Présents :Bertrand Abraham, Josette Acher, Patrice Boivin, Chantal Brière, Pierre Burger, Françoise Chenet, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Jean-Claude Fizaine, Delphine Gleizes, Hiroko Kazumori, Arnaud Laster, Yvan Le Scanff, Bernard Leuilliot, Claude Millet, Claire Montanari, Yvette Parent, Marie Perrin, Myriam Roman, Delphine Van de Sype, Sylvie Vielledent, Vincent Wallez, et Choï Young.
Marie-Louise Audiberti vient de faire paraître un ouvrage intitulé L’Exilée - Adèle Hugo, la fille, aux éditions La Part commune.
Arnaud Laster rappelle que la pièce de Danièle Casiglia, Répétitions mouvementées, sur Victor Hugo et ses acteurs, sera jouée du 24 au 27 mars. Elle traite des répétitions de Hugo avec Mounet-Sully et Sarah Bernhardt et se fonde sur les débats entre les comédiens et l’auteur – ou le représentant de l’auteur, Paul Meurice. L’entrée est libre.
Une pièce du même auteur, Moi j’avais son amour, évoquant la passion de Juliette Drouet, a été traduite par l’alliance française d’Avellino et jouée dans la même ville, en mars 2009. Arnaud Laster, décrivant le succès qu’a rencontré la pièce auprès du public italien, attaché à la culture française, déplore que les centres culturels français ferment de plus en plus. Claude Millet explique que les alliances françaises tendent de plus en plus à devenir des centres de formation linguistique.
Claude Millet souligne le fait que la réécriture du décret sur les enseignants-chercheurs est peu convaincante. La question de la formation des enseignants du primaire et du secondaire a par ailleurs été soumise à un moratoire implicite. On peut noter une avancée cependant : la formation disciplinaire doit reprendre de l’ampleur dans la formule transitoire du Capes, mais rien n’est gagné. La lutte des enseignants-chercheurs doit se poursuivre : une formation exigeante et démocratique à la fois est nécessaire pour produire des enseignants de valeur. Bernard Leuilliot rappelle que la défense du statut de la fonction publique est essentielle.
Claude Millet cède la parole à Jean-Claude Fizaine, qui se propose de nous parler de la tauromachie chez Victor Hugo. Elle explique qu’un tel sujet, anecdotique en apparence, nous mènera à une réflexion sur l’animal chez Hugo et, évidemment, sur l’Homme – puisqu’on ne peut penser animalité sans penser repenser les frontières de l’humain.
CLAUDE MILLET : Merci infiniment pour cette belle communication. Le sujet que tu as choisi permet, par une voie détournée, de toucher à des questions centrales – celles du naturalisme, du surnaturalisme ou du continuisme en particulier. Elle permet aussi de resituer Hugo dans l’ère du temps du XIXe siècle concernant l’animal. Cette période est à la fois marquée par une brutalisation croissante des rapports de l’Homme aux bêtes, et en même temps, par une sensibilisation de plus en plus nette à la souffrance animale, ou du moins aux traitements « barbares » qu’infligent les Hommes aux bêtes, sur fond de hantise de la violence de ceux que la « civilisation » n’a pas encore totalement arrachés à l’animalité : les enfants, les sauvages, le peuple, ou plutôt la populace. Les premières lois protégeant l’animal concernent en réalité la violence populaire. C’est le cas, par exemple de la loi sur les combats des animaux de 1838, ou de la loi Grammont de 1850, qui concerne essentiellement cette violence trop visible qu’est celle que les cochers exercent sur leurs chevaux. La violence des cochers pose en effet la question de l’exhibition d’une forme de violence populaire dont la contagion fait peur. Le problème de la corrida est cependant un peu différent car, dans ce cas précis, la violence est ritualisée.
Un sentiment d’empathie, qui débouche sur une réflexion morale et politique, est très visible dans le texte du voyage 1843 que tu as eu raison de considérer comme fondateur. Dans les années 1840, Michelet politise aussi la question animale dans Le Peuple. Selon lui, il n’y a pas de démocratie qui n’intègre l’animal dans la cité.
J’ai trouvé très intéressant le passage où tu expliques que Hugo ne pense pas en termes de droit de l’animal mais de devoir de l’homme à son égard. C’est très différent chez Michelet qui, lui, pense aux droits de l’animal.
Je ne suis cependant pas complètement d’accord avec toi lorsque tu dis que l’animal, chez Hugo, n’a pas de « moi ». Dans « Ce que dit la bouche d’ombre », Hugo introduit à l’intérieur de la métempsychose quelque chose qu’on ne trouve que chez lui, la mémoire, et plus précisément de la mémoire personnelle que l’animal a de sa faute. L’animal est une âme qui conserve la mémoire des fautes qu’elle a personnellement commises, et qu’elle doit expier.
DELPHINE VAN DE SYPE : N’est-ce pas les tables qui ont poussé Hugo à écrire ce type de vers ?
PATRICE BOIVIN : Oui. On trouve, dans les tables, une commande expresse du « drame » pour composer ces vers, en 1854.
BERNARD LEUILLIOT : Dans un article de 1823 consacré à Lamennais et intégré dans Littérature et Philosophie mêlées, Hugo écrit : « À la prévoyance sociale succède cette profonde cécité animale à laquelle il n'a pas été donné de distinguer les approches de la mort ». Hugo établit, dès cette période, une distinction nette entre homme et animal.
CLAUDE MILLET : On trouve ce genre d’affirmation tout au long de son œuvre. Hugo ne sort jamais de la contradiction entre continuisme et discontinuisme.
