Kekcekça ? (IV, 6, 2)

ou

Editer Les Misérables - A propos de la nouvelle édition de la Pléiade

(établie par Henri Scepi, avec la collaboration de Dominique Moncond’huy, Gallimard, 2018)

 

 

 

 

Auteur de cet article en même temps qu’administrateur du site où je le publie, j’ai à répondre d’une auto-édition, procédé peu honorable – même si Hugo, mais c’était Victor Hugo, y eut recours pour les Châtiments.

Il s’explique par la décision du Conseil de rédaction de Romantisme de ne placer sur le site de la SERD, où sont publiés les comptes rendus d’éditions, que la « première partie » de ma recension, troncature renouvelée, « en farce », de celle des Misérables eux-mêmes par le jury d’agrégation mettant au programme du concours, en 1995, les deux premières parties du roman.

Inutile d’ajouter que ce texte, comme tous ceux de ce site, n’engage que la responsabilité de son auteur.

G.R.

 

 

Comme jadis aux Grands écrivains de la France, un préjugé favorable s’attache aux éditions de la Pléiade, que leur valent la rigueur de leur cahier des charges et le recours à des spécialistes reconnus. Pour Les Misérables, ni Henri Scepi, quoiqu’il en ait publié un « foliothèque », ni Dominique Moncond’huy ne peuvent être considérés comme tels et ils n’ont pas non plus l’expérience des tâches d’une édition critique. Ç’aurait pu être sans conséquence si le corset des formes de la Pléiade n’avait pas égaré leur travail au lieu de le soutenir. La maison d’édition n’a pas su s’adapter aux deux exceptions du livre de Hugo : son devenir qui, à travers illustrations, adaptations et traductions, a muté son statut de texte littéraire français en celui de bien culturel – voire spirituel – mondial ; mais d’abord et très matériellement, sa longueur.

Gaston Gallimard en avait pourtant pris conscience qui, au lendemain de mai 68, proposa à Pierre Albouy, élu l’année précédente à la « chaire Victor Hugo » de la Sorbonne, de procurer dans la Pléiade une édition des Misérables qui serait complétée, dans la collection blanche, par autant de volumes que nécessaire pour recevoir essais, commentaires, éclaircissements, transcriptions de manuscrits, documents, annotation complémentaire, bibliographie critique…. P. Albouy convoqua, pour demander leur concours, les hugoliens que l’édition de l’œuvre de Hugo conduite par Jean Massin avait déjà fait travailler ensemble. Ce fut l’ébauche du futur « Groupe Hugo ». L’éclatement de l’Université de Paris ne fit pas complètement perdre de vue ce projet. Il resurgit, vingt ans plus tard, dans la suggestion, dont la Pléiade s’effaroucha, d’une édition des Misérables en trois volumes : l’un pour le texte, l’autre pour les notes et tout l’appareil critique ; un « album » aurait pris en charge la mutation du livre en mythe dans l’explosion des images.

Hugo en avait deviné le destin ; il écrit à Hetzel, le 4 juillet 1861 :

Les Misérables sont finis, mais ne sont pas terminés. […] Il faut que je passe l’inspection de mon monstre de la tête aux pieds. C’est mon Léviathan que je vais lancer sur la mer ; il a sept mats, cinq cheminées, les roues ont cent pieds de diamètre, les chaloupes pendues au flanc sont deux vaisseaux de ligne ; cela ne pourra entrer dans aucun port […].

« Cela », effectivement, n’est pas entré dans la marina de la Pléiade.

 

On a parié de faire tenir Les Misérables en un seul volume, sans contourner les points de passage obligé : introduction, chronologie, etc., auxquels s’ajouterait, heureuse initiative, un aperçu de ses avatars illustrés, mis en scène ou à l’écran. Pari tenu, en apparence. Ce volume garde l’allure d’un Pléiade, mais aux dépens de sa substance.

Le texte d’abord a été tassé : 1419 pages, 4,5% de moins que l’ancienne Pléiade de Maurice Allem qui survivait depuis 1951. Ce gain minime se paie cher : composé dans un corps plus petit, le texte est sensiblement moins lisible ; les appels de note s’amenuisent ; les appels de référence à l’apparat critique s’effacent – il n’y a que demi-mal. Mais le reste en pâtit aussi. Pour leurs interventions savantes dans le volume de la Pléiade contenant Notre-Dame de Paris et Les Travailleurs de la mer Jacques Seebacher et Yves Gohin disposaient de 780 pages ; MM. Scepi et Moncond’huy en ont eu exactement la moitié à mettre au service de l’œuvre majeure. Il y avait de quoi les décourager. Cette allocation parcimonieuse doit être comptée à leur crédit et tempérer la sévérité des critiques : d’avance leur éditeur leur coupait l’herbe sous les pieds.

 

Une Chronologie défective et pléthorique

 

On s’explique ainsi que certaines parties de l’ouvrage semblent sacrifiées, à commencer par la chronologie dont il aurait mieux valu se passer. Sa construction d’abord est absurde, à moins qu’elle n’oblitère volontairement la genèse du livre. Commençant en novembre 1845, c’est une chronologie, hâtive, de la rédaction du roman jusqu’à son interruption en février 1848 ; elle devient alors une chronologie complète de la vie et de l’œuvre de Hugo. La suspension du cours de Michelet y figure, pas Le Dernier Jour d’un condamné, ni Claude Gueux.

 

La répartition de la matière avec l’Introduction n’est pas mieux maîtrisée. Le flagrant délit d’adultère de juillet 1845, primum movens de l’écriture dans l’Introduction, est mentionné ici comme motif, deux ans plus tard, d’un recul, très hypothétique, devant la publication : « Le 30 décembre intervient la signature d’un contrat […] Mais Hugo, qui avait fait l’objet d’un constat d’adultère […] griffonne [...] “Injures que je prévois après la publication des Misères : l’auteur aurait pu nous peindre les Misères d’un pair de France et d’une femme pris en flagrant délit d’adultère.” » Pour la rédaction du livre Waterloo, ce n’est plus un décalage mais une vraie contradiction : la Chronologie la place à Guernesey entre le 8 et le 22 décembre 1861, l’Introduction en mai-juin à Mont-Saint-Jean. Ce défaut de cohérence explique peut-être certains manques. L’insistance de Hugo auprès de Lacroix pour obtenir, très vite, une édition petit format moins coûteuse est passée sous silence. Rien sur les échanges entre Hugo et G. Sand à propos du traitement de la religion et des prêtres. La lettre du neveu de Mgr de Miollis protestant contre l’usage fait par Hugo de la figure de son oncle est indiquée, mais ni les remerciements du duc d’Aumale pour le portrait de son père, Louis-Philippe, ni ceux de Barbès, pour la mention de son nom et l’évocation de son action, qui ne sont pas même signalés en note.

L’exécution est à la hauteur de la conception. Cette chronologie démarque, tacitement, celle écrite par Massin. Au point que la référence – CFL, t. VII, p. 1332 – de l’item,  « Repris Jean Tréjean. Je ne dine plus qu’à une (et non « 1 ») heure du matin, notera-t-il ainsi dans ses carnets à la date du 19 novembre 1847 »,  n’est pas celle attendue du carnet, mais de la page de la chronologie Massin ; au reste, pas de « carnets » ici : l’abréviation de Massin, J.C.J., désigne le Journal de ce que j’apprends chaque jour qui n’est pas un carnet. Récidive pour les dates des 16 septembre 1861 et 14 mai 1862. Souvent on recopie et, lorsqu’on réécrit, ce n’est pas toujours très heureux. Massin note, au 4 février 1862, « V.H. annonce à Lacroix que “la préface n'aura que deux pages” ; il a donc renoncé à donner Philosophie pour préface aux Misérables. » « Il a donc renoncé » fixe prudemment un terminus ad quem à l’abandon de Philosophie. La Pléiade le date : « En février […] Hugo renonce à l’idée d’une préface développée, de nature ou d’inspiration philosophique ». A quelle heure, s’il vous plaît ? aurait demandé Hugo.

Enfin toutes sortes de bévues et de manques ou de formulations maladroites : « En Belgique, Hugo a poursuivi, puis suspendu, la rédaction d’Histoire d’un crime. » Où l’a-t-il commencée ? « Le 26 avril [1860] Hugo reprend le manuscrit de ce qu’il appelle désormais Les Misérables. » « Désormais » intrigue car, deux pages plus haut, a été citée la lettre d’Hetzel du 17 mars 1857 : « Si vous étiez prêt pour le roman Les Misérables, j’irais vous trouver… ». Hetzel aurait-il deviné le futur titre avec trois ans d’avance ? En réalité, la publication des Misérables – trois parties, six volumes – est annoncée dès la 4e de couverture de l’édition des Châtiments en novembre 1853, et le sera de nouveau, l’année suivante, sur celle de la lettre ouverte A lord Palmerston. La chronologie n’indique que l’injonction de la Table du 15 septembre 1853 : « Grand homme termine Les Misérables », sans observer qu’il s’agit de la première apparition du nouveau titre, bientôt rendu public. Plus grave, une citation fautive – volontairement ? – aboutit à un contresens :

Du 12 mai au 30 Xbre, j’ai passé sept mois à pénétrer de méditation et de lumière l’œuvre entière présente à mon esprit afin qu’il y ait unité absolue entre ce que j’ai écrit il y a douze ans et ce que je vais écrire aujourd’hui. Provisa res. Aujourd’hui je reprends […].

Manque avant Provisa res la phrase qui le fait porter non sur ce que Hugo va écrire mais sur ce qu’il a écrit douze ans auparavant : « Du reste tout était solidement construit. Provisa res.» 

D’une manière générale, la formation de la première version du livre, Les Misères, est maltraitée – et ne l’est pas qu’ici. Alors que l’envoi du texte à l’impression est suivi, derrière Bernard Leuilliot, livre par livre, la progression de la rédaction avant l’exil est éclipsée, quoique la scandent une douzaine de dates sur le manuscrit. En janvier 1847 il a « peu progressé », en février 48 il a pratiquement fini, rien entre les deux sinon des interruptions : « Il se consacre activement à sa tâche, même si c’est de manière discontinue. » L’invention de nouveaux personnages et les changements de leurs noms, Marius excepté, ne sont pas plus datés quoique Le Manuscrit des Misérables de René Journet et Guy Robert en donne le tableau. L’histoire de l’écriture du roman est remplacée par les émotions de Juliette à sa lecture. Le succès de la publication de ses lettres a séduit outre mesure l'éditeur, soucieux de nouveauté. Il laisse ignorer le retour esquissé à la rédaction des Misères en août 1851,  le poème « Tu me dis : Finis donc ton livre des Misères » en novembre, et, au lendemain du coup d’Etat, l’hésitation entre l’engagement du combat par la plume et l’achèvement du roman, mais pas la date à laquelle Juliette s’installe à La Fallue « d’où elle aperçoit la fenêtre de la chambre de Hugo ».

On attendait enfin, ici ou ailleurs, un recueil complet des déclarations, exceptionnellement nombreuses et précises, de Hugo lui-même à propos de son livre. Elles sont éparpillées entre la chronologie et la présentation, et beaucoup manquent ou sont tronquées, comme celle par laquelle on a commencé. La Lettre à M. Daelli, le traducteur du roman en italien, jugée suffisamment importante pour être jointe in extenso à l’édition ne varietur, n’est citée que pour deux petites phrases. Absente aussi cette note : « J’avais fait, sous le nom de Marius, des quasi-mémoires, expliquant ce que j’ai appelé quelque part la révolution intérieure d’une conscience honnête. Ceci n’a été compris qu’à moitié. »

 

Des Misérables sans Misères

 

Les Misérables sont écrits, cas unique dans l’œuvre de Hugo, en deux campagnes d’écriture, séparées par le temps (une douzaine d’années), l’espace (la mer et une frontière), l’histoire (une révolution, une république, un coup d’Etat), par la mutation du statut de son auteur, passé de l’Académie, de la chambre des Pairs et des fêtes de la monarchie à un exil encore sans gloire, et par le bouleversement complet de ses convictions. Revenir au vieux manuscrit des Misères, le corriger, l’augmenter autant que de besoin et parachever le récit, l’affaire allait si peu de soi que Hugo prit le soin, cas unique aussi, de conserver et de recueillir, au moins en partie, les feuilles, notes et bouts de papier où s’était inscrite la transformation du roman, son progrès. Il intitule de sa main cette liasse « Reliquat des Misérables » ; ses exécuteurs testamentaires banaliseront ce geste en l’appliquant de leur propre chef à tous les autres titres, allant chercher, çà et là, dans la montagne des manuscrits, ce qui pouvait se rapporter à chacun ; Hugo, lui, l’avait inventé pour cette œuvre et le lui avait réservé.

Cette métamorphose des Misères en Misérables, que Hugo souligne encore en inscrivant, à la fin du chapitre où il s’était arrêté en février 48 : « Ici le pair de France s’est interrompu, et le proscrit a continué », toutes les éditions un tant soit peu savantes des Misérables se sont attachées à en rendre compte depuis plus d’un siècle : celle de l’Imprimerie Nationale, en 1908, conduite par Paul Meurice en personne assisté de Gustave Simon qui succède au défunt Auguste Vacquerie, date la période de rédaction de chaque chapitre ; G. Simon, en 1928, donne le texte suivi des Misères ; M. Allem reprend ces données dans les notes de la Pléiade de 1951 comme le fera Marius-François Guyard dans les deux volumes « Garnier jaune » de 1963 ; la même année, R. Journet et G. Robert, complètent et corrigent considérablement le travail de G. Simon par la description fine du Manuscrit des Misérables – descendant au niveau du mot pour 83 chapitres, du paragraphe pour les autres ; dans l’édition des œuvres complètes chez R. Laffont, collection « Bouquins », R. Journet reconstitue et publie, sous le titre Le Dossier des Misérables, la liasse des feuilles et papiers réunis par Hugo dont nous venons de parler en explorant, dans la totalité des manuscrits, la fameuse cote 128, donnée, dans l’inventaire notarié après décès, au dossier que Hugo avait intitulé « Reliquat des Misérables » ; nous-même avons publié, sous forme de tableaux comparatifs, à côté du texte définitif, les deux états du manuscrit : celui du premier jet antérieur à toute addition et celui atteint en février 1848 à l’interruption de la rédaction. Toute cette besogne n’est pas vaine. Rien n’est plus utile face à un texte que de pouvoir le comparer, pain bénit si c’est à lui-même.

Intégrer cette masse de données génétiques et les commenter aurait demandé à H. Scepi plus de place, ou des sacrifices ; livrer les conclusions générales de leur examen et renvoyer à une source extérieure pour leur détail matériel aurait rompu la formule éditoriale de la Pléiade en mettant à mal l’autosuffisance prétendue du volume. On a baissé les bras, sans s’en expliquer. Mais, comme il aurait été inconvenant d’ignorer tout à fait Les Misères, l’annotation est chargée de « variantes », choisies sans qu’on sache comment et jamais commentées. Pourtant, remords ou retour du refoulé, cette genèse occultée pèse sur cette édition et semble venger son oubli en conduisant H. Scepi à l’irrecevable, voire à l’irréparable – jusqu'à réimpression. On n’en donnera que quelques illustrations.

 

Abordant « la singulière genèse de l’ouvrage », l’Introduction décide que le passage des Misères aux Misérables n’est pas, comme « on dit parfois » (en réalité, toujours), « celui d’une “version” embryonnaire à une autre, plus développée et plus complexe », mais qu’il « serait plus exact de voir dans ces deux livres deux projets distincts, deux œuvres séparées. » Décret audacieux – il n’y a qu’un manuscrit – mais très utile à qui préfère laisser de côté le premier de ces deux livres. A défaut d’arguments, l’annulation des Misères est concrètement accomplie par le saut qui, de « Aux origines du roman » à « 1848, année pivot », enjambe toute la période créatrice. De ce qui a été écrit entre la fin de l’année 1845 et 1848, il n’a pas été et ne sera pas question. L’Introduction, en cela cohérente avec la Chronologie, peut se dérouler paisiblement : elle s’applique à un texte écrit tout entier pendant l’exil et ne s’en cache pas : « Gardons présent à l’esprit le fait que ce roman, quoique commencé à l’automne de l’année 1845, est pleinement et totalement une œuvre de l’exil. » Ce « quoique » a bon dos : il servirait aussi bien à dire tout le contraire.

Le même escamotage préside à la construction de la Note sur le texte qui prend un étrange chemin pour aboutir à « La présente édition ». Elle pouvait s’y consacrer toute entière et commence effectivement, comme si c’était son projet, par une description de l’édition originale, du contrat, de l’association avec Pagnerre, etc. Mais au lieu de l’attendu « C’est cette édition que nous reproduisons », le rédacteur s’aperçoit qu’il a trop vite assimilé la tâche de Hugo à la sienne et qu’avant de publier son livre, Hugo, lui, a dû l’écrire. Il faut battre en retraite et faire laborieusement marche arrière : « Cette publication est bien sûr un aboutissement qui couronne plus de deux années d’un travail intense et assidu… » Deux ? Nouvelle régression : « deux années d’un travail intense et assidu si l’on s’en tient à la seule période de reprise et d’achèvement pendant l’exil. Mais c’est en réalité une temporalité beaucoup plus vaste qui doit être prise en compte. Elle est déterminée par trois moments décisifs : 1845-1848 (amorce de la rédaction des Misères …) […]. » Fameuse amorce, puisque le texte rédigé avant l’exil occupe plus de la moitié du texte définitif.  L’histoire de la rédaction commence alors, curieusement proportionnée.

Une demi-page détaille l’ « amorce », à peine plus que pour la période 1848-1860 où Hugo n’écrit rien. On peut en venir à 1860-61 : deux pages. Il s’agit maintenant, pour V. Hugo et H. Scepi, de la publier : trois pages intitulées « Vers l’édition originale ». Titre bizarre puisque la première ligne – « La composition est cependant lancée dès décembre 1861 » – dit qu’on y est déjà, mais qui s’explique si l’on comprend que ces pages acheminent moins vers l’édition originale que vers l’établissement du texte de la Pléiade, aussi excellent et plus que cette originale qu’il reproduira, avec des corrections venues des « Autres éditions » (deux pages), des « Editions critiques » (une page) et même du manuscrit (moins d’une page). Au total cette Note sur le texte, qui met si assidûment la charrue avant les bœufs et arrive au manuscrit dont elle aurait dû partir, emploie moins de trois pages à dire l’écriture de l’œuvre et dix à ses diverses éditions.

Quos vult perdere…, la réalité se venge d’avoir été volontairement méconnue. Cela se produit dans la petite page consacrée au manuscrit. H. Scepi restreint d’abord l’utilité du manuscrit pour l’établissement du texte à la confirmation des épreuves :

[…] le manuscrit s’avère être une source précieuse et un point de référence pour le travail d’établissement du texte. Hugo, on l’a dit, y a en effet consigné la plupart des modifications qu’il a souhaité voir apporter à son livre lors de la correction des épreuves. 

Il s’attache ensuite à dénigrer ce manuscrit. Certes, dit-il, l’écriture de l’exil, très différente de celle d’avant l’exil – c’est faux mais passons –, aurait dû permettre à G. Simon, « qui, le premier tenta de publier la version des Misères », d’en reconstituer le texte. Entendons qu’il n’y est pas plus parvenu que ses successeurs. Pourquoi ? Parce que ce texte n’existe pas, qu’il vient en intrus parasiter celui des Misérables et que, de toute manière, il est effacé, raturé, illisible :

Cependant, sauf exception, le texte des Misères n’a aucune autonomie spécifique ; il se mêle aux transformations intervenues à partir de 1860 au moment de la reprise du manuscrit ; il laisse deviner ses contours originels quand il ne disparaît pas sous des quadrillages de biffures et des barres d’encre épaisse, pour laisser place, en marge ou dans l’interligne, à un texte sensiblement différent. 

La conclusion de ce chaudron argumentatif en avoue le motif : « Notre propos n’étant pas de réaliser une édition génétique [qui serait une billevesée], nous avons pris la décision de ne transcrire le “texte des Misères” [les guillemets rappellent qu’il n’existe pas, même si on le transcrit] que ponctuellement, dans les notes, […]. » Rappelons que des négociations sont engagées depuis plusieurs semaines pour la publication des Misères lorsque Hugo en interrompt la rédaction, et laissons-le dire lui-même ce qu’il en est de ce texte sans « aucune autonomie spécifique » :

      Aujourd’hui, 30 Xbre 1860, je me suis remis à écrire Les Misérables. Du 26 avril au 12 mai, j’ai relu le manuscrit. Du 12 mai au 30 décembre, j’ai passé sept mois à pénétrer de méditation et de lumière l’œuvre entière présente à mon esprit, afin qu’il y ait continuité absolue entre ce que j’ai écrit il y a douze ans et ce que je vais écrire aujourd’hui. Du reste, tout était solidement construit. Provisa res. Aujourd’hui je reprends, pour ne plus la quitter j’espère, l’œuvre interrompue le 14 février 1848. 

On comprend maintenant pourquoi H. Scepi rejette ces lignes dans la Chronologie et ne les reproduit que tronquées.

Mais on ne comprend pas comment il peut aller jusqu’à falsifier le manuscrit lui-même. Il écrit : « Lorsqu’il s’est interrompu en février 1848, Hugo avait rédigé :

– pour la Ire partie, le début du livre VI (« Javert »), le livre VII (« L’Affaire Champmathieu ») et le live VIII (« Contrecoup ») ; […] ».  Donc monseigneur Bienvenu, l’entrée de Jean Valjean à Digne, l’accueil de l’évêque, la jeunesse de Jean Valjean et sa famille disparue, le vol du pain, la condamnation, les évasions et les dix-neuf années de bagne, le vol des couverts d’argent, le don des flambeaux, la rencontre de Petit-Gervais, Cosette remise aux Thénardier, Jean Valjean devenu M. Madeleine, la charrette soulevée sous l’œil terrible de Javert, la « descente » de Fantine, la poignée de neige dans son dos, l’intervention de M. Madeleine pour lui éviter la prison, les soupçons de Javert, tout le début mémorable daterait de l’exil ? C’est absurdement faux : il n’y avait pas besoin de compulser Le manuscrit des Misérables pour le savoir ; les notes de M. Allem suffisaient et ses successeurs auraient dû faire confiance à la Pléiade. Telles sont les mésaventures de l’inconscient.

 

Un texte des Misérables sans manuscrit…

 

Établir le texte des Misérables lorsqu’on est fâché avec le manuscrit est périlleux. Imprécises et trop exclusivement destinées à justifier la décision de reproduire l’originale belge, les pages de la Note sur le texte consacrées à son établissement (1542-1545) ne permettent pas de comprendre les données du  problème qu’il pose.

S’agissant de Hugo, le manuscrit ne peut être considéré comme « une source précieuse » pour l’établissement du texte, « un point de référence » entre d’autres. Toute sa conduite, le soin qu’il prend de reporter sur son manuscrit les corrections et ajouts faits à la copie, puis ceux des épreuves, et d’y porter même des ajouts ultérieurs à la publication, la conservation vigilante et presque superstitieuse de la « malle aux manuscrits », la reliure de plusieurs qui leur donne l’aspect d’un livre, l’intercalation de dessins de sa main dans celui des Travailleurs de la mer qui en fait une édition illustrée princeps, les dispositions testimoniales qui prévoient le legs à la Bibliothèque Nationale de tous les manuscrits et leur publication exhaustive par ses exécuteurs testamentaires aux frais de la succession, bien d’autres choses encore, obligent à penser que Hugo trouve dans le manuscrit, parce qu’il porte trace du travail, du temps et du corps, la forme accomplie de  son œuvre. Voire de son être. Pierre-Marc De Biasi, dans une étude récente, montre que le vaste dispositif dont Hugo entoure l’ensemble des choses « écrites ou dessinées » de sa main le constitue en « second corps » de l’écrivain, son golem,  son « œil spirituel » qui, au-delà de la mort, « restera ouvert, plus grand que jamais ».

La meilleure édition d’une œuvre de Hugo reproduirait donc ce qu’on peut appeler le « manuscrit étendu » : le manuscrit proprement dit, tel que modifié ou complété de la main de l’auteur sur la copie, les épreuves ou dans des instructions données. Car ce qu’il écrit et veut, positivement, n’est pas de la même autorité que ce qu’il laisse imprimer. Qui ne dit mot consent, certes ; à condition que ce consentement tacite soit éclairé ; une faute ignorée n’est pas approuvée. Si l’on dispose outre le manuscrit, comme pour William Shakespeare, de la copie et des épreuves corrigées, le manuscrit étendu est formé de leur somme ; si l’un ou l’autre manque, à plus forte raison les deux, l’éditeur doit conjecturer pour chaque écart entre le manuscrit et le texte publié s’il résulte d’une intervention de Hugo à la copie ou aux épreuves, ou s’il est dû à l’initiative d’un tiers : copiste, typographe ou le couple Meurice-Vacquerie délégué au contrôle de l’impression. Une phrase présente au manuscrit et manquante à l’édition originale – c’est la source la plus abondante d’incertitude – a-t-elle été rayée par l’auteur à la copie ? sur les épreuves ? sautée par la copiste ou par le typographe sans que Hugo s’en aperçoive ? ajoutée sur le manuscrit après la publication ? Il peut même arriver que l’auteur l’ait rétablie sur les épreuves et que son instruction n’ait pas été exécutée, ou encore qu’une correction aux premières épreuves soit suivie d’effet aux secondes et que le texte imprimé revienne à la version fautive initiale.

