GROUPE HUGO

Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

Séance du 18 septembre 1999

Présents : Guy Rosa, Jacques Seebacher, Annie Ubersfeld, Arnaud Laster, Rouska Haglund, Junia Barreto, Jean-Marc Hovasse, Stéphane Mahuet, Delphine Gleizes, Franck Laurent, Florence Naugrette, Sylvie Vielledent, Vincent Wallez, Denis Sellem, Myriam Roman, Marieke Stein, Laurent Fedi, Jean-Pierre Vidal, Bertrand Abraham, Carole Descamps, Vital Philippot, Françoise Chenet, Agnès Spiquel, Stéphane Desvignes, Colette Gryner, Chantal Brière.
Excusés : David Charles, Ludmilla Charles-Wurtz, Sandrine Raffin (encore au Canada), Marie Tapié, Bernard Degout.



Informations

Présentations
- Agnès Spiquel, bien connue des moins jeunes; sa thèse (publiée chez Champion) était consacrée sur la figure d'Isis chez Hugo. Elle travaille aujourd'hui sur la période 1872-1877 et les conditions politiques de la genèse de l'Art d'être grand-père.
- Laurent Fedi, philosope. Il avait fait une communication remarquable au Groupe en 97, "Victor Hugo de Charles Renouvier à Walter Benjamin" (consultation Web); il fait entrer la philosophie, autant que faire se peut, dans les jeunes têtes de Douai.
- Carole Descamp fait de même, pour "le français" à Lille. Sa maîtrise et son DEA forment ensemble l'édition critique -pour la partie proprement génétique- de William Shakespeare (déposée à la Bibliothèque).
- Vital Philippot doit soutenir sous peu un D.E.A. (dirigé à Paris 4 par Michel Autrand) sur la construction du pathétique dans les drames de Hugo.

Publications
- Guy Rosa fait circuler le n° 4 de la série consacrée à Victor Hugo, tout récemment sorti chez Minard : Science et technique, avec des commentaires très admiratifs pour les textes de Myriam Roman (qui signe deux publications), D. Charles, C. Millet, E. Blewer (très pertinent et "modèle du genre"),Paule Petitier, Véronique Sanchez -entre autres. Mais l'ensemble aussi du numéro est une réussite, équilibre très soigneux d'études convergentes et de varia moins austères.
-Deux travaux de maîtres, très différents mais également magistraux dans la maîtrise de leur objet : l'article de Franck Laurent : " Penser l'europe avec l'histoire. La notion de civilisation européeene sous la Restauration et la monarchie de Juillet." -dans le dernier numéro de Romantisme (104, sept. 1999) et un livre de Claude Gély, Paysages de Victor Hugo, de Claude Gély -aux éditions interuniversitaires (1998).
- " La Bible : format Bible, papier Bible, contenu biblique " : Guy Rosa jubile à la parution de la thèse de Myriam Roman - Victor Hugo et le roman philosophique, du " drame dans les faits " au " drame dans les idées ", Paris, Champion, 1999. Un index précieux figure à la fin de l'ouvrage. Le livre est à la Bibliothèque (ce qui n'est pas inutile vu son prix).
-(exception à notre hugocentrisme exclusif): Lorenzaccio édité en Garnier-Flammarion par Florence Naugrette, et que Jacques Seebacher qualifie de " petite merveille de pédagogie efficace ".
-Déjà signalée mais maintenant à la Bibliothèque, la thèse de M. Mohammed Chetoui : travail très impressionnant et ardu sur la versification des Contemplations (sous la direction de M. Cornullier-Lucinière, c'est tout dire). Guy Rosa remercie M. Chetoui d'avoir fait parvenir pour le Groupe une saisie du texte des Contemplations qui autorise toutes sortes d'interrogations -et sera installée sur le site du Groupe pour téléchargement.

