Présents : Josette
Acher, Simon Bournet, Chantal Brière, Brigitte Buffard-Moret, David Charles,
Bernard Degout, Marguerite Delavalse, Bénédicte Duthion, Pernelle Genlis, Jean-Marc
Hovasse, Hiroko Kazumori, Arnaud Laster, Franck Laurent, Loïc Le Dauphin, Bernard
Le Drezen, Bernard Leuilliot, Matthieu Liouville, Claire Montanari, Florence
Naugrette, Yvette Parent, Hladki Pawel, Marie Perrin, Laurence Revol, Myriam
Roman, Guy Rosa, Agnès Spiquel, Anne Ubersfeld, Sylvie Vielledent, Olivia Voisin,
Vincent Wallez, Choï Young.
Attention : la prochaine séance aura lieu le samedi 20 janvier 2007 dans la salle 205, au 2e étage du couloir 34/44, site Jussieu.
- Olivia Voisin, inscrite à lécole du Louvre, prépare une thèse dHistoire de lart sur les artistes du cénacle de Hugo. Elle sattache en particulier au « drame dans la peinture » de Devéria et de Boulanger.
- Bénédicte Duthion, déjà présente à la séance du 17 juin 2006, est attachée de conservation du patrimoine dans la région Haute-Normandie et a travaillé sur le texte de Hugo « Guerre aux démolisseurs ».
Florence Naugrette fait circuler les actes du colloque de Rouen 2004, intitulé Corneille des romantiques (Presses universitaires de Rouen et du Havre).
La première partie du recueil est consacrée à la perception de lauteur dramatique par les romantiques, et en particulier par Musset, Hugo, Vigny et Dumas.
La seconde partie présente Corneille en tant que héros du théâtre romantique. Georges Zaragoza a ainsi rédigé un article sur « La tentative dramatique Corneille de Hugo » et a montré que Hugo sinspirait, dans cette ébauche, de La Galerie des portraits de Corneille.
La troisième section du recueil, « Fortune de Corneille sur la scène romantique », sattache à la façon dont on met Corneille en scène au début du XIXe siècle. Larticle dAnne Ubersfeld montre que cette période marque le net retour de Corneille dans les théâtres. Napoléon a dailleurs favorisé ses pièces politiques, et en particulier Cinna.
La dernière partie de louvrage sinterroge sur la façon dont on classe Corneille dans lhistoire littéraire du XIXe siècle. Il est souvent considéré, à lépoque, plus comme un romantique que comme un classique.
Guy Rosa évoque le beau sujet dhabilitation dun chercheur tunisien, quil a rencontré lors dun colloque à Tunis : après avoir soutenu une thèse sur les valeurs attachées à loubli chez Hugo et Mallarmé, Salah Ouestali, maître de conférences à luniversité de Tunis prépare pour son habilitation un ouvrage sur « Mémoire et oubli chez Hugo ».
Jean-Marc Hovasse présente le roman de G. B. Edwards, Sarnia (The Book of Ebenezer Le Page dans la langue originale), roman paru à Londres en 1981 aux éditions Hamish Hamilton, et dans sa traduction française chez Maurice Nadeau en 1982. La collection Points Seuil le réédite en format poche.. Lauteur, habitant de Guernesey, situe son intrigue sur lîle anglo-normande qui a connu lexil de Hugo. Néanmoins, Hugo nest évoqué dans le roman, de façon détournée, que lorsque lon inaugure sa statue en 1914.
Myriam Roman signale que le Ruy Blas monté par William Mesguisch sera joué du 18 janvier au 8 mars au théâtre Mouffetard. Arnaud Laster rappelle que la pièce est à laffiche du festival « Victor Hugo et égaux », et que la représentation du 21 janvier sera suivie dun débat avec le metteur en scène.
Guy Rosa rend compte de lexposition Juliette Drouet à la maison Victor Hugo ; il la juge très réussie, malgré ou plutôt grâce à son caractère composite. Il évoque en particulier les nombreux tableaux et dessins représentant ce que Victor et Juliette ont visité lors de leurs voyages. Arnaud Laster signale à cette occasion quil y aura une journée consacrée à Juliette dans le festival « Hugo et égaux ». Certaines de ses lettres seront lues.
ARNAUD LASTER : Vous avez très bien parlé des récits que lon a faits ultérieurement de la bataille dHernani. Je voudrais dire quelques mots de la réception immédiate de la pièce. Il me semble quil faut nuancer lidée que lon se fait de laffabulation a posteriori de la bataille. Lanecdote du spectateur ayant entendu « as de pique » nest pas inventée par Dumas mais est citée par Le Globe le 18 mars 1830. Dumas ne fait que la broder et létayer en donnant un nom au spectateur : Perceval de Grandmaison.
