Présents : Guy Rosa,
Anne Ubersfeld, Jean-Marc Hovasse, Vincent Wallez, Colette Gryner, Delphine
Gleizes, Loïc Le Dauphin, Marguerite Delavalse, Mireille Gamel, Claude Millet,
Judith Wulf, Josette Acher, Yvette Parent, Marieke Stein, Sylvie Vielledent,
Myriam Roman, Bernard Degout, Bernard Leuilliot, Delphine Van de Sype, Brigitte
Buffard-Moret, Laurence Revol, Stéphane Mahuet, Bertrand Abraham.
Annie Ubersfeld sera prochainement élevée au grade de commandeur de lOrdre des Arts et Lettres. Cette distinction lui sera remise le 21 janvier 2005. Gens de théâtre et hugoliens rivaliseront alors dapplaudissements et de bisous.
Le Groupe accueille Laurence Revol, qui entreprend, sous la direction de Mme Chantal Massol, professeur à Grenoble, une thèse sur lironie dans LHomme qui rit.
Le déménagement de la bibliothèque dans la nouvelle salle (en face de lactuelle, de lautre côté de la tour) commence lundi, et se poursuivra jusquà la Toussaint. La prochaine séance s'y tiendra, très vraisemblablement. Nous regretterons le lieu où nous nous réunissions depuis huit ans le Groupe Hugo fêtera ses trente ans à la rentrée prochaine- quoique tout ait été fait, des économies en particulier, pour que la nouvelle salle soit le clone de lancienne. Mais nous disposerons de toilettes (avec miroir) et dune machine à café, si Dieu le veut. Laquelle devrait fonctionner jusquà 2006 ou 2007 peut-être 2008 date à laquelle, toujours poussés vers de nouveaux rivages, nous irons à « Paris-Rive gauche » (ex-Grands Moulins de Paris). G. Rosa nest pourtant pas très optimiste quant à lavenir des Lettres à Paris 7, car les projets vont plus dans le sens dune extension des laboratoires scientifiques de Jussieu que dune refondation dune Université complète : rien nest prévu pour rapatrier lhistoire (installée aux Olympiades, face à Paris 1), la psycho (ancien hôpital Saint-Lazare), ni langlais (rue Charles V dans le Marais).
Lessentiel, le trésor ultime, le serveur du site du Groupe Hugo, a été transféré dans la faramineuse salle des machines du centre de calcul-recherche, qui abrite les interconnexions pour lIle de France de RENATER, le réseau qui regroupe tous les serveurs de toutes les universités, bibliothèques, labos scientifiques du CNRS et des grands établissements de France. G. Rosa est ébloui de lactivité, du sérieux et de lincroyable disponibilité des personnels du CCR. Linformatique rend les hommes bons (et le désamiantage les pervertit).
Anne Ubersfeld prévient que son intervention dans la séance de janvier sur « Hugo, Corneille et le théâtre du 19ème siècle » suivra le colloque de Rouen consacré à Corneille, et quelle risquerait de dire des choses qui ne seraient pas neuves ; elle se propose de présenter un tour dhorizon de ce qui se sera dit au colloque.
G. Rosa, acharné à mesurer la fréquentation du site internet du Groupe Hugo, remarque que la consultation devient de plus en plus professionnelle, et porte de plus en plus sur les textes ; les curieux se font moins nombreux, et les lycéens qui demandaient de laide pour leurs dissertations se sont tus.
Après lillustre habilitation de Bernard Degout, les soutenances se succèderont : le 23 octobre, Sandrine Raffin soutient sa thèse sur le Centenaire de 1985, avec au jury Florence Naugrette, Christian Dupavillon (inspecteur général du ministère de la Culture, membre du cabinet et chargé des commémorations en 1985), Reine Prat (chargée de mission au même ministère pour les centenaires Hugo de 2002 et Sand de 2004), Philippe Urfalino (directeur de recherches au CNRS, sociologue et auteur du best-seller sur les politiques culturelles). Le 19 novembre, à Nantes, habilitation de Brigitte Buffard-Moret sur « La Chanson poétique » -plusieurs études concernent Hugo ; le 4 décembre, soutenance de la thèse de Marieke Stein, sur Victor Hugo orateur politique étude des discours prononcés de 1846 à 1880 (jury : Françoise Mélonio, Agnès Spiquel, Jean El Gammal, historien spécialiste dhistoire politique) ; enfin, Jérôme Lion soutiendra prochainement sa thèse sur Hugo et la guerre (1870 - 1878), préparée à Lille III sous la direction de Jean Delabroy (la date nest pas encore fixée).
La publication du reliquat des colloques du bi-centenaire avance : « Hugo et la langue » (2002), dont F. Naugrette a reçu les secondes épreuves, et « Hugo et le romanesque » (2002), qui paraîtra bientôt.