Soutenances
- On retiendra tous ses samedis de décembre en prévision des soutenances de thèse de J.M. Hovasse et D. Gleizes.
Et l'on rappelle celles, de maîtrise, de Mlles Sarah Jacquet (sur l'utopie) et Florence Codet (sur le prophétisme).

Courriers 
Guy Rosa fait part au groupe des courriers reçus.
- Sylvie Jeanneret : elle interviendra le 20 novembre à propos de " la parole dans l'oeuvre romanesque de Victor Hugo ".
- Olivier Decroix toujours en Turquie, à Ankara, rentre heureusement en janvier prochain.
- M. A. Glinoer, étudiant à l'Université libre de Bruxelles, vient d'y soutenir son mémoire de maîtrise sur le petit Cénacle.
- Bernadette Lintz a répondu très aimablement à l'appel d'informations joint à l'envoi du dernier compte rendu. Elle a retenu avec intérêt l'annonce du travail de M. Roman sur Hugo et Zola : elle même a présenté au grand colloque des dix-neuviémistes aux USA une communication intitulée " des Châtiments à Nana : des intertextes polémiques chez Victor Hugo et Zola " et donnera un second volet de ce travail à un prochain colloque sur Zola, à San Francisco. Elle se propose pour 2002 de travailler sur les rapports entre la rhétorique et l'imaginaire de la contamination dans l'écriture de l'histoire à partir de l'exil. Le sujet lui semble -à juste titre- entrer dans notre perspective "Hugo et la langue". Quant aux initiatives américaines pour le centenaire, elle en déplore l'actuelle timidité, à l'exception de Kathryn Grossman qui se consacre aux Travailleurs de la mer. Enfin, elle demande aux membres du Groupe s'ils sont d'avis qu'il est possible que certains textes philosophiques posthumes (comme les Fleurs) aient été portés à la connaissance d'un certain public (comme Zola) avant 1885, par le biais de de lectures, par exemple.

Guy Rosa observe qu'on a de nombreux exemples de lectures de textes poétiques ou de théâtre, mais, apparemment, d'aucun de texte en prose. J. Seebacher se souvient avoir eu connaissance -mais où?- de lectures, chez les Girardin, de passage de Littérature et philosophie mêlées. Mais Girardin est très proche de Hugo, pas Zola.

La chronologie informatisée
Les neuf premiers volumes de la chronologie Massin (--> 1855), déjà sur Internet, ont été copiés, avec le logiciel d'interrogation, sur cédérom (emploi sur PC seulement). G. Rosa distribue les six premiers exemplaires -d'autres suivront si les réactions de ceux qui ont reçu les premiers laissent penser que c'est utile.
Dans le menu, trois modes d'interrogation: par date (une date ou une fourchette), par critères cumulés (toutes les fiches réunissant le nom de Juliette et celui de Léonie par exemple; il y en a 8), par critères alternatifs (les fiches où figurent soit Juliette soit Léonie; il y en a 289. Cela permet, par exemple, une interrogation sur toutes les pièces de théâtre.). On peut ensuite éliminer les fiches inintéressantes et imprimer le résultat pour avoir une chronologie de travail commode. Chaque fiche est consultable soit en mode abrégé (ce que donne la chrono. Massin : une date et un fait) soit en mode complet (auteur de l'information, source, commentaire (200 signes), rubrique, dates limites pour l'interrogation). Enfin une commande permet d'éditer une page modèle pour y consigner soit la matière d'une nouvelle fiche, soit les corrections à apporter à une fiche existante. On l'imprime, on la dépose à la bibliothèque, elle sera vérifiée puis entrée dans la base de données.