SYLVIE VIELLEDENT : Jai travaillé sur les parodies dHernani, et nombre dentre elles évoquent aussi ce fameux « vieil as de pique ». Elles associent en outre souvent les pièces dHernani et de Christine, même si celle-ci na pas déclenché de véritable bataille. Les contemporains ont été choqués par le jeu physique des acteurs et par le thème vaudevillesque des deux pièces, jouées malgré tout sur des scènes officielles.
AGNES SPIQUEL : Pourquoi craignait-on que la deuxième représentation de Christine fasse problème, au point que Hugo et Vigny soient obligés den réécrire des centaines de vers ?
SYLVIE VIELLEDENT : La pièce était très longue. Lintervention de Hugo et de Vigny a permis den resserrer laction.
ARNAUD LASTER : Jean Gaudon explique quelque part que la question des vers de Hernani na pas vraiment provoqué la polémique auprès des spectateurs. Jai pourtant consulté de nombreux documents de critique qui insistaient sur la mauvaise construction des vers de Hugo.
AGNES SPIQUEL : Certes, mais il sagit darticles de journalistes et non de réactions de spectateurs. Ce nest pas tout à fait la même chose.
ARNAUD LASTER : On peut cependant supposer que les spectateurs étaient influencés par les critiques des journalistes.
GUY ROSA : Jean Gaudon dit que dans lexemplaire du manuscrit dHernani annoté par Hugo qui enregistrait toutes les réactions des spectateurs un soir où la bataille faisait rage, il nest fait aucunement mention de réactions négatives concernant la versification. Les documents sur lesquels tu te fondes sont écrits par des critiques spécialisés, non par de simples spectateurs. Les spécialistes de littérature sont attentifs à des phénomènes de versification auxquels les spectateurs ordinaires ne prêtent pas la moindre attention.
AGNES SPIQUEL : Il serait néanmoins intéressant détudier les argumentaires de la presse pour dénigrer la pièce. Quant à nous, nous travaillions sur les récits de la bataille après coup. Les deux points de vue se distinguent, mais pourraient se compléter utilement.
ARNAUD LASTER : Le relevé des réactions du public par Hugo semble avoir servi à un journaliste en 1830. Jai fait la comparaison minutieuse entre lexemplaire du manuscrit annoté par Hugo et larticle du journal : ils concordent !
GUY ROSA : Cela ne prouve pas que Hugo a donné son manuscrit au journaliste. Le plus probable est tout de même que les deux aient assisté à la représentation, et aient pris soin de répertorier toutes les manifestations du public.
ARNAUD LASTER : Il est possible cependant que Hugo se soit séparé de son relevé puisque ce dernier a été mis en vente. Il nétait donc plus en possession de la famille. Jai travaillé sur larticle de ce journaliste dans un article paru dans Avant-Scène Théâtre, intitulé Au Cur de la bataille dHernani. Je vous y renvoie. Par ailleurs je voudrais revenir sur lanecdote souvent évoquée des romantiques obligés duriner dans les couloirs du théâtre parce quils avaient été introduits dans la salle quelques heures avant la représentation. Tous les journaux que jai consultés disent que ce jour-là, la tenue des romantiques a été correcte ; pas un ne fait allusion à ce fait gênant. En revanche, lanecdote est authentifiée par les journaux à propos de la première représentation du Roi samuse. On a donc fait lamalgame entre la première dHernani et celle du Roi samuse.
GUY ROSA : Pourtant, à ma connaissance, les spectateurs nont pas été introduits longtemps à lavance pour la représentation du Roi samuse. Sans doute lamalgame fonctionne-t-il en sens inverse, les journalistes prêtant à la première du Roi samuse ce qui sest produits pour Hernani.
FRANCK LAURENT : Malgré les témoignages plus ou moins contradictoires des journalistes qui en ont fait des comptes rendus, il semble néanmoins établi désormais que la première dHernani sest bien passée grâce aux soutiens des amis de Hugo. Il ny a eu, pour Le Roi samuse, quune première, bien différente de celle dHernani. Il serait intéressant de sy attacher dun peu plus près et den faire lhistorique. Jai lu des témoignages dopposants à la pièce qui insistaient sur la dimension politique du scandale. On chantait, à la première du Roi samuse, des chansons contre Louis-Philippe, « La Marseillaise », des chants révolutionnaires. Ce nétait pas le cas pour Hernani.
