Présents : Guy Rosa,
Annie Ubersfeld, Yvette Parent, Claude Millet, Franck Laurent, Agnès Spiquel,
Bernard Le Drezen, Marguerite Delavalse, Chantal Georgel, Pierre Georgel, Olivier
Decroix, David Charles, Ludmilla Charles-Wurtz, Mireille Gamel, Loïc Le Dauphin,
Denis Sellem, Judith Wulf, Vincent Wallez, Françoise Chenet, Sylviane Roberdey-Eppstein,
Bernard Degout, Sylvie Vielledent… et quelques enfants.
Garde à vous !
Ce 18 juin, Annie Ubersfeld recevait comme chaque année le Groupe Hugo dans sa maison de campagne à Marines. Les premiers arrivés eurent la surprise d’être accueillis par un Guy Rosa plus martial que jamais, casque de bo-doï vissé sur le crâne. La date y était-elle pour quelque chose ? En tout cas, on savait cette année à quoi s’attendre : le chef ne tolérerait aucune dissipation, le décor campagnard et la chaleur écrasante n’excusant nul papillonnement. Du travail, de la sueur et des larmes !
Vaines manœuvres…
Au commencement fut cependant une hésitation : commencerait-on par suivre l’injonction d’Annie (« Si on prenait un verre ! ») au risque d’un « adieu aux armes » prématuré, ou le sens du devoir et la défense de la science prévaudraient-ils ? Quelques-uns tentèrent une percée vers l’extérieur ; le soleil tapait trop fort ; mieux valait la tiédeur du cabinet ; la boisson fut interdite –à l’exception du secrétaire de séance autorisé à puiser dans le porto courage, patience, attention et inspiration.
Au champ d’honneur
Olivier Decroix vient d’être nommé à la khâgne de Janson de Sailly à Paris (la khâgne moderne et la khâgne BL). Le Groupe le félicite vivement et constate qu’il est parfois bon pour la carrière de se voir refuser une place d’ATER à l’université…(Paris 7)
Bernard Le Drezen a été nommé chargé de recherches documentaires à la Bibliothèque de l’Institut et à l’Université de Paris IV-Sorbonne.
Marieke Stein et Sandrine Raffin ont été qualifiées aux fonctions de maîtres de conférences.
En selle…
Le nombre d’excusés étant particulièrement important et les excuses invoquées extrêmement diverses, le Groupe envisage un palmarès. Qui l’emporterait de Stéphane Mahuet contraint de remplacer un conférencier infidèle, de Jean-Marc Hovasse invité à un mariage ou de Marieke Stein devant faire passer visite médicale à son cheval ? Les réactions de l’auditoire font pencher la balance du côté de l’orateur qui parlait à l’oreille des chevaux.
Rappel à l’ordre
Une fois établi un semblant d’attention, Guy Rosa commence par déplorer les absences fréquentes des « professionnels » aux séances du Groupe, ou leur présence à éclipses. à cet égard, la séance du mois de mai était typique : sauf exceptions, l’assistance était composé de retraités et assimilés (au grand complet) et d’« amateurs ». Le groupe, fondé sur la proximité soixante-huitarde des amateurs de toute origine, des étudiants de tous niveaux, et des professionnels de tous rangs, doit-il changer d’orientation ? se fondre dans la Société des amis de Hugo ? faire huis clos sur un occulte Conseil d’administration des publications hugoliennes ? faudra-t-il mettre nappe à part pour la cantine des hommes du rang et le mess des officiers d’active ?
Après la bataille ?
A cette situation, que Guy Rosa juge « inquiétante », son successeur devra faire face. Il annonce la publication du poste qu’il occupe, sous l’intitulé « Littérature du 19° siècle », à pourvoir pour la rentrée 2006. Aux membres du Groupe qui lui objectent son jeune âge et son ardeur intacte, il répond non sans noblesse que, passé un certain âge, on nuit plus à l’université qu’on ne la sert en s’y attardant. Même chose pour le Groupe Hugo. Mais il croit, dit-il, aux forces de l’esprit et restera parmi nous…
Pour répondre aux regrets anticipés qui l’assaillent et ignorent encore à quel point ils sont justifiés, il se hasarde à un hardi parallèle avec Jacques Seebacher ; il ne fait, comme en toutes choses ou presque que suivre son exemple : comme lui, il partira environ cinq ans après un centenaire, et, comme lui, à l’âge de 60 ans.