Répondant à une question d'F. Laurent, G. Rosa précise que les modifications apportées à la chronologie Massin seront apparentes. Ainsi, de la correction dont nous fait bénéficier Sylviane Robardey-Eppstein à propos de la première de Henri III et sa Cour, qui n'a pas eu lieu le 11, mais le 10 février 1829.
A. Laster signale un problème concernant la date de naissance d'Adèle : la lettre de Hugo à Nodier propose une date erronnée lorsqu'on la compare à l'acte de naissance officiel.
G. Rosa ajoute que -l'avantage de la chronologie informatisée est de permettre une lecture non suivie, et donc d'ajouter presque autant d'information qu'on le souhaite ; on est surpris à la consultation de la base actuelle de son exiguïté -et pourtant, la Chronologie de Massin fait environ 500 pages: c'est beaucoup pour un livre (et pour une mémoire humaine), peu pour une base informatique.
- la désinstallation ne fonctionne pas toujours (dans l'hypothèse improbable où quelqu'un voudrait se défaire de sa chronologie, il faudrait procéder manuellement) ; (défaut corrigé depuis)
- une assistance technique est disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre, par e-mail ou téléphone auprès de Guy Rosa.
Qui rappelle

Hugo et les Girardin (suite)
J. Seebacher précise le contenu du livre qu'il avait fait circuler lors d'une séance précédente : Cet exemplaire contenait quatorze discours de Hugo et trois oeuvres de Girardin, ainsi que leurs portraits à tous deux, le tout édité par Girardin. Même s'il ne s'agissait que d'une reliure de lecteur, cela conforte la piste consistant à regarder de très près l'association entre Hugo et Girardin autour de l'Evénement. D'abondants documents sur ce sujet se trouvent à la Maison Hugo.
En 1829, Hugo envoie les bonnes feuilles des Orientales à Girardin, qui les publie. Par ailleurs, dans une grande lettre de 1833, Girardin expose à Hugo tous ses projets intellectuels, civilisationnels, politiques, qui seront dès lors discutés entre les Girardin et Hugo - et ce au moins jusqu'en 1877 et leur association pour faire tomber Mac-Mahon.
J'ai lu des oeuvres de Girardin cet été -c'est J. Seebacher qui parle. C'est passionnant. Ce personnage d'agitateur apparaît amusant, et en même temps sérieux dans sa documentation sur la misère ou la condition ouvrière. Au total émerge une politique à la fois socialiste et conservatrice, qui gouverne Girardin... et aussi Hugo, qui veut éviter l'anarchie et le communisme (le couvent laïque) et qui souhatite en même temps une politique de liberté générale, à la fois individuelle et collective (libres négociations entre partons et syndicats, où l'Etat se contente de fixer un seuil minimum). Les différences d'analyse entre Hugo et Girardin portent essentiellement sur l'éducation, que seul Hugo veut gratuite. En somme, Girardin représente le libéralisme intégral et Hugo, les difficultés du libéralisme intégral. Mais les rapports entre eux sont constants.
En outre, ils dialoguent aussi sur les notions d'étrangeté et de bâtardise, et réfléchissent tous deux sur l'exil (celui des descendants de Bonaparte, par exemple). A ce propos, il existe une lettre de Madame de Girardin qui organise son arrivée chez les exilés comme une possibilité pour Victor Hugo de rentrer en France.
Je signale qu'il existe une thèse (dont j'ignorais l'existence il y a peu de temps encore) sur L'Evénement, signée par Mme Fizaine. Ce travail remarquable (consultable à la Bibliothèque N.D.L.R.) contient une foule de dates et de faits tout neufs.

