GROUPE HUGO

Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"


SEANCE DU 10 avril 1999   

Présents : Anne Ubersfeld, Jacques Seebacher, Arnaud Laster, Florence Naugrette, Bertrand Abraham, Josette Acher, Myriam Roman, Sylvie Vielledent, Valérie Presselin, Jean-Marc Hovasse, Sandrine Raffin, Chantal Brière, Véronique Charpentier, Junia Barreto, Jean-Pierre Vidal, Denis Sellem, Stéphane Mahuet, Rouschka Haglund.

Excusés : Guy Rosa, Philippe Andrès .


 Informations

Jean-Marc Hovasse présente les excuses de Guy Rosa, qui s’est rendu aux obsèques d’Annie Prassoloff. Ce jour est aussi celui de l’anniversaire de Jacques Seebacher : il précise que Juliette Drouet, également née le 10 avril, a été déclarée le 11. Adèle II, qu’on pense née en juillet 1830, est en réalité du 24 août, jour de la Saint-Barthélémy, comme cela a été établi depuis peu.
Jacques Seebacher fait un appel à la solidarité des membres du groupe pour épauler -en tant que de besoin- Myriam Roman, qui commence un travail " historique, philosophique et donc romanesque " sur la peine de mort et la prison, autour de Claude Gueux et du Dernier Jour d’un condamné. Toute information, problématique ou factuelle, est bienvenue (on peut téléphoner directement à M. Roman au 01 40 47 67 26).

Publications
Jacques Seebacher signale la parution d’un livre tout à fait remarquable de Bruno Clément, Le Lecteur et son modèle, PUF (Ecriture), 1999, dont un chapitre traite de Victor Hugo et William Shakespeare. L’auteur se fonde sur le système de " l’énarration " : l’écrivain est étudié dans le miroir de ses sources, qu’il récupère et remodèle.

Actualité théâtrale et cinématographique
Peu de membres du groupe ont vu Lucrèce Borgia et Quasimodo d’el Paris (ou ils n’osent pas le dire). Arnaud Laster est allé voir la pièce, qu’il a appréciée tout comme Junia Barretto et Jean-Marc Hovasse.
C. Millet : Dans le Monde, l’article sur le film était vengeur : il reprochait au réalisateur de camper Esmeralda en bourgeoise, tout en mettant en valeur le caractère baroque du roman hugolien. En revanche, dans son numéro sur Hugo, le Nouvel Observateur n’épargne que le théâtre.
A. Laster : Cette position est nouvelle : auparavant, on acceptait tout, sauf le théâtre.
J. Seebacher : On n’acceptait rien du tout - Hugo était grotesque, ridicule, mauvais -, hormis aux yeux de quelques esthètes.
A. Ubersfeld : Quand ?
J. Seebacher : Après la guerre de 1914.
A. Laster : C’était surtout les maurassiens.
J. Seebacher : Un des premiers signes de la résurrection de Hugo a été le numéro d’Europe de 1935, avec un article d’Alain.
A. Ubersfeld : Ce n’est pas tout à fait exact. Il existait, j'en ai entendu l'écho dans mon enfance, une tradition socialisante pour Hugo, représentée par exemple par Maurice Bouchard qui lui consacre un des dix volumes de sa Vie profonde, avec extraits et analyses très sérieuses. C'est dans la culture bourgeoise, celle du lycée, que Hugo était juste touché du bout du doigt.
J. Seebacher : La récupération fondamentalement populaire de l’idée mythique de Hugo n’est pas fausse : l’opération canadienne de Plamondon et Cocciante n’est pas méprisable, elle relève d’une mode. La position à la fois populaire, antiraciste et socialisante qui s'appuie sur les révélations de Hugo dans les mythes de Quasimodo, Esmeralda ou dans Les Misérables (re)devient rentable.
A. Laster : Même Quasimodo d’el Paris, dont j’attendais le pire, m’a étonné. Il ne s’agit pas du tout d’une parodie destructrice.
J. Seebacher : C’est une transposition ?
A. Laster : Oui, et parfois assez réussie. Frollo est nettement meilleur que d’habitude.