Je voudrais aussi faire une remarque à propos du « H » de « Hernani ». Ce que vous avez dit de Rostand était très intéressant. Néanmoins, lajout du « H » lorsque lon évoque le village dErnani nest pas nécessairement un hommage à la pièce de Hugo. Ernani sécrit certes sans « H » en castillan, mais il a un « H » en basque et je doute que les pancartes routières qui, aujourdhui encore, signalent « Hernani » en pays basque soient des hommages à Hugo. Les interprétations les plus répandues demandent parfois à être revues. On pense ainsi parfois que le nom de Doňa Sol provient du mot « soleil » ; cest oublier que « sol » est labréviation courante en espagnol de « Maria de la Soledad ». Doňa Sol est la « dame de la solitude ».
Vous parliez des critiques de Vallès lors de la reprise dHernani en 1867. Elles ne sont pas surprenantes dans la mesure où Vallès est un « hugophobe » notoire. Cela vient sans doute en partie de sa position politique : Vallès milite et présente une candidature dissidente contre la stratégie dunité des Républicains, dont Hugo est lun des symboles.
ARNAUD LASTER : Cest très juste. Journet dit dailleurs que Vallès a été le secrétaire de Gustave Planche, ennemi acharné de Hugo. La question des appartenances politiques et littéraires est complexe pendant la période romantique. Ceux qui soutiennent Hugo ne sont pas nécessairement libéraux. Berlioz et Delacroix, romantiques, sont, politiquement, réactionnaires.
GUY ROSA : Balzac aussi.
FRANCK LAURENT : Il était encore libéral en 1830.
ARNAUD LASTER : Je pense que la présence de Balzac et de Berlioz à la première dHernani est légendaire. Le fait quils figurent sur la liste des personnes à inviter pour défendre la pièce ne signifie pas quils soient effectivement venus.
FRANCK LAURENT : Il serait pourtant fort étonnant quils naient pas vu Hernani alors quils se tenaient très au fait de lactualité artistique et que Balzac était journaliste. Ils ne sont peut-être pas venus à la première et nont pas nécessairement bénéficié de linvitation de Hugo, mais il est fort probable quils aient assisté à la pièce.
ARNAUD LASTER : On sait en tout cas que Berlioz portait un regard très mitigé sur Hernani.
GUY ROSA : Ce qui est curieux, cest que la légende, dès les écrits de Gautier, sest chargée de déshistoriciser le conflit. Vous lindiquez, mais seulement pour la dernière phase de lhistoire ; ce pourrait être vrai dès la première et lon comprend que ce soit Gautier qui sen soit chargé. Il ne faut pas oublier quHernani a été écrit pour répondre à linterdiction de Marion de Lorme. Vous avez dit que la bataille était le miroir du drame ; la proposition inverse résonne tout aussi bien : le drame serait le miroir de la bataille à venir. Hugo savait quil allait y avoir bataille. Le VHR ne permet pas den douter. Il y a plus curieux. Le dernier paragraphe de la préface de la quatorzième édition des Orientales, de février 1829, dit : » Il sait fort bien que le peu de bruit qui se fait autour de ses livres, ce ne sont pas ses livres qui le font Ce bruit vient du dehors et non du dedans Le terrain le plus vulgaire gagne un certain lustre à devenir champ de bataille. Austerlitz et Marengo sont de grands noms et de petits villages » « Hernani » aussi est un nom de petit village devenu celui dune bataille.
Je voudrais revenir sur la capillarité des romantiques : leur hirsutitude nest peut-être pas simplement grotesque. La coiffure des romantiques nest pas accessoire ou ornementale. Elle est le signe de leur appartenance idéologique. Comme la barbe des républicains, interdite sous le Second Empire. La jeunesse qui a lutté pour Hernani est la même que celle qui lutte en juillet 1830. Vous faites, à la fin de votre exposé, le lien entre le théâtre et la tribune ; je le ferais plutôt entre le théâtre et la manifestation. A lépoque dHernani, les associations sont interdites, les manifestations aussi. Le théâtre est, avec les cours publics et les enterrements, le seul endroit où plusieurs centaines de personnes ont la possibilité de se réunir. Une représentation théâtrale peut alors facilement se transformer en manifestation. La souveraineté populaire peut sy exprimer directement.