Le plus souvent les épreuves manquent, comme pour Les Travailleurs ; pour Les Misérables, c’est la copie. Quelques feuillets pourtant, de la main de Juliette, qui couvrent la quasi totalité des chapitres I, 1, 1 à 13, ont été reliés avec le manuscrit. Ils se sont substitués à lui, après corrections et ajouts, mais sans le faire disparaître et l’on dispose ainsi du manuscrit et de sa copie pour l’essentiel du premier livre. Cette copie n’a pas été envoyée à l’imprimeur, mais celle qui l’a été devait lui être conforme puisque les mêmes écarts, nombreux, avec le manuscrit s’observent aux épreuves.  Ils y ont été parfois corrigés par Hugo ; le plus souvent il les a ignorés, soit qu’il ait jugé ces fautes négligeables, soit qu’il ne les ait pas vues. Il semble que le travail de Juliette se soit amélioré ou qu’elle ait été rapidement remplacée par Victoire Étasse et Julie Chenay, plus attentives, puisque ces écarts entre le manuscrit et les épreuves se raréfient au-delà du premier livre. Sans disparaître pourtant. L’absence de la copie interdit qu’on les lui impute avec certitude, mais il n’existe aucune raison pour ne pas appliquer aux Misérables les conclusions extrapolées d’autres œuvres dont la copie est disponible : les typographes commettent peu d’erreurs de texte mais alourdissent sensiblement la ponctuation, l’inverse est vrai des copistes employées par Hugo.

Quant à la perfection de la correction de la copie et des épreuves par Hugo, volontiers invoquée et qui dispense d’y aller voir, c’est une fable. Le double jeu d’épreuves de William Shakespeare, corrigé l’un par Hugo, l’autre par A. Vacquerie, montre que, dans cet exercice qu’il n’aime pas, Hugo est bon mais nullement infaillible. Beaucoup d’erreurs lui échappent, en général mineures il est vrai. Il corrige les épreuves en graphiste, soucieux de la mise en page, du corps des titres, des départs en belle page, et en écrivain : sans se reporter à la copie. C’est encore plus vrai de cette dernière : quand il la révise, il continue d’écrire autant voire plus qu’il ne corrige, améliorant son texte et, surtout, y ajoutant.

 

Tout cela, H. Scepi a préféré l’ignorer ou n’en pas tenir compte. Se fiant aux identités de genre, d’époque et d’éditeur avec Les Travailleurs de la mer, il a pris modèle sur l’édition d’Y. Gohin et décidé de reproduire comme lui l’originale belge, sans tenir compte du fait qu’Y. Gohin disposait, lui, de la copie. Or Hugo y intervient pour amender ou enrichir son texte beaucoup plus souvent qu’il ne le fait aux épreuves, de sorte que les cas d’incertitude où l’on ne sait si tel écart entre le manuscrit et l’édition est ou non le fait de Hugo sont sensiblement moins nombreux pour les Travailleurs que pour Les Misérables. L’IN, qui non seulement intègre, comme déjà l’édition ne varietur, toutes les instructions données par Hugo depuis l’originale, mais examine ces cas d’incertitude et les tranche le plus souvent en faveur du manuscrit, offrait une alternative d’égale valeur au moins. Contestable donc, le choix de l’originale belge est surtout plus formel que réel. D’une part la volonté explicite de Hugo oblige non seulement à développer les initiales abrégeant les noms (Digne au lieu de D.– ; Montreuil-sur-Mer pour M.– sur M.–, etc.) mais aussi à intégrer une dizaine d’additions demandées ultérieurement et introduites dans les éditions suivantes, de sorte que ce n’est déjà plus l’originale belge qu’on donne à lire. D’autre part, une fois reconnu à l’IN « le mérite de revenir aux sources du manuscrit de façon presque toujours pertinente », on peine à se justifier de ne pas l’avoir retenue : « Toutefois loin de se faire un devoir d’inventorier et d’apprécier à leur juste valeur certaines des corrections faites sur épreuves par Hugo [?!], cette édition reconduit elle aussi trop souvent des leçons ou des choix de ponctuation fautifs ou discutables. » Entre ce retour pertinent au manuscrit et ces choix fautifs qu’a-t-on fait ? Est-ce l’originale qui est suivie plutôt que l’IN lorsqu’elles étaient en désaccord ? selon quelle règle ? à défaut, quels critères ? La réponse inquiète : « […] le recours au manuscrit et aux trois autres éditions mentionnées plus haut a permis de corriger certaines erreurs, de dissiper des doutes ou de lever des hypothèques. » Difficile d’être moins précis.

Il faut donc y aller voir. On l’a fait pour les quatre premiers chapitres du premier livre de la première partie – c’est celui où la copie de Juliette provoque le plus de divergences avec le manuscrit mais c’est aussi, en ce début, le lieu de la plus grande vigilance des autres intervenants – et les trois premiers de la cinquième partie où le manuscrit, limpide, ne risquait pas de dérouter la copiste. Les résultats de cet examen, détaillés dans les tableaux en annexe, montrent que, lorsque l’originale belge et l’IN ne concordent pas, l’édition de H. Scepi, quoi qu’il en dise, reproduit l’IN dans près de la moitié des cas pour la ponctuation, le quart pour le texte proprement dit.

 

ni apparat critique….

 

Cette édition produit donc un texte nouveau et hybride. Il n’y a pas de mal à cela, mais la règle, depuis la Renaissance pour les textes anciens et Lanson pour les modernes, veut – c’est ce qui définit une édition critique – que, lorsque l’éditeur s’écarte du texte, manuscrit ou imprimé, dont il a établi qu’il était le meilleur, ce geste soit justifié par l’application d’une règle générale explicite ou, s’il n’en suit aucune et procède cas par cas, qu’il indique à chaque fois sa décision au bas de la page et s’en explique ; c’est l’apparat critique. Le choix y est évidemment proscrit : il faciliterait l’arbitraire en le dissimulant. La portée de l’apparat critique peut être élargie et rendre compte des écarts entre eux de tous les textes reconnus comme pertinents, même lorsqu’ils n’affectent pas le texte établi ; c’est ce que font J. Seebacher et Y. Gohin dans leur édition de Notre-Dame de Paris et des Travailleurs de la mer, mais cela reste facultatif. On s’explique que, dans le cas présent, l'éditeur n’ait pas poussé le scrupule aussi loin : son apparat critique occupe pour chaque livre du roman à peu près autant de place que celui de J. Seebacher ou Y. Gohin pour chaque page. Mais on ne s’explique pas qu’il manque si souvent à ses devoirs.  Il ne signale, pour les chapitres examinés, que deux corrections apportées à l’originale belge soi-disant reproduite (toutes deux en I, 1, 4, dont l’une répare une coquille) sur les huit qu'il a faites. Il indique – ce à quoi d’ailleurs rien ne l’obligeait – deux corrections possibles et non retenues, mais pas une vingtaine d’autres. Moins il y en aura, plus on persuadera que toutes les éditions sont proches de celle choisie. Sur ce dernier point, la présentation de l’apparat critique est si floue qu’elle reste exacte : « Les variantes […] indiquent, plus rarement, quelques leçons des éditions ultérieures devenues plus ou moins familières… ». Mais, sur le premier, elle s’était imprudemment engagée : « A l’exception des coquilles et autres fautes d’impression évidentes, des quelques ponctuations amendées et du développement […] des toponymes réduits d’abord aux initiales, toutes les corrections apportées ont été signalées en variantes […]. » A s’en tenir à notre échantillon, ce n’est vrai, on l’a vu, qu’une fois sur quatre. Bref, cette édition souffre d’un établissement du texte insincère et peu fiable.

 

… mais normalisé

 

Le pire cependant n’est peut-être pas là mais dans l’application des normes de la Pléiade, qui distingue fortement cette édition de toutes celles qui lui sont antérieures – et probablement, Dieu merci, de celles qui la suivront. En 1951, M. Allem appliquait déjà une normalisation orthographique et typographique ; elle restait légère : l’IN reproduite s’était chargée d’effacer les archaïsmes manifestes et les irrégularités les plus voyantes. Depuis, la Pléiade s’est prise pour l’AFNOR.

Déjà Y. Gohin observait que son édition des Travailleurs de la mer s’écartait moins de l’édition de référence par les modifications qu’il y avait apportées que par l’application des normes de la collection. Il les énonce plus clairement, plus complètement et de manière plus ordonnée qu’ici, et il en commente l’effet ; suivons-le. Comme lui, on admet l’unification de l’orthographe et sa modernisation académique pour les traits d’union (c’est-à-dire, au-dessus), la majuscule pour la désignation des individus par les noms de nationalité ou pour ceux des régions (« langue du Midi »); avec lui on regrette cependant la « petite trahison » de l’abandon d’orthographes personnelles, et d’autant plus vivement défendues par Hugo : « aîle », « quatrevingt-treize », ou de graphies encore partagées de son temps, voire du nôtre, mais rejetées par une Pléiade ultra : « lys », « gaîment », « dénûment ». Le droit qu’on s’arroge de corriger un auteur aussi attentif que Hugo finit toujours par engendrer incohérences et fautes : pourquoi « Maevius » au lieu de « Mævius » ? « Shakespeare » par deux fois (IV, 7, 1 et V, 1, 2), alors qu’on s’est vanté de respecter « les graphies plus ou moins vieillies de certains noms propres, qui sont très largement attestées à l’époque (Shakspeare pour Shakespeare…) » et qu’on l’a fait en I, 4, 1 ? C’est sans gravité. L’est aussi, encore qu’elle soit fort déplaisante, l’inscription en chiffres de tous les nombres, cardinaux et ordinaux, heures et dates, écrits en toutes lettres par Hugo qui y tient puisque, sur ce point, il fait toujours respecter sa volonté à la correction des épreuves.

En revanche, l’idéologie s’en mêle lorsque la normalisation consacre comme une essence, par une majuscule, ce à quoi Hugo, avec la permission de toutes les éditions antérieures, la précédente Pléiade comprise, ne reconnaît pas cette qualité : le Bon Dieu, l’Empereur et son Empire, l’Eglise, les Cultes qui ont des ministres, la Révolution, la Création, l’Antiquité… Dans Les Misérables, Hugo laisse l’originale belge sacraliser l’Etat, mais dès le livre suivant, William Shakespeare, il corrige systématiquement et obtient le retour à l’idée, minuscule, qu’il a de l’état. Il avait eu raison des typographes de MM. Lacroix et Verboeckhoven ; le voici trahi par la Pléiade.

Il l’est encore davantage par une autre manie normative. Pour qui a vu Hugo prendre la peine, au manuscrit de L’Homme qui rit, de corriger un « Mlle » en « mademoiselle », la réduction mécanique des titres de politesse à leur abréviation est choquante. Elle affecte le sens. « Madame la comtesse de Lô » veut ses titres, tout au long, c’est même son péché mignon ;  « Mme de Lô » lui fait offense. La désignation administrative de Mlle Baptistine et de Mme Magloire leur ôte l’affectueux respect dont le narrateur entoure mademoiselle Baptistine et madame Magloire. Monseigneur Bienvenu aime être appelé de ce nom : « Bienvenu corrige Monseigneur » dit-il ; mais corrige-t-il « Mgr » ? Le caprice est inhérent aux pouvoirs abusifs. Pour une obscure raison, ou sans raison, le titre du chapitre initial « M. Myriel » a été développé (mais pas dans la table des matières)  en « Monsieur Myriel », et de même au suivant : « Monsieur Myriel devient monseigneur Bienvenu », sans égard pour la double substitution, du nom et du titre de politesse, tracée par Hugo : « M. Myriel devient monseigneur Bienvenu ». Sans cette conversion, l’évêque serait resté ce que reste « M. Gillenormand ». L’incohérence attendue complète le tableau : s’adressant à madame Magloire, monseigneur Bienvenu lui dit : « Vous avez raison, madame Magloire. » Mais, à propos de M. Géborand achetant pour deux sous de paradis, il doit dire « Voilà M. Géborand… », qui est aussi malaisé à prononcer que « M Pokora ». Allons au dernier cercle de ce petit enfer typographique.

Le roman de Hugo on le sait, roman théâtral voire « théâtre–roman », caractérise ses personnages par leur langage plus que de toute autre façon. La parole y règne et la misère est silence – Mabeuf – ou poésie – Gavroche. Sa représentation passe par tous les moyens, guillemets, tirets, italiques, utilisés seuls ou combinés. Y. Gohin en juge l’emploi aléatoire ; à voir le manuscrit où l’ajout de guillemets ou de tirets est fréquent, ce n’est pas si sûr. Quoi qu’il en soit, Hugo n’enfreint pas l’usage qui réserve les guillemets aux textes cités et aux paroles rapportées, le tiret au dialogue et généralement à la parole prononcée et entendue. Faisant sienne la norme instituée par l'Imprimerie Nationale, la Pléiade n’y consent pas et décrète qu’une réplique isolée n’est pas une parole : « “Il y tiendrait bien vingt lits !” dit-il, comme se parlant à lui-même » au lieu de : « – Il y tiendrait bien vingt lits ! dit-il… » Une sottise a souvent à cœur d’être complète : la première réplique d’un dialogue n’est pas un dialogue puisque la seconde n’est pas encore venue ; elle aura donc un guillemet ouvrant, les suivantes un tiret auquel s’ajoutera, à la fin de la dernière un guillemet fermant – absurde, mais il faut bien fermer un jour les guillemets qu’on a ouverts. De là des pages remplies de dialogues bancals où le premier qui ouvre la bouche est ventriloque. Et même le second pour peu qu’il ait laissé passer une phrase du narrateur avant de répondre : « L’évêque, arrivé à lui, lui toucha le bras : “Monsieur le marquis, il faut que vous me donniez quelque chose.” Le marquis se retourna et répondit sèchement : “Monseigneur, j’ai mes pauvres. – Donnez-les-moi” dit l’évêque. » Comme à l’ordinaire, on finit pas s’empêtrer : « Comme l’évêque était de petite taille, il ne put y atteindre. – Madame Magloire, dit-il, apportez-moi une chaise. Ma Grandeur ne va pas jusqu’à cette planche. »

 

Broutilles, dira-t-on. Mais la seule vue d’un manuscrit de Hugo, de sa copie ou des épreuves, persuade que ces broutilles ont retenu son attention. Qu’avons-nous de mieux à faire pour leur refuser la nôtre ? Il existe une loi d’entropie – utile en philologie à l’établissement du stemma – qui veut que chaque reproduction d’un texte hérite des fautes antérieures et y ajoute les siennes. De proche en proche, surtout en numérique où la reproduction est gratuite et la correction coûteuse, un texte devient vite méconnaissable. Les éditions critiques, c’est leur raison d’être, bloquent plus ou moins brièvement cette dégradation. Celle-ci ne remplit pas cette fonction, au contraire. Somme toute, mieux aurait valu que la Pléiade reproduise le texte de son ancienne édition. H. Scepi ne dira jamais, écrira moins encore, qu’il l’aurait fait sans les exigences, publicitaires plus que commerciales, d’une « nouvelle édition ». Quoi qu’il en pense.

 

Un Atelier déserté

 

Comme de la Chronologie et de l’apparat critique, les éditeurs auraient eu intérêt à faire l’économie des pages qui usurpent le titre d’Atelier des Misérables. La place manquait, de toute manière, pour en montrer plus qu’un recoin, assombri par le peu d’intérêt porté à la genèse du livre. Tout ce qui est publié ici l’était déjà, de manière plus satisfaisante, dans les reliquats de l’IN ou dans Le Dossier des Misérables. Celui-ci, signé par R. Journet seul après la mort de G. Robert mais héritant du long travail partagé avec lui, procure tous les textes susceptibles, en l’état actuel de la science, d’être rattachés à l’écriture du roman. Ils sont nombreux et divers: notes de travail, en particulier listes de choses à faire établies à la reprise de la rédaction en 1860, ici évoquées mais pas reproduites, scénarios et ébauches de toute sorte, premières versions réécrites, récits et développements abandonnés, notes prises par Hugo – pour Waterloo, les égouts, l’émeute de 1832…–, par Juliette – sur le cartonnage fin –, ou par Léonie – sur l’argot –, documents manuscrits dont il s’est servi – narrations de Juliette et de Léonie impartialement sollicitées à propos du couvent, précisions topographiques demandées à Théophile Guérin –, et même dessins de la main de Hugo – un mur d'Hougomont, la carte des rues autour de la barricade. Il fallait reproduire ce Dossier ou y renvoyer et renoncer à cette section. Très sensiblement moins complète même que le reliquat de l’IN, elle ne dégrade pas seulement l’ensemble dont elle ne fournit qu’un échantillon étriqué, mais aussi chacun des textes qu’elle ampute de l’environnement où il prend sens, voire qu’elle atteint dans son intégrité.

 

Celui qui, depuis l’IN, porte le titre de « Préface philosophique » mais que Hugo avait intitulé Philosophie – Commencement d’un livre, subit ces trois dommages. Il n’avait, d’abord, pas sa place ici. Hugo l’avait laissé inachevé et inédit ; les exécuteurs testamentaires en joignent le manuscrit à celui du reliquat des Misérables qu’ils confectionnent, et le publient avec le premier volume des Misérables, mais comme un texte autonome et non au sein du « Reliquat » des tomes II et III. Quoiqu’il soit rédigé parallèlement à la préparation de l’achèvement des Misérables et qu’il relève du  même type d’écriture abstraite en prose que plusieurs des grandes « digressions » ajoutées durant l’exil, ce texte s’apparente davantage à une quinzaine d’autres de même type dont il n’est que le premier. Il doit être publié avec eux. C’est ce qu’a montré, et fait, Y. Gohin dans la section Proses philosophiques des années 60-65  du volume « Critique » de l’édition « Bouquins ». H. Scepi le sait, n’en souffle mot, croit cependant devoir se justifier et produit l’ordinaire sophisme de forme « rien ne le prouve pas » : « Hugo avait-il le dessein de revenir ultérieurement sur ce texte en vue d’en faire réellement la préface de son livre ? Rien n’interdit de le penser. » Tranquillisé, il prélève un dixième de ce « Commencement d’un livre » (combien fait un dixième de commencement ?) et le place dans un ensemble hardiment intitulé « Préface philosophique et autres projets de préface ». Chaque extrait est suivi de sa référence dans le manuscrit. Pour faire sérieux. Comme deux ou trois corrections signalées. Le scrupule ne va pourtant pas jusqu’à indiquer que tel texte qui commence une section n’est pas son vrai début et qu’on a sauté une page.

 

Les « autres projets de préface » ont également leurs références : au bas de chaque texte celle du manuscrit, en note et globalement pour l’ensemble celle dans Massin, dans Journet et dans l’IN (avec, ici et plus loin, une numérotation erronée du volume). Les apparences sont sauves. Pourtant ces trois éditions ne sont pas identiques entre elles et celle-ci ne l’est à aucune. L’IN fournit douze textes. Massin en rejette deux, sans doute parce que, datés par l’IN des années 1830, il était peu probable qu’ils concernent vraiment le roman. Le Dossier des Misérables en donne dix-huit : Journet réintègre les deux textes exclus par Massin parce qu’il les date différemment (1846 à 1847) ; deux autres ne figurent plus, apparemment parce qu’ils n’appartiennent pas à la cote 128 ; huit sont ajoutés. Entre ces puissantes autorités le cœur d’H. Scepi a balancé, silencieusement car il n’en dit rien. Sans considération de leur nouvelle datation, il rejette, comme Massin, les deux textes datés par l’IN des années 1830, mais il accueille, Dieu sait pourquoi, l’un des huit ajoutés par Journet. Le plus curieux est de le voir dater les textes par l’écriture du manuscrit. Le temps des grands ancêtres qui le faisaient – Meurice, Simon, Cécile Daubray, Journet et Robert, puis, moins volontiers et plus prudemment, P. Albouy, Annie Ubersfeld, J. Seebacher – ce temps est clos ; ce savoir s’est perdu ; plus aucun spécialiste de Hugo ne prétendrait le détenir encore. On comprend donc que l’éditeur de la Pléiade recopie, toujours sans le dire, les datations des maîtres, quitte à les simplifier : 1861 lorsqu’il voit 1860-1862 ; on s’étonne qu’il prenne parti pour un 1858 de Journet contre le 1860 de l’IN et ailleurs, inversement, pour le 1862 de l’IN contre un « vers 1850 » de Journet ; mais on admire l’impudence qui prononce « 1846-1847 » pour un fragment non daté par l’IN et rejeté par Journet.

 

Les trois textes de la deuxième section intitulée « Ebauches » sont en réalité des premières versions entièrement rédigées et même corrigées. Ont-il été choisis parce qu’ils correspondent chacun à un fait d’écriture particulier ? C’est possible, mais il faut le savoir pour y voir le motif de leur choix. Chacun, ici isolé, ne peut être rapproché des comparables, et est lui-même tronqué – double extraction fatale au sens. 

Le premier illustrerait la transformation complète, en 1846-47, tout à la fois d’un épisode et d’un personnage, si l’on avait donné le texte complet de la version initiale du chapitre fameux  Comment Jean peut devenir Champ (I, 6, 2). Javert y demande au maire de Montreuil-sur-Mer de le faire destituer pour l’avoir dénoncé comme étant le forçat évadé Jean Tréjean, dénonciation calomnieuse puisque le vrai Jean Tréjean vient d’être reconnu en la personne du soi-disant Champmathieu. Réduit au tiers central du chapitre, l’extrait est peu parlant et H. Scepi est à la peine : 

La comparaison avec le texte définitif montre combien Hugo est désireux de trouver la bonne mesure, c’est-à-dire l’accommodation idoine à la fois par rapport aux enjeux latents de la fiction (la révélation de la véritable identité de M. Madeleine et les conséquences juridiques et pénales qui en découlent) et au maintien du suspense pour le lecteur (M. Madeleine sera-t-il démasqué ? ). 

L’IN, qui restitue le texte en amont et en aval de l’extrait de la Pléiade, est plus à l’aise et plus juste dans sa lecture du chapitre entier : « Dans cette première version Javert a pour M. le maire “ une sorte de vénération franche et presque affectueuse ”. Quelle différence avec le type définitif qui, dans son aversion instinctive, ne se dément jamais ! » La remarque est d’ailleurs reprise, mais bien plus loin, dans une note (6, p. 1575). Pourquoi pas ici ? Ajoutons qu’on reproduit la transcription par R. Journet (cela se voit aux virgules, on ne s’en méfie jamais assez), mais assortie en trompe l’oeil de quelques variantes. Souvent erronées (« état » et non « éther », « dans le royaume » et non « dans tout le royaume », la suppression cursive de « même taille, même air, même son de voix » suit « vous lui ressemblez un peu » et ne le corrige pas), elles ne réussissent pas à donner le change : il en aurait fallu dix fois plus pour être exact. D’ailleurs ces variantes ornementales se raréfient vite, puis disparaissent de l’Atelier.

 

Le deuxième texte décrit le trajet dans Paris de Jean Valjean poursuivi par Javert. Il ne saurait pas non plus illustrer à lui seul le processus auquel participe son remplacement, en 1862, par un parcours tout différent. Jean Valjean va toujours du Bd. de l’Hôpital au pied du mur du couvent. Mais ce dernier, en 1847, est sis rue Neuve-Sainte-Geneviève (ancien nom toujours lisible,  gravé çà et là dans la pierre, de l’actuelle rue Tournefort), où les Dames du Saint-Sacrement avaient un établissement. Ses constructions, réaménagées, existent encore. En 1862, le couvent se trouve rive droite, au 62 d’une imaginaire petite rue Picpus, au cœur d’un « quartier Saint-Antoine », quelque part entre la Bastille et la gare de Lyon. Apparemment, il ne s’agit que de « dépayser », c’est le mot de Hugo, le couvent : de changer son adresse et les noms des rues alentour qui le feraient reconnaître, afin d’éviter les plaintes, « criailleries » dit Hugo, pouvant entraîner interdiction. On sait cela depuis l’IN. H. Scepi s’en tient à ce motif anecdotique ; on a peine à croire qu’il soit le seul.

D’abord parce que Hugo va de Charybde en Sylla en adoptant un nom presque identique à celui du couvent de Picpus, célèbre pour avoir donné sépulture, jusqu’en 1792, à nombre de victimes de la Révolution, comme font les religieuses de Hugo pour leurs sœurs défuntes. D’ailleurs, s’il ne s’était agi que de prendre quelques précautions, le maquillage de la toponymie suffisait, et Hugo l’avait envisagé, sans y ajouter celui de la topographie. Il était superflu de décrire ce quartier fantomatique, inconnu des cadastres mais lourdement symbolique. Il a eu « l’aspect monacal d’une ville espagnole », avant que ne le transforment « de fond en comble les travaux récents, enlaidissement selon les uns, transfiguration selon les autres » qui ont substitué aux cultures et aux vieilles bâtisses « …des embarcadères de chemin de fer, une prison, Mazas ; le progrès comme on voit, avec son correctif ». « Il y a trente ans, ajoute Hugo, ce quartier disparaissait sous la rature des constructions nouvelles. Aujourd’hui il est biffé tout à fait. » La métaphore thématise la mutation du texte et interroge presque ouvertement sa valeur : si la substitution d’une gare et d’une prison au couvent du Petit-Picpus est une avancée douteuse de la civilisation, la rature du couvent de 1847 est-elle, pour le texte, un progrès ?