Marie Tapié signale dans le dernier numéro de Studio (n° 144, avril 1999, p. 144-145) un article sur le nouveau film de Régis Wargnier, Est-Ouest : on y verra une représentation de Marie Tudor avec Catherine Deneuve, inspirée de celle de Vilar.

Le bicentenaire et le projet de CD-ROM sur le théâtre de Hugo
C.Millet souhaite revenir quelques instants sur le projet évoqué la dernière fois. Le problème de la direction de cette entreprise se pose : Anne Ubersfeld ne souhaitait pas s’en charger et nous avons préjugé de notre capacité de travail. Peut-être qu’Arnaud Laster … ?
A. Laster : Pourquoi ce projet ne reste-t-il pas collectif ?
C. Millet : Il faut un fédérateur et un interlocuteur unique vis-à-vis de l’extérieur.
A. Ubersfeld : Je m’en serais chargée, quelques années auparavant.
C. Millet : Guy Rosa s'est engagé à s'occuper de la partie administratives et financières. Mais nous avons besoin de quelqu’un pour penser le projet et organiser la distribution du travail. Peut-être devons-nous revoir notre projet pour 2002 , qui doit rester collectif. Nous n’allons pas refaire une édition des œuvres comme en 1985 et le projet d'une biographie serait tentant mais Guy Rosa n'a peut-être pas tort de penser qu'une biographie de Hugo est une oeuvre personnelle, demandant une sensibilité et un style. Nous n’allons pas non plus recopier élégamment Decaux et Juin. A moins de se découper le travail…
J. Seebacher : Il reste pourtant de nombreux points à préciser sur ses connaissances et ses amours.
C. Millet : Il faut envisager un projet de remplacement spécifique - outre le colloque - si nous ne trouvons pas de responsable qui puisse organiser les recherches et penser la mise en forme du CD-ROM. Après tout, les gens lisent le Nouvel Observateur.
A. Ubersfeld : Pourquoi pas la poésie de Hugo à travers le XIXème siècle ? On peut imaginer une histoire de la poésie au siècle dernier autour de son œuvre.
C. Millet : C’est la thèse de Jean-Marc Hovasse !
J.-M. Hovasse : Une partie.
C. Millet : Je propose un sujet de colloque sur Hugo et le journalisme : Hugo journaliste, Hugo et les journaux, les journaux et Hugo…
J. Seebacher : En faisant appel à Jean-Claude Fizaine et à Chartier.
A. Ubersfeld : Cela constitue un bon sujet de colloque. Mais nous sommes trop tentés d’analyser les retombées extérieures de l’œuvre de Hugo. Et si on se recentrait sur l’écriture ?
A. Laster : Je demande réflexion pour le projet de CD-ROM. La première étape est de convoquer une réunion de toutes les personnes intéressées pour faire une mise au point.
F. Naugrette : Il est nécessaire que quelqu’un prenne complètement la direction des opérations.
J. Seebacher : Et sans hésiter à faire un coup de force. Sans Guy Rosa, l’édition Bouquins n’existerait pas. Certains tomes, Roman I et II et Poésie III sont déjà épuisés et ne seront pas réimprimés.
A. Laster : C’est une grave lacune : cette situation va peut-être se débloquer en 2002.
J. Seebacher : Les éditeurs ne veulent plus de livres avec de nombreuses notes : ils préfèrent des préfaces brillantes et alléchantes au début d’un petit ouvrage.

J. Seebacher: A propos des romans de Hugo, et de Notre-Dame de Paris, il faut signaler l’importance de l’influence d’un historien, Pierre Matthieu, et de son ouvrage, Histoire de Louis XI. Cet historiographe de Henri IV et Louis XIII a bouleversé la langue en utilisant les techniques du grotesque et de la fantaisie pour écrire de l’histoire. Selon lui, la nation, fondamentalement populaire, repose sur la question de la poétique de la langue, plurielle, qu’elle dépouille de ses carcans.
A. Ubersfeld : Mais que devient le travail de la Révolution pour l’unification de la langue ? Cette articulation entre poésie et histoire constitue la vision de l’épopée de Hugo, avant les Petites Epopées.
J. Seebacher : Avant de demander " avez-vous lu Victor Hugo ? ", il faut demander : avez-vous lu Pierre Matthieu ? Et avant 1830, Hugo lisait beaucoup de Mathurin Régnier. [angoisse muette sur tous les bancs]

