après la période de Jersey. Je me demande si elles n’ont pas été interrompues parce que l’inspiration s’épuisait. Il y a ce qu’on pourrait appeler un « pic » de l’inspiration pendant l’automne 1854. Certains textes de la table sont fous, délirants, mais admirables. À la fin, elle ne dit plus grand’chose de neuf. Au fond, la table ne dit que ce que les spirites ont en eux. Hugo, par exemple, donne au fait que l’esprit de Mozart soit fâché une raison toute simple : les participants aux séances ne connaissent rien à la musique.
PATRICE BOIVIN : C’est juste. Il y a, en mars 1855, une très longue et très belle intervention de Jésus-Christ… Les suivantes sont bien inférieures.
JEAN-MARC HOVASSE : Il y a une très courte reprise des séances à Guernesey.
PATRICE BOIVIN : Le dernier esprit à visiter la table est celui de l’Inde, mais Victor Hugo n’était pas présent.
JEAN-MARC HOVASSE : Comme souvent lors des séances de Jersey, d’ailleurs.
JEAN-PIERRE REYNAUD : Je pense qu’on ne peut pas occulter toutes les formules exprimées par les tables. On y trouve parfois comme un Hugo libéré de la rhétorique. On entend parfois un Hugo faible, bavasse… mais il y a aussi des textes extraordinaires.
Claire Montanari
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