FRANCK LAURENT : Dans quelle mesure les récits ultérieurs de la bataille ont-ils mené une réflexion sur le parallélisme entre la réception tumultueuse dHernani et la Révolution de Juillet ?
MYRIAM ROMAN : La plupart des récits sauf celui dAdèle - laissent dans lombre ce rapport avec les journées de Juillet. Gautier lui-même dit que le rouge de son gilet représentait le sang, la vie, et navait pas de valeur politique. Il préfère y voir une manifestation de son esthétique.
GUY ROSA : Le VHR parle dun « gilet à la Robespierre », ensuite il est rouge, finalement rose. Les dénégations de Gautier nont rien de surprenant : il est linitiateur de toute la manuvre qui fait légende de la bataille et transforme un événement idéologique et « événement littéraire » (bel oxymore).
FRANCK LAURENT : Dans la préface de la première édition dHernani, Hugo écrit : « le romantisme, cest le libéralisme en littérature ». Laffirmation dun lien étroit entre littérature et politique, en utilisant la terminologie politique de lépoque, est assez rare chez Hugo. Il est dautant plus étonnant de voir que la légende a occulté le caractère politique de la bataille.
MYRIAM ROMAN : Le clan Hugo lui-même a cherché à édulcorer la bataille puisque, dans le manuscrit dAdèle, les remarques politiques ont été supprimées.
AGNES SPIQUEL : Comment peut-on interpréter ces coupures ?
GUY ROSA : Ce ne sont pas les seules dans le Victor Hugo raconté, qui témoigne partout dun puissant conformisme.
FLORENCE NAUGRETTE : A chaque époque on réécrit lhistoire littéraire en fonction de ce que lon est et de ce que lon représente sur le moment. Corneille est, par exemple, enrôlé dans le camp romantique, alors quon peut le considérer comme un classique. Je minterroge, à propos de Corneille, sur la différence entre querelle il y a eu la querelle du Cid et bataille. Le terme de bataille appelle la métaphore militaire et fait allusion à la révolution de 1830. Hugo répond aussi à linterdiction de Marion de Lorme. La notion de bataille montre aussi quil y a événement, quil se passe quelque chose à lintérieur même de la salle de spectacle. La querelle du Cid ne se déclenche pas dans la salle, bien au contraire. Certains des opposants à Corneille, Richelieu, Chapelain, avouent même avoir aimé la pièce lorsquils lont vue pour la première fois, mais considèrent quils ont eu tort. Ce qui éloigne la querelle de la bataille, cest la question de la légitimation du poète par le public : la querelle oppose les doctes ; le peuple spectateur décide de lissue de la bataille.
BERNARD LEUILLIOT : Il me semble que lon avait interrogé lidentité du public de la première dHernani. Nombre de spectateurs sont issus de laristocratie. Je crois que limage que lon se fait de Hugo à cause de la bataille est un peu faussée. Hugo, au fond, est tout sauf un libéral à lépoque.
FRANCK LAURENT : Je ne suis pas tout à fait daccord. Hugo donne une fin de non-recevoir à tous les partis.
GUY ROSA : Refuser le complément de pension offert par le roi en compensation de linterdiction de Marion, et surtout le faire savoir, constitue un geste dopposition énergique.
BERNARD LEUILLIOT : Cela permet de légitimer lécrivain qui devient linterlocuteur direct du pouvoir. Il convient de faire attention au sens des mots et à ne pas entendre, dans la formule de Hugo - « le romantisme, cest le libéralisme en littérature » -, le terme de « libéralisme » dans son acception moderne.
FRANCK LAURENT : Il ne peut employer ce terme de façon anodine dans la préface dune pièce qui a fait autant de bruit. La formule résonne nécessairement comme un signal fort.
BERNARD DEGOUT : Je suis plutôt de lavis de Bernard Leuilliot. Il nest pas sûr que Hugo emploie le terme de libéralisme au sens moderne ni même au sens de lépoque. Il se réapproprie la signification du mot.
FRANCK LAURENT : Hugo nest peut-être pas libéral à lépoque, mais sa formule a un sens.
GUY ROSA : Il lutilise de façon stratégique. Il lui faut, par sa préface, désamorcer lhostilité littéraire des libéraux.
FRANCK LAURENT : Il laisse entendre que ceux qui sont progressistes en politique doivent lêtre aussi en littérature.
ARNAUD LASTER : La pensée politique de Hugo évolue rapidement durant cette période. Vigny note dans son journal en 1829 que Hugo approuve lattitude de Benjamin Constant qui quitte le côté droit. Il sen étonne : « Hugo devient libéral ».