A. Laster : Dans l'album Hugo publié chez Bellefont (A.Laster, Victor Hugo, Bellefont, 1984), on trouvait un passage de l'Evénement annonçant une sorte de conjonction entre les discours de Girardin et les publications de Hugo.
Cependant, si Hugo refuse bien le communisme (et constamment), il évolue dans ses idées sur l'anarchie. Au moment de l'Evénement, il est contre -et "anarchie" désigne alors les très fréquents et très divers "désordres" de rue, mais ensuite on trouve chez lui un critique ironique de la peur de l'anarchie (qui serait une véritable autocritque si le mot avait gardé tout à fait le même sens). Communisme et anarchie ne sont donc pas strictement sur le même plan.
F. Laurent : Je viens de relire la Gloire de Victor Hugo : dans les années 1849-1850, les rapports entre Girardin et Hugo deviennent clairs aux contemporains. On voit en effet une caricature où Girardin fait boire le socialisme à Hugo (lequel se trouve souvent affublé de signes maçonniques, par ailleurs).
Vallès, dans l'Insurgé, fait le portrait de Girardin, présenté comme un impitoyable meneur d'hommes, fascinant pourtant, notamment lorsque devant l'interdiction de La Presse par Napoléon III, il continue à faire face.
A propos des rapports entre socialisme et conservatisme, il faut noter une tendance très forte, sous la Monarchie de Juillet, à penser que l'équilibre politique est atteint. Dès lors, toute évolution ne conduirait qu'à un effritement, à la décadence. Hugo pense, lui, que c'est si on bloque tout que la révolution sera inévitable. La seule vraie manière d'être conservateur est alors de canaliser l'évolution de la société.
Sur l'anarchie, il faudrait se rappeler que la théorie anarchiste n'est longtemps connue en France que par Proudhon, qui apparaît plus comme un repoussoir que comme un modèle. Enfin, l'idée de méfiance envers l'Etat, en revanche, est très présente chez Hugo, qui refuse le pouvoir centralisé et programme même un dépérissement de l'Etat. Il a pour objectif l'administration de la société par elle-même, sur la base de la commune. C'est qu'en 1870-1871, l'Etat est déconsidéré ; les fonctionnaires en place sont toujours ceux de l'empire et semblent inamovibles de fait. Cela n'a pas du tout le même sens que le "moins d'Etat" demandé, mais jamais pratiqué, par la bourgeoisie depuis la Révolution -alors en réaction contre l'étatisme de la monarchie absolue (voir Tocqueville).
F. Chenet : Je signale qu'il existe un fond Girardin aux Archives. Il serait utile d'étudier les journaux appartenant au groupe Girardin. On retrouverait, dans cette presse destinée aux communautés rurales, cet intérêt pour les communes.
J. Seebacher : Oui, il a beaucoup servi la presse provinciale et se trouve même à l'origine de l'agence Havas (l'agence de presse). (fondée en 1835 -NDLR après consultation instantanée)
F. Chenet : Le prospectus de la Presse a disparu de la B.N.F., et personne ne s'en était aperçu avant moi. (Oh! Ah! sur tous les bancs) Par ailleurs, il existe un article capital de Girardin, daté d'août 1849, qui promeut l'idée des Etats-unis d'Europe, en s'apppuyant sur deux arguments majeurs : d'abord, la paix, bien sûr ; puis la nécessité d'unifier les législations sociales européennes (pour obtenir la journée de dix heures en France, il faut qu'elle soit aussi imposée en Allemagne). Ce très bel article sera repris par Hugo.
J. Seebacher : En fait, tout se fait en même temps : Hugo et Girardin entretiennent un dialogue constant.
A. Laster : Les anarchistes ont défilé aux obsèques de Hugo sous le drapeau noir...
J. Seebacher : ... comme les prostituées, mais sous un autre drapeau. A ce propos, je signale que, suivant le corbillard à pied, juste derrière Georges, se trouvait Robelin, le vieux camarade de Hugo, qui apparaît ici comme faisant partie de la famille.
J.M. Hovasse : Il est très souvent invité à dîner par Hugo après l'exil.