Signe que la question se posait, Hugo hésite longtemps : la décision du dépaysement est prise in extremis mais envisagée dès le début de la seconde campagne de rédaction. Surtout, le couvent de la rue Neuve-Sainte-Geneviève n’est pas « biffé tout à fait », bien au contraire. Hugo, qui a fait relier le manuscrit, y conserve à sa place le texte de 1847 et rejette le nouveau en annexe ; il note aussi pour lui-même, à propos des autres corrections qu’exigera le « dépaysement » : « ne faire des altérations de cette nature que sur la copie ». Se réservait-il la possibilité de revenir au couvent de 1847 lorsque les « criailleries » ne seraient plus à craindre, comme il fait pour d’autres noms de lieux et de personnes ? Quoi qu’il en soit, en donnant aux deux versions du couvent une égale dignité matérielle dans le manuscrit, il leur reconnaît une égale valeur littéraire. Celle de la première version est explicitée par une note : « Texte non modifié, tel que je l’ai écrit dans la réalité absolue. » Effectivement, la description réaliste du couvent dans Les Misères était celle d’une chose existante et reconnaissable – c’est même ce qui l’exposait à la censure. Or cette réalité du couvent de la rue Neuve-Sainte-Geneviève apportait un démenti à la perspective idéologique nouvelle donnée à sa représentation par les ajouts et corrections de l’exil, celle d'une disparition historique inéluctable des assemblées conventuelles. Car, en 1862, le couvent de la rue Neuve-Sainte-Geneviève ne prospérait peut-être pas, mais il était toujours là, et pour longtemps : les bénédictines ne quittèrent Paris pour la Normandie que dans les années 1930. Le déplacement du couvent, moins dans l’espace que dans le temps, évite cette contradiction latente. Le Petit-Picpus, lui, a entièrement disparu, avec tout le quartier, disparition annoncée au chapitre Fin du Petit-Picpus, conforme aux leçons du livre Parenthèse ajouté en exil, et d’autant plus complète et certaine qu’il a « du reste existé à peine », ainsi que le signale au lecteur attentif un Hugo plus honnête qu’on croit.

À ce bénéfice s’en ajoute un autre, décisif. Jusqu’à l’interruption de 1848, l’époque représentée est toute proche : les insurgés de la barricade combattent le roi qui règne encore ; Les Misères sont un roman d’actualité sociale et politique. En 1862, l’ « époque des émeutes », oubliée, appartient désormais à l’histoire, comme Waterloo, comme le royalisme voltairien de M. Gillenormand, comme le couvent – si c’est celui du Petit-Picpus. En même temps qu’il choisit de le déplacer, Hugo note « Je me décide à tout mettre à l’imparfait ». Misères : « Rien ne ressemble plus à la première porte cochère venue que la porte cochère du numéro 12 de la rue Neuve-Sainte-Geneviève. » Misérables : « Rien ne ressemblait plus, il y a un demi-siècle, à la première porte cochère venue que la porte cochère du numéro 62 de la petite rue Picpus. » 12 + 50  ans = 62. Des Misères au Misérables, ce recul dans le temps est général. Il était inévitable : la seule lecture de ce qu’il avait écrit douze ans plus tôt, oblige Hugo à corriger tous les « aujourd’hui », à employer l’imparfait, à ajouter douze ou quinze années – et souvent beaucoup plus car il profite de l’occasion – à l’ancienneté des choses et à l’âge des lieux. Le génie de Hugo fut d’en prendre conscience, de convertir les circonstances en signification, d’accepter que le livre fût ce que la durée, entre 1848 et 1860, et les événements avaient fait de lui : un roman devenu lui-même objet historique, susceptible d'interroger l’histoire à travers la sienne propre. Je ne peux plus signer ce que j’avais écrit, le monde autour de moi et moi-même ont changé, est-ce à bon droit et pour devenir meilleurs? Le lecteur non plus ne peut se soustraire à cette sorte de piège temporel ; la distance interne du texte à lui-même se redouble pour lui, comme une longue vue qu’on déploie : le progrès avorté aux barricades de 1832, accompli en février 48, fêlé en Juin, cassé au coup  d’Etat, a-t-il repris son cours ? qu’en est-il aujourd’hui ? des livres de la nature de celui-ci sont-ils devenus inutiles ? C’est ainsi que « l’histoire mélancolique de Jean Valjean » devient toute l’Histoire. Tout ceci n’a rien d’original et résume différents travaux des dernières décennies ; pourquoi H. Scepi, qui les mentionne en bibliographie, n’en fait-il pas usage ?

 

Quoique plus long, le troisième texte est de moindre portée. Avant février 1848, plusieurs pages critiquaient la philosophie politique, la conception de la Révolution en particulier, des républicains au lendemain de Juillet 1830. Avant de les supprimer, l’exilé désavoue le Hugo louis-philippard : il les place entre guillemets et ne les présente plus comme les objections de « penseurs désintéressés et solitaires » mais de « ceux qu’on pourrait appeler les théoriciens de la demi-révolution de 1830 ». S’il s’agissait d’illustrer la désinvolture du procédé, il y avait mieux. Rien de ces considérations guillemetées n’a été retenu au chapitre IV, 1, 4 auquel l'éditeur les réfère à tort : quelques idées seulement ont servi, sans guillemets, au chapitre IV, 1, 2 où elles sont finalement attribuées, cynisme achevé ou autocritique plus sévère, non plus à des théoriciens « sincères » mais aux « habiles », aux « hommes d’état », aux « politiques ingénieux à mettre aux fictions profitables un masque de nécessité ». Mais s’il s’était agi d’éclairer le contenu et les moyens de la réorientation politique du roman, il aurait fallu davantage et autre chose. De ces pages écartées du manuscrit avec bien d’autres analogues presque rien n’est utilisé : beaucoup plus que par la manipulation des doctrines, la révision politique passe par leur abandon. Elle est assurée par la matière romanesque : par de nombreux détails – la suppression des « poignards » dans l’armement des insurgés –, par l’ajout d’épisodes entiers – la rencontre entre Myriel et le Conventionnel G. –, et principalement par la réévaluation du groupe des Amis de l’ABC. Hugo s’en donne plusieurs fois la consigne : « Approfondir les jeunes gens républicains », « relever les jeunes gens, les honorer. » Surtout, globalement, le parti-pris politique s’efface derrière la perspective historique qui ne se contente pas d’ajouter Waterloo, Louis-Philippe et les barricades de Juin 48, mais, on vient de le signaler, tire parti de la durée de l’écriture pour saturer d’Histoire celle de l’action.

 

Ce texte aurait donc dû rejoindre ceux des Pages écartées du manuscrit. Les deux premiers, le mariage de Tholomyès et la scène de la carrière, méritent le caractère anecdotique que confère à tous ceux de cet Atelier la pratique du prélèvement et l’exiguïté du commentaire ; parasitaires, ils l’étaient ; Hugo y abuse de deux traits dominants de la construction de l’intrigue : la  circularité des liens entre les personnages et les surprises du hasard. Signalons pourtant qu’à propos de la scène de la carrière H. Scepi écrit : « Hugo avait un temps formé le projet de faire se rencontrer dans une carrière, et peut-être fraterniser, les étudiants républicains […] et les brigands de Patron-Minette […] ». On n’en croit pas ses yeux. C’est juste l’inverse ; cette rencontre, il suffit de lire, infirme l’accusation de collusion avec la délinquance volontiers portée contre l’insurrection. Il s’agissait d’illustrer la séparation absolue, dans le troisième dessous social, entre les sapes creusées par les réformateurs et « la cave des aveugles ». Hugo avait-il deviné que la scène de la carrière pouvait prêter à contresens et devenir contre-productive ? la Pléiade lui donnerait raison.

L’éclatante beauté du dernier texte, intitulé Les Fleurs depuis l’IN, justifierait presque qu’on saisisse tout prétexte pour le publier, fût-ce en annexe de L’Art d’être grand-père. Sa présence ici s’exposerait aux mêmes objections que celle de la prétendue « Préface philosophique » s’il ne se rattachait au roman par des liens plus serrés, dont l’ancienne Pléiade à la suite de l’IN rend mieux compte que la nouvelle. Les deux premiers chapitres du livre VII de la troisième partie, tout entier de l’exil, Les mines et les mineurs et Le bas-fond, abordent l’envers criminel de la misère, celui qui donne sens accusatoire au titre du roman. Mais le propos général fait immédiatement place à la présentation de la fine équipe de Patron-Minette qui assistera Thénardier dans le guet-apens puis dans son évasion, et le livre s’arrête là. Initialement, il se poursuivait dans un texte d’une étendue et d’une portée beaucoup plus vastes, inédit jusqu’à l’IN. Dans les mœurs des bas-fonds, l’envoi d’une fleur dessinée par un prisonnier à une détenue l’attache à lui dans une totale servitude amoureuse. Ce sera, plus loin, le moyen de communication des bandits avec l’extérieur ; c’est ici l’objet d’une éblouissante analyse psychologique, morale et spirituelle. Elle s’achève ainsi :

[…] sous ces fatalités sans pitié […] au fond du chaos de toutes les noirceurs possibles […] là où tout est éteint, là où tout est mort, quelque chose remue et brille. Qu’est-ce ? Une flamme.

    Et quelle flamme ? 

    L’âme.

    O adorable prodige ! Stupeur sacrée ! la preuve se fait par les abîmes.

La révélation finale – que Claquesous, Gueulemer et Babet ont ainsi « attaché à leurs ressources » les anciennes amies de Fantine, Dahlia, Zéphine et Favourite, « tombées, elles aussi, de cercle en cercle, au septième » – pourrait venir tout de suite ; elle est différée par un long excursus, écho très amplifié de l’ancien discours Sur la misère et sorte de commentaire général des Misérables. Égalité du droit à la représentation dont doivent bénéficier l’abjection d’en-haut – Isabeau de Bavière – et l’abjection d’en bas – « Fanchon-la-Cogne » ; scandale majeur de la misère faite aux femmes – « Il y a du sacrifice humain dans la prostitution » ; vision nécessairement hallucinée des réalités du mal social parce que « leur incohérence avec la nature humaine leur ôte la vraisemblance » ; exploitation des basses classes par les hautes : « production des enfers par les paradis » ; « divinité de la misère », parce qu’elle est souffrance ; inachèvement de 1789 jusqu’à l’éradication de la misère parce que « tant qu’il y a eu des sujets, les misérables étaient, pour ainsi dire, de droit ; mais là où il n’y a que des citoyens, il ne peut plus y avoir de misérables » ; distinction entre la douleur, qui est de Dieu, ou de la nature, et la misère qui est de l’homme : les thèmes sont familiers, mais leur convergence est unique dans l’œuvre de Hugo.

G. Simon (ou P. Meurice) ne s’étonne pas que ce « plaidoyer en marge du roman » n’y ait pas été inclus ; M. Allem, juge, lui, que « dans un roman où l’auteur a introduit des digressions du volume de Waterloo ou de L’intestin de Léviathan », celle-ci « n’eût pas paru déplacée », et il est vrai qu’elle est aux bandits et aux prostituées, « sœurs de charité du crime », ce que Parenthèse est aux religieuses et à la prière. Quoi qu’il en soit, sa mise à l’écart surprend moins que celle du premier développement et du retour final des amies de Fantine, beaucoup plus brefs et rattachés directement à l’action. Peut-être Hugo a-t-il vu qu’il avait assez consommé de coïncidences romanesques pour ne pas en ajouter une, qui n’était pas indispensable et faisait exception, pour représenter la misère, à l’emploi de personnages disparaissants, les reparaissants balzaciens convenant à la société close, pas à l’océan de la misère.

Peut-être, surtout, a-t-il perçu qu’à ce point où la spiritualité se noue à la morale, ce qu’il avait écrit mettait en danger tout le livre. « La preuve se fait par les abîmes » ? Certes. L’âme est ce qui, en soi, n’est pas soi ; tout acte par lequel l’individu sort de lui-même ou s’en déporte, toute effraction du moi, toute dépossession de soi fait surgir l’âme, et la misère, viduité de tout, communique par là avec l’infini. Jean Valjean, vidé de sa haine et de sa colère par l’accueil de Myriel tente deux fois de reprendre possession de lui-même : en volant l’évêque à défaut de le tuer et en attaquant Petit-Gervais ; Javert, écrivant sa note de service testamentaire, le tente également et se supprime faute de se reprendre. Les pauvres gagneuses de Saint-Lazare achèvent aussi leur perte et commencent leur salut en se donnant aux bandits-fleurs dans ces unions obscènes aussi sérieuses que des mariages.

Mais, depuis le besoin d’idéal subsistant chez ces femmes, depuis le dévouement qui toujours chez Hugo « prouve » l’âme par la foi consciente ou non, un emportement de la phrase et de la pensée conduit plus loin. Il passe par on ne sait quelle réciprocité, entre le sujet et l’objet du dévouement : 

Le fil chimérique des hyménées célestes flotte sous la plus noire voûte de l’Erèbe humain et lie des cœurs désespérés aux cœurs monstrueux. 

et aboutit, chimère et désespoir oubliés, à l’extase :

 D’un pôle à l’autre de la misère, d’une géhenne à l’autre, du bagne au lupanar, des bouches de ténèbres échangent éperdument le baiser d’azur.

L’éclat des fleurs du mal restait esthétique ; ici pointe le sentiment d’un bien du mal, la spéculation d'une transcendance inversée, d'un ciel infernal :

Pressez la fille et le bandit, mêlez le Tartare à l’Averne, remuez la fatale cuve des fanges, entassez toutes les difformités de la matière ; qu’en sort-il ? l’immatériel.

Plus besoin du poète pour faire de l’or avec la boue donnée ; il suffit de mélanger les abjections et d’augmenter la pression pour qu’elles explosent en étoiles. Cette religion noire finit par avoir son miracle : l’histoire du lys suant une goutte de sang à l’exécution simultanée de Ratta et de Malagutti, qui fait dire à la malheureuse, ignorante duquel des deux elle avait reçu le lys : « Je suis madame [et non « Mme »] Ratta-Malagutti. »

Si l’on ne prend pas les métaphores au pied de la lettre, la preuve de l’âme par le dévouement de la prostituée à son proxénète est discutable (cris de la presse, déjà indignée de bien moins) ; si on les prend au sérieux, si l’on croit que « la corruption dégage de l’incorruptible », elle est philosophiquement et religieusement peu acceptable, moralement intolérable. Hugo ne s’y est pas risqué et a réservé ce texte « pour [s]on travail sur L’Ame », à bon droit. Les mêmes raisons expliquent peut-être l’abandon de La Fin de Satan. Quoi qu’il en soit on attendait de H. Scepi, volontiers métaphysicien, qu’il consacre à ces Fleurs un petit commentaire autre que factuel, comme avaient fait tous ses prédécesseurs.

 

Quand l’Esprit tue la lettre

 

Présenter Les Misérables est une gageure ; le livre est si connu – du moins le croit-on – que les présentations ne sont plus à faire ; son auteur lui-même renonça à le préfacer autrement que par dix lignes réduisant sa portée à son utilité. Sa perfection et son ambition débordent de toutes parts les rubriques de rigueur : circonstances personnelles et historiques de la création, originalité littéraire, thèmes, fortune de l’œuvre. H. Scepi en adopte le parcours mais veut les subordonner à un propos plus élevé. Ce propos, on l’entrevoit pourtant plus qu’on ne le saisit et l’on ne saurait le reformuler. Hugo écrit quelque part que « l’inconvénient des mots, c'est d’avoir plus de contour que les idées ». Ceux qu’emploie H. Scepi ne mettent pas cet obstacle à l’expression des siennes. C’est pourquoi les remarques qui suivent sont faites sous toutes réserves avec le sentiment de notre insuffisance et ne visent pas une lecture, qu'on voudrait pouvoir dire « chrétienne », du roman, mais les procédés de son application.

 

L’effacement factuel signalé de la rédaction des Misères, s'assortit, sans grande logique, d'une interprétation biographique. Reconnaître dans le choc, coup sur coup, de la mort de Léopoldine et du flagrant délit d’adultère de juillet 1845 – même amorti en « révélation publique de sa liaison adultère » –, ce qui « expliquerait la détermination avec laquelle Hugo s’attelle […] à la rédaction des Misères », implique que quelque chose de cette atteinte passe dans ce qu’elle provoque. Le plus souvent, les commentateurs, faisant jouer des ressorts psychologiques ou inconscients, analysent les personnages cruciaux comme transposition fantasmée : du moi par scission – Jean Valjean et Marius –, des femmes aimées par concentration – Juliette et Léonie en Fantine, Adèle, Juliette et Léopoldine en Cosette –, et lisent le schéma de leur destin, où la culpabilité s’inverse en héroïsme et la déréliction en sublime, comme une autobiographie presque naïvement compensatrice. Tout cela, H. Scepi ne le récuse pas mais l’absorbe, et s’en détache, dans l’évocation des dispositions spirituelles et religieuses qui auraient lancé l’écriture des Misères.

Il la prépare dans le commentaire du célèbre scénario en quatre lignes : « Histoire d’un saint, Histoire d’un homme, Histoire d’une femme, Histoire d’une poupée ». Sans examiner l’hypothèse habituelle qui reconnaît Myriel dans le saint, Jean Valjean dans l’homme, Fantine dans la femme et Cosette dans la poupée, il l’interprète, au prix d’une inversion chronologique dite « réversibilité » et sans rejeter tout à fait les assignations évidentes, en identifiant Jean Valjean aux deux figures du saint et de l’homme, Cosette à celles de la femme et de la poupée :

Si on y discerne la réversibilité potentielle de l’homme en un saint par le seul exercice du bien, si par là, de fait, s’indique encore de façon sommaire la ligne qui va de Myriel à Jean Valjean, en revanche le rapport entre la femme et la poupée demeure plus opaque, plus énigmatique. Nul doute [?!] qu’un faisceau d’idées et d’affects s’y noue qui, outrepasse tout à la fois la simple référence à Fantine, l’évocation du destin de Cosette, enfant sauvée du néant et promise à devenir femme, ou le recours à l’objet transitionnel de la poupée que, le soir de Noël, Jean Valjean offre à la fillette […]

Ce faisceau d’idées et d’affects qui outrepasse tout à la fois Fantine, Cosette et la poupée – les  personnages sinon le roman – est lui-même destiné à un second dépassement :

Quelque résonnance plus profonde, plus intimement ancrée dans la sourde mélodie des âmes en souffrance, préside à l’aurore de ce livre. Car ce besoin de sainteté, cet élan de sublimation ou de décantation spirituelle qui élève l’homme au rang de la divinité et lui fait toucher du doigt le voile sacré du mystère est aussi l’aspiration de Hugo lui-même qui […] connaît deux épreuves majeures, de ces moments décisifs qui ont capacité à ébranler durablement l’assise des certitudes, à bouleverser les ordres de grandeur et à rassembler, au cœur d’une simple flamme qui brille, la forme chancelante de l’essentiel.

Le retentissement des deux épreuves, la mort de Léopoldine et le flagrant délit, mobilise ensuite des formules du même registre : « ressaisissement symbolique de la perte en vue d’un allègement de la conscience coupable », « ascèse personnelle », « scénario idéal parce que ouvertement réparateur, qui assigne au bagnard un rôle de sauveur » ; « les poèmes que Hugo compose au cours de l’année 1846, la plupart voués à raviver la sainte effigie de Léopoldine » ; « de cette dévotion à Léopoldine morte le personnage de Cosette recueille la ferveur substantielle. Et l’histoire de Jean Tréjean […] atteste la sainteté d’un père […]. »

Passons sur la « détermination » de Hugo aux premiers moments de l’écriture, très lente au contraire et comme incertaine, sur la qualification inappropriée de l’amour pour Léopoldine par le terme de « dévotion », toujours pris en mauvaise part dans Les Misérables, et aussi sur cette « ascèse personnelle » dont Juliette à la rigueur aurait pu témoigner, à son corps défendant, mais que démentent alors de leur corps consentant Léonie, et bientôt Alice Ozy. Ces entorses à l’exactitude sémantique ou biographique sont significatives, moins décisives cependant que l’aura religieuse dont H. Scepi veut envelopper l’écriture du livre. Rien, sinon peut-être la lecture de la Bible, du livre de Job en particulier, dont H. Scepi aurait pu tirer parti, n’indique que la mort de sa fille, ou la claustration de sa maîtresse, ait communiqué à Hugo le moindre élan de « décantation spirituelle », ni ne lui ait « fait toucher du doigt le voile sacré du mystère ». Rien : ni les poèmes désolés des futures Pauca meae, ni les froides notes dépersonnalisées du Journal de ce que j’apprends chaque jour et surtout pas les premières pages des Misères. Assombries par ce « jour de soupirail » si justement décrit par Jean Gaudon, elles ne contiennent virtuellement La Fin de Satan que pour la souffrance désorientée du maudit, nullement pour sa rédemption.

Certes, « Le livre qu’on va lire est un livre religieux », ainsi que le dit la prétendue « préface philosophique ». Mais c’est en 1860. H. Scepi met à l’origine de l’œuvre l’aboutissement de sa très longue élaboration. Religieux, le roman l’est devenu dans l’exil, en même temps d’ailleurs qu’anticlérical. La preuve s’en trouve dans la comparaison des Misères et des Misérables, évidente et massive pour l’ajout très tardif du livre Parenthèse, avec les chapitres La prière et Bonté absolue de la prière, mais non moins convaincante par les détails. Autant et plus que « le côté politique de l’évêque », les additions de l’exil modifient son côté religieux : portrait de Mademoiselle Baptistine – « C’était une âme plus encore qu’une vierge » ; doctrine morale de l’évêque – « Etre un saint, c’est l’exception ; être un juste, c’est la règle. Errez, défaillez, péchez, mais soyez des justes. » ; critique de l’athéisme qui est la Philosophie après boire du sénateur Géborand ; bénédiction au contraire demandée par l’évêque au Conventionnel ; Solitude de Monseigneur Bienvenu, qui le déporte du clérical vers le religieux ; une partie de Ce qu’il croyait et la totalité de Ce qu’il pensait :

     Il n'essayait point de faire faire à sa chasuble les plis du manteau d'Elie; il ne projetait aucun rayon d'avenir sur le roulis ténébreux des événements; il ne cherchait pas à condenser en flamme la lueur des choses; il n'avait rien du prophète, et rien du mage. Cette âme humble aimait; voilà tout.

     Qu'il dilatât la prière jusqu'à une aspiration surhumaine, cela est probable; […]

Le Myriel des Misères est un évêque exceptionnellement charitable, celui des Misérables un homme de Dieu qui se trouve être évêque.

 

On ne s’y serait pas attardé si cette évocation abusive de ce qu’on peut deviner de l’état d’esprit de Hugo au seuil de l’aventure des Misérables n’était exemplaire d’une conduite herméneutique générale. On vient de la voir convertir une signification seconde en intention première; la même matérialisation du signe en trace appliquée aux caractères littéraires de l’œuvre veut qu’ils expriment tous la même chose et les y fait concourir de force.

Le développement consacré à l’esthétique romanesque des Misérables est intitulé « Le premier personnage est l’infini » ; tout se passe comme si le récit n’en comportait pas d’autres. Ne discutons pas ici la lecture des textes sur lesquels H. Scepi fonde sa définition des Misérables comme « livre sur l’infini », ni non plus le sens restreint, religieux ou platonicien, qu’il donne au mot, contrairement à Hugo qui y englobe ce que l’idéalisme lui oppose – « Dieu et en particulier le monde » dit-il très étrangement –, et acceptons aussi que le roman hugolien soit roman de l’infini par opposition avec le roman réaliste, Balzac et Flaubert confondus, roman du relatif, des intérêts, au mieux du désespoir d’un monde sans Dieu. Mais observons que cette caractérisation rencontre d’évidentes objections, plus ou moins habilement combattues. Les digressions, par exemple, rompent l’esthétique bornée du réel ; Balzac en a aussi, mais les siennes « consolident la cohérence informative du propos » tandis que Hugo « converse avec son lecteur, l’interpelle, l’invite à réfléchir ». Est-ce bien sûr ? On les juge d’ordinaire, et c’est leur style distinctif, énergiquement assertives, impérieuses, nullement dialogiques, de sorte que, si le roman hugolien est « roman pensif » (les guillemets n’appelaient-ils pas une note ?), c’est moins par leur matière propre que par l’incongruité de leur présence, l’écart énonciatif et intellectuel avec la narration.