Au reste, son départ, loin de constituer un facteur de déstabilisation, devrai être au contraire très positif : permettre un élan, un renouvellement, un progrès. C’est du moins ce qu’il entend dire, depuis quelques temps déjà et qu’il s’agisse de lui ou d’autres, par ses collègues plus jeunes de Paris 7.
Quoique devant être étiqueté « XIXe siècle » -l’obtenir de l’UFR « LAC » (ex « STD ») n’était pas si simple- rien ne permet bien sûr d’assurer que ce poste sera pourvu par un hugolien. Les destinées du Groupe Hugo, en situation de « vacance du siège apostolique », seront donc frappées d’incertitude.
Suivent quelques charitables suggestions au futur retraité sur ses activités. Claude Millet lui recommande d’acheter un cheval ; Franck Laurent le voit en « professeur émérite » (ce qui permet de conserver des séminaires et de diriger et faire soutenir des thèses). Plusieurs thèses de hugoliens sont effectivement en cours. Sans inquiétude pour celle de Stéphane Desvignes, Guy Rosa évoque avec angoisse la perspective d’assister à titre posthume à celle d’Olivier Decroix.
Où les troupes se cabrent
David Charles propose alors à la cantonade, sans doute pour fêter ça et faire travailler le signifiant, du rosé. Guy Rosa menace le Groupe de lecture des statistiques de consultation du site Internet. Le châtiment étant disproportionné, il se contente d’indiquer qu’en 2002 les pages les plus interrogées étaient celles de la chronologie et de la bibliographie, tandis que, de manière progressivement accentuée, ce sont maintenant les textes qui sont demandés : le site est devenu un véritable instrument de travail pour les chercheurs et les étudiants (une mine à exposés tout faits ?). Le texte de Sylvie Vielledent sur les parodies d’Hernani reste en tête, mais suivi désormais par Pierre Laforgue pour sa communication sur Claude Gueux, qui n’est pourtant pas à placer entre les mains des jeunes filles. Guy Rosa souligne que, souvent, si on a la curiosité de taper son nom dans le moteur de recherche Google, ce sont des références au Groupe Hugo qui sortent.
F. Laurent. Oui, mais ce ne sont pas toujours les bonnes pages, tout au moins les plus représentatives. Le système me semble encore un peu bricolé.
G. Rosa. Pas du tout : le moteur Google prend en compte, pour chaque page, une combinaison subtile du nombre des accès et du nombre des renvois installés sur d’autres sites.
Balles perdues
Denis Sellem annonce que le spectacle de G. Berliner au théâtre Marigny est prolongé. Les critiques sont favorables. Le comédien a mis en chansons des textes de Victor Hugo, par exemple en « mixant » A Villequier et Demain, dès l’aube.
Y. Parent indique que Réponse à un acte d’accusation a été donné à l’épreuve anticipée de français du baccalauréat (de "Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes" à "Je nommai le cochon par son nom; pourquoi pas?".