A. Laster : Je reviens d'un mot sur les Misérables représentés aux arènes de Lutèce, pour en souligner les qualités.

R. Haglund : Jean Valjean m'a semblé... pénible. Mais les acteurs jouaient à l'évidence avec bonheur.
A. Laster : Avec peu de moyens matériels, la mise en scène tentait de rendre compte de l'ensemble du texte ; et malgré ellipses et omissions, quelque chose d'intense passait.
F. Laurent : Le cinéma de minuit diffuse, depuis plusieurs semaines, des adaptations des Misérables.
A. Laster : Le texte de l'adaptation signée Bluwal a été intégralement publié dans l'Avant-scène cinéma.
V. Wallez : La cassette est actuellement disponible à la vente.
J. Seebacher : Il y a eu dans un numéro de l'Arche un très bel entretien entre Annie Ubersfeld et Marcel Bluwal.
A. Ubersfeld : Je l'avais complètement oublié.
A. Laster : Des adaptations télévisées de Notre-Dame de Paris et des Misérables, avec Gérard Depardieu, sont en préparation.
A. Ubersfeld : La Maison Victor Hugo va ouvrir une exposition consacrée au théâtre de Hugo. Si des gens ont des idées...
G. Rosa : ... ils vont se les garder. Une idée, c'est trop précieux.

Hugo président ?
J. Seebacher : En lisant la dernière biographie de Musset (Frank Lestringant, Musset, Paris, Flammarion, 1999), j'ai découvert des choses. Musset déclare qu'il a vu Hugo dans les années 50 ; qu'il est fou et qu'il se voit bientôt président de la République.
G. Rosa : Il devait être encore ivre.
A. Spiquel : Audiberti affirme cela au moins dix fois à propos de Hugo pour l'année 1849.
G. Rosa : Mais non ! On ne trouve pas de texte de Hugo disant qu'il veut être ministre, ni même le suggérant ou le laissant vaguement entendre.
A. Laster : L'argument était : le coup d'Etat l'a privé d'être président, et c'est pour cela qu'il l'a condamné. C'est ignominieux !
J. Seebacher : Tout Paris parle d'un possible ministère Hugo après la chute du premier ministère Napoléon.
G. Rosa : Ce n'est pas la seule des calomnies qui couraient sur Hugo. Mais il y a des textes qu'on peut observer et comprendre. Ceux de Choses vues racontent toutes ses rencontres -les dîners en particulier- avec le président. Au premier, il s'entretient avec lui; dès le second (19 mars 1849), il est évident que Hugo se met ou est totalement mis à l'écart. Cela constitue un signe clair de sa situation politique.
F. Laurent : En 1852 doit en principe avoir lieu une nouvelle élection présidentielle, à laquelle Louis-Napoléon Bonaparte ne peut se représenter. Or il faut un candidat pour la Montagne ; et qu'on ait pour songer, et que Hugo ait pu songer...
G. Rosa : Oui, j'ai aussi songé à être président de Paris IV. Sérieusement, il ne me semble pas que la question du candidat de gauche se soit jamais posée; la question était de savoir quand et comment se ferait un coup d'Etat et par qui (Changarnier est sur les rangs). Les notes de Hugo en sont pleines.
J. Seebacher : Les articles de l'Evénement soutenant la candidature de Louis-Napoléon sont parlants. L'un d'eux porte Lamartine au pinacle... pour expliquer qu'il ne peut être le bon candidat parce qu'il n'a pu éviter les journées de juin. Cela désigne une place à prendre, celle d'inspirateur du pouvoir. Le terrain, en cas se trouvait préparé pour quelqu'un comme Hugo, qui affirmait vouloir l'influence, et non le pouvoir.
G. Rosa : L'influence n'est pas la magouille.
J. Seebacher : L'influence, c'est la présidence de la République.
G. Rosa : Cela ressemble plutôt au pouvir. L'influence, c'est l'autorité qu'on peut avoir sur les esprits en écrivant.
J. Seebacher : C'est être le principal conseiller des ministres ou d'un ministre.
G. Rosa : Hugo avait tout de même d'autres ambitions.
A. Laster : L'Evénement a commencé à soutenir Lamartine puis Louis-Napoléon.
J. Seebacher : En fait, c'est plus nuancé : il n'apporte pas de soutien positif à Lamartine...
G. Rosa : ... et pas non plus à Louis-Napoléon, pas de soutien entier et sans restrictions, en tous cas. De plus, ce n'est pas Hugo qui écrit l'Evénement.
F. Laurent : Oui, mais il a l'influence sur l'Evénement. L'influence (et non le pouvoir) passe aussi par la presse.
G. Rosa : Il y aurait des travaux à faire sur les rapports entre Hugo et l'Evénement. J'ai toujours pensé qu'il disait lui-même ce qu'il avait à dire.
J. Seebacher : J'ai trouvé, à la Maison Hugo, une lettre de Juliette Drouet, jalouse (mais elle ne sait pas encore de qui), envoyant à Hugo son portrait, où il prend une pose qu'il adoptera à nouveau par la suite. La lettre se termine par " Vas-y, pousse ta pointe. "