Surtout, cette définition du roman hugolien reste toute négative : ce n’est pas parce que Balzac et Flaubert ferment la porte de l’infini que tout ce qui n’est pas balzacien l’ouvre. Il serait plus juste, quoique plus banal, d’observer que Les Misérables sont sinon le seul du moins le plus balzacien des romans de Hugo et qu’y travaille une tension interne au texte entre une esthétique globalement réaliste et des échappées qui, elles, ouvrent sur la rêverie, la pensée, l’infini si l'on veut. Telles sont la théâtralisation du dialogue en scènes virtuellement autonomes – le « plus souvent » entre Fauchelevent et la Supérieure, l’accueil dans l’éléphant, le discours de Champmathieu ; la charge historico-autobiographique d’un texte qui rivalise à sa manière, dont H. Scepi ne dit rien, avec Les Mémoires d’outre-tombe ; l'abandon, que Zola tentera d'imiter, du décor à valeur indicielle pour le lieu symbolique (le couvent, l’éléphant, la masure Gorbeau, l’égout). La construction des personnages illustre aussi cette tension.

Leur nombre d’abord, plusieurs centaines, la variété de leurs appartenances et la continuité entre les individus nommés et la foule des anonymes ou des groupes débordent le réalisme balzacien d’une société bornée aux dimensions de l’arrondissement parisien ou provincial : autre forme d’infini, humain cette fois, négligée par H. Scepi. Laissant de côté Gribier, Théodule et Navet pour ne s’intéresser qu’aux personnages cruciaux, il en fait, après Baudelaire et d’autres, des « abstractions vivantes », des « figures idéales », la représentation plus ou moins hyperbolique d’une généralité. C’est par là qu’ils toucheraient à l’infini. Il concède cependant que, souvent, l’intervention du narrateur-auteur vient leur donner cet aspect, attaché à leur histoire plus qu’à leur être. C’est déjà admettre que les personnages ne se réduisent pas à l’allégorie. Mais, H. Scepi aurait dû l’observer, comme cette histoire n’a rien d’une courte fable, leur parcours les charge de plusieurs valeurs symboliques différentes, et aux implications contraires. Le bagne fait de Jean Valjean la figure du « sacrifice humain » accompli par la pénalité sociale (Un homme à la mer) ; il est aussi celle de la bienfaisance laïque (M. Madeleine), de la conscience (« Faire le poème de la conscience humaine… »), de la paternité (et de la maternité : « C’est peut-être ma mère, cet homme-là », dit Cosette); il est encore « le Veuf ». Ces idéalités devraient se fondre dans le ciel des idées (la bienfaisance dictée par la conscience est une paternité élargie, etc.) ; la tempête sous un crâne dit l’inutile effort de les accorder. Le destin de Fantine symbolise l’esclavage moderne de la prostitution, mais aussi la servitude maternelle et l’asservissement amoureux. Le personnage subit cette triple aliénation dont chacune exclut les deux autres; c’est trop pour l’allégorie, qui ne connaît ni contradiction, ni souffrance. Fantine, belle et sérieuse, attirante sans le savoir, confiante jusqu’à la naïveté, tantôt taciturne et tantôt volubile, courageuse et travailleuse, a « la farouche bravoure de la vie ». Ne voir en elle qu’une « instance devenue lisible et donnant à penser », c’est la prostituer de nouveau, même si c’est au sens et à la littérature. H. Scepi s’en rachète, un peu tard, dans une note (41, p. 1567) ; pour l’heure, il sent la nécessité d’équilibrer cette idéalisation peu compatissante :

Telle est sans doute la condition à emplir  pour maintenir dans l’ordre de la prose narrative la perspective de l’infini et du sublime, laquelle toutefois doit s’accommoder [il est avec le Ciel des accommodements] des contraintes et des critères du monde observable, ou feindre du moins [nous y voilà !] d’intégrer dans sa ligne de fuite les composantes de la réalité sensible et matérielle. Le roman ne peut faire l’économie des aspects divers du monde fini ; Hugo ne l’ignore pas qui s’emploie à composer des “milieux” […]

Des exemples suivent :

Myriel, allégorie de “la charité hyperbolique” comme l’écrit Baudelaire n’est pas dissociable de la ville de Digne dont il entretient de ses traits d’esprit et de sa “foi perpétuelle” les habitants ; le portrait du vieux M. Gillenormand […] s’inscrit dans une période et des mœurs que pénètre l’œil de l’historien, […] – d’ailleurs le salon “ultra” de Mme de T. […] n’est-il pas une recréation concertée du Cabinet des antiques de Balzac ? 

Marius appartiendrait au milieu des étudiants militants ; Thénardier à celui des bandits. 

C’est mal trouvé et prêter à Hugo ce qui plus que tout le distingue de Balzac. Lui, par conviction d’abord mais également par réalisme, récuse la détermination des individus aussi fermement qu’il combat les peines irrévocables. Préférant les livrer au hasard qu’à la force des choses, il fait des personnages peut-être ballottés par les aléas de la vie, mais libres. Dans la fiction hugolienne, la « double appartenance » est de règle (Gwynplaine : lord et monstre de foire ; Cimourdain, prêtre robespierriste) et il n’est pas besoin d’une lecture très attentive des Misérables pour y observer la généralisation des états civils ahurissants, des migrations et des reconversions. Madame Victurnien, gardienne des bonnes mœurs, est veuve d’un « moine échappé du cloître en bonnet rouge » ; l’inspecteur Javert est  « né dans une prison d’une tireuse de cartes dont le mari était aux galères » ; plus sûrement que la phtisie les déracinements successifs tuent Fantine. Myriel ne relève d’aucun « milieu » : ni le clergé où il entre, veuf, par vocation tardive, ni la noblesse parlementaire (déjà bâtarde) dont il vient et où s’enkyste sa sœur, ni non plus Digne où il arrive tard et n’a aucune attache: il a émigré en Italie et parle toutes les langues, dont le patois de ses paroissiens, mais n’a pas l’accent. Fauchelevent, paysan presque lettré devenu presque notaire, se ruine, fait le charretier à Montreuil-sur-Mer, finit jardinier à Paris, dans un couvent quoique toujours bonapartiste ; son alter ego, le père Mestienne, fossoyeur ivrogne, a été remplacé par le sobre Gribier qui a « étudié jusqu’en quatrième » ; le salon de madame de T. n’est pas un milieu mais une coterie aristocratique où ses opinions font admettre Gillenormand dont la naissance bourgeoise l’aurait exclu. Il apprend à Marius, qui n’en a cure, qu’on ne peut être à la fois baron et avocat. Thénardier partage avec Jean Valjean les aptitudes et le destin d’un caméléon social.

L’imposition à un texte, directement, point par point et dans tous ses caractères littéraires constitutifs, d’une signification univoque rencontre toujours sa résistance.

 

Les thèmes offrent plus de souplesse : on est libre de leur choix. Ceux retenus – histoire, amour et religion – sont peu contestables. « Ce livre est un livre religieux », certes. De quelle religion s’agit-il ? H. Scepi pose la question et s’abstient d’y répondre à juste titre tant la religion de Hugo échappe volontairement non seulement à tout rite et tout clergé, mais aussi à toute doctrine ou dogme, à toute révélation, fût-ce celle du poète lui-même. Quand il en pose une, Ce que dit la bouche d’ombre, il l’oublie ensuite définitivement ; quand il y en a plusieurs, Dieu – L’océan d’en haut, la dernière n’est pas l’ultime. H. Scepi a donc raison de laisser tout le flou souhaitable à la religion de Monseigneur Bienvenu,  de Hugo et du livre, pour autant que ce soit la même. Elle est, non sans invraisemblance chez un évêque mais le lecteur en retiendra que les évêques sont gens sans religion, ouverture et appel, dépossession de soi, foi seulement dans la persistance du je. Les longues pages que H. Scepi lui consacre laissent pourtant un malaise, le sentiment d’un excès et d’une dissonance. Après le besoin spirituel engendrant l’écriture et l’esthétique romanesque de l’infini, elles font redite : on avait compris. Le thème de l’amour qui suit, excessivement épuré, angélique – comme si Eponine n’envoyait pas Marius à la mort et Cosette un peu aussi Jean Valjean –, récidive au lieu de corriger. Visiblement plus saturé de religion que le roman, le commentaire finit par manquer son but à force de le viser avec une insistance indiscrète. Son parti pris herméneutique le soutient trop exclusivement, et le mène trop loin. De là dérapages et torsions.

Déviance d’abord d’une exégèse qui habille Hugo d’un langage un peu calotin et très peu ressemblant : « célébrer l’oblativité exemplaire des justes », « la lumière divine qui le guide sur la voie encore infrayée de la bonté », « conscience morale retrempée au plus vif de la charité », « le geste du rachat doit s’étendre sur ces légions de l’ombre », « Aimer est le commencement et la fin, l’alpha et l’oméga », « la dilection du prochain », « un cœur vierge et martyr », « Agapè et Eros », les « prérogatives de l’Esprit »… Forçage aussi d’une interprétation qui efface les aspérités et évite les écueils. Vaguement quiétiste, la religion prêtée à Hugo s’attarde chez Myriel, où Jean Valjean ne fait que passer, et contourne le couvent éclairé de la « pénombre du tombeau », où Jean Valjean reste, qu’il reconstruit rue Plumet – jardin et cellule –, et dont lui est infligée la « réparation », mais sans prière :

     Sa rêverie vertigineuse dura toute la nuit.

     Il resta là jusqu’au jour […] prosterné sous l’énormité du sort, écrasé peut-être, hélas ! les poings crispés, les bras étendus à angle droit comme un crucifié décloué qu’on aurait jeté la face contre terre. 

Indûment employée à étendre au roman entier la configuration religieuse liée à Myriel, la position initiale de l’évêque sert aussi à glisser du religieux au moral et à les confondre :

C’est donc ce personnage qui ouvre Les Misérables en inaugurant la partition morale et spirituelle de cette “douloureuse histoire” qui est tout à la fois un drame de la conscience et une fable de la rédemption. Par lui a lieu l’infusion douce, [j’oubliais cette tisane] mais constante, du rayonnement religieux dans tous les secteurs du roman. Des insurgés de la barricade – emmenés par l’ange Enjolras – aux escarpes de la nuit et de la boue, en passant même par les Thénardiers, dont la jeune et malheureuse Eponine est messagère d’amour et de bonté, tous les personnages […] sont soit directement apparentés, soit indirectement et potentiellement reliés à cette veine lumineuse de la nécessité – ou, si l’on préfère, de Dieu […]. Tous, en d’autres termes, sont candidats au bien, au progrès, à l’émancipation, fût-ce par des atermoiements inexplicables et des détours inattendus.

Habile confusion du « drame de la conscience » et de la « fable de la rédemption » : elle évite l’inquiétude qu’inspire plusieurs fois à Hugo le spectacle de l'athéisme couplé à une exigence morale allant jusqu’au sacrifice de soi. Elle permet surtout d’annuler subrepticement l’impératif moral par la rédemption. Le Sauveur est mort pour nos péchés, ne nous privons pas ! Voici que la rédemption inclut les bandits quoique Hugo ne crucifie pas Babet, Gueulemer, Montparnasse et Claquesous de part et d’autre de Jean Valjean, et atteint même les Thénardier via Eponine. Pauvre Eponine défigurée, et, d’énigmatique, amère, violente et sombre, devenue « messagère d’amour et de bonté » ! Avec une persévérance diabolique, H. Scepi y revient et va jusqu’au bout :

Eponine […] témoigne au nom de toute sa tribu d’une possible élévation du cloaque vers la lumière […]. Il faudrait pouvoir ainsi imaginer un jour Thénardier meilleur, c’est-à-dire réintégré dans l’ordre de l’humain, rédimé, en dépit des nouveaux habits de négrier qu’il revêt à la fin du roman [….]

Au nom de quoi faudrait-il « rédimer » Thénardier ? Pas du texte en tout cas :

     Finissons-en tout de suite avec cet homme. […] La misère morale de Thénardier, le bourgeois manqué, était irrémédiable ; il fut en Amérique ce qu’il était en Europe. Le contact d’un méchant homme suffit quelquefois pour pourrir une bonne action et pour en faire sortir une chose mauvaise. Avec l’argent de Marius, Thénardier se fit négrier. 

Tout le contraire des flambeaux de Myriel : rédemption, mais à l’envers.

A vouloir monter au ciel trop vite et à tout prix, le commentaire décolle du texte, voire décolle le texte pour en mettre un autre à la place. H. Scepi raconte ainsi l’issue de la rencontre entre Myriel et le conventionnel G :

Persuadé que 1789 “a eu ses raisons”, que sa “colère sera absoute par l’avenir” et que son résultat sera un “monde meilleur”, l’évêque Bienvenu est prêt à entendre la confession ultime du conventionnel, lui-même gagné à de nouvelles convictions : “L’infini est. Il est là. Si l’infini n’avait pas de moi…” .

On croirait le scénario d’une adaptation de séminaire, à moins que M. Scepi, spécialiste de la fin du XIXe siècle, ne se livre ici à une de ces supercheries, de ces « blagues », dont on avait alors le goût. Tout est faux : les idées politiques de Myriel restent inchangées (immédiatement après, le premier paragraphe d’Une restriction est explicite) ; les convictions religieuses qu’exprime le Conventionnel sont les siennes depuis toujours ; pas trace d’une confession, mais tout le contraire : la bénédiction que l’évêque demande au « vieux scélérat de G. ».

Maquillage analogue pour la fin du chapitre où Myriel disculpe Jean Valjean du vol de son argenterie et donne les chandeliers prétendument oubliés – demi-mensonge puisque lui-même a restitué aux pauvres le trésor de la cathédrale rendu par Cravatte.

     Les gendarmes s’éloignèrent.

     Jean Valjean était comme un homme qui va s’évanouir.

     L’évêque s’approcha de lui et lui dit à voix basse :

     – N’oubliez pas, n’oubliez jamais, que vous m’avez promis d’employer cet argent à devenir honnête.

     Jean Valjean, qui n’avait aucun souvenir d’avoir rien promis, resta interdit. L’évêque avait appuyé sur ces paroles en les prononçant. Il reprit avec solennité :

     – Jean Valjean, mon frère, vous n’appartenez plus au mal, mais au bien. C’est votre âme que je vous achète ; je la retire aux pensées noires et à l’esprit de perdition, et je la donne à Dieu. 

Plus d’un commentateur s’est inquiété de ce marché faustien, en plus malhonnête parce que l’évêque l’enregistre alors qu’il n’a pas été conclu. H. Scepi ne s’en embarrasse pas et n’y va pas par quatre chemins : « Ayant tacitement accepté le pacte proposé par l’évêque de Digne, Jean Valjean embrasse la religion du bien dont il devra s’attacher à perpétuer et à incarner les articles. » Cette conversion anticipée, rend inintelligible l’attaque de Petit-Gervais ; qu'à cela ne tienne, un long paragraphe la minimise et la justifie par la rémanence de Satan en Lucifer, par « la persistance du mal, le principe encore non éradiqué du négatif, dont témoigne l’épisode du vol de la pièce de quarante sous à Petit-Gervais. » Si le petit ramoneur avait su qu’il était brutalisé par « le principe encore non éradiqué du négatif », il n’aurait pas eu si peur ni pleuré si fort. C’est effacer sous la phraséologie le récit mémorable où l’on voit Jean Valjean se réveiller, chercher Petit-Gervais, courir, l’appeler d’une voix de plus en plus faible :

     Ce fut là son dernier effort ; ses jarrets fléchirent brusquement sous lui comme si une puissance invisible l’accablait tout à coup du poids de sa mauvaise conscience ; il tomba épuisé sur une grosse pierre, les poings dans ses cheveux et le visage dans ses genoux et il cria : Je suis un misérable ! 

C’est sa première faute et elle doit précéder l’illumination morale. Bon psychologue, et théologien correct, Hugo sait que la conscience du bien et du mal, depuis Adam et Eve, passe par le mal, inconnu de l’innocence.

 

Est-ce parce que, s’agissant des questions métaphysiques et religieuses, H. Scepi, voulant redresser les erreurs ou la négligence de ses prédécesseurs, a excessivement tordu le bâton en sens inverse et qu’il n’a plus ce souci s’agissant de l’histoire, toujours est-il qu’il n’y a rien à objecter, sinon des détails, à son analyse de la conscience de l’histoire dans Les Misérables. Conforme à son titre, elle reste doctrinale et décrit des « édifices notionnels », citant les digressions mais pas le récit, et laissant ainsi de côté la présence de l’histoire dans le roman. Elle méritait un examen synthétique, et de ne pas être reléguée aux notes, parce qu’elle imprègne le texte jusqu’à saturation et qu’elle est l’assise, et souvent la contrepartie, de développements qui sans elle resteraient univoques et abstraits. Les lieux – l’égout, l’éléphant de la Bastille, la maison de la rue Plumet, la masure Gorbeau, le couvent – portent tous les traces lisibles de la durée ; Digne met d’emblée le roman sous le signe du déroulé complet de l’histoire moderne : Ancien Régime (palais épiscopal, déjeuner offert par Mgr Puget), Révolution (le Conventionnel G.), Empire (nomination de Myriel, caquet du sénateur, synode de 1811), Cents-Jours et Restauration (du passage de Napoléon retour de l’île d’Elbe à celui de Jean Valjean venant de Toulon). Dans cette chronologie soigneuse l’abandon par M. Myriel de son palais devenu bien municipal vaut laïcisation, un peu tardive, des biens de l’Eglise et il n’est plus si surprenant qu’il rende visite au Conventionnel. Des liens serrés nouent tous les destins individuels à l’aventure historique. Leur sens est parfois obscur : pourquoi Hugo fait-il coïncider la mort de Myriel avec celle de Napoléon, l’évasion de Jean Valjean et l’adoption de Cosette avec la guerre d’Espagne ? Le plus souvent, il est limpide : la carrière pénale de Jean Valjean entre 1796 et 1815 inverse strictement celle de l’Empereur ; Gavroche habite le « cadavre grandiose d’une idée de Napoléon » ; le guet-apens du 50-52 (Bd de l’Hôpital) pointe vers celui de 1851 ; L’Année 1817 est celle de la trahison historique, et amoureuse dans l’abandon des grisettes, celle aussi des après-midi mortelles chez la baronne de T. où Marius apprend à être orphelin (mais elle ne « préfigure » nullement 1830 et 1848, comme le dit la note 1, p. 1562). L’auteur lui-même, se traitant comme un de ses personnages, sème sur leur chemin des petits cailloux autobiographiques (l’engagement de Marius) et ne décorrèle pas la philosophie de l’histoire de l’expérience qu’il en a, parlant en son nom personnel, comme écrivain, de Waterloo : « L’an dernier (1861), par une belle matinée de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait de Nivelle », et, comme acteur de l’histoire, de Louis-Philippe : « …il est tout simple qu’un homme, fantôme lui-même aujourd’hui, qui a connu ce roi, vienne déposer pour lui devant l’histoire », de juin 1848 : « Je me souviens d’un papillon blanc qui allait et venait dans la rue », et des dix ans de son exil sous l’Empire triomphant : « Voilà bien des années déjà que l’auteur de ce livre, forcé, à regret, de parler de lui, est absent de Paris. Depuis qu’il l’a quitté, Paris s’est transformé… ».

La mise en perspective surplombante des grands événements s’inverse ainsi dans l’exploration du minime, du disparu, des voies souterraines de l’histoire – progrès ou effondrement. Le groupe des amis de l’ABC entre dans le roman non parce qu’il a été historique mais parce qu’il a « failli » le devenir et que son souvenir s’est perdu : « Ce groupe était remarquable. Il s’est évanoui dans les profondeurs invisibles qui sont derrière nous. » Or les « faits d’où l’histoire sort et que l’histoire ignore » compliquent singulièrement son récit et sa philosophie. On peut, et l’on doit, « trouver bon Waterloo » mais qui trouverait bonne la farce faite par Tholomyès à Fantine et à Cosette ? la physionomie de l’année 1817, qui est aussi celle du second Empire, reste détestable. Louis XVIII commue en travaux forcés à perpétuité la peine de mort prononcée contre Jean Valjean ; le « progrès dans les verroteries noires » fait la perte de Fantine ; les mêmes gardes nationaux glorieux de 1830 visent et tuent Gavroche qui avait combattu avec eux.  Chez Hugo, la pensée de l’histoire, nullement dialectique, s’affranchit de ses contradictions par un saut dans la transcendance. Telle est, avant l’agonie de la barricade, la pause méditative et par avance consolatrice du chapitre Les morts ont raison et les vivants n’ont pas tort. Mais le hiatus de cette fausse symétrie laisse place à une autre vérité, celle du récit et de l’expérience. Revenant en 1860 à son manuscrit, Hugo sait que l’événement a mis ses Misères aux poubelles de l’histoire et  pourrait bien y jeter Les Misérables : il n’avait pas fini de condamner l’entreprise des amis de l’ABC que février 1848 en couronnait la résurgence et le succès. Depuis, remise sur les rails du progrès en Février, l’histoire déraille en Juin, se fracasse en Décembre. Les jeunes républicains qui meurent sur la barricade revivent dans leurs héritiers de février 48 ; les misérables, eux, Gavroche, Eponine et Mabeuf, meurent pour ainsi dire une seconde fois avec les combattants suicidaires de Juin, si radicalement exclus de la République que leur inertie devant le coup d’Etat – tout le monde le savait alors – a ouvert une régression reportant le temps présent en deçà de 1830, voire de 1815.

Il y a une misère de l’histoire.

 

Des Misérables sans misère

 

Par irénisme, optimisme, ou pour ne pas répéter de nombreux commentaires récents, H. Scepi évite autant que faire se peut le mot, et tout à fait la chose. Il la réoriente, en métaphysique vers le mal, en économie politique vers la pauvreté, en philosophie de l’histoire vers des « aberrations », en psychologie vers les « affres du cœur meurtri », choses moins blessantes et catégories plus maniables. C’est l’inverse exact de l’entreprise des Misérables.

A ce refus le commentaire perd le moyen d’unifier ses différents objets puisque, bien plus que les hasards de l’intrigue, la misère, qui est une quel que soit le qualificatif, fait vivre les personnages les plus éloignés – soldats de Waterloo et religieuses du couvent – dans le même monde spirituel et romanesque. H. Scepi me répondra que l’infini fait aussi bien l’affaire et j’en conviendrai en objectant seulement que l’infini d’en haut, beaucoup s’en sont chargés, tandis que l’infini d’en bas reste la chose des Misérables.

Il y perd aussi, surtout peut-être, l’occasion de commenter de beaux passages. L’onde et l’ombre :

     Un homme à la mer!

     Qu'importe! le navire ne s'arrête pas. Le vent souffle, ce sombre navire-là a une route qu'il est forcé de continuer. Il passe.

     L'homme disparaît, puis reparaît, il plonge et remonte à la surface, il appelle, il tend les bras, on ne l'entend pas. Le navire, frissonnant sous l'ouragan, est tout à sa manœuvre; les matelots et les passagers ne voient même plus l'homme submergé; sa misérable tête n'est qu'un point dans l'énormité des vagues.

     Il jette des cris désespérés dans les profondeurs. […] 

     O marche implacable des sociétés humaines! Pertes d'hommes et d'âmes chemin faisant! Océan où tombe tout ce que laisse tomber la loi! Disparition sinistre du secours! O mort morale!

     La mer, c'est l'inexorable nuit sociale où la pénalité jette ses damnés. La mer, c'est l'immense misère.

     L'âme, à vau-l'eau dans ce gouffre, peut devenir un cadavre. Qui la ressuscitera?

Une rose dans la misère :

     Marius comprenait que […] ces infortunées faisaient encore on ne sait quels métiers sombres, et que de tout cela il était résulté, au milieu de la société humaine telle qu’elle est faite, deux misérables êtres qui n’étaient ni des enfants, ni des filles, ni des femmes, espèces de monstres impurs et innocents produits par la misère.

     Tristes créatures sans nom, sans âge, sans sexe, auxquelles ni le bien, ni le mal ne sont plus possibles, et qui, en sortant de l’enfance, n’ont déjà plus rien dans ce monde, ni la liberté, ni la vertu, ni la responsabilité. Ames écloses hier, fanées aujourd’hui, pareilles à ces fleurs tombées dans la rue que toutes les boues flétrissent en attendant qu’une roue les écrase.

L’Argot :

     L’avenir arrivera-t-il? il semble qu’on peut presque se faire cette question quand on voit tant d’ombre terrible. Sombre face-à-face des égoïstes et des misérables. Chez les égoïstes, les préjugés, les ténèbres de l’éducation riche, l’appétit croissant par l’enivrement, un étourdissement de prospérité qui assourdit, la crainte de souffrir qui, dans quelques-uns, va jusqu’à l’aversion des souffrants, une satisfaction implacable, le moi si enflé qu’il ferme l’âme; chez les misérables, la convoitise, l’envie, la haine de voir les autres jouir, les profondes secousses de la bête humaine vers les assouvissements, les cœurs pleins de brume, la tristesse, le besoin, la fatalité, l’ignorance impure et simple.

 

Lire Les Misérables ou les voir ?