G. Rosa. Pas tout seul : il y avait aussi un texte de Boileau, Art poétique, I, de « Surtout qu’en vos écrits… » à « Soyez-vous à vous-même un sévère critique » et un extrait de la Lettre du voyant de Rimbaud, de « Trouver une langue… » à « … idées et formes. ». Tous les candidats devaient répondre à la question élémentaire suivante : « Quelle est la conception de la poésie qui s’exprime dans chacun de ces textes ? » (4 points). Pour les 16 points restants, trois sujets au choix : 1. Commentaire composé du texte de Hugo ; 2. Dissertation : « La rébellion contre l'héritage des poètes précédents [on voit mal comment ce serait des poètes suivants!] est-elle indispensable à la création poétique? Vous répondrez en vous appuyant sur les textes qui vous sont proposés, ceux que vous avez étudiés en classe et vos lectures personnelles. 3. Sujet dit d’invention : « A sa parution, le texte de Hugo suscite un vif débat dans la presse. Vous écrivez alors un article polémique, dans lequel vous défendez ou, au contraire, attaquez, sa conception selon laquelle la poésie doit employer tous les moyens expressifs qu'elle désire, sans se plier aux règles. » Outre que toutes les formulations sont contestables, l’exercice était absurde : intraitable sauf à un Valéry ou un Roland Barthes. Intraitable, c’est à dire d’emblée mis hors jeu. On ne dirait rien si les correcteurs étaient invités à n’apprécier que la correction de la langue ; mais l’expérience de tout enseignant en DEUG et en licence prouve qu’il n’en est rien et que la consigne est plutôt de mettre entre parenthèses cet aspect des choses. Résultat, 10 automatique.
C’était déjà le cas, l’une des années précédentes, avec ce sujet demandant d’écrire un article de journal (c’est bien connu, l’article de journal est le modèle indépassable de toute écriture…) pour ou contre Réponse à un acte d’accusation… Répondre à la réponse, rien de plus logique.
On peut s’interroger. Est-ce par sottise et inculture que sortent ces sujets intraitables, sauf aux spécialistes (et encore…) ? ou parce qu’ils ouvrent aux élèves, toute grande, bien droite et pas en pente, la voie du n’importe quoi.
Il y a pire si l’on veut descendre aux derniers degrés de la nullité. Car le sujet d’ « invention » dit bien : « A sa parution, le texte de Hugo suscite un vif débat dans la presse. Vous écrivez alors… », mais les consignes écrites de correction recommandent d’avantager les candidats qui ont su élargir le débat et tirer leurs exemples de la poésie contemporaine au lieu de se cantonner aux poètes visés par Hugo. Le scrupule des candidats qui savent lire doit être réprimé.
L’assemblée, se croyant aux Communes d’Angleterre : Yeah !
F. Laurent. C’est effectivement absurde car cela suppose de la part des élèves des connaissances gigantesques en histoire littéraire et en esthétique qu’on fait précisément en sorte qu’ils n’aient plus !
Y. Parent ajoute à la désespérance en évoquant un dépliant envoyé par un syndicat d’enseignants du secondaire où sont consignées les réactions à la question : « Que pensez-vous du bac ? » Ils sont globalement satisfaits… sauf du niveau des élèves !
G. Rosa imagine Jules Ferry destituant d’un coup l’Inspecteur général venu lui donner lecture d’un sujet de ce genre : « Prise de tête ? Je prends la vôtre. »
F. Laurent. Tu crois vraiment que des sujets comme « Racine rencontre Phèdre aux Enfers » étaient beaucoup plus faisables ?
Guy Rosa. Oui, parfaitement. Il était entendu qu’on était dans le jeu, la fantaisie, le bien dire pour bien dire, qui n’a jamais fait de mal à personne.
En désespoir de cause, Mireille Gamel renvoie au site de l’association « Sauver les lettres », et Claude Millet au dernier numéro de la revue Le Débat, qui propose des pistes intéressantes sur la façon d’enseigner le français.
Plusieurs. Où a été créé le drame ?
S. Vielledent. A Bruxelles, le 3 janvier 1863.
G. Rosa. C’est-à-dire à l’époque où le roman triomphait.
Plusieurs. Comment a-t-il été reçu ?
S. Vielledent. J’ai déjà évoqué quelques réactions dans la presse mais je n’ai pas vraiment travaillé sur la réception qui fait déjà l’objet d’une recherche pour le numéro de la collection Lettres modernes chez Minard consacré au théâtre de Hugo.
Plusieurs. Et Hugo, qu’en a-t-il pensé ?