Calendrier de l'année (nullement clos, contrairement aux apparences : il est possible (cf. déjà la prochaine séance) et il est souhaitable d'entendre deux communications dans la même séance)

23 octobre : Myriam Roman et David Charles : les langues étrangères et la traduction.
20 novembre : Sylvie Jeanneret : La parole dans les romans de Hugo: écrire, c'est faire"
11 décembre : séance encore libre
22 janvier : Chantal Brière : le langage architectural dans les romans.
26 février : A. Ubersfed : le problème de l'individualisation de la langue dans le théâtre des années 30.
25 mars : A. Spiquel : 1872-1877 : Hugo et le Rappel
22 avril : A.Laster : le problème de l'individualisation de la langue dans le Théâtre en liberté.
20 mai : Colette Gryner : sujet à préciser sur Les Contemplations.
17 juin :

A. Laster annonce que le 22 janvier sera jouée à nouveau la Lucrèce Borgia avec Marie-José Nat, que André Dussolier lira du Hugo à la Maison de la poésie à partir du 20 avril, et que P. Brunel a publié un Monsieur Victor Hugo. Il ajoute que Madame Molinari lui a signalé deux expositions de dessins de Hugo à venir : la première, en 2000, se tiendra à la Maison Victor Hugo ; la seconde sera organisée en 2002 par la B.N.F.
G. Rosa rappelle les entreprises en cours -outre "Hugo et la langue". Nous avions parlé de "La guerre", sujet pour lequel Claude Millet avait dit son intérêt; par ailleurs, si le CD Théâtre semble abandonné, Vincent Wallez et Folrence Naugrette avaient évoqué la possibilité d'un numéro de la revue Théâtre aujourd'hui.
V. Wallez : Je compte finir mes recherches sur les fragments dramatiques en décembre ou en janvier, et à partir de là il me faudra en retirer les fruits. A propos d'une collaboration à un numéro de Théâtre aujourd'hui, il faudrait examiner ce qu'il conviendrait de faire et qui ne ferait pas double emploi avec l'exposition de la Maison Victor Hugo. On pourrait axer notre travail sur les représentations contemporaines de Hugo, par exemple.

G. Rosa propose de constituer des groupes de travail, en sus des réunions du Samedi, où des équipes plus restreintes pourraient se constituer chacune autour de l'un de ces projets : la langue, la guerre, le théâtre.et la chronologie. Une feuille circule où s'inscrivent les membres du groupe qui souhaitent être informés de la réunion de travail sur le théâtre qu'organisera Florence Naugrette.



Communication de Guy Rosa, «L'alexandrin du théâtre des années 30 : une 'question secondaire'»
(texte joint)

Discussion
A. Laster : Je buvais du petit lait. Enfin je trouve quelqu'un pour affirmer ce que je dis depuis longtemps, à savoir que la question du vers est secondaire. Il est bon qu'on le redise.
G. Rosa : J'ai travaillé tout seul... Effectivement, sur ce point, le Lagarde et Michard est extraordinaire : il commence par distinguer catégoriquement drames en vers (dignes d'examen) et drames en prose (vraiment trop proches du mélodrame). On passe aux textes et, pour chaque pièce, l'idée est qu'elle est bien mélodramatique!
A. Laster : Dans le numéro d'Europe consacré à Hugo en 1985, j'avais écrit un article ("L'antiromantisme secondaire et sa principale victime : le théâtre de Hugo") qui allait dans le même sens.
A. Ubersfeld : Depuis que je travaille sur le théâtre de Hugo, je n'ai jamais considéré, en effet, que cette distinction était intéressante.