Le Diable à Paris, de Georges Sand, vient de paraître aux Mille et une nuits, avec notes et postface de J. Seebacher.
Les éditions Le Cavalier Bleu recherchent un auteur pour le volume Hugo de leur collection « idées reçues ». G. Rosa, à qui il avait été demandé et qui la refusé non sans sengager à transmettre loffre aux membres du Groupe, fait circuler le volume de la collection consacré à Jeanne dArc. Plutôt bien fait, chacun de ses chapitres est consacré à lexamen dune idée reçue telle que « Jeanne dArc entendait des voix » ou « Jeanne dArc était un homme ». Personne ne se propose et Judith Wulf suggère que le Groupe prenne en charge ce livre collectivement : sil est un type de travail où le concours de plusieurs auteurs est efficace, cest bien celui-là. Des suggestions sont lancées ; Guy Rosa suspend la discussion : elle est inutile sans laccord de léditeur ; il lui sera demandé. [NDLR. Léditeur noppose pas dobjection de principe pourvu quun coordinateur assure lhomogénéité de style et de perspective. Ne reste que la question de la rétribution, qui nest pas la plus simple.]
Un article de presse faisait récemment référence à une étude apparemment classique démontrant que les articles scientifiques écrits par des chercheurs communiquant à distance sont de qualité inférieure à ceux écrits par des chercheurs se fréquentant de vive voix. G. Rosa déplore cette limite prouvée des contacts par internet et téléphone et sinquiète des effets, sur la qualité de la science hugolienne, de la liste trop longue des excusés à nos séances. Claude Millet observe la supériorité scientifique promise, à plus forte raison, à lendogamie hugolienne.
Les 26 et 27 novembre 2004 se tiendra à lInstitut du Monde arabe un colloque intitulé « Lorientalisme des saint-simoniens », organisé par Michel Levallois et Sarga Moussa. Le 26, à 11h15, Franck Laurent y présentera sa communication, intitulée « Orient, un nom de génie : Victor Hugo, Les Orientales, William Shakespeare ».
Les flaubertiens demandent doù vient le vers, plusieurs fois citée par Flaubert ou par tel de ses correspondants « Et maintenant, Seigneur, expliquons-nous tous deux ». Lappel est lancé. J.-M. Hovasse suggère perfidement quil ne sagit pas de Dieu, ni de Hugo, et que le vers est de Racine.
Anne Ubersfeld rend compte de lAngelo Tyran de Padoue représenté en ce moment au théâtre Mouffetard. Le plaisir est au rendez-vous, dit-elle, en raison surtout de lexcellent jeu des deux comédiennes, par qui la pièce devient une sorte de duo de voix féminines, assez beau. En revanche elle déplore linsistance de la mise en scène sur le burlesque, qui est la dégradation du grotesque, et la fâcheuse tendance (déjà souvent observée ailleurs, elle aussi) à faire rire du spectacle de la violence psychique. G. Rosa évoque avec mélancolie les temps ardents où, dans les théâtres, lorsque le rire des spectateurs ségarait, on pouvait voir et entendre Arnaud Laster stigmatiser debout et dune voix tonnante leur inintelligence. Il rappelle la formule de Vitez, citée par Sandrine Raffin (dans sa thèse), selon laquelle il faut savoir faire « rire avec Hugo et non contre lui ».
Un débat sur cet Angelo aura lieu le 20 novembre, à 16h30, au Café de la Cave du Bourgogne, 144, rue Mouffetard ; y participeront Florence Naugrette, Anne Ubersfeld, Catherine Treilhou-Balaudé, Sylviane Robardey, Arnaud Laster et Danièle Gasiglia-Laster.
Y. Parent étant allée entendre les Chansons des rues et des bois ne répondra plus aux curiosités dA. Laster.
G. Rosa parle pour ne rien dire sinon tout le bien quil pense de lexposé de Myriam Roman : clair, profond et inventif comme à laccoutumé- le temps que les auditeurs se remettent.
C. Millet, la première remise. -Jy apporterais, pour ma part, quelques réserves. Dans lensemble, je ne suis pas daccord avec lidée que lanti-romanesque domine chez Hugo ; je verrais plutôt dans ses romans un emportement de la fiction. Hugo utilise le romanesque dense du roman populaire pour produire, à travers une émotion intense, des effets philosophiques.
(A M. Roman) Il me semble que tu nétablis pas une distinction suffisamment ferme entre le romanesque défini comme pratique du roman, et celui qui consiste en un « décollage » par rapport au réel.