G. Rosa. Il connaît le texte et semble l’avoir approuvé. Il existe une lettre, à Charles je crois, assez louangeuse. Certes, il s’agissait de son fils. Peut-être a-t-il retenu certaines critiques…
S. Vielledent. Il s’est formellement opposé à la représentation en deux soirées initialement prévue (une soirée par partie, le drame en comptant deux).
A. Spiquel. Ce drame a-t-il été repris depuis ?
S. Robardey-Eppstein. Meurice l’a de fait « repris » dans les années 1880 lorsqu’il a écrit sa propre adaptation des Misérables. La question est : s’efforce-t-il de combler les manques de la version de Charles, surtout sa discontinuité ?
G. Rosa. L’intérêt de cette seconde adaptation risque d’être avant tout historique : elle a été écrite peu de temps après la Commune, il y a chance que ce soit déterminant, du moins davantage que les questions d’esthétique théâtrale.
S. Robardey-Eppstein. Je me souviens d’une critique assassine d’un nommé Mortier sur la pièce de Meurice…
S. Vielledent. En tout cas, dans la version de 1863, les décors, la musique de scène, etc. semblent avoir été très appréciés.
A. Spiquel. La pièce est construite par tableaux ?
S. Vielledent. Oui. Deux parties – Fantine et Jean Valjean – et à l’intérieur des parties, une succession de tableaux. Le passage de l’un à l’autre est parfois brutal, le plus souvent très elliptique.
A. Spiquel. Ce qui demandait certainement une grande habilité technique au personnel du théâtre.
S. Vielledent. Sur ce point, le compte rendu de la représentation dans L’Indépendance belge est très élogieux.
F. Laurent. Cela n’est guère étonnant : ce journal est très favorable à Hugo.
Cl. Millet. On a l’impression que le dosage du comique et du pathétique n’est pas le même dans le roman et dans le drame. Comme si le pathétique était atténué, les dialogues comiques ayant en revanche une grande importance.
S. Vielledent. Les dialogues en parler populaire sont effectivement importants, par exemple quand la Thénardier s’exprime. Un journal se félicite de la disparition dans le drame des scènes de « mauvais goût » du roman, comme la chute des dents de Fantine… Le drame est ainsi parfois l’occasion de fustiger le roman.
G. Rosa. Deux détails. Dans la transformation de Mgr Myriel en M. Myriel, sur laquelle vous avez insisté, il faut peut-être voir l’effet de la censure belge. Arnaud Laster a souvent rappelé qu’en France, jusqu’à une date tardive, il était interdit de montrer sur scène un homme d’Eglise –ainsi pour l’adaptation de Notre-Dame de Paris.
B. Le Drezen. Dans la très catholique Belgique, il était sans doute tout aussi interdit de représenter au théâtre un ecclésiastique.
G. Rosa. Vous vous êtes étonnée du « Je meurs heureux » qui clôt la pièce. Mais ce n’est pas un contresens : la phrase figure dans le roman !
S. Vielledent. Dans le roman, l’histoire ne se termine pas sur cette note heureuse.
G. Rosa. Il y a pourtant bien à la fin du roman une sorte d’accomplissement.
F. Laurent. Mais il s’achève sur l’image d’une tombe complètement abandonnée !
G. Rosa. Pour des consciences chrétiennes, la mort n’est pas incompatible avec l’idée d’accomplissement. La tombe est abandonnée mais l’âme sauvée.
A. Spiquel. L’inscription sur la tombe n’a rien de chrétien ! Ton idée de l’âme sauvée ne tient pas vraiment.
F. Laurent. Sans compter qu’il n’y a aucune mention d’une vie éternelle obtenue après la mort…
G. Rosa. « La chose simplement d’elle-même arriva, / Comme la nuit se fait lorsque le jour s’en va. » Si le jour s’en va, c’est qu’il va revenir ! (Exclamations et rires à gauche, à droite et au centre. Plusieurs brocardent l’optimisme « raffarinien » de Guy Rosa…Une fois le calme rétabli, celui-ci tente autre chose) [comme il y va, Le Drezen ! NDGR].