 

La « fortune de l’œuvre » aurait été mieux traitée si, au lieu d’être reléguée entre les notes et la bibliographie et injustement imprimée en petits caractères, l’étude de D. Moncond’huy, Les Misérables, la scène et l’image avait immédiatement suivi les dernières pages de l’Introduction consacrées aux lectures du roman. Car, outre que ces deux développements ont bien le même objet, leurs différences font sens : différence quantitative de la matière : énorme et foisonnante là, assez maigre ici ; différence aussi de tonalité, voire de qualité.

Sous les deux rubriques du recul devant un texte qui ne ressemble à aucun autre, voire à rien, et du rejet d’un « message » fallacieux et dangereux, H. Scepi égrène, avec une indifférence excusable, des extraits de la presse à la sortie du roman. Le jugement des écrivains, quoique parfois louvoyant – Baudelaire, Verlaine –, a été plus clairvoyant : Stevenson, Claudel, P. Michon, Vargas Llosa, Butor ; surtout plusieurs, et quoiqu’ils en aient dit pour certains, ont été assez profondément marqués par ce livre pour en retrouver, ici ou là, les accents ou l’inspiration : Flaubert, Léon Bloy, Tolstoï, Dostoïevski, Modiano – on pouvait ajouter Emile Ajar. Encore tente-t-on ici un grossier arrangement logique d’une succession à laquelle H. Scepi ne donne d’ordre que chronologique. Ce passage en revue de citations et de rapprochements, bien connus pour la plupart, déçoit. N’aurait-on pas pu examiner l’explication donnée par Jean-Marc Hovasse – cité d’ailleurs, avec moins de pertinence, pour autre chose – de l’allure chaotique, voire contradictoire, de la réception initiale : contenue par la modération idéologique apparente de la première partie, la réprobation se fait d’autant plus vive à la publication du reste, six semaines plus tard, que les critiques ont le sentiment d’avoir été bernés ? Le singulier revirement de Baudelaire en particulier ne devait-il pas être compris par là ? Pierre Malandain, commence son étude de la réception critique des Misérables en 1862 par la liste en neuf points des questions qu’elle soulève ; aucune, ni aucune autre, n’ordonne le survol par H. Scepi de la lecture du roman depuis sa publication. Mais peut-être est-ce pertinent.

Hugo fut surpris, voire blessé, de l’accueil fait aux Misérables par les journalistes-écrivains. William Shakespeare y répondra plus tard, mais, sans attendre, nombre de notes le font, toutes manquantes ici. La plus fameuse vise Lamartine – « Essai de morsure par un cygne » – ; la plus éclairante observe la réticence générale des lettrés:

     Les journaux soutenant le vieux monde disent : c'est hideux, infâme, odieux, exécrable, abominable, grotesque, repoussant, difforme, monstrueux, épouvantable, etc. Les journaux démocrates et amis répondent : Mais non, ce n'est pas mal. 

Madame Hugo connaît cette déception :

     Dans les ateliers, nous a-t-on raconté, les ouvriers se cotisent pour vingt sous ; les douze francs dans le sac, on achète Les Misérables qu’on tire au sort, et le gagnant en devient le possesseur quand chacun les a lus.

     J’ai dîné hier chez Meurice […] j’ai donc eu des nouvelles de mon grand homme. Je ne suis pas contente de lui, il ne me semble pas suffisamment content. A distance, il ne se rend pas bien compte de l’effet des Misérables […]. Le livre est dans toutes les mains ; les personnages devenus types sont cités à toute occasion et à tout propos. Les images de ces personnages sont à toutes les vitrines des marchands d’estampes ; des affiches monstres annonçant Les Misérables sont à tous les coins de rue.

Au terme de son étude, P. Malandain conclut :

Par tous les gens de lettres, Les Misérables ont été bien reçus, c’est-à-dire reçus comme il fallait, c’est-à-dire mal. […] ces lectures nous mettent en effet sur la voie de comprendre le curieux phénomène qui s’est attaché, durablement semble-t-il, aux Misérables : il s’agit du rejet, ou du simple et tout aussi dissuasif dédain que leur opposent les penseurs et, en regard, de l’accueil, inattendu pour un texte si long, si complexe et si marqué par son temps, de la foule des lecteurs-spectateurs-auditeurs. […] Officiellement repoussé par tout ce qui, en nous, continue l’héritage du « bon sens », de la « mesure » et de la « vérité », ce roman s’adresse, avec la force d’une persuasion instinctive, à ce qu’il y a, comme aurait dit Michelet, de « peuple » en chacun. 

Le diptyque est donc pertinent de l’accueil rechigné fait aux Misérables par les critiques lettrés et de la créativité enthousiaste qu’il déclenche chez les dessinateurs, musiciens, cinéastes.

 

D. Moncond’huy l’analyse avec, lui-même, une sympathie que fait partager un style simple, rapide, loyal. Quoiqu’il apporte des données érudites inédites, par exemple sur la première série des vingt-cinq dessins de Brion déjà très bien documentée par Vincent Gilles, il ne s’avance en terrain inconnu ni pour le repérage des objets ni pour leur analyse. Nourrie des travaux existants, – indiqués en note mais aussi volontiers cités, chacun pour l’essentiel et non pour un détail comme on fait souvent–, son entreprise pourtant les dépasse et les comprend dans une perspective originale et plus ambitieuse. Elle vise, et atteint, ce que désigne le sous-titre : constitution et aléas d’un imaginaire universel. Par respect de la spécificité de chaque art ou recul devant le nombre des créations à examiner, jamais les productions artistiques dérivées des Misérables n’avaient été  envisagées dans leur ensemble omni-générique, alors même qu’elles sont spontanément perçues comme faisant un tout, la particularité de chacune devant s’effacer derrière leur commune dépendance envers le livre de Hugo – et s’effaçant effectivement, D. Moncond’huy le montre, derrière la parenté esthétique qu’il génère.

Universel, l’imaginaire suscité par Les Misérables l’est aussi au sens géographique. Un article de presse annonçant cette réédition avait pour titre : Ce que la littérature mondiale doit à Hugo. Par ironie peut-être, car les noms de Tolstoï et Dostoïevski et l’indication que « traductions et diffusion à l’étranger s’accélèrent » ne suffisent pas à dire cette dette.  Le travail de D.  Moncond’huy répare en partie ce défaut. S’il est vrai que les traductions des Misérables ont fait de Hugo le premier écrivain mondial et l’ont mis en tête des acteurs de la globalisation culturelle au XIXe siècle, ce sont leurs adaptations qui lui ont conservé ce rang au XXe : cinéma et comédie musicale – dont on apprend ici, avec bonheur, que la première, Fantine or The Fate of a Grisette, fut chantée en 1863. D. Moncond’huy, apparemment, est cinéphile et anglophone : on lui sait gré d’avoir enduré plusieurs productions hollywoodiennes – les plus hardiment infidèles, tant à la diégèse qu’à l’esthétique romanesque; on regrette que les films japonais et arabes soient seulement mentionnés ; personne n’est parfait.

« Constitution et aléas » désignent l’histoire de cet imaginaire et les voies de sa formation. Ratifiant l’appréciation de G. Doré, pour qui « tout est si complètement et comme plastiquement décrit, figuré presque » chez Hugo que le crayon ou le pinceau n’ont plus qu’à « servilement décalquer », des pages brillantes trouvent dans l’esthétique romanesque des Misérables, – personnages typiques au double titre de la caractérisation sociale et morale, et « scènes » dramatiques où l’action suspendue libère l’émotion –, l’origine et la matière des dessins de Brion, très généralement reconnu, et d’abord par Hugo, comme le meilleur illustrateur des Misérables. Plus exactement de leur reproduction photographique qui leur ajoute le halo de réalité mémorielle propre à la photo. Les travaux antérieurs invoqués précisent la démonstration et lui ajoutent la force convaincante du consensus. D. Moncond’huy peut conclure :

Ces premières images contribuèrent sans nul doute à imposer ces personnages et ces épisodes, et à faire percevoir le roman comme une manière d’épopée moderne où chacun aurait matière à empathie, c’est-à-dire à une forme d’appropriation commune : la connaissance diffuse (et lâche) du texte était en marche, accompagnant sa gloire naissante.

Simplicité et force des affects, prééminence de l’interrogation morale, représentation d’une réalité moderne mais inactuelle, petit nombre de héros distincts sur fond collectif, scènes mémorables : dans l’interaction de la lecture du livre et du spectacle de ses images, ce matériau reçoit bientôt du temps, et tout de suite de sa diffusion de masse, sa dimension mythologique. Avec ses « aléas » : éclipse de Jean Valjean par Gavroche et Cosette, explicable dans les adaptations pour la jeunesse mais qui ne se limite pas à elles ; surévaluation et dénaturation du rôle de Javert en chasse à l’homme policière à l’américaine; torsion de l’appel militant en prêchi-prêcha politique ou religieux et, inversement, vaccination anti-engagement des happy ends anglo-saxonnes. Devant ces écarts, D. Moncond’huy a le mérite de ne pas se conduire en censeur : il sait que la puissance et la survie des mythes, comme des religions, tient à leur plasticité. Comment d’ailleurs s’en étonner et s’en indigner s’agissant d’un livre, assez solidement construit  en 1845-48, provisa res, pour supporter d’être achevé et réorienté, pendant l’exil, dans un sens différent, opposé en plusieurs points. Au reste, si mal il y a, le péché est originel et vient de l’encouragement donné par Hugo lui-même à son fils et à Meurice. Leur adaptation du roman pour la scène n’était pourtant pas moins « infidèle » que, par exemple, la comédie musicale de Schönberg et Boublil, dont l’étonnante carrière – elle-même adaptée du spectacle de Hossein-Decaux, elle continue encore, sur tous les « supports », de parcourir le monde dans une adaptation particulière à chaque culture – résume et reproduit celle du roman générateur.

Trois réserves cependant (la résurrection de Charles Vacquerie, p. 1693, n’est qu’une inattention)  puisqu’il en faut pour accréditer l’approbation. Peut-être parce qu’il est surtout attentif aux personnages et à l’action, D. Moncond’huy n’a pas vu avec quel acharnement méticuleux le scénario de Josée Dayan pour la télévision (TF1, 2000) gomme toute dimension religieuse et avilit la préoccupation morale : ni bien ni mal pour Gérard Depardieu, pas même avantages et inconvénients comme à « Sciences Po », rien que des agréments et des embêtements. D’autre part la bande dessinée est absente, qui relaie et supplante aujourd’hui l’édition illustrée. Enfin, la position initiale occupée par les insurpassables dessins de Brion, jointe au fait que l’invention tardive du cinéma permet à l’ordre des rubriques formelles (illustrations, dessins de presse, peintures et sculptures, la scène et l’écran) de se superposer à un ordre chronologique, peut aboutir au sentiment sinon d’une dégradation de cet imaginaire hugolien du moins de son éloignement progressif de sa source. Mais cet inconvénient était inévitable puisqu’il résulte d’une construction exigée par le propos lui-même où l’on doit voir les équivalents du roman dans les autres arts se générer les uns les autres autant que découler de leur commune origine. Bref, cette étude fait date et fait plaisir aux lecteurs même les plus jalousement passionnés des Misérables.

 

Défense de déposer des notes… ?

 

Mesurée au nombre des pages, l'annotation devrait occuper largement plus de la moitié de cette recension; les éditeurs y ont consacré une grande part de leur travail; elle mérite attention.

Boucher les nids de poule qui font cahoter la lecture est l’obligation première d’une annotation ; la remplir est facile, un peu moins de régler le niveau d’intervention selon la compétence présumée du lecteur. Elle est peut-être estimée ici un peu bas et ne l’est pas toujours de la même manière : le familier plus souvent expliqué dans la bouche d’Azelma (V, 6, 1) ne l’avait pas été dans celle de Fauchelevent (II, 8, 3). Mieux vaut surtout éviter de creuser un second trou pour boucher le premier comme il arrive à la note 28, p. 1627. Elle traduit Solus cum solo non cogitabuntur orare pater noster avant d’expliquer que « Hugo utilise déjà cette formule latine (« avec cum sola ») dans Notre-Dame de Paris », qu’il envisagera aussi de l’employer comme titre d’un chapitre des Travailleurs de la mer, et qu’elle « brode sur une formule du jurisconsulte Menochio, usuelle au XVIII° siècle et au début du XIX° pour caractériser la présomption d’adultère (quando solus cum sola, in loco secreto et abdito inventus est… etc.) ». Malheur au non-latiniste ignorant que sola est le féminin de solus ! quant à inventus est… Malheur aussi au curieux, car si la référence à Notre-Dame de Paris est complète et exacte, celle aux Travailleurs de la mer : « V, 1 », oublie la page (du même volume de la Pléiade pourtant) et que Les Travailleurs, articulés en parties, livres, et chapitres, demandent trois chiffres.

Mieux vaut éviter aussi que le rebouchage déborde en « coussin berlinois ». La note qui renseigne la décoration du parloir du couvent de la rue du Temple – « un portrait d’une bénédictine à visage découvert, des bouquets en peinture et jusqu’à une tête de Turc » – propose une singulière alternative : « Quant à la “tête de Turc”, il peut s’agir soit d’une gravure, soit d’un dynamomètre sur lequel on essaie sa force, dans les foires, en frappant sur une partie représentant une tête coiffée d’un turban (objet qui est à l’origine de l’expression). » Un jeu de force et de foire dans un couvent pour l’éducation des jeunes filles : est-ce le lecteur qu’on prend pour tête de Turc ?

 

Au-delà de ce niveau élémentaire où elle est indispensable, l’annotation court le risque de l’inutilité, voire de la nuisance parasitaire. Les annotateurs en ont été longtemps préservés, dans une large mesure, par la difficulté d’identifier les informations et d’y accéder : trouver l’auteur et la référence d’une citation latine demandait une grande culture ou beaucoup de temps. Internet en général, Google et Gallica en particulier, où pratiquement toute la bibliothèque de Hauteville House est accessible (d’autant plus aisément que la bibliographie Cassier donne la référence électronique des livres qui la composent), ont réduit à rien la valeur de l’érudition et multiplié les risques d’une annotation aussi vaine qu’exacte. S’agissant de la présente édition des Misérables, ces risques étaient encore accrus par plusieurs facteurs.

La persistance d’abord et le poids, surtout à la Pléiade, d’une tradition éditoriale qui sépare matériellement l’annotation du commentaire et va de pair avec une prétention faussement lansonienne à l’objectivité. On reconnaît, à tort, au commentateur tous les droits ; l’annotateur est censé se borner aux faits, lesquels pourtant sont lettre morte s’ils ne sont pas placés sous la dépendance d’une valeur pour le texte, qu’elle soit prêtée à tort ou à raison. De là que les annotations apparaissent souvent comme un décor éditorial et soient ignorées à juste titre : si elles n’ajoutent rien au texte, sens ou beauté, pourquoi les lire ? si elles le font, pourquoi ne le disent-elles pas ? N’est ce pas assez demander que la note soit lue et faut-il en sus exiger que le lecteur découvre seul son intérêt ?

Egalement, dans le cas présent, l’explosion des travaux sur Les Misérables, depuis les années 1950 – entrée de l’œuvre dans le domaine public – et surtout depuis le centenaire de 1962. Elle mettait à la disposition de MM. Scepi et Moncond’huy, outre quantité de commentaires, la transcription des différents états manuscrits du texte, le Dossier des notes de travail, ébauches, documents, et cinq éditions annotées (Pléiade, CFL, Folio, Le Livre de poche, « Bouquins »). Ressources précieuses où ils ont puisé – non sans reconnaître leur dette, trop rarement sans doute au gré de leurs créanciers mais plus souvent qu’ils n’y étaient obligés en l’absence de toute « propriété littéraire » des travaux documentaires –, mais empêchement aussi par la masse des informations disponibles et surtout par leur hétérogénéité. De surcroît, ces éditions suivent chacune une conduite particulière. La Pléiade de M. Allem confronte systématiquement le texte publié à celui des Misères ; Y. Gohin, pour Folio, propose, par va et vient entre l’introduction et l’annotation, une lecture qui articule l’entreprise philosophico-religieuse du roman à un « mythe personnel » – construction fantasmatique répondant à des tensions intérieures  enracinées dans l’inconscient ; l’annotation du Livre de Poche double le commentaire suivi d’un second commentaire, consacré à l’inscription romanesque de motifs ou de formes (témoignages fictifs ou réels, collages, figures de l’auteur, etc.). Ces notes, les éditeurs de la Pléiade ne pouvaient ni les intégrer telles quelles, ni les ignorer entièrement. Ils ont le plus souvent pris le mauvais parti de n’en retenir que l’information factuelle – voir par exemple en ce sens, pour la liste des fêtes de la Grève prisées par les gamins, la note 21, p. 1606, version aseptisée de celle d’Y. Gohin, t. II, 1, p. 590.

Enfin la lecture des Misérables que propose ici l’introduction et la position prise à l’égard de leur genèse n’ouvrent guère à l’annotation un espace favorable. Traitant le texte comme expression spontanément adéquate d’une pensée, et non comme sa production, le commentaire d’ensemble n’invite pas à observer le détail des voies par lesquelles cette pensée se fait jour. D’autant moins que l’orientation globale vers un contenu spiritualiste chrétien en matière philosophique et vers un « républicanisme social » en matière politique reste trop vague et trop consensuelle pour que le texte soit supposé travailler des contradictions, affronter des objections ou lever des doutes que l’annotation aurait à préciser. Il n’est censé – c’est ce que Flaubert et Baudelaire lui reprochent mais dont H. Scepi lui fait mérite – que remettre en scène avec force, conviction et beauté, des idées ou des aspirations communément partagées en son temps, selon Flaubert, par « la racaille catholico-socialiste », aujourd’hui par tout le monde. Hugo, nous dit-on, fait oublier les leçons déplorables du réalisme matérialiste balzacien mais en sachant se préserver des égarements de l’abstraction ou de l’utopie, sans qu’apparaisse là aucune contradiction, ni aucun problème esthétique, puisqu’on tient pour acquise l’adéquation de l’idéalisme religieux au réel. Cette facilité idéologique implique un texte sans faille, homogène et plein, d’emblée ajusté aux objets, réels ou idéaux, du monde. On comprend que H. Scepi se refuse à donner statut de texte aux Misères : ce serait creuser dans l’œuvre un dangereux bougé, une impensable altérité à elle-même. Dès lors l’annotation est inutile : elle ne peut, au mieux, que signaler ce qu’il absorbe sans coup férir – ses sources littéraires, documentaires ou vécues et son propre développement par additions – ou ce qu’il rejette : les informations non retenues et les erreurs reconnues des rédactions abandonnées. Signaler mais non commenter : expliquer rejets et assimilations serait déjà avouer qu’ils ne vont pas de soi et troubler la transparence du texte à ses idées et au monde. De là que l’annotation, conçue et écrite comme factuelle, ne soit que rarement réflexive et qu’elle n’entre pas en résonnance avec l’introduction à laquelle elle ne renvoie presque jamais. De là aussi une déception à la consultation de ces notes. Quoiqu’elles aient fait l’objet d’un important et sérieux travail – un des signes en est que toutes les parties reçoivent une annotation d’égale densité alors que, souvent, l’ardeur fléchit en avançant – elles ne donnent guère satisfaction parce qu’elles contribuent peu à enrichir la lecture et l’entraveraient plutôt si l’on s’astreignait à les lire toutes. Quelques dérapages accentuent ce désappointement général ; en voici quelques exemples, liés au type des notes rencontrées.

 

L’Introduction, la Chronologie et la Note sur le texte convergent, on l’a vu, pour mettre à l’écart la première campagne d’écriture, récusent l’idée qu’on puisse considérer Les Misères comme un texte, voient dans Les Misérables de 1860-1862 non pas l’achèvement et la transformation de l’œuvre interrompue mais l’exécution d’un autre projet et soulignent que cette édition n’a pas l’ambition d’être une édition génétique. Tout cela devait trouver sa conséquence dans les notes : l’absence de toute référence sinon au manuscrit du moins aux rédactions antérieures à 1860. A-t-on sacrifié le propos et la logique aux normes de  la collection ? toujours est-il que, sur ce point, l’annotation et les commentaires s’infligent un démenti réciproque. Sans s’annuler pourtant, et l’annotation en souffre davantage. Faute qu’un principe éclaire leur choix, les indications sporadiques de genèse – signalement d’ajouts ou de modifications, plus souvent de suppressions (très surreprésentées ici mais commodément repérables par leur couleur verte dans la transcription du manuscrit sur le site du Groupe Hugo) – saupoudrent l’annotation sans nécessité ; elles ne se rattachent à aucun commentaire général et aucune conclusion locale n’en est non plus tirée : elles restent insignifiantes au sens propre. La lecture de chacune, fait se dire : Et alors ? Plus qu’une annotation, elles forment ensemble une description du manuscrit, mais infiniment lacunaire et d’ailleurs progressivement raréfiée. Il en existe d’autres, celle-ci ne fait que s’exposer à la critique de son inexactitude.

On ignore, mais on devine, pourquoi les lettres de Juliette citées sont toujours assorties de la référence complète à leur publication électronique, tandis que pour le manuscrit les éditeurs observent un soin contraire. Affectant d’avoir exploré un terrain vierge, ils se croient tenus de prouver qu’ils transcrivent eux-mêmes en ne donnant que la référence du manuscrit et parfois en s’écartant de leurs prédécesseurs. Mal leur en prend presque toujours. Un seul exemple pour ne pas éprouver le lecteur déjà las. La note 8, p. 1549 reproduit un texte abandonné des Misères selon la transcription qu’en donne l’édition électronique publiée sur le site du Groupe Hugo (elle-même fautive, c’est à cela qu’on voit l’emprunt: il faut « qu’on appelle philosophie » et « qu’on appelle égalité » et non « la philosophie » et « l’égalité). Mais on lui affecte la référence de la copie de Juliette (30r° et v°) sensiblement différente de l’autographe dont on recopie la transcription (9v°). Enfin, sans donner de leçon, il faut rappeler, à propos de la note 77, p. 1666 par exemple, que la rature, au fil de la plume, d’une plage de texte quelconque qui n’est pas abandonnée mais reprise, soit tout de suite avec modification, soit plus loin avec ou sans changement, n’est pas considérée, en génétique, ni qualifiée comme suppression, mais comme correction cursive – on dit aussi : faux-départ.

 

Les notes « informatives », les plus nombreuses, sont en droit précieuses parce que le lecteur actuel ne partage plus le savoir commun à l’auteur et à ses premiers lecteurs. Hugo ne s’annote lui-même qu’exceptionnellement – pour traduire l’argot ou le patois que Myriel sait parler, ou indiquer les historiens, avant lui, de Waterloo. Trente ans après la fin de l’action, les personnages publics restent connus et les réalités matérielles de la vie ont très peu changé. Quand ce n’est pas le cas le texte s’en explique – ainsi dans Les zigzags de la stratégie –, voire s’en intitule : Qui serait impossible avec l’éclairage au gaz. Hugo tient également compte des variations de la mémoire : l’année 1817 est « oubliée aujourd’hui », l’ « époque des émeutes » aussi, pas l’insurrection de Juin ni Waterloo. Mais cette préoccupation va plus loin et doit inspirer de la prudence à l’annotateur : Hugo sait que son livre sera lu par les générations suivantes et glose souvent en conséquence. Quelque temps après la nomination de M. Madeleine comme maire, en 1820, M. de Villèle observe la facilité de la levée de l’impôt à Montreuil-sur-Mer, il est « alors ministre des finances » et la note (18, p. 1573) est superflue.

De l’inutile au nuisible, le pas est vite franchi. Pour rendre compte de l’élévation à l’épiscopat de M. Myriel et lui faire rencontrer Napoléon, Hugo invente une anecdote et y mêle le cardinal Fesch :

     En 1804 M. Myriel était curé de B. (Brignolles). Il était déjà vieux, et vivait dans une retraite profonde.

     Vers l'époque du couronnement, une petite affaire de sa cure, on ne sait plus trop quoi, l'amena à Paris. Entre autres personnes puissantes, il alla solliciter pour ses paroissiens M. le cardinal Fesch6. Un jour que l’Empereur était venu faire visite à son oncle, le digne curé, qui attendait dans l’antichambre se trouva sur le passage de sa majesté […].

La note (p. 1549) répète en vain les informations contenues dans le texte et en ajoute hors de propos : « Joseph Fesch (1763-1839), nommé archevêque de Lyon en 1802 après le Concordat, est l’oncle de Bonaparte. Elevé par celui-ci à la dignité de cardinal en 1803, il sacrera l’Empereur roi d’Italie en 1805 et célèbrera son union avec Marie-Louise en 1810. » Il faudrait s’arrêter là, c’est déjà trop ; le signalement d’un portrait du cardinal dans les Mémoires d’outre-tombe ouvre la fausse piste d’une source exclue par la chronologie.

Souvent, l’annotation informative ne restitue pas une signification devenue tout à fait illisible, mais cherche à fonder et préciser un sens suffisamment deviné sans elle. Encore faut-il qu’elle ne rende pas obscur un texte qui ne l’est pas en accréditant une erreur. Dans une longue énumération de succès immérités, Hugo écrit :

Qu’un notaire se transfigure en député, qu’un faux Corneille fasse Tiridate, qu’un eunuque parvienne à posséder un harem, […] les hommes appellent cela Génie, de même qu’ils appellent Beauté la figure de Mousqueton et Majesté l’encolure de Claude.