Le roman sest toujours construit à partir dune réflexion sur le romanesque (voir La Calprenède), romanesque qui tend de plus en plus à sidentifier à la poésie des curs. Il crée dans le roman un espace utopique, où lhomme peut se détacher de la réalité pour penser plus loin, penser ailleurs Il y a une tension, dans le roman, entre la poésie et la prose de la vie, et le triomphe du réel sur le poétique y est toujours programmé, à la fin du roman. Mais cette tension ne peut pas fonctionner chez Hugo, dont toute luvre nie lopposition entre prose et poésie puisque la poésie englobe tout. Dès lors, je ne peux pas adhérer à ta manière de lire les scènes amoureuses chez Hugo ; loin dêtre ridicules, elles font pleurer ! Certes, il y a du grotesque dans la rencontre de Marius et Cosette, dans cette focalisation du jeune homme sur ses bottes poussiéreuses Mais cela nempêche pas la conjonction des étoiles qui dépasse et intègre le grotesque sans le récuser ni le dévaluer. Si bien que le modèle de Hugo me semble être non pas exactement le romanesque, mais lidylle (celle de la rue Plumet !) : les scènes amoureuses passent par le regard attendri du vieil homme sur la fraîcheur des deux amants. Ainsi, Gilliatt fantasmant sur les jarretelles de Déruchette, cest grotesque et sublime. Pas burlesque !
M. Roman. Je suis daccord avec toi sur la constitution du roman par une réflexion sur le romanesque, et aussi sur lidée dun conflit entre réalité et idéal, entre poésie du cur et prose des circonstances. Je pense également que ce cadre ne fonctionne pas chez Hugo, pour qui tout est poésie Et je vois donc mal ce qui nous sépare.
G. Rosa. Pas grand chose, voir rien du tout : le même raisonnement vous fait dire quil ny a pas de romanesque chez Hugo, et à Claude, quil ny a que cela ce qui nest pas très différent.
M. Roman. Parce que je nassimile pas poésie et romanesque. Peut-être ma définition du romanesque nétait-elle pas pertinente, et pourtant, jai du mal à lire les romans de Hugo en éprouvant les mêmes sentiments quà la lecture dautres, plus psychologiques. Chez Hugo, on est saisi par les affects dune manière plus brutale. Lécart tient sans doute à la définition du « sentiment ».
P. Georgel. Est-ce que la passion se situe en-dehors du romanesque ?
M. Roman. Cest difficile à dire, ça dépend du corpus de romans choisis, et de lextension quon donne au terme.
A. Ubersfeld. La notion de romanesque est confuse par nature. On a de grosses difficultés à lutiliser comme outil de lecture dune uvre littéraire. Le romanesque, cest la manière dont nous situons quelque chose que nous lisons par rapport au réel. Pour simplifier, est romanesque ce qui nest pas vrai. Le sentiment amoureux ne paraît donc pas toujours romanesque, témoin la passion de Phèdre. Il y a romanesque sil y a une construction optimiste des choses.
M. Roman. Jai voulu rendre compte du fait que le romanesque nest pas une catégorie chez Hugo (sinon récusée et dévalorisée), contrairement au dramatique et à lépique. Lemploi du terme, dans Les Misérables, est régulièrement péjoratif. Il est vrai, Hugo rend hommage à Sue et Balzac ; mais ceux-ci peuvent-ils être qualifiés de romanciers « romanesques » ?
G. Rosa. Cependant, dans la liste des termes par lesquels le texte des Misérables se caractérise lui-même, vous oubliez « histoire ». La formule « lhistoire mélancolique de Jean Valjean » ne propose-t-elle pas au lecteur un affect de type romanesque il nest pas nécessairement rose ; il y a un romanesque triste, ou mélancolique, et La Chartreuse de Parme lest profondément.
B. Leuilliot. Mais Jean Valjean nest pas réellement un personnage de roman, il est autre chose, il est « ailleurs » En ce qui concerne la parodie (une catégorie à prendre en compte), elle saccompagne toujours chez Hugo dune complaisance sympathique envers les choses parodiées. Lantenac est une figure dOpéra-Bouffe, et pourtant il ne dit pas que des bêtises, et Hugo a de lindulgence pour ce type de vieux beau agité.
M. Roman. Oui, cela rejoint ce que disait Claude sur la tendresse.
Y. Parent. Je suis daccord. Le romanesque est à la fois exprimé et moqué. Cest un état desprit propre à Hugo, il le dit dans les Chansons des rues et des bois : si on na pas été jeune, si on na pas rêvé, si on na pas aimé, on na pas vécu
G. Rosa, à M. Roman. Selon votre définition, le début des Travailleurs de la mer la contemplation rêveuse de Gilliatt- serait-il romanesque ?
M. Roman. Non. Avec ce début, on est déjà au-delà du romanesque, on contemple quelque chose qui déborde la poésie illusoire des curs. Lintérêt du lecteur est orienté vers la contemplation poétique dun signe ambigu : écrire un nom sur la neige nest pas le graver sur lécorce dun arbre.