Il serait intéressant de comparer cette adaptation de Charles Hugo aux autres adaptations des Misérables. Existe-t-il des analogies structurelles ? Si dans toute la série des adaptations on observe la même conduite vis-à-vis d’épisodes, de personnages ou de thèmes, on aurait un invariant : « Les_Misérables_adapté ».
Lequel pourrait être assez proche des Misères. J’ai l’impression que les adaptations leur sont généralement beaucoup plus fidèles qu’aux Misérables. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’une adaptation est une sorte de genèse à l’envers. Au fil de l’écriture, le texte se lie à une forme : il devient roman, et plus généralement littérature. L’adaptation procède au processus inverse : elle défait ce que fait l’écriture. Dans ces conditions, il ne serait pas surprenant qu’on revienne à la « structure première » de l’imaginaire, c’est-à-dire, en l’espèce, aux Misères. Ici, toutes les digressions disparaissent, en particulier les chapitres historiques.
F. Laurent. Ce n’est pas toujours vrai pour Waterloo.
G. Rosa. Quand l’épisode est gardé, c’est uniquement parce que Thénardier y apparaît, et que cela rend la suite plus intelligible. D’ailleurs, dans Les Misères, l’épisode n’existe pas. Hugo l’ajoute pour faire un lien avec l’intrigue. Eponine sauvant Marius sur la barricade, cela vient également de la deuxième version ; Tholomyès et « la bonne farce » aussi, Mabeuf en grande partie. Les Misères réduisent à presque rien les amis de l’ABC et la barricade à pas grand chose. En revanche, la plupart des scènes qui sont du domaine du personnel ou de l’inter-personnel –Marius, l’idylle, tout le guet-apens et aussi les pages sur Gillenormand- sont entièrement rédigées dès la première version.
F. Laurent. Le fait que Feuilly se trouve valorisé dans le drame est particulièrement intéressant. Il est le seul compagnon de l’ABC à y apparaître, avec Enjolras naturellement. Or, il est aussi le seul ouvrier de la bande, au sein de laquelle il représente la tendance internationaliste. Ce n’est sans doute pas un hasard : 1863, c’est à la veille du « manifeste des 60 ». On est en plein dans l’unité italienne, la Pologne fait de nouveau parler d’elle. L’Internationale ne naît officiellement que l’année suivante mais les contacts officiels sont déjà pris. Un certain nombre de républicains avancés comme Charles Hugo poussent alors à l’alliance avec les socialistes.
G. Rosa. Oui, cela cadre parfaitement avec les opinions de Charles, extrémiste assez agité. A propos des adaptations théâtrales de romans, il faut rappeler l’exemple de Dumas. C’est précisément pour cela qu’il avait créé le « Théâtre historique » : pour y donner le type de spectacle que réalisent les adaptations de ses propres romans.
F. Laurent. Une de mes étudiantes a travaillé sur l’adaptation de la deuxième partie du Vicomte de Bragelonne. C’est mieux ficelé que le drame de Charles, mais on observe les mêmes phénomènes, en particulier la discontinuité. Même chose pour la question religieuse. Aramis est décrit comme dépositaire d’un pouvoir si occulte qu’on ignore de quoi il s’agit ; il n’est jamais question de son ambition de devenir pape ! Le parti jésuite n’est pas mentionné : cela reste en blanc. Certes, personne n’est dupe. Les spectateurs s’y retrouvaient aisément.
G. Rosa. Vous avez insisté sur le caractère elliptique de l’adaptation. Cette observation vaut pour la plupart des adaptations contemporaines qui supposent les œuvres connues, sauf à ne rien comprendre de ce qui se passe. Ainsi la comédie musicale Notre-Dame de Paris, totalement incompréhensible si on ne connaît pas l’intrigue.
F. Laurent. C’est particulièrement vrai s’agissant de Dumas : on va voir l’adaptation du roman à succès. Tout le monde sait à peu près de quoi il retourne, ce qui est pris en compte dans le travail d’adaptation.