A. Ubersfeld : Remarquez qu'on trouve par exemple chez Corneille de très nombreux vers où la césure est violée. L'oreille des spectateurs n'a donc pas été tellement bouleversée par les vers des drames hugoliens.
V. Wallez : Les acteurs enchaînaient les alexandrins sans pause, au point que les rimes elles-mêmes devaient être difficilement repérables.
G. Rosa : Il faut distinguer. Les revues de presse de l'IN -dont on n'a pas de raison de penser qu'elles changent de comportement d'une pièce à l'autre ou d'une époque à une autre- ne reproduisent aucune observation faite par la critique (qui pourtant fait flèche de tout bois) sur le vers ni sur sa diction par les acteurs jusqu'à l'exil. En revanche, elles sont de plus en plus nombreuses, tant pour le texte que pour la représentation, à partir des reprises des dernières années de l'Empire. C'est à partir de ce moment que l'on admire le vers hugolien au théâtre et aussi qu'on se met à reprocher à tel acteur de ne pas très bien les dire. On est tenté de penser que c'est lorsque le vers se perd qu'il s'impose et se trouve surévalué du même coup. Le succès d'un Rostand tient à cela : il rappelle l'utilisation du vers à des gens qui l'ignorent et s'en ébahissent.

A. Laster : La fin de ton exposé me semble un dérapage. Tu retombes dans l'ornière du préjugé.
G. Rosa : Je ne crois pas : les personnages féminins sont bien dominants dans les pièces en prose. Je rejoins ainsi ce qu'à montré Annie : les pièces en prose sont écrites pour leurs futures actrices mais pas pour leurs acteurs et les pièces en vers ne sont destinées à personne en particulier. D'autre part, Annie en donne de nombreux signes, Hugo a appris le langage féminin en écoutant et lisant Juliette Drouet, qui parle en prose.
A. Ubersfeld : Il y a une exception à cela : Marion parle. Son discours au roi est en vers.
G. Rosa : Mais il n'est pas bien long. Je n'ai pas dit que, dans les pièces en vers, les personnages féminins étaient nuls, mais que leurs rôles sont brefs et que l'accent ne porte pas sur eux.
A. Laster : Il faut faire attention à l'utilisation des critères quantitatifs : souvent le personnage principal n'est pas celui qui parle le plus.
G. Rosa : Il reste que lorsque la dimension héroïque n'est pas au premier plan, ce sont le féminin et la prose qui l'emportent.
F. Laurent : Il est vrai que Hugo est favorable à l'éducation des femmes, mais qu'il tire de la différence entre les sexes la nécessité d'une éducation différenciée. Les garçons apprendront le latin et le grec (qu'on peut estimer plutôt du côté de l'héroïque et du sublime) tandis que les filles apprendront les langues vivantes (du côté de la communication). On pourrait, par analogie, superposer cette distinction à celle qui sépare vers et prose.