La note fait-elle bien de rappeler que Hugo n’a jamais considéré Campistron comme un génie, ni son Tiridate comme un chef d’œuvre? peut-être, encore que le texte, opposant à la gloire la brièveté des succès, table sur leur oubli. Mais elle a tort de s’imaginer que Hugo se trompe : « La référence à Corneille, cependant, étonne ici [pourquoi diable ?] : Hugo ne confond-il pas avec Timocrate (1616) la pièce à succès de Thomas Corneille, le frère cadet de Pierre ? » C’est proposer une énigme au lieu d’un éclaircissement. La note poursuit : « Mousqueton est le valet de Porthos dans Les Trois Mousquetaires ; quant à l’empereur Claude, Suétone et Sénèque insistent sur ses handicaps physiques. » Nouvelle énigme, au bord du contresens. Claude, d’ailleurs épileptique et bègue, était un géant (P. Grimal), ce que soupçonne très bien le lecteur qui ne saurait rien de lui. Suétone, que Hugo connaît par cœur, écrit : Auctoritas dignitasque formae non defuit ei, uerum stanti uel sedenti ac praecipue quiescenti, nam et prolixo nec exili corpore erat et specie canitieque pulchra, opimis ceruicibus – « Assis ou debout, et surtout lorsqu’il n’était pas en mouvement, il ne manquait pas d'un certain air de grandeur et de dignité. Car il était de haute taille, mais sans maigreur, ses cheveux blancs ajoutaient à la beauté de sa figure et il avait l’encolure (on ne peut traduire mieux que Hugo, cervix désignant à la fois le cou et les épaules) splendide. »

A défaut de se référer aux sources d’information dont Hugo dispose, une érudition douteuse se déploie en pure perte. Le Conventionnel G. dit :

Et il y a à Peteghem en Flandre, à l'endroit même où les rois mérovingiens avaient leur palais d'été, un couvent d'urbanistes, l'abbaye de Sainte-Claire en Beaulieu, que j'ai sauvé en 1793.

Sans se préoccuper du palais d’été des rois mérovingiens, on annote : « L’abbaye Sainte-Claire de Beaulieu (XIIIe siècle) abrita à Peteghem (Flandre orientale, Belgique) des “urbanistes”, religieuses appartenant à l’ordre des Pauvres Dames fondé par Claire d’Assise en 1212 et qui suivent la règle mitigée édictée par le pape Urbain IV en 1263. » Tout ceci, qui provient de Wikipedia (articles Clarisses urbanistes et Abbaye de Beaulieu (Petegem)), ne correspond que d’assez loin au texte, ne sert à rien et fait trébucher le lecteur sur « mitigée » qui signifie « adoucie » et non « mélangée », mais soit. La suite en revanche est poudre aux yeux : « Hugo, qui visita Audenarde “le 21 août 1861” (selon un article du Messager des sciences et des arts […] de Belgique de 1863, p. 415, n. 1), admira sans doute ce qui subsistait des bâtiments de l’abbaye. » Le Messager des sciences historiques ou Archives des arts et de la bibliographie de Belgique dit effectivement :

Les édiles de la cité feraient bien, nous semble-t-il, de ne pas tarder à faire disparaître ces traces du vandalisme moderne, qui déparent encore à l’intérieur certaines parties de l’Hôtel de Ville d’Audenarde ; car comme l’a remarqué un critique célèbre [Note : « Victor Hugo, lors de sa visite à Audenarde, le 21 août 1861. »] dans un  monument tel que celui qui nous occupe, les moindre choses ont de l’importance. 

Comment les éditeurs ont-ils eu connaissance de cette publication ? je l’ignore. Mais mieux valait lire le carnet tenu par Hugo de mars à septembre 1861 (Nafr 13452, f° 110 et 119) qui ne permet pas d’imaginer une visite à Peteghem, non loin d’Audenarde. Il arrive à Audenarde, où il avait déjà séjourné en 1837, le 20 août à 16h. venant d’Alost d’où il est parti à 11h. du matin (6 lieues):

revu l’admirable petit hôtel de ville, frère cadet de celui de Louvain. – vu les églises. Dîné, couché et déjeuné au Lion d’or. – Vu l’intérieur de l’hôtel de ville. – deux cheminées très belles – beaux plafonds à poutres sculptées. porte de menuiserie admirable. mécanisme de carillon. les archives. l’archiviste. donné au concierge -1.

Il en repart le 21 pour Ath (6 lieues) : « départ d’Audenarde à 11h ½ arrivée à Ath à 4h 1/2 . » Hugo n'aurait pas fait un détour par Peteghem et visité l’abbaye sans en prendre note. Le plus probable est qu'il emploie de mémoire soit un propos de l’archiviste de l’Hôtel de Ville d’Audenarde, soit un guide de voyage – il achète à Meurice le sien quelques semaines auparavant. On aurait dû s’en tenir là. La fin de la note, pourtant, revient à Wikipedia pour apporter un démenti : « Hugo […] admira sans doute ce qui subsistait des bâtiments de l’abbaye. Mais vendue en lots et partiellement détruite à partir de 1786, après que Joseph II l’eut déclarée en 1783 “couvent inutile”, elle ne put être sauvée en 1793 par le conventionnel. » Voici Hugo pris en flagrant délit de mensonge ou d’ignorance.

Petit jeu auquel se laisse aller trop souvent l’annotation « informative ».  Jeu dangereux, moins pour le roman qui en a vu d’autres que pour l’annotateur. Lorsqu’il reprend Hugo donnant deux frères à Monseigneur Bienvenu, l'un général, l’autre préfet : « Deux des frères de Mgr de Miollis furent en réalité généraux de la Révolution et de l’Empire », il ne prend pas garde que ce « en réalité » fait sourire. Edmond Biré, le Zoïle de Hugo, s’illustra jadis en consacrant les 436 pages d’un volume entier aux erreurs historiques du seul chapitre L’année 1817 ; mieux vaut ne pas imiter son exemple. On évite ici de citer son nom, mais on se croit obligé de l’employer longuement et, pour excuser Hugo, on  verse dans trois erreurs.

Ce chapitre […] ne représente nullement la chronique condensée d’une année, mais s’apparente bien plus à un almanach fantaisiste et distancié où est brossé par petites touches et accumulation de “détails” un tableau “historique” à l’égard duquel Hugo – qui, emporté par sa verve ironique vérifie peu les dates – ne s’exprime clairement qu’à la fin du chapitre. 

Voici mise au compte de la fantaisie la pratique, réfléchie et très générale dans la fiction hugolienne, d’une caractérisation historique (sans guillemets sceptiques), procédant par concentration sur l’époque de l’action de faits la débordant plus ou moins largement. La procédure inverse d’illustration par une seule circonstance exemplaire est celle de La Légende des siècles. Pour l’année 1817, le livre En l’année 1817 ajoute l’une – notre chapitre – à l’autre : « la bonne farce ». Aucun emportement non plus d’une « verve » bavarde : le manuscrit et les notes préparatoires du chapitre publiées par Jean-Bertrand Barrère montrent que Hugo a très soigneusement sélectionné et disposé le matériau selon un beau désordre, de manière à éviter les séries (spectacles, publications, action publique…) mais aussi la désagrégation d’un texte qui, sans classer, reste composé. Peut-on enfin le qualifier de « distancié » ? Il achemine vers sa clef : le tableau obscène des traîtres et des déserteurs qui « dans le débraillé de leur turpitude payée, étalaient leur dévouement monarchique tout nu ; oubliant ce qui est écrit en Angleterre sur la muraille intérieure des water-closets publics : Please adjust your dress before leaving. » C’est aussi un autoportrait en creux, ignoré des annotateurs : empoignades entre lycéens bonapartistes et royalistes, entrée dans la vie littéraire avec le concours de l’Académie, rencontres de François de Neufchâteau et, annoncées, de Chateaubriand et Lamennais, divorce aboli, conflit personnel et politique entre les parents devenu crucial pour l’avenir… Comment ne pas y entendre les vibrations, plus grinçantes qu’amusées, d’une mémoire n’offrant toujours qu’une image brisée du moi ?

 

L’annotation informative, on l’a signalé, ne devrait pas sortir du champ des savoirs établis ou probables de l’auteur, et rejoint par là l’identification des sources. Conduite pour elle-même, celle-ci reste souvent victime d’un lansonisme dévoyé. Elle n’est légitime que si, au lieu de concevoir le lien de la source au texte comme de cause à effet, l’on comprend que le texte ne mobilise jamais un document qu’à son propre bénéfice et, pour ainsi dire, remonte à sa source. Faute de quoi, l’affectation d’une source à un texte le frappe d’une sorte de nullité, comme si l’auteur, devenu copiste, cessait brièvement d’être écrivain. Ainsi la note à propos des visites pastorales de Monseigneur Bienvenu – « Sur les “tournées” de Mgr. de Miollis, voir L.J. Bondil, Discours […], p. 70. » – laisse-t-elle croire que Hugo l’écrit par scrupule de fidélité à son informateur ; celle d’Y. Gohin désigne la raison de l’emprunt : « Mgr Miollis consacrait une grande part de son temps à la visite de son évêché, tout à fait comme ce chapitre le dit. Semblable au Christ et à ses apôtres, le premier personnage des Misérables est un homme en marche. » Sauf à méconnaître la nature de l’écriture littéraire, l’identification d’une source exige le commentaire de son emploi : de ce qui le détermine mais aussi de ses modalités. Car non seulement l’écrivain choisit ses sources et y choisit, mais il les travaille, et il arrive que l’exploitation d’un document s’en écarte au point de le contredire. La note 5 p. 1596 affirmant que « sur Martin de Vargas (1380 ?-1446), réformateur espagnol de l’ordre cistercien Hugo suit les informations (et la graphie) données par Louis Moreri » est erronée. Le Grand Dictionnaire historique dit :

Congrégation fondée par Martin Verga Espagnol de nation, qui renouvella l’an 1425 en Espagne l’ancienne règle de Citeaux. Elle fut approuvée par le Pape Martin V, et elle a eu de fameux Collèges à Salamanque, à Alcala et ailleurs. 

Hugo ne « suit » guère Moreri en faisant de Martin Verga le fondateur d’un impossible ordre de « bernardines-bénédictines » – autant dire « carmélites de Saint-Vincent de Paul » –, en érigeant ses établissements d’enseignement en fiefs : « ayant pour chef d’ordre Salamanque et pour succursale Alcala », et en donnant à cet ordre une extension qu’il n’eut jamais : « Cette congrégation avait poussé des rameaux dans tous les pays catholiques de l’Europe. » Y. Gohin, une fois encore, est plus juste : « Cet ordre est une invention de Hugo qui utilise (sur une indication du dictionnaire de Moreri) le nom d’un réformateur espagnol de l’ordre cistercien, Martin de Vargas, mort en 1446. » 

Profitons de l’occasion pour marquer d’infamie l’emploi de « voir ». Ces notes en abusent, mais pas plus que d’autres. Lorsque, à l’occasion du portrait de Louis-Philippe, on indique (16, p. 1631) : « Sur Louis-Philippe sauveur de la révolution de Juillet, voir Jules Janin, Un hiver à Paris (1846) », que veut-on ? Signaler une source ? une rencontre surprenante ? une idée commune – mais laquelle ? Et comme il est bien certain que personne ne répondra à cette invite, sert-elle à autre chose qu’à l'affichage d'un savoir vain, au prix, si elle est prise au sérieux, d’une incertitude inutilement jetée dans l’esprit du lecteur ?

Reste le mérite d’identifier des sources inconnues et de lever des obscurités. L'obtenir est difficile tant le champ, ici, a déjà été bien labouré, pour les endroits du moins où le recours massif à une documentation est probable, ou évident et d’ailleurs avoué : l’évêque, le bagne, les premières années de la Restauration, Waterloo, le couvent, l’argot et la pègre parisienne, l’époque des émeutes et l’insurrection du 5 juin 1832, l’égout parisien. Autant que nous avons eu loisir de nous en assurer, MM. Scepi et Moncond’huy n’ont ajouté à l'acquis aucune découverte majeure. Reconnaissons-leur pourtant le mérite d’apporter un grand nombre d’éclaircissements utiles : on ne trouve pas sous le sabot d’un cheval la source de « Je demande à m'enfuir au-delà des Sarmates », ni de quoi faire la lumière sur le coq maigre du canton d’Uris et le coq gras du canton de Glaris (14, p. 1654). Celui également d’avoir exploré deux sources, déjà signalées mais sans que leur emploi soit attentivement examiné : le Grand Dictionnaire historique de Moreri et, pour tout l’épisode de la barricade, l’Histoire de dix ans  de Louis-Blanc. Dans ces deux cas, et aussi pour le livre de Charras sur Waterloo, les éditeurs ont souvent pris le parti d’en reproduire le texte in extenso au lieu de se contenter de sa référence comme on fait presque toujours, parti judicieux parce qu’il authentifie le lien du texte à sa source et, surtout, permet au lecteur d’entrevoir la manipulation littéraire qui s’opère de l’un à l’autre.

 

Hors le cas de citation, l’identification de sources littéraires ou d’allusions plus ou moins transparentes à d’autres œuvres – l’intertextualité, si l’on ne craint pas de dégrader ce concept –, ouvre traditionnellement carrière aux exploits de haute culture, et parfois aux divagations. Exposée à de grandes variations d’amplitude, l’analogie autorise les uns et favorise les autres. Nos éditeurs n’abusent pas de ces rapprochements ; ils les recherchent habituellement sans sortir de limites honnêtes : les latins inévitables, La Fontaine, Molière, Chateaubriand, Balzac, Dumas – si souvent invoqué qu’on suspecte un goût pour lui plus fort chez l’annotateur que chez Hugo. La vraisemblance du lien gêne donc moins que l’incertitude de son statut : quasi-citation ? réminiscence involontaire et inconsciente ? rencontre dans une sphère culturelle commune ? Aurait-on précisé cela, au lieu de se contenter d’un « Voir » ou d’un « Ceci rappelle cela », qu’on n’en aurait pas fini ; il faudrait préciser en quoi le sens et la valeur du texte y sont intéressés. C’est beaucoup demander.

Au moins faut-il ne pas tomber à côté de la plaque. La formule par laquelle M. Myriel assimile au jardinage ses travaux intellectuels, « L’esprit est un jardin », ne « rappelle » (35, p. 1552) nullement Le philosophe scythe de La Fontaine, où la taille des arbres fruitiers métaphorise autrement la « purgation des passions », ni non plus le mot final de Candide, qui est celui d’un individualisme bourgeois aux antipodes de Myriel. Elle renvoie peut-être aux jardins mystiques de la tradition chrétienne, mais seulement via le jardin, au sens propre, de l’évêque : celui, plus loin, de sa prière contemplative (Ce qu’il croyait) et de l’accueil de Jean Valjean non pas chassé du paradis mais y entrant entre deux gendarmes. L’intertextualité interne, si j’ose dire, aurait été plus raisonnablement invoquée que l’externe : bien plus qu’à ceux de La Fontaine ou de Voltaire, le jardin de Myriel s’associe à la série de ceux qui suivront : celui de Mabeuf, celui de Pontmercy, ceux du couvent, de la rue Plumet et du Luxembourg.

Dans la conclusion du couvent, Hugo évoque ainsi, non sans mélancolie, la Fin du Petit-Picpus : « En 1840, le petit couvent avait disparu, le pensionnat avait disparu. Il n’y avait plus ni les vieilles femmes, ni les jeunes filles ; les unes étaient mortes, les autres s’en étaient allées. Volaverunt. » Bévue ou plaisanterie, en tout cas vrai contresens, la note (39, p. 1599) traduit et commente ainsi : « Possible allusion, teintée d’humour, au titre de la soixante et unième gravure de la série des Caprichos de Goya, qui représente l’envol d’une jeune femme, emportant trois sorcières sous ses jupes. »  Tantum potuit suadere malorum Google qui, interrogé sur volaverunt, propose « volaverunt Goya ». Une autre édition ou le retirage de celle-ci dira le vers latin qui inspire à Goya son titre et à Hugo cette clausule.

 

Les renvois au reste de l’œuvre de Hugo – la poésie, curieusement, plus que le roman – sont bienvenus mais restent le plus souvent inopérants, tournés qu’ils sont vers la seule parenté idéologique. Au prix d’ailleurs, parfois, d’une sérieuse torsion de l’idée ou du texte. Le contraste de l’opulence silencieuse de la nature avec les fureurs bruyantes de la guerre, que Hugo développe dans l’évocation du jardin du Luxembourg au matin du 6 juin 1832 (V, 1, 16), se rapproche plus logiquement du spectacle du matin sur la Tourgue assiégée (Quatrevingt-Treize, III, 3, 1, 7)  que de « l’opposition d’emblée soulignée dans “Tristesse d’Olympio” entre l’éclat toujours neuf des champs et des cieux, et les blessures d’un cœur endolori » (56, p. 1664). Toute une longue note ne parviendra pas à convaincre que les réflexions qui soutiennent et élargissent l’assimilation de Javert à un « chien fils d’une louve » ne sont qu’ « en apparence d’ordre physiognomonique » et se fondent dans l’idée de l’« unité de tout » « soutenue par la doctrine de la métempsycose » (13, p. 1573) ; le texte prend la peine de dire explicitement le contraire : « Les animaux ne sont autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices, errantes devant nos yeux, les figures visibles de nos âmes. […]  / Ceci soit dit, bien entendu, au point de vue restreint de la vie terrestre apparente, et sans préjuger la question profonde de la personnalité antérieure et ultérieure des êtres qui ne sont pas l’homme. » (I, 5, 5)

Ce qui surprend surtout, c’est la rareté des renvois internes, de l’œuvre à elle-même. Parfois judicieux comme le rapprochement entre Gavroche et  Cambronne (48, p. 1663 ; mais il fallait citer Pierre Laforgue, Gavroche, Etudes sur Les Misérables, p. 43), parfois oiseux : « Ce baiser de Marius à Eponine morte rappelle celui de Jean Valjean à Fantine » (6, p. 1657), mais toujours ponctuels, ils révèlent  une surprenante indifférence à la cohérence esthétique et thématique de l’ensemble du livre. Rien sur la variété des instances narratives (du narrateur omniscient à l’enquêteur exposant des documents en fac simile), ni sur la diversité des genres que la narration mobilise : conte, fable, roman populaire, roman réaliste, épopée, mélodrame. La réflexion de Jean Valjean en proie à la tempête sous un crâne, « C’est du mélodrame après tout ! », n’est commentée que pour son exactitude : il a bien raison de reconnaître du mélodrame dans son argumentation ; est-ce vraiment la question? Rien non plus sur le nombre, l’ampleur et le maillage serré des réseaux sémiologiques que le roman construit et qui font sa puissance sur l’esprit mais, pour commencer, assurent son unité en dépit de sa longueur – l’autobiographie, secrète ou patente ; le crucifix ; le jardin ; la « réparation » ; l’élément liquide maléfique, océan ou égout ; la pièce de monnaie ; le travestissement ; l’onomastique ; la datation, etc. Tout cela est bien connu, dira-t-on. Raison de plus pour ne pas l’ignorer, surtout lorsqu’on n’a pas grand-chose à mettre à la place puisque ces notes ne s'attachent qu'exceptionnellement à étayer et illustrer la thèse de l'Introduction. Elles parlent, et parfois bavardent, de tout, bien peu des Misérables – et jamais des misérables.

 

Donnons-nous pour conclure l'amusement instructif de comparer. En préliminaire à la domestication épique des égouts parisiens par Bruneseau, Hugo observe ses anciens désordres. « Quelquefois l’égout se mêlait de déborder comme si ce Nil méconnu était subitement pris de colère. Il y avait, chose infâme, des inondations d’égouts. […] Ces ressemblances de l’égout avec le remords avaient du bon ; c’étaient des avertissements ; […]. » Suit une longue évocation de « l’inondation  de 1802 […] l’un des souvenirs actuels des parisiens de quatrevingts ans ». M. Allem et M.-F. Guyard n’y voient que du feu ou s’abstiennent. Y. Gohin note :

L’insistance sur cette inondation de 1802 (« Ce siècle avait deux ans… ») peut être interprétée comme l’affleurement conscient chez l’écrivain de ce fantasme de « naissance cloacale » dont Charles Baudouin a bien montré l’importance dans l’imagination hugolienne (voir sa Psychanalyse de Victor Hugo, A. Colin, 1972, ch. IV).

G. Rosa, pour Le Livre de Poche, commente :

Est-ce par ce Nil de fange que fut porté et déposé un nouveau Moïse, Victor Hugo, qui n’avait pas laissé ignorer la date de sa naissance : « Ce siècle avait deux ans… » ? Ce Waterloo mythique produirait logiquement l’homme destiné à être la conscience de son siècle.

Dans l’ensemble des chapitres suivants, Bruneseau (personnage historique dont Hugo a effectivement consulté les rapports), qui est aux généraux de l’Empire et de Waterloo ce que Jean Valjean est aux héros de la barricade, apparaît comme un prédécesseur et une figure de Hugo lui-même, architecte-égoutier de toutes les misères. 

Le même, pour la collection « Bouquins », et pour ne pas se répéter :

On ne peut pas ne pas observer que l’année de cette « inondation d’égout » est aussi celle de la naissance du poète. 

H. Scepi ou D. Moncond’huy détourne l’attention :

Cette crue considérable de la Seine se déroula du 1er janvier au 15 février 1802, année de la naissance de Hugo… 

Le commentaire est contenu dans les points de suspension. Lequel ? aucun, puisque la crue, devenue celle « de la Seine », était achevée le jour de la naissance de Hugo, 26 février.

 

Littérature-librairie

 

Faute impardonnable, la Note bibliographique consacre l’attribution à Victor Hugo du Livre des Tables, fraude commise par Patrice Boivin avec la complicité des éditions Gallimard – ou l’inverse.

 

Les éditions et les ouvrages de Biré, Claudel et Stevenson exceptés, cette bibliographie ne comporte que des travaux postérieurs à 1950. Il fallait le signaler et renvoyer à l’un au moins des outils bibliographiques prenant en charge la période antérieure – il n’en manque pas. C’est l’un des défauts de conception de cette bibliographie, aussi nombreux et plus graves que les simples erreurs.

La correspondance est oubliée, dont la collection Massin donne l’édition actuellement la plus complète, mis à part la correspondance familiale de la période 1802-1839 mieux couverte par J. Gaudon et son équipe dans les deux volumes de la collection « Bouquins » chez R. Laffont (1988 et 1991).

Il manque une section de travaux d’historiens propres à explorer l’une des significations de la déclaration de V. Hugo : « Ce livre, c’est l’histoire mêlée au drame, c’est le siècle ». Un seul est mentionné, l’article de Thomas Bouchet, « La barricade des Misérables ».  Manque la brochure, antérieure, de Robert Sayre et Michael Löwy, L’Insurrection des Misérables, romantisme et révolution en Juin 1832 (Archives des lettres modernes, 1992). Il en est d’autres, notables : le fameux Classes laborieuses, classes dangereuses à  Paris pendant la première moitié du XIXe siècle (Plon, 1958 ; LGF, 1978) où Louis Chevalier discute à plusieurs reprises Les Misérables, souvent pour en approuver l’exactitude profonde ; le livre, dépassé quoique grand, de Paul Savey-Casard, Le Crime et la peine dans l’œuvre de V. Hugo (PUF, 1957) ; dans Hugo et la guerre, qui est mentionné mais non détaillé, l’article de Jean-Marc Largeaud « Hugo, les républicains et Waterloo sous le Second Empire » ; les actes du colloque de Besançon Hugo politique mêlant « littéraires » et historiens (Jean-Claude Caron et Annie Stora-Lamarre éd., PU de Franche-Comté, 2004) ; le chapitre « La République ou le passé congédié » du livre de Mona Ozouf, Les aveux du roman, Fayard, 2001.

I. Editions

Les originales méritent d’être plus complètement décrites : H. Scepi lui-même semble avoir découvert des tirages dissemblables de l’originale belge (p. 1541) ; on trouve sur le web une édition (contrefaçon ?)  ayant mêmes couverture et titre qu'elle, mais de pagination et de texte différents.

La  formule « édition établie par » recouvre des réalités trop disparates pour être uniformément appliquée, par exemple, à l’édition de R. Journet en GF (1966), sans notes, ni commentaire, et à l’édition de l’Imprimerie Nationale, qui comprend Reliquat, examen du Manuscrit, Historique, Revue de la critique et même quelques reproductions spectaculaires du manuscrit.

Les rééditions sont mal signalées ou pas du tout : celle d’Y. Gohin en « Folio » publiée en 1973 est indiquée pour une « nouvelle édition » en 1995 ; c’est, en réalité, 1992 avec un retirage en 1995, puis  chaque année ou presque. Si l’on affecte la précision, il faut s’y astreindre.