D. Gleizes. Il me semble en effet que le romanesque est plus une catégorie de la réception que de lécriture, et cest le cas chez Hugo ; cest Gilliatt qui lit, peut-être, sa propre rencontre avec Déruchette comme romanesque, cest lui qui construit cette signification que le texte nentérine pas, au contraire. Le roman hugolien est romanesque ou non selon ce quen fait le lecteur, qui accomplit ou pas cette éventualité du texte ; mais sil laccomplit, il est vite reconduit dans le droit chemin
G. Rosa, à M. Roman. Ce qui est un peu gênant dans votre propos, cest que vous partez dune définition très large du romanesque, pour ensuite le restreindre aux situations amoureuses, puis létendre à nouveau à une définition théorique du genre. Pensez-vous quil puisse y avoir des situations romanesques en-dehors des situations amoureuses ?
M. Roman. Non. Si lon ne restreint pas cette catégorie aux romans sentimentaux, on doit y faire entrer des événements qui trouveraient une autre désignation, meilleure.
G. Rosa. Cest pour cela que vous avez exclu du romanesque ce qui fait partie du roman daventure.
C. Millet. Chez Sand, le romanesque ne sidentifie pas au sentimentalisme. Et chez Hugo, la problématique amoureuse glisse toujours vers autre chose.
M. Roman. Ce qui motive mon exclusion du romanesque chez Hugo, cest le fait quil fait si fréquemment référence au drame en parlant du roman ; on trouve beaucoup danalogies dans le traitement de lintrigue entre le roman et le genre dramatique, alors que le « romanesque » nest jamais évoqué.
G. Rosa. Pas si sûr. Vous rapprochez le roman du drame ; à linverse, on pourrait rapprocher le drame du roman, et montrer quil y a du romanesques dans les drames de Hugo, peut-être plus que dans ses romans! Ainsi, les héros des drames sont des « héros problématiques », plus conformes aux analyses de Lukacs que ceux des romans. Et il y a quelque chose de romanesque dans les amours de Ruy Blas et de la Reine qui, enjeu historique mis à part (mais croit-on vraiment que Ruy Blas restaurera lEmpire de Charles-Quint ?), ressemblent assez à ceux de Fabrice et de Clélia.
P. Georgel, à M. Roman. Je reviens à une remarque que vous avez faite, sur lessor du roman, pendant lexil. Il serait lié chez Hugo à limpossibilité de faire jouer son théâtre et fonctionnerait comme une compensation. Je ne le crois pas : roman et drame alternent dans la création de lexil, au point que Hugo mène parfois les deux de front.
M. Roman. Je me réfère en partie à larticle dYves Gohin, sur LHomme qui rit, qui compare ce roman à Mangeront-ils. LHomme qui rit se met en abîme dans son histoire de saltimbanques. De fait, le théâtre que Hugo écrit pendant lexil nest pas représenté, doù une convergence des deux types décriture, dramatique et romanesque. Mais il est vrai que je me suis mal exprimée en suggérant que lune se substituait à lautre. Il y a plutôt interchangeabilité, sans que cela infirme, au contraire, lidée quen conjuguant, comme le drame, lépique et le tragique, le roman hugolien séloigne nécessairement du romanesque.
J. Acher. Dans votre définition du romanesque, nexcluez-vous pas également le sentiment maternel ?
M. Roman. A mes yeux, Michèle Fléchard na pas grand chose de romanesque.
P. Georgel. La référence au romanesque chez Hugo renvoie souvent à un lectorat populaire. La Thénardier appelle ses enfants Eponine et Azelma Aujourdhui, ce serait Kévin ! En même temps, le peuple, chez lui, est (souvent) porteur des valeurs les plus hautes du roman.
C. Millet. Oui, le romanesque est renvoyé tantôt au lectorat populaire, tantôt au lectorat ultra ; lun ne vaut pas mieux que lautre, cest toujours une culture territorialisée. Et le contre-modèle romanesque lui permet décrire un roman qui ne produira pas des Thénardier.
G. Rosa. Dans Les Misérables, les amours esquissées de Théodule avec Cosette et dEponine avec Marius ouvrent deux petites failles possibles : une virtualité romanesque. Mais, loin de la réaliser, le texte se poursuit contre elle et signale de la sorte, presque explicitement, son régime anti-romanesque.
C. Millet. Quoi quil est soit, le romanesque est une catégorie très large, très souple. Au XIXe siècle, on ne le limite pas aux histoires amoureuses.
Marieke Stein
Equipe "Littérature et civilisation du 19° siècle"
Bibliothèque Jacques Seebacher, Grands Moulins, Bâtiment A, 5 rue Thomas Mann, 75013 Paris. Tél : 01 57 27 63 68; mail: bibli19@univ-paris-diderot.fr. Bibliothécaire: Ségolène Liger ; responsable : Paule Petitier
Auteur et administrateur du site: Guy Rosa.