F. Laurent : Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier que Hugo est avant tout un poète, et donc qu'il a une prédilection pour le vers.
G. Rosa : Poète ne signifie pas faiseur de vers.
F. Laurent : Certes, mais l'idée du poème en prose lui est étrangère. Ce n'est pas par hasard que Mallarmé dit de lui que " il a été le vers personnellement ". Finalement, en effet, pour Hugo, le théâtre n'a pas de parenté linguistique avec la poésie. L'expression "poésie dramatique " cesse d'être opératoire à partir du théâtre de Hugo, qui nie la continuité entre théâtre et poésie.
G. Rosa : Oui, si on identifie la poésie au vers... mais tout le romantisme dit le contraire.
A. Ubersfeld : Les Misérables contiennent des poèmes en prose.
F. Laurent : Mais pas écrits comme tels.
A. Ubersfeld : En vingt ans de travail sur le théâtre de Hugo, je ne me suis jamais posé la question des raisons profondes de l'opposition entre vers et prose. Ce que tu dis, Guy, du théâtre joué, n'est pas confirmé par le Théâtre en liberté, où le choix entre vers et prose n'a pas la même signification.
G. Rosa : Ce choix correspond aux caractéristiques intrinsèques de chaque pièce, et non à des catégories préétablies. Le sous-genre " drame en vers " est fabriqué par l'histoire littéraire contre Hugo, et contre ce qu'il dit explicitement.
V. Wallez : Hugo dit que la poésie est aussi dans la pensée, laquelle doit toruver sa forme la plus juste. Le vers ou la prose correspond à la nuance de la pensée elle-même dans sa production. Peu importent le vers ou la prose, pour lui.
A. Ubersfeld : Au moment de la conception du Roi s'amuse et de Lucrèce Borgia, Hugo a certainement eu la volonté de faire jouer à la Comédie française un drame en vers (les comédiens français savaient les dire) mais essentiellement grotesque, tandis qu'un autre théâtre donnerait une tragédie de princes, mais en prose. Ce traitement croisé du drame romantique permet à Hugo d'obtenir un théâtre pour tout le public et pour tous les théâtres. Son choix paraît orienté par le désir d'investir par le drame tout le champ du théâtre. Ce point d'histoire littéraire ne répond pas, pourtant, à la question du choix entre vers et prose.
G. Rosa : La préface de Lucrèce Borgia affirme qu'il s'agit de la même pièce que Le Roi s'amuse : au drame de la paternité succède un drame de la maternité. La division des sexes rend compte aussi de la séparation entre vers et prose. Les deux explications ne s'excluent pas.
F. Laurent : Ecrire en vers constitue un choix essentiel. La coupe dans le vers (surtout si elle est enjambante) ajoute un accent supplémentaire ; de même, la césure surajoute un accent. L'alexandrin fait donc qu'au lieu d'une accentuation très faible, il donne à entendre une accentuation syntaxique et une accentuation métrique. Il arrive assez fréquemment qu'on compte six ou sept accents dans un vers de Hugo : la langue devient hyperexpressive. La question revient alors à savoir pourquoi une telle langue paraît à Hugo moins essentielle au théâtre qu'en poésie. Peut-être la réponse est-elle à chercher dans les habitudes du temps : une pièce ne peut contenir qu'un seul mètre (exception faite des chansons) alors que la poésie romantique multiplie les mètres différents. C'est dire que l'hyperexpressivité des vers est relativement faible dans les limites imposées par le théâtre de l'époque. Dès lors, Hugo est amené à considérer que la différence entre prose et vers au théâtre n'est pas tellement importante.
A. Ubersfeld : Il y a dans l'écriture du vers un système de pensée différent, lié en particulier à la multiplication des tropes et au fonctionnement phonique. Aucun texte en vers dans le théâtre n'y échappe. Pour autant, il est très difficile de savoir pourquoi Hugo choisit le vers ou la prose.
G. Rosa : Les fragments dramatiques mélangent parfois vers et prose.
A. Ubersfeld : Ce n'est pas contradictoire avec ce que je dis : Hugo commence à écrire en prose, puis ce mode d'écriture ne correspond plus à sa pensée, et il passe en vers.
G. Rosa : N'oublions pas que notre rapport au vers est faussé parce que nous ne savons plus les dire. Encore moins les faire -tout bachelier, aux années 30, était capable d'écrire en vers -latins de surcroît.

Stéphane Desvignes

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