L’édition génétique et critique des Misérables procurée par Guy Rosa sur le site du Groupe Hugo a l’honneur excessif d’être mentionnée deux fois – l’une comme édition critique, l’autre comme « reconstitution des Misères » ; l’une de ces deux fois d’ailleurs elle est donnée, à tort, comme « dirigée » par lui.

II. Biographies et documents

La section « biographies » a peu d’entrées en proportion de la production ; on ne s’en plaindra pas. Mais on comprend mal pourquoi Juin surnage du trio Maurois, Juin, Decaux coulé par J.-M. Hovasse ; il aurait été avantageusement remplacé par le Victor Hugo – « Et s’il n’en reste qu’un » de Sophie Grossiord  (Gallimard et Paris-Musées, 1998) tout à fait sérieux et très habilement illustré.

Fidèle à sa conception de l’écriture qui ne la connaît qu’imprimée, H. Scepi refuse ici encore de voir dans les manuscrits une œuvre en devenir : la sous-section « Documents » mélange documents biographiques et transcriptions des manuscrits (Barrère, Journet-Robert, Leuilliot). Celles-ci, objet d’une sorte de persécution, sont maintenant enregistrées de manière fautive. Le Manuscrit des Misérables, de Journet et Robert, est de 1963 et non 1962 ; le volume Contributions aux études sur Victor Hugo de 1979, aurait dû porter son chiffre d’ordre : c’est le premier d’une série de sept ; il n’a d’ailleurs pas plus sa place ici que les autres puisqu’aucun ne concerne spécifiquement Les Misérables. L’a-t-on seulement ouvert ? En revanche, il fallait indiquer, des mêmes auteurs, « Le classement des papiers de Hugo à la Bibliothèque Nationale – A propos du « Reliquat » des Misérables » dans Centenaire des Misérables (1862-1962) – Hommage à Victor Hugo. Auraient dû figurer aussi, au minimum, les travaux de André Le Breton, Jean Pommier et de Georges Huard sur la genèse de l’épisode du couvent, le commentaire par J.-B. Barrère du carnet transcrit par ses soins : « La révision des Misérables d’après un carnet inédit de V. Hugo », R.H.L.F., 1962 et l'élucidation, tentée par P. Laforgue, du mystère qui entoure le « manuscrit de l’évêque » (dans Hugo de l’écrit au livre, Béatrice Didier et Jacques Neefs éd., PUV, 1987).

III. Etudes.

La section « Ouvrages et articles généraux sur Victor Hugo » aurait pu être beaucoup plus importante; elle devait, tant il en manque, indiquer les motifs du choix. On s’étonne de trouver, à côté des grands classiques de portée très large (La Création mythologique) ou consacrés à Hugo romancier (Victor Brombert, Georges Piroué, Myriam Roman), des études très spécialisées et au mieux tangentielles aux Misérables, l’article, par exemple, de Joëlle Gleizes et G. Rosa dans la Revue française d’histoire du livre ou le livre, par ailleurs excellent, de David Charles sur La Pensée technique dans l’œuvre de V. Hugo. Ces présences discutables achèvent de rendre choquantes des absences. Le Victor Hugo philosophe de Jean Maurel disqualifie peut-être le Hugo de Henri Peyre dans la collection « Philosophes » des P.U.F. (1972), mais sûrement pas le Hugo le philosophe de Renouvier – heureusement revenu en librairie (présentation de Claude Millet, Maisonneuve et Larose, 2002). Et l’introduction de H. Scepi, qui met si fortement l’accent sur la philosophie religieuse de Hugo, obligeait à signaler les travaux ayant le même objet : les livres de Charles Villiers, L’Univers métaphysique de V. Hugo (Vrin, 1970), d’Y. Gohin, Sur l’emploi des mots immanent et immanence chez V. Hugo (Archives des lettres modernes, 1968), et les articles de Paul Bénichou, Frank Bowman, Jean-Claude Fizaine, Jean-Pierre Jossua, R. Journet aux actes du colloque de Cerisy de 1984.

Les ouvrages collectifs, classés selon leur titre quand ils ne portent que sur Les Misérables, ont ici disparu. On n’en voit qu’un, celui dirigé par C. Millet  (Hugo et la guerre) sans doute mis à son nom personnel parce qu’il ne pouvait former une rubrique à lui seul. Il aurait pu – et dû – y en avoir plusieurs autres ; quelques-uns, récents, comportent une contribution au moins concernant Les Misérables :

- Victor Hugo 7 Le théâtre et l’exil, Florence Naugrette éd., Lettres modernes Minard, 2009, où se trouve : Sylvie Vielledent, « L’adaptation des Misérables en 1863 par Charles Hugo et Paul Meurice – Du roman dramatique au drame réaliste ».

- Choses vues à travers Hugo, C. Millet, F. Naugrette et Agnès Spiquel éd., PU de Valenciennes, 2007, qui contient : Ludmila Charles-Wurtz et D. Charles, « L’avenir et le lendemain : Les Misérables, V, 1, 4 » ; Annette Rosa, « Marius “retourné” » ; J.-M. Hovasse, « Les signes de Hugo au cygne de Baudelaire » ; Jacques Dürrenmatt, « Les Misérables sont-ils solubles dans la bande dessinée ? ou Le défi de Cham ».

- Hugo et l’histoire, Léon-François Hoffmann et Suzanne Nash éd., Schena editore et PU de Paris-Sorbonne, 2005, qui publie Kathryn M. Grossman, « La Fin de l’histoire ? Variations cinématiques sur les dénouements hugoliens » et Isabel K. Roche, « Le personnage et son histoire dans Les Misérables ».

- Victor Hugo et la langue, Actes du colloque de Cerisy de 2002, Bréal 2005 et site du Groupe Hugo, avec Philippe Dufour, « De la langue aux langages : Les Misérables », mentionné au nom de l’auteur, et Chantal Brière, « Edifices et personnages romanesques mêlés ». 

- Année Victor Hugo 1, Evelyn  Blewer et José Sanchez éd., Eurédit, 2002, pour Georges Mathieu, « L’emploi des clausules dans les fins de chapitre des Misérables » et Vincent Laisney, « Jean Prouvaire : un poète dans les émeutes ou Poésie et révolution dans Les Misérables ».

- Victor Hugo romancier de l’abîme, J.A. Hiddleston éd., Legenda, Oxford, 2002, pour J. Seebacher, « Circonscription de l’abîme ».

- Victor Hugo 4 Science et technique, C. Millet éd., Lettres modernes Minard, 1999 qui donne : Michel Bernard, « Les Misérables ou Les ciseaux à froid » et M. Roman, « Victor Hugo et le roman historique ».

- Elseneur 10 – Hugo moderne ?, PU de Caen, 1995, avec B. Leuilliot, « Montreuil-sur-Mer en noir et blanc » et G. Rosa, « Le quid obscurum des batailles : Waterloo chez Hugo et Stendhal ».

- Victor Hugo 3 Femmes, Danielle Gasiglia-Laster éd., Lettres modernes Minard, 1991, avec : Nicole Savy, « De Notre-Dame aux bénédictines, l’asile et l’exil » et A. Spiquel, « Eponine ou Le salut au féminin ».

- Victor Hugo et la Grande-Bretagne, Actes du colloque de Manchester de 1985, A.R.W. James éd.,  Francis Cairns, 1986, pour A.R.W. James, « Waterloo sans “Cambronne” ou Les méfaits de Lascelles Wraxall » [premier traducteur des Misérables en anglais].

Enfin, les actes du colloque de Cerisy de 1985, Hugo le fabuleux (Seghers) ne sont mentionnés qu’indirectement, pour deux communications. L’ensemble aurait dû trouver place, non seulement en raison de son importance propre, mais aussi parce que les communications des sections  « La pensée du roman » et « Le Créateur ? »  ne perdent jamais de vue Les Misérables même si cela n’apparaît pas dans leurs titres.

 

Les huit « Ouvrages collectifs sur Les Misérables » sont très inégalement détaillés, au nom de chaque auteur, dans les « Monographies et articles » : il ne manque du sommaire de Lire Les Misérables que deux articles (France Vernier et Claude Habib) mais bien davantage pour d’autres sans qu’on se l’explique. Du recueil fondateur, Centenaire des Misérables (1862-1962)- Hommage à V. Hugo, sont précisés les titres de trois interventions (B. Leuilliot, J. Seebacher et P. Albouy) ; les contributions de J. Pommier, R. Journet et G. Robert, Jean Gaulmier, M.-F. Guyard, N. Banasevic, H.-J. Hunt, J.-B. Barrère, Jacques Roos ne sont pas répertoriées, ni non plus les études de Robert Ricatte « Style parlé et psychologie dans Les Misérables » et de J. Gaudon « “Je ne sais quel jour de soupirail” » dont l’importance se signale par leur reprise dans l’édition Massin. Parfois on craint de deviner des motifs plus institutionnels que scientifiques : du recueil édité par Pierre Brunel, excellent mais pas plus que les autres, sont retenus neuf articles sur treize ; on tombe à un sur sept pour celui de Gabrielle Chamarrat ; un seul sur treize pour le colloque de la SERD, Victor Hugo, Les Misérables – La preuve par les abîmes : celui de J. Gaudon sur la manière dont Hugo extrait de La France pittoresque nombre de détails, tandis que sont passés sous silence les contributions de A. Ubersfeld, Philippe Régnier, B. Leuilliot, P. Laforgue, N. Savy, Françoise Chenet, F. Vernier, K.-M. Grossman, G. Rosa, A. Spiquel, J. Maurel, P. Popovic.

Dans le même ordre d’idées on ne comprend pas pourquoi, après avoir mentionné le Paroles de Hugo, d’A. Ubersfeld au titre des ouvrages généraux sur Hugo, l’un de ses éléments, « Le rêve de Jean Valjean » entre dans les « monographies et articles sur Les Misérables », mais pas un autre, devenu classique : « Nommer la misère ».

Enfin, les actes du colloque Victor Hugo et les images (Madeleine Blondel et Pierre Georgel dir.) sont à tort rangés parmi les ouvrages collectifs sur Les Misérables : aucune communication ne leur y est consacrée ; le livre aurait dû venir dans les « Ouvrages et articles généraux sur Hugo ».

 

Les sources sont mentionnées et référencées dans les notes choix, acceptable encore que leur tableau puisse ne pas être dépourvu d'intérêt et de commodité.  Mais, s’il en est ainsi, pourquoi retenir l’article de J. Gaudon sur « La France pittoresque dans Les Misérables » ?

 

Nous avons enfin relevé une quarantaine d’erreurs dans l’identification (nom, titre, éditeur, date) des travaux de recensés. Leur nombre choque plus que la gravité de chacune. On en trouvera la liste complète en annexe. Il faut pourtant signaler que

– la biographie d’H. Juin est ici réduite à un seul volume, publié en 1980 ; ce n’est que le premier de trois : sous-titré : 1802-1848 il est suivi, chez le même éditeur, de 1848-1870 en 1984 et de 1870-1885 en 1986 ;

– le Victor Hugo raconté par Adèle Hugo n’est pas une « nouvelle édition » sous un autre titre du Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, mais donne le texte des manuscrits de la main de Madame Hugo avant les importantes corrections effectuées par Charles Hugo et Auguste Vacquerie en vue de la publication ;

– la référence du Dossier des Misérables est incompréhensible si le nom du tome où il se trouve, « Chantiers » n’est pas référé à la collection des Œuvres complètes, « Bouquins », R. Laffont. Par ailleurs, R. Journet n’en est pas l’auteur – c’est Hugo ;

– P. Albouy, Mythographies, J. Corti n’est pas publié en 1973 mais en 1976, par les soins de Claude Duchet, après la mort de P. Albouy survenue l’année précédente.

 

Coup de grâce

Pour faire souffrir jusqu’à la dernière page, la Pléiade a imaginé d’appliquer à tous les titres de la table des matières la norme typographique classiquement employée pour les titres d’ouvrages. Avec de belles réussites : Le Judas de la Providence, Le Dedans du désespoir… Initiative heureusement désavouée, implicitement, par MM. Scepi et Moncond’huy lorsqu’ils désignent les chapitres par leur titre.

 

CONCLUSION

 

On peut entreprendre une édition à toutes sortes de fins. Lorsqu’on y travaille une seule subsiste, dictée par les devoirs du savoir – ils existent – et par l’admiration : faire lire l’œuvre, non nécessairement comme on l’a lue, mais comme on pense qu’elle doit l’être. Comment H. Scepi, responsable de cette édition, veut-il qu’on lise Les Misérables ? Je serais bien en peine de le dire, tant ce Pléiade semble n’avoir eu d’autre ligne directrice que de « faire un Pléiade ».

 


ANNEXE I (retour au texte)

 

ECARTS DE PONCTUATION, D’ORTHOGRAPHE ET DE TYPOGRAPHIE ENTRE L’EDITION DE LA PLEIADE ET L’ORIGINALE BELGE

 

xxxxxxx [éditions identiques à la Pléiade :

 Paris = originale en France : Paris, Pagnerre, 1862

1881 = édition ne varietur, Hetzel-Quantin, 1881 

IN = Ollendorf, imprimé par l’Imprimerie Nationale, 1908-1909 

P1951 = la Pléiade, 1951]

Edition originale belge (Lacroix et Verboeckhoven, Bruxelles, 1862)

   
   

[pas de titre : 1881 et IN, P1951]

PREFACE

Hauteville House [aucune édition. Paris, 1881 et IN, P1951 donnent « Hauteville-House » et non « Hauteville House » comme dit l’apparat critique, p. 1548]

Hauteville house

   

I, 1, 1

 

[Titre] MONSIEUR MYRIEL [aucune édition]

M. MYRIEL

la Révolution [passim, aucune édition sauf P1951]

la révolution

curé de Brignolles  [aucune édition ; correction non signalée dans l’apparat critique]

curé de B. (Brignolles)

l’Empereur [aucune édition]

l’empereur

se retourna, et dit brusquement [1881 et IN, P1951]

se retourna et dit brusquement

« Quel est ce bonhomme [aucune édition ]

Quel est ce

 et moi, je regarde un grand homme [aucune édition]

et moi je regarde un grand homme

Qu'y avait-il de vrai, du reste, dans [1881 et IN, P1951 ]

Qu'y avait-il de vrai du reste dans

langue du Midi [aucune édition, sauf P1951]

langue du midi

Mlle Baptistine [aucune édition sauf P1951, passim]

mademoiselle Baptistine [Noter que Hugo distingue mademoiselle Baptistine de « M. Gillenormand »]

Mme Magloire [aucune édition sauf P1951; passim]

madame Magloire

femme de chambre de mademoiselle et femme de charge de Monseigneur [aucune édition ; passim]

femme de chambre de mademoiselle et femme de charge de monseigneur.

   

I, 1, 2

 

 MONSIEUR Myriel devient monseigneur Bienvenu [aucune édition]

M. Myriel devient monseigneur Bienvenu

 par Mgr Henri Puget [aucune édition sauf P1951]

monseigneur Henri Puget

fort large, avec promenoirs à arcades [1881 et IN, P1951]

fort large avec promenoirs à arcades

Mgrs Charles Brûlart [aucune édition sauf P1951]

messeigneurs Charles Brûlart

 Jean Soanen prêtre [aucune édition]

Jean Soanen, prêtre de l'oratoire

 29 JUILLET 1714 [aucune édition ; P1951 : « 29 juillet 1714 »]

29 juillet 1714

«  Monsieur le directeur de l'hôpital, lui dit-il, [aucune édition]

Monsieur le directeur de l'hôpital, lui dit-il,

sont que des chambres, et l'air s'y renouvelle [1881 et IN, P1951]

sont que des chambres et l'air s'y renouvelle

il y a deux ans,  cent malades / [toutes les éditions sauf l’originale belge]

il y a deux ans ; cent malades

quelquefois ; nous ne savons que faire [IN, P1951]

quelquefois,  nous ne savons que faire

 Que voulez-vous, Monseigneur [aucune édition. La majuscule transpose celle de l’abréviation, Mgr. mais est indue ; les personnages de Racine disent « seigneur ».]

Que voulez-vous, monseigneur

dit le directeur, il faut se résigner. » [aucune édition]

dit le directeur, il faut se résigner.

« Monsieur, dit-il, combien pensez-vous  [aucune édition]

  – Monsieur, dit-il, combien pensez-vous

– Dans la salle à manger de Monseigneur ? » s’écria [aucune édition]

– Dans la salle à manger de monseigneur ? s’écria

« Il y tiendrait bien vingt lits! » dit-il,  comme se parlant à lui-même [aucune édition]

– Il y tiendrait bien vingt lits! dit-il,  comme se parlant à lui-même

 puis élevant la voix:   « Tenez, monsieur  [pas d’alinéa mais guillemets :1881 et IN]

puis élevant la voix: 

   – Tenez, monsieur

Nous sommes trois ici, et nous avons place [1881 et IN, P1951]

Nous sommes trois ici et nous avons place

vous avez mon logis, et j’ai le vôtre / [1881 et IN, P1951]

vous avez mon logis et j’ai le vôtre

c’est ici chez vous. » [aucune édition]

c’est ici chez vous.

Le lendemain, les vingt-six pauvres [1881 et IN, P1951]

Le lendemain les vingt-six pauvres

Sisteron, pour l’enseignement gratuit [1881 et IN, P1951]

Sisteron pour l’enseignement gratuit

Eglise [aucune édition sauf P1951]

église

Avec ces quinze cents francs,  ces deux vieilles femmes et ce vieillard vivaient. [1881 et IN, P1951]

Avec ces quinze cents francs  ces deux vieilles femmes et ce vieillard vivaient.

Et quand un curé de village venait à Digne [1881 et IN, P1951]

Et, quand un curé de village venait à D

Un jour il était à Digne depuis environ trois mois –, l'évêque dit: [IN, P1951]

Un jour, il était à Digne depuis environ trois mois, l'évêque dit:

« Avec tout cela je suis bien gêné! [aucune édition]

  – Avec tout cela je suis bien gêné!

Je le crois bien ! s'écria [1881 et IN, P1951]

Je le crois bien, s'écria

vous avez raison, madame Magloire. » [aucune édition. Noter qu’ici la désignation de politesse n’est pas abrégée.]

vous avez raison, madame Magloire.

crier la bourgeoisie locale, et, à cette occasion, un sénateur [IN, P1951]

crier la bourgeoisie locale, et à cette occasion un sénateur

Empire [aucune édition]

empire

18 Brumaire [aucune édition]

dix-huit brumaire

ministre des Cultes [aucune édition]

ministre des cultes

« Des frais de carrosse ? [aucune édition]

«  Des frais de carrosse ?

 pour quoi faire [aucune édition]

pourquoi faire

 A bas le pape! (Les affaires se brouillaient [aucune édition]

A bas le pape! (les affaires se brouillaient

 se brouillaient avec Rome.) Quant à moi / [aucune édition ; IN, P1951 et 1881 donnent : « avec Rome) . Quant à moi »]

se brouillaient avec Rome) quant à moi

« Bon, dit-elle à Mlle Baptistine, [aucune édition pour les guillemets, P1951 pour l’abréviation]

Bon, dit-elle à mademoiselle Baptistine,

Voilà trois mille livres pour nous. Enfin! » [aucune édition]

Voilà trois mille livres pour nous. Enfin!

Le soir même, l’évêque [1881 et IN, P1951]

Le soir même l’évêque

Au bout de peu de temps, les  offrandes [1881 et IN, P1951]

Au bout de peu de temps les  offrandes

L'évêque, en moins d'un an, devint / [1881, IN, P1951]

L'évêque en moins d'un an devint

trésorier de tous les bienfaits et le caissier [1881 et IN, P1951]

trésorier de tous les bienfaits, et le caissier

passaient par ses mains ; mais rien [1881 et IN, P1951]

passaient par ses mains, mais rien

et ils ne l'appelaient que Mgr Bienvenu [aucune édition sauf P1951 ; application ici particulièrement choquante d’une norme stupide]

et ils ne l'appelaient que monseigneur Bienvenu

Du reste, cette appellation lui plaisait. [1881 et IN, P1951]

Du reste cette appellation lui plaisait.

« J'aime ce nom-là, disait-il. Bienvenu corrige Monseigneur. » [aucune édition]

J'aime ce nom-là, disait-il. Bienvenu corrige monseigneur.

   

I, 1, 3

 

Un jour, il arriva à Senez [1881 et IN, P1951]

Un jour il arriva à Senez

« Monsieur le maire, dit l'évêque, et messieurs les bourgeois, je vois [aucune édition]

Monsieur le maire, dit l'évêque, et messieurs les bourgeois, je vois

je vois ce qui vous scandalise ; vous trouvez [1881 et IN, P1951 ; point au ms]

je vois ce qui vous scandalise, vous trouvez

et non par vanité. » [aucune édition]

et non par vanité.

« Voyez les gens de Briançon. [aucune édition]

   – Voyez les gens de Briançon.

un meurtrier. » [aucune édition]

un meurtrier.

« Voyez ceux d’Embrun [aucune édition]

   – Voyez ceux d’Embrun

dans son grenier. » [aucune édition]

dans son grenier.

« Voyez les montagnards [aucune édition]

  Voyez les montagnards

des maris. » [aucune édition]

des maris.

« Voyez ces bons paysans [aucune édition]

  – Voyez ces bons paysans

sans frais ; et on lui obéit  [1881 et IN, P1951]

sans frais, et on lui obéit

hommes simples. » [aucune édition]

hommes simples.

« Savez-vous [aucune édition]

  – Savez-vous

aux foires, où je les ai vus. [1881 et IN]

aux foires où je les ai vus.

comme les gens de Queyras. » [aucune édition]

comme les gens de Queyras.

 à défaut d’exemples, il inventait des paraboles   [aucune édition]

à défaut d’exemples il inventait des paraboles

   

I, 1, 4

 

Un jour, il se leva de son fauteuil [1881 et IN, P1951]

Un jour il se leva de son fauteuil

Une de ses parentes éloignées, Mme la comtesse de Lô [aucune édition sauf P1951]

Une de ses parentes éloignées, madame la comtesse de Lô

grand-tante [aucune édition]

grandtante

Mme de Lô [aucune édition sauf P1951]

madame de Lô

« Mon Dieu, mon cousin [aucune édition]

   – Mon Dieu, mon cousin

ne succède point. » [aucune édition]

ne succède point. »

faire-part [aucune édition sauf P1951]

faire part

« Quel bon dos a la mort [aucune édition]

  – Quel bon dos a la mort

la tombe à la vanité ! » [aucune édition]

la tombe à la vanité !

donner aux indigents, afin d’éviter l’enfer [1881 et IN, P1951]

donner aux indigents afin d’éviter l’enfer

Un jour, l’évêque le vit [1881 et IN, P1951]

Un jour l’évêque le vit

« Voilà M. Géborand / [aucune édition sauf P1951; le M. dans un dialogue est particulièrement inacceptable]

  – Voilà monsieur Géborand

un sou de paradis. » [aucune édition]

un sou de paradis.

il ne se rebutait pas, même devant un refus [IN, P1951, conforme au ms]

il ne se rebutait pas même devant un refus

ultra-voltairien [1881 et IN, P1951]

ultra-Voltairien

L’évêque, arrivé à lui, lui toucha le bras [1881 et IN, P1951]

L’évêque arrivé à lui lui toucha le bras

lui toucha le bras : « Monsieur le marquis, [aucune édition ; noter que l’on a plus haut : – Madame Magloire  et non « Madame Magloire]

lui toucha le bras :  Monsieur le marquis,

« Monseigneur, j’ai mes pauvres [aucune édition]

  – Monseigneur, j’ai mes pauvres

Donnez-les moi », dit l’évêque. [aucune édition]

  – Donnez-les moi, dit l’évêque.

Et cela, à cause d’une chose [1881 et IN, P1951]

Et cela à cause d’une chose

Je n’accuse pas la loi, mais je bénis Dieu. [1881 et IN, P1951 ; originale Pagnerre : « loi »]

Je n’accuse pas la loi ; mais je bénis Dieu.

coups de hache et ils le font tremper [1881 et IN, P1951]

coups de hache, et ils le font tremper

 manger. Mes frères, ayez pitié ! [aucune édition]

manger. Mes frères, ayez pitié !

Il disait: « Eh bé ! moussu,  [aucune édition]

Il disait:  Eh bé ! moussu,

sagé? » comme dans le bas Languedoc [aucune édition]

sagé? comme dans le bas Languedoc

« Onté anaras passa? » comme [aucune édition]

  – Onté anaras passa? comme

« Puerte un bouen moutou embe un bouen froumage grase », comme [aucune édition]

 Puerte un bouen moutou embe un bouen froumage grase, comme

beaucoup au peuple, et n’avait pas peu contribué [IN, P1951]

beaucoup au peuple et n’avait pas peu contribué

Du reste, il était le même [1881 et IN, P1951]

Du reste il était le même

Il disait : « Voyons le chemin par où la faute a passé. » [aucune édition]

Il disait : Voyons le chemin par où la faute a passé.

« Oh! oh! disait-il en souriant, [aucune édition]

  – Oh! oh! disait-il en souriant,

de se mettre à couvert. » [aucune édition]

de se mettre à couvert.

Il disait : « Les fautes [aucune édition]

Il disait :  Les fautes

et des savants. » [aucune édition]

et des savants.