GUY ROSA : Les gens du Globe se sont, eux, convertis après 1827.
FRANCK LAURENT : Hugo admirait la politique de Constant. Il déplore dailleurs que lon lui ait préféré Talleyrand à lambassade de Londres.
ARNAUD LASTER : Il prête cette pensée à un ouvrier dans LIntervention : « Benjamin Constant avait raison ».
AGNES SPIQUEL : Daprès Adèle, il y avait deux sortes de public : au parterre et en haut, les rapins, dans les loges, les grandes dames.
GUY ROSA : Il y avait aussi beaucoup de bourgeois.
ARNAUD LASTER : Les troupes de Hugo semaient la terreur ce soir-là. Lopposition na pas pu sexprimer.
VINCENT WALLEZ : La bataille na pas eu lieu le 25 février, ou il sagit dune bataille gagnée. Le nombre des partisans de Hugo a ensuite diminué au fur et à mesure des représentations, si bien quil était de plus en plus difficile de faire taire les opposants. Sainte-Beuve en témoigne dans sa correspondance. On devine quil se détache progressivement de Hugo. Il dit trouver Napoléon premier consul plus sympathique que Napoléon empereur. La formule sapplique aussi à Hugo. Adèle dit aussi, à la même époque, quelle en a assez de tous les désagréments causés par la bataille dHernani Sait-on si Hugo assistait à toutes les représentations ?
AGNES SPIQUEL : Il pose, dans une de ses lettres, cette condition : « si je suis au théâtre pendant la représentation » , ce qui signifie quil ny est pas nécessairement tous les soirs.
VINCENT WALLEZ : Il se tient néanmoins très au courant des réactions suscitées par les différentes représentations.
GUY ROSA : Hernani réapparaît sur la scène théâtrale en 1867, grâce à Meurice et à Vacquerie. Hugo était assez réticent et a longtemps hésité avant daccepter que la pièce soit rejouée.
JEAN-MARC HOVASSE : Vacquerie essaie de le convaincre depuis 1860 au moins.
AGNES SPIQUEL : Pourquoi Hugo est si récalcitrant ?
GUY ROSA : Faire jouer Hernani, cest, en un sens, valider lopération de récupération de la frange libérale du gouvernement et du régime. Peut-être Hugo hésite-t-il aussi pour des raisons littéraires.
JEAN-MARC HOVASSE : La première raison est avérée, la seconde reste une supposition : Hugo ne le dit à aucun moment.
ARNAUD LASTER : Il serait intéressant détudier la réception des reprises des pièces de Hugo. Même pendant les dernières années de sa vie, les voix se montrent violemment discordantes. Beaucoup prétendent que ses pièces se classicisent.
GUY ROSA : Ils ont raison dans un sens puisque Hugo abandonne la formule ancienne et en recherche une ou plusieurs autres dans le Théâtre en liberté. Et met très longtemps à écrire la pièce qui sapproche le plus de son esthétique des années 1830, Torquemada. La pièce était annoncée sur la couverture dun ouvrage dix-sept ans avant sa publication.
ARNAUD LASTER : Pour moi, lécart nest pas si grand entre les drames et le Théâtre en liberté.
GUY ROSA : Une telle rupture esthétique ne se constate dans aucun autre genre pratiqué par Hugo.
FLORENCE NAUGRETTE : Hugo cesse pourtant décrire des drames historiques. En ce sens, il y a rupture.
Si lon observe les dossiers de presse, on remarque quelques notes discordantes sur les pièces de Hugo, mais, majoritairement, le théâtre des années 1830 semble sêtre classicisé.
GUY ROSA : Dès les préfaces des années 30, Hugo, constatant que ses pièces sont désormais acceptées par les spectateurs, revient à plusieurs reprises sur lidée dun progrès accompli par le public, de plus en plus éclairé et intelligent.
MYRIAM ROMAN : Lidée inverse est également valable : tout se passe comme si la pièce avait changé le public.
GUY ROSA : Son théâtre comporte certes aujourdhui quelque chose de grinçant, détrange. Mais il nest pas exclu que lenvironnement littéraire ait « déclassicisé » Hugo.
ARNAUD LASTER : La classicisation de ses pièces venait de ses ennemis ; ils cherchaient à en faire un auteur dépassé, démodé.
Où lon voit que lentreprise des ennemis de Hugo a échoué, puisque, cent soixante-seize ans après la bataille, on se querelle encore à propos dHernani.
Claire Montanari
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