S. Vielledent. Ici, cela va tout de même très loin : à aucun moment il n’est dit que M. Madeleine et Jean Valjean sont une seule et même personne…
Quelqu’un : mais cela se voit : c’est le même acteur.
V. Wallez. Les enfants Hugo sont-il athées ?
G. Rosa. Charles l’est. Pendant l’exil, il n’arrête pas de titiller son père sur l’existence de Dieu.
A. Spiquel. Vous avez dit que le discours de Mgr Myriel transparaissait fortement dans celui de « M. » Myriel. Mais ses paroles ne sont pas si étonnantes ou déplacées : c’est le discours du bourgeois charitable très impliqué dans des « œuvres ». Et ce discours, ici, est assez réaliste. Il renvoie à un type social.
F. Laurent. Tout de même, quand il dit « Vous êtes ici chez vous plus que moi », cela est peu bourgeois !
G. Rosa. Le premier état du texte était encore plus « bondieusard ». Hugo déchristianise très sensiblement son texte pendant l’exil.
D. Charles. A propos des ellipses : le texte de Hugo présente lui aussi la transformation de Jean Valjean comme un tour de magie. Même remarque en ce qui concerne les convictions politiques de Marius : le drame n’est pas dans le contresens lorsqu’il suggère qu’il n’en a aucune car on ne peut pas dire que chez Hugo il en ait beaucoup.
G. Rosa. Et le « c’est nous qui sommes le thermomètre » ou les asperges à 40F la botte, qui donnent lieu à un vrai discours de revendication sociale de la part de Thénardier, que deviennent-ils ? Et sa fameuse réplique : « Il me faut de l’argent, beaucoup d’argent, énormément d’argent », est-ce que Charles la reprend ?
S. Vielledent. Point d’asperges ; mais la phrase sur l’argent est dans le drame.
V. Wallez. Quelle est l’importance de Gavroche ?
S. Vielledent. Assez grande. Les journaux évoquent beaucoup la qualité, à les en croire exceptionnelle, du jeune acteur qui interprétait le rôle. Pour en revenir à ce que demandait Guy Rosa, la pièce n’est pas d’une totale fidélité textuelle au roman. Toutefois, un certain nombre de « mots » du roman se retrouvent, soit directement soit dans un contexte différent, mais non sans lien avec le texte d’origine. Je pense à ce que dit Fantine à bout de ressources : « Et maintenant, vendons le reste ». Ce « reste » reparaît dans la pièce dans un tout autre contexte, dans la bouche de Cosette, et il fait alors réagir Jean Valjean.
L’évocation des adaptations des Misérables rebondit sur la tristement fameuse version TF1. Occasion pour Guy Rosa d’en rappeler l’idéologie pernicieuse…
G. Rosa. Javert y devient une sorte d’inspecteur de la sécurité sociale, expliquant à Thénardier qu’il est défendu d’exploiter des enfants et à Fantine qu’elle devrait se réfugier dans un foyer quelconque -« le Nid »…
F. Laurent. Il y a aussi cet inénarrable épisode de la poupée achetée non pas dans le magasin mais aux Thénardier… Pas de petites économies ! Plus généralement, la tentative évidente de rehausser systématiquement Javert au détriment de Jean Valjean est vraiment détestable. Il faut dire que cela vient peut-être aussi du jeu des acteurs : John Malkovitch est le seul à savoir jouer et à avoir l’air d’y croire, Depardieu massacrant pour sa part lamentablement son rôle.
Cl. Millet. Je reviens un instant sur l’atténuation du pathétique, dont l’objectif peut être de produire un effet « réaliste ». Ce drame, c’est du théâtre réaliste. On ne peut pas dire qu’il y ait moins de poésie : il s’agit d’une poésie de la vie populaire. Une sorte de recadrage dans une perspective réaliste.
Le secrétaire de séance, souffrant d’inanition comme Franck Laurent et d’autres, pose la plume. Aussitôt la séance levée commencent les festivités – et les vacances.
…Jusqu’à notre séance de rentrée fixée au samedi 17 septembre.
Bernard Le Drezen
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