Il disait encore : « A ceux qui ignorent [aucune édition]

Il disait encore : A ceux qui ignorent

Alors, exaspérée de jalousie, [1881 et IN, P1951]

Alors exaspérée de jalousie,

On racontait le fait, et chacun s'extasiait sur l'habileté du magistrat / [1881 et IN, P1951]

On racontait le fait et chacun s'extasiait sur l'habileté du magistrat

Quand ce fut fini, il demanda:

« Où jugera-t-on cet homme et cette femme?

– A la cour d'assises. »

Il reprit: « Et où jugera-t-on monsieur le procureur du roi? » [aucune édition]

   Quand ce fut fini, il demanda:

    – Où jugera-t-on cet homme et cette femme?

    – A la cour d'assises.

  Il reprit: Et où jugera-t-on monsieur le procureur du roi?

moi aussi, je suis malade [1881 et IN, P1951]

moi aussi je suis malade

l'évêque qui dit: « M. le curé a raison. [aucune édition ; abréviation particulièrement choquante]

l'évêque qui dit: – Monsieur le curé a raison.

Ce n'est pas sa place, c'est la mienne» [aucune édition]

Ce n'est pas sa place, c'est la mienne.

Le lendemain, quand on vint chercher [1881 et IN, P1951]

Le lendemain quand on vint chercher

l'embrassa, et, au moment où le couteau [Paris,1881 et IN, P1951]

l'embrassa, et au moment où le couteau

il lui dit : « Celui que l'homme tue, [aucune édition]

 il lui dit : « – Celui que l'homme tue,

qui dirent, en commentant cette conduite [1881 et IN, P1951

qui dirent en commentant cette conduite

Le peuple, qui n'entend pas malice aux actions saintes, fut attendri [1881 et IN, P1951]

Le peuple qui n'entend pas malice aux actions saintes fut attendri

fut pour lui un choc, et il fut longtemps [1881 et IN, P1951]

fut pour lui un choc et il fut longtemps

tant qu'on n'a pas vu de ses yeux une guillotine ; mais [1881 et IN, P1951]

tant qu'on n'a pas vu de ses yeux une guillotine, mais

il faut se décider et prendre parti [1881 et IN, P1951]

il faut se décider, et prendre parti

 Les uns admirent, comme de Maistre, les autres [aucune édition]

Les uns admirent, comme de Maistre; les autres

Par moments, il se parlait à lui-même, [1881 et IN, P1951]

Par moments il se parlait à lui-même,

et recueillit : « Je ne croyais pas [aucune édition]

et recueillit : Je ne croyais pas

De quel droit les hommes touchent-ils à cette chose inconnue? » [aucune édition]

De quel droit les hommes touchent-ils à cette chose inconnue?

Il disait : « Prenez garde [aucune édition]

Il disait : – « Prenez garde

   
   

V, 1, 1

 

puisse mentionner n'appartiennent point [Paris, 1881, IN, P1951]

puisse mentionner, n'appartiennent point

dans  ce duel ; et ces mots [IN, P1951]

dans ce duel, et ces mots

contresens [aucune édition]

contre-sens

contre-butée [1881, IN, P1951. Paris : « contre-boutée »]

contre-buttée

barricade mère [1881, IN, P1951]

barricade-mère

tohu-bohu [1881, IN, P1951]

tohubohu

gaiement [aucune édition]

gaîment

le 9 Thermidor sur le 10 Août, le 18 Brumaire sur le 21 Janvier [aucune édition]

le 9 thermidor sur le 10 août, le 18 brumaire sur le 21 janvier

au-dessus [1881, IN, P1951]

au dessus

l’Assemblée constituante [aucune édition]

l’assemblée constituante

et c'était La Carmagnole défiant La Marseillaise [aucune édition]

et c'était la Carmagnole défiant la Marseillaise

dos-d’âne [aucune édition]

dos d’âne

« Comme c'est bâti! disait-il [aucune édition]

  Comme c'est bâti! disait-il 

C'est de la porcelaine» [aucune édition]

C'est de la porcelaine.

« Les lâches! disait-on. [aucune édition]

Les lâches! disait-on.

ils se cachent! » [aucune édition]

ils se cachent! 

La barricade Saint-Antoine [passim, toutes éditions sauf originale belge]

La barricade St-Antoine

dénuement [aucun édition]

dénûment

   

V, 1, 2

 

au-dedans [aucune édition]

au dedans

au-dehors [aucune édition]

au dehors

pansement des blessés, recueilli la poudre [1881, IN, P1951]

pansement des blessés ; recueilli la poudre

« C'est ici la salle des morts », dit Enjolras. [aucune édition]

C'est ici la salle des morts, dit Enjolras.

le radeau de La Méduse [aucune édition]

le radeau de La Méduse

dans la barricade Saint-Merry [1881, IN, P1951]

dans la barricade St-Merry

combattants criant : A manger [1881, IN, P1951]

combattants criant : à manger

il est 3 heures [aucune édition]

il est trois heures

A 4 heures [aucune édition]

A quatre heures

en remontant dit : « C’est du vieux fonds [aucune édition]

en remontant dit :  C’est du vieux fonds

sauver ces bouteilles-là. » [aucune édition]

sauver ces bouteilles-là.

Vers 2 heures du matin [aucune édition]

Vers deux heures du matin

Au-dessus de cet effrayant [1881, IN, P1951]

Au dessus de cet effrayant

A la lucarne du troisième étage,  le vent [IN, P1951]

A la lucarne du troisième étage  le vent

« Je suis charmé [aucune édition]

Je suis charmé

parce qu’elle tremble. » [aucune édition]

parce qu’elle tremble.

« Qu’est-ce que le chat [aucune édition]

Qu’est-ce que le chat

Le Bon Dieu [aucune édition]

Le bon Dieu

Le Bon Dieu, ayant fait [Paris, 1881, IN, P1951]

Le Bon Dieu ayant fait la souris

corrigée de la Création. » [aucune édition]

corrigée de la création.

« Harmodius et Aristogiton [aucune édition]

Harmodius et Aristogiton

le genre humain. » [aucune édition]

le genre humain.

traducteurs des Géorgiques [IN, P1951]

traducteurs des Géorgiques

« César, disait Combeferre [aucune édition]

César, disait Combeferre

Maevius [aucune édition ; mais ce n’est guère cohérent avec, plus loin, « Cydathenæum »]

Mævius

Shakespeare [1881, IN, P1951] cf. « Nous respectons de même les graphies plus ou moins vieillies de certains noms propres, qui sont très largement attestées à l’époque (Shakspeare pour Shakespeare…). » Mais « Shakspeare » en I, 4, 1. En revanche « Shakespeare » en IV, 7, 1.

Shakspeare

mais l’Antiquité l’admettait [aucune édition]

mais l’antiquité l’admettait

regia ac paene tyrannica [aucune édition]

regia ac pænè tyrannica

on sent le dieu. » [aucune édition]

on sent le dieu.

Edaptéon ! » [aucune édition]

Edaptéon !

   

V, 1, 3

 

une des forces du Français combattant [P1951]

une des forces du français combattant

à 6 heures du matin [aucune édition]

à six heures du matin

«  Toute l’armée de Paris donne [aucune édition]

Toute l’armée de Paris donne

shakos du 5e de ligne [aucune édition]

shakos du cinquième de ligne

guidons de la 6e légion [aucune édition]

guidons de la sixième légion

vous êtes abandonnés. » [aucune édition]

vous êtes abandonnés.

« Soit. Elevons la barricade [aucune édition]

Soit. Elevons la barricade

n’abandonnent pas le peuple. »  [aucune édition]

n’abandonnent pas le peuple.

presque à la même heure [1881, IN, P1951]

presqu’à la même heure

consignée au procès : Qu’on vienne [1881, IN, P1951]

consignée au procès : Qu’on vienne

 

 

CORRECTIONS DU TEXTE DE L’ORIGINALE BELGE FAITES ET SIGNALEES

Pléiade / Originale belge

I, 1, 4

sans le froncement / sous le froncement [« sans » : 1881, IN, P1951]

Il passa toute la journée et toute la nuit près de lui / Il passa toute la journée auprès de lui [« et toute la nuit près » : ms, IN, P1951]

 

CORRECTIONS DU TEXTE DE L’ORIGINALE BELGE FAITES MAIS NON SIGNALEES

Pléiade / Originale belge

I , 1, 1 

nous avons eu une suette miliaire /  nous avons eu la suette miliaire [« une » : ms, IN, P1951 ; « la » : originales,1881]

I, 1, 3

a ses fils au service à l’armée / a ses fils au service et à l’armée [pas de « et » : ms, 1881, IN]

I, 1, 4

il y a apparence que ceci est un gros crime / il y apparence que ceci est un gros crime [coquille corrigée dès l’originale de Paris]

V, 1, 1

des roulements de tambours / des roulements de tambour [pluriel : IN conforme au ms, P1951]

 des sanglots de femmes et / des sanglots de femme et [pluriel : IN conforme au ms, P1951, mais ces éditions mettent, comme le manuscrit, une virgule avant le « et » si bien que la Pléiade arrive à être infidèle tout à la fois à l’originale et à l’IN]

En admettant que la gigantesque et ténébreuse insurrection de juin fût composée d'une colère et d'une énigme, on sentait /  En admettant que la gigantesque et ténébreuse insurrection de juin fut composée d'une colère et d'une énigme, on sentait [subjonctif : Paris, 1881, IN, P1951 ; l’indicatif de l’originale belge est conforme au ms ; il n’y a ni copie ni épreuves pour ce chapitre ; la correction de l’originale de Paris ne surprend pas : Meurice et Vacquerie interviennent souvent.]

 

CORRECTIONS DU TEXTE DE L’ORIGINALE BELGE NON FAITES MAIS DONT LA POSSIBILITE EST SIGNALEE

Pléiade et originale belge / autre(s) édition(s) faisant la correction

I, 1, 3

prêchait moins qu'il ne causait. Il ne mettait aucune vertu sur un plateau inaccessible. Il n'allait jamais chercher [addition au ms, IN, P1951 ; les éditeurs omettent de signaler que l’IN suit le ms]

V, 1, 1

rue Vieille-du-Temple / rue du Temple [Paris, 1881, IN, P1951 ; les éditeurs oublient 1881]


CORRECTIONS DU TEXTE DE L’ORIGINALE BELGE FAITES AILLEURS ET DONT LA POSSIBILITE N’EST PAS SIGNALEE

(L’originale de Bruxelles invoquée semblera d’autant meilleure qu’on indiquera le minimum de corrections possibles. Le détail prouve que toutes les corrections rejetées étaient souhaitables.)

 

Pléiade et originale belge / source de la correction et autre(s) édition(s) la faisant

I, 1, 1

On contait que son père / On contait de lui que son père [omis par la copie fautive ; rétabli par l’IN, P1951]

Qu'y avait-il de vrai, du reste, dans les récits qu'on faisait / Qu'y avait-il de vrai, du reste, dans ces récits qu'on faisait [ms et copie]

Personne n'eût osé en parler, personne n'eût osé s'en souvenir. / Personne n'eût osé en parler, personne n'eût même osé s'en souvenir. [omis par la copie fautive ; rétabli par l’IN, P1951]

I, 1, 2

Ce palais était un vrai logis seigneurial. Tout y avait grand air, les appartements de l'évêque, les salons, les chambres, la cour d'honneur, / Ce palais était un vrai logis seigneurial. Tout y avait grand air, les appartements de l'évêque, les salons, les antichambres, la cour d'honneur, [« chambres » est une erreur de la copie reproduite par toutes les éditions]

Dans la salle à manger de monseigneur ? » s'écria le directeur stupéfait. / La salle à manger de monseigneur ? s'écria le directeur stupéfait. [« Dans » : copie fautive ; correction faite par l’IN, P1951]

M. Myriel n'avait pas de biens, sa famille  / M. Myriel n'avait point [ms, IN] de bien [ms, 1881, IN, P1951]

M. Myriel ne changea rien à cet arrangement. / M. Myriel ne changea presque rien à cet arrangement. [omis par la copie, rétabli par l’IN, P1951]

Des frais de tournées ? / Des frais de poste et de tournées? [ms, copie et IN, P1951]

courir la poste dans ces pays de montagnes? / courir la poste dans un pays de montagnes? [erreur de la copiste, corrigée par l’IN, P1951]

I, 1, 3

Il a fort peu de plaines et beaucoup de montagnes, presque pas de routes, / Il a fort peu de plaines, beaucoup de montagnes, presque pas de routes, [« et » : copie erronée, corrigé par l’IN]

à pied quand c'était dans le voisinage, en carriole quand c’était dans la plaine / à pied quand c'était dans le voisinage, en carriole dans la plaine [copie erronée, corrigé par l’IN, P1951]

Je l'ai fait par nécessité, je vous assure,  et non par vanité. / Je l'ai fait par nécessité, je vous assure,  non par vanité. [copie erronée, corrigé par l’IN, P1951]

Il parlait ainsi, gravement et paternellement ; à défaut d'exemples, il inventait des paraboles,  allant droit au but / Il parlait ainsi, gravement et paternellement, à défaut d'exemples inventant des paraboles,  allant droit au but [« il inventait » est une faute de la copie corrigée par l’IN, P1951]

I, 1, 4

lequel avait gagné deux millions / lequel avait gagné un demi-million [« un demi-million » : ms et IN, P1951]

Ceci plaisait beaucoup au peuple / Ceci plaisait au peuple [« beaucoup » ajouté par la copiste, corrigé par l’IN, P1951]

Il ne condamnait rien hâtivement, et sans tenir compte des circonstances. / Il ne condamnait rien hâtivement, et sans tenir compte des circonstances environnantes. [mot oublié par la copiste, rétabli par l’IN, P1951]

Le coupable n'est pas celui qui fait le péché, mais celui qui fait l'ombre. / Le coupable n'est pas celui qui y fait le péché, mais celui qui y a fait l'ombre. [corrigé par l’IN et P1951, conformément au ms]

Il le suivit et se montra aux yeux de la foule / Il le suivit. Il se montra aux yeux de la foule [copie erronée ; corrigé par l’IN, P1951]

Quand il descendit de l’échafaud / Quand il redescendit de l’échafaud [copie erronée ; corrigé par l’IN, P1951]

Comme les choses les plus sublimes sont souvent aussi les moins comprises, / Comme les choses les plus sublimes sont souvent aussi les choses les moins comprises, [copie erronée ; corrigé par l’IN, P1951]

V, 1, 1

 On se sentait là visé par quelqu'un qu'on ne voyait point, et que toute la longueur de la rue était couchée en joue. / On se sentait là visé par quelqu'un qu'on ne voyait point, et l’on comprenait que toute la longueur de la rue était couchée en joue. [rupture de construction corrigée par 1881, l’IN et P1951, mais sans aucune base épigraphique]

  En ce moment une balle lui brisa sa croix sur la poitrine / En ce moment une balle lui brisa sa croix sur sa  poitrine [Paris, 1881, IN, P1951]

V, 1, 2

 la torche qui avait été replacée dans son alvéole de pavés / la torche qui fumait inutilement dans son alvéole de pavés [ms ; correction ultérieure probable]

 

 

 

ANNEXE II (retour au texte)

CORRECTIONS A APPORTER A LA BIBLIOGRAPHIE

La première édition belge « in-12 » de 1862 est habituellement enregistrée au format in-16.

La description de la première édition in-18 de 1863 est si abrégée qu’elle en est inexacte. Il faut : Paris, Pagnerre ; Bruxelles, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie.

L’édition « Paris et Bruxelles, Jules Hetzel et Albert Lacroix, 1864-1865 […] » est probablement : Paris ; J. Hetzel et A. Lacroix, éditeurs ; 18, rue Jacob ; 1866.

L’édition de M.-F. Guyard chez Garnier en 1963 est revue et augmentée en 1966.

L’édition Massin a deux particularités qui veulent être indiquées : Victor Hugo, Œuvres complètes, édition chronologique publiée sous la direction de Jean Massin […] 18 vol. dont deux de dessins […].

L’édition de R. Journet date de 1966 ; elle est augmentée d’une chronologie et d’une introduction en 1971 ; celle du Livre de Poche a été procurée en 1985 par N. Savy (commentaire) et G. Rosa (notes) avec une préface de Vercors (3 vol.) et rééditée en 1998 par G. Rosa (préface et notes) et N. Savy (commentaire) (2 vol.).

 

Le titre du livre d’Henri Guillemin est Victor Hugo par lui-même.

La biographie d’H. Juin est ici réduite à un seul volume, publié en 1980 ; ce n’est que le premier de trois : sous-titré : 1802-1848 il est suivi de 1848-1870 en 1984 et 1870-1885 en 1986.

 

Le Victor Hugo raconté par Adèle Hugo n’est pas une « nouvelle édition » sous un autre titre du Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, mais donne le texte des manuscrits de la main de Madame Hugo avant les importantes corrections effectuées par Charles Hugo et Auguste Vacquerie en vue de la publication.

La référence du Dossier des Misérables est incompréhensible si le nom du tome où il se trouve, « Chantiers » n’est pas référé à la collection des Œuvres complètes, « Bouquins », R. Laffont. Par ailleurs, R. Journet n’en est pas l’auteur, mais l’éditeur.

Le manuscrit des Misérables de R. Journet et G. Robert est publié en 1963.

Le livre d’A. Vacquerie, Les Miettes de l’histoire n’a pas pour sous-titre « Trois ans à Jersey ».

 

P. Albouy, Mythographies, J. Corti est publié par les soins de Claude Duchet, en 1976, après la mort de P. Albouy survenue l’année précédente.

La traductrice du livre de V. Brombert, Victor Hugo et le roman visionnaire, est Héloïse Raccah-Neefs.

L’étude célèbre de Michel Butor, « Victor Hugo romancier » se trouve dans Répertoire II dont l’édition originale aux Edition de Minuit date de 1964.

La première édition de « Digression sur Victor Hugo » de Paul Claudel se trouve dans Positions et propositions. Art et Littérature I, Gallimard, 1928.

Le livre Victor Hugo et le désir de savoir [] est de Véronique Dufief.

Claude Gély, Victor Hugo, poète de l’intimité, Nizet, 1969 : ajouter rééd. revue sous le titre La Contemplation et le rêve. Victor Hugo, poète de l’intimité, Nizet, 1993.

L’article de J. Gleize et G. Rosa est intitulé « Livres et livre ».

Le numéro de Romantisme où se trouve l’article de C. Millet, « “Commençons donc par l’immense pitié” » est le 142.

Le titre du livre de Maxime Prévost est Rictus romantiques. Politiques du rire chez Victor Hugo.

Les fameuses Etudes sur le romantisme de Jean-Pierre Richard ont été publiées en 1971, retirées en 1987 et 1996 et ont eu une nouvelle édition en 1999.

L’article de M. Roman, « Rupture et continuité : 1848 dans l’œuvre  de V. Hugo » a, outre son édition électronique, une édition papier dans 1848, une révolution du discours, Hélène Millot et Corinne Saminadayar-Perrin éd., Editions des Cahiers intempestifs, 2001. Le numéro de volume, « (34) », qui signale la publication de son article « Avatars romanesques du penseur […] » dans Romantisme n’a pas la moindre pertinence.

Le nom de la revue du Musée d’Orsay où se trouve l’article de G. Rosa, « Hugo en 1848 : de quel côté de la barricade ? » est 48-14 La Revue du Musée d’Orsay et le numéro concerné est intitulé 1848 : trois écrivains face à l’histoire (Hugo, Michelet, Flaubert).

L’article de Robert Louis Stevenson, Victor Hugo’s Romances, a été initialement publié dans The Cornhill Magazine, vol. XXX, july to december 1874, London, Smith, Elder & Co, 1874, p. 179-194. Sa traduction par Michel Le Bris et Fance-Marie Watkins dans Essais sur l’art de la fiction est publiée en 1988 aux éditions de la Table ronde.

 

Lire les Misérables, dont la page de titre mentionne tous les auteurs, est épuisé, depuis longtemps, chez son éditeur J. Corti, qui a autorisé sa reproduction sur le site du Groupe Hugo.

 

Le site du Groupe Hugo donne accès, en sus de plusieurs des articles ou ouvrages répertoriés, aux travaux suivants : Bertand Abraham, « Les représentations du livre dans les romans de Hugo » ; Pierre Berthomieu,  « Les Misérables (de Claude Lelouch) - “On a tous été Jean Valjean” » ; C. Brière, « Mourir dans Les Misérables » ; C. Brière, « Parcourir les rues des Misérables » ;  D. Charles,  « Hugo, le travail et la misère » ; D. Charles, « Le trognon et l'omnibus : bricolage et mètis des barricades dans Les Misérables » ; D. Charles, « Buvard, miroir, poème (Les Misérables, IV, 15, 1) ; F. Chenet, « Les Misérables ou La recherche infinie » ; F. Chenet, « Sur “deux vers qui sont peut-être du diable” » ; F. Chenet, « Du champ de l’Alouette au champ de l’Etoile : toponymie et métaphore » ; Guillaume Drouet, « Tré-passer dans Les Misérables : une approche ethno-critique des relations entre morts et vivants » ; J.-C. Fizaine, « L'intertexte biblique dans quelques romans de Hugo » ; Y. Gohin, « Deux raisons d’être appelée Cosette » ; P. Laforgue, « La Rose et le Résidu - Les Misérables » ; P. Laforgue, « La symbolisation de l'histoire chez Hugo : l'exemple de Cosette et de Gavroche » ; Jean-Claude Nabet, « La symbolisation de l'histoire dans Les Misérables (2) : Cosette à Montfermeil » ; F. Naugrette, « Les lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo à l'époque de la publication des Misérables (septembre 1861-juillet 1862) » ; Marie Perrin, « Poétique des personnages dans Les Misérables » ; Jean-Pierre Reynaud, « Bible et roman chez Hugo : une passion orageuse » ; M. Roman, « Poétique du grotesque et pratique du burlesque dans le roman hugoliens » ; M. Roman, « Un romancier non romanesque : Victor Hugo » ; G. Rosa, « Les Carnets des Misérables » ; G. Rosa, « “L’avenir arrivera-t-il ?” – Les Misérables roman de l’histoire » ; N. Savy, « Les procédures de réalisation : l'exemple du Petit-Picpus des Misérables » ; N. Savy, « La bataille de Waterloo: le paradigme de la couleuvre » ; N. Savy, « Waterloo, digression et insémination dans Les Misérables » ; J. Seebacher, « Sur la topographie des Misérables » ; Dominique Sogno, « Commentaire de la genèse du chapitre IV, 14, 6 (L'agonie de la mort après l'agonie de la vie) des Misérables » ; Hélène Soulard, « Prêtres romanesques » ; F. Vernier, « La stratégie de l'ajout dans Les Misérables ».

 

L’étude de la « Préface philosophique » par P. Albouy est initialement publiée dans Centenaire des Misérables [] et reproduite dans Mythographies, J. Corti, 1976.

Le titre du recueil dirigé par Anne-Marie Amiot où se trouvent les articles de Nicole Bilous et J. Maurel est Idéologies hugoliennes.

Le titre de l’article de Jean Delabroy est « Cœcum. Préalables à la philosophie […].

Le nom de l’auteur de l’article « Histoire, épopée et roman : Les Misérables à Waterloo » publié dans la RHLF est Roland Desné (et non « Desnée » comme l’écrit la bibliographie, fautive en cela, de Lire Les Misérables – à qui se fier ?).

L’article « Eloge de la digression » de J. Gaudon est reproduit au tome XIV de l’édition Massin.

Le titre complet de l’article de J. Gaudon dans le recueil d’actes dirigé par P. Brunel est « Qui mène l’enquête ? Note sur l’effet d’authenticité », celui de l’article de J. Maurel : « Entrer dans la forêt des Misérables. Initiation à l’enfance sauvage ».

Le livre de P. Laforgue est intitulé Gavroche, études sur Les Misérables.

L’article de P. Malandain sur la réception des Misérables en 1862 publié à la RHLF est repris dans le volume « Parcours critique » chez Klincksieck.

L’étude « La Poésie dans Les Misérables » de Heni Meschonnic, d’abord publiée dans Ecrire Hugo, Pour la poétique IV, est reproduite au tome XI de l’édition Massin.

L’article de C. Millet « “Commençons donc par l’immense pitié” » a déjà été enregistré dans la rubrique « Ouvrages et articles généraux ».

L’article de Michael Riffaterre, « Fonctions de l’humour dans Les Misérables » est repris dans La Production du texte, Seuil, 1979.

Le titre de l’article de G. Rosa dans le recueil dirigé par P. Brunel est « Essais sur l’argot […] ».

L’article de J. Seebacher, « Misère de la coupure, coupure des Misérables » a été initialement publié dans le numéro 56, Victor Hugo, de la Revue des Sciences Humaines, Lille, 1974, « La mort de Jean Valjean » dans Centenaire des Misérables […] et « Le tombeau de Gavroche […] » dans Lire les Misérables.

L’ouvrage de Mario Vargas Llosa, La Tentation de l’impossible. Victor Hugo et Les Misérables, a d’abord été publié en espagnol à Madrid en 2004.