BERNARD LEUILLIOT : Théophile Gautier savait à qui il s’adressait lorsqu’il a demandé à Hugo, pendant le siège de Paris, d’écrire au général Le Flo pour défendre son cheval, qui devait être abattu pour être mangé.
YVETTE PARENT : Hugo évoque-t-il le fait que la corrida est initialement un rite religieux qui vient de Crête ?
JEAN-CLAUDE FIZAINE : Il n’en dit rien. Gautier, lui, parle parfois de rite sacrificiel.
CLAUDE MILLET : La lutte de l’homme contre le taureau me fait songer à celui de Gilliatt contre la pieuvre : il s’agit aussi d’un combat d’égal à égal.
MARIE PERRIN : Hugo indique d’ailleurs que les deux lutteurs se regardent les yeux dans les yeux.
DELPHINE GLEIZES : Oui, mais la dimension spectaculaire, présente dans la corrida, manque dans ce passage des Travailleurs de la mer.
MARIE PERRIN : Le lecteur peut néanmoins jouer le rôle du spectateur.
JEAN-CLAUDE FIZAINE : Il y a chez Hugo une porosité de la frontière entre l’homme et l’animal : la pieuvre est présentée comme un être intelligent.
MARIE PERRIN : Dans ce qu’on a appelé les « proses philosophiques », Hugo écrit que l’homme est « l’âme à fleur de peau » et que l’âme des animaux est dans les profondeurs.
ARNAUD LASTER : On trouve aussi ce genre de remarques dans Dieu. Je voudrais revenir sur « Ce que dit la bouche d’ombre ». Il faut faire attention à ne pas trop solliciter ce texte dans la mesure où ce qui y est dit n’est pas prononcé par le poète mais par un personnage, « la bouche d’ombre ». De même, la voix de Hugo ne s’entend pas nécessairement dans les paroles de l’Ange de Dieu.
ARNAUD LASTER : Je suis surpris par le fait que tu n’insistes pas, dans ta communication, sur quelque chose qui me paraissait évident : Hugo s’est prononcé catégoriquement contre la corrida. Tout ce que tu as cité va dans le sens d’une condamnation qui ne serait qu’implicite. Pourquoi faire de Hugo quelqu’un d’indifférent à la corrida ? Il décrit la corrida comme une boucherie et la rapproche de toutes les manifestations de cruauté contre les animaux. Il condamne aussi la vivisection. Il a signé un texte qui condamnait ce genre d’expériences, pourtant destinées à faire progresser la science. C’est pourquoi ta réserve me surprend un peu.
La Société des amis de Victor Hugo a souvent été sollicitée par des lecteurs qui cherchaient l’origine d’une formule prêtée à Hugo et souvent reprise : « Torturer un taureau, c’est torturer une conscience ».
JEAN-CLAUDE FIZAINE : Il s’agit d’une formule apocryphe.
ARNAUD LASTER : Nous répondons effectivement que nous n’avons trouvé aucune trace de cette citation dans l’œuvre de Hugo. Nous renvoyons cependant les lecteurs à d’autres textes, comme celui du combat du bœuf des Asturies.
BERNARD LEUILLOT : Peut-être faut-il établir une distinction entre les prises de positions publiques et les motifs littéraires. La course de taureau, par exemple, est devenue un lieu commun artistique. Que l’on songe aux gravures de Goya. Il est probable que Hugo en ait eu connaissance. Pendant le siège, on lui montre « Les désastres de la guerre ».
JEAN-CLAUDE FIZAINE : Gautier, lorsqu’il évoque la corrida, s’inspire de Goya. Dans un de ses textes, il décrit une corrida médiocre et explique qu’un immense oiseau de nuit est descendu et a emporté l’homme dans les airs. Il mêle reportage et vision goyesque, exprimant à la fois son dégoût et sa fascination. Il parvient ainsi à transcrire ses impressions de spectateur et le sentiment d’irréalité que l’on peut éprouver devant une monstruosité esthétique.
CLAUDE MILLET : Il me semble qu’il était important que Jean-Claude ait maintenu nuance et précision dans son propos en évoquant la relative indifférence de Hugo vis à vis de la tauromachie. La question de la souffrance animale n’est pas tirée vers la tauromachie chez Hugo. Et le texte de critique, supposé fondamental, contre la tauromachie dans Dieu que vient de mentionner Arnaud Laster est très fugace, et évoque la violence exercé par le taureau sur le cheval.
PIERRE BURGER : Il me semble que la loi Grammont a été inspirée par l’abattage massif des chevaux pendant la campagne de Russie. Peut-on imaginer que Hugo, face à ce carnage qui lui a sans doute été raconté par ses proches, était moins sensible à la mort ritualisée et occasionnelle d’un taureau ?
JEAN-CLAUDE FIZAINE : Le père de Hugo était en Espagne pendant la campagne de Russie, mais son oncle était à Eylau.
BERNARD LEUILLOT : Une des nombreuses entreprises commerciales lancées par Abel consistait à organiser un élevage de chevaux en Algérie au profit de l’armée française. Il en parle dans sa correspondance avec Victor Fouchet.
ARNAUD LASTER : Je ne pense pas, en tout cas, que Hugo, sous prétexte qu’il y avait eu un abattage massif et monstrueux de chevaux, puisse hiérarchiser les massacres en fonction de la quantité. Chez lui, c’est l’acte individuel qui compte. Il suffit de relire « Sultan Mourad » pour s’en convaincre.
Claire Montanari
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