Retours sur la séance précédente

L'encyclopédie mystérieuse
Arnaud Laster précise que A Victor Hugo Encyclopedia - ouvrage en anglais, de John Andrew Frey - n’est pas encore publié car l’auteur est mort avant d’avoir pu corriger les épreuves. Confié aux soins d’un exécuteur testamentaire, il devrait sortir au printemps. John Frey a publié un livre sur Les Contemplations, en développant un point de vue différent de celui de Jean Gaudon. Arnaud Laster, à qui John Frey avait demandé une préface, a lu les épreuves et a proposé différentes corrections. Ne peut-on envisager que ce livre ait déjà été publié (J. Seebacher) ? Il porte la date de publication de janvier 1999 sur le site Web de la librairie internationale " amazon.com " (S. Raffin). Mais Arnaud Laster aurait dû être prévenu. ["suite de l'énigme" à la prochaine séance]
A la question de Jean-Marc Hovasse sur la forme de cette encyclopédie, A. Laster répond qu’elle adopte l’ordre alphabétique, comme celle de Philippe Van Tieghem, rééditée.
C'est là, dit Jacques Seebacher, un très bon petit livre, remarquable de netteté, de mon ancien professeur. Il a d’ailleurs formé la plupart des maîtres, dont René Pomeau. Philippe Van Tieghem a proposé un petit recueil de morceaux choisis de Victor Hugo chez Hachette, avec une clarté pédagogique extraordinaire, un Musset complet et un Musset par lui-même au Seuil, ainsi qu’un ouvrage sur le théâtre au XIXème siècle (Anne Ubersfeld). Il appartient à une grande famille d’universitaires : son père, Paul Van Tieghem, a fondé la littérature comparée et son grand-père, Philippe Van Tieghem, a été le bras droit de Pasteur, tous les deux athées, républicains et humanistes parfaitement distingués.

Hugo et la brougeoisie
Arnaud Laster revient sur une formulation de Myriam Roman dans sa communication précédente : " L’évolution de l’homme Victor Hugo peut donc se décrire comme une désolidarisation progressive d’avec la bourgeoisie au fur et à mesure que celle-ci renie la république et un rapprochement vers le peuple, l’idéal hugolien (et petit bourgeois) étant une république qui refuse d’appréhender la société en termes de classes " (p.3). Cet idéal hugolien date-t-il d’avant 1850 ou caractérise-t-il tout son parcours ?
Myriam Roman : J’ai résumé ici la formule de Guy Rosa (dans son article " Hugo en 1848 : de quel côté de la barricade ? "), mais l’idéal de Hugo évolue surtout entre 1848 et 1850. La suppression des classes est toujours à son horizon.
A. Laster : Votre phrase pouvait laisser penser que Hugo refusait les classes elles-mêmes. Dans William Shakespeare, en 1864, Hugo revient sur ses positions politiques : " La transformation de la foule en peuple ; profond travail. C’est à ce travail que se sont dévoués, dans ces quarante dernières années, les hommes qu’on appelle socialistes. L’auteur de ce livre, si peu de choses qu’il soit, est un des plus anciens ; le Dernier jour d’un condamné date de 1828 et Claude Gueux de 1834. S’il réclame parmi ces philosophes sa place, c’est une place de persécution. " (Ed. Robert Laffont, Bouquins, tome Critique, " Les Esprits et les Masses ", pp. 390-391).
J. Seebacher : C’est la position des bourgeois.
A. Laster : Journet faisait remarquer que dès l’exil le peuple constituait pour Hugo une classe antagoniste de celle de la bourgeoisie, qui ne l’inclut pas.
J. Seebacher : Dans le Dictionnaire de la Conversation de 1834-36, à l’article " Bourgeoisie ", on trouve de quoi justifier ce discours : elle ne doit pas agir à son bénéfice (ce qu’avait fait l’aristocratie), mais constituer le peuple comme peuple sinon elle sera balayée. Elle revendique son statut de " classe ouverte " (voir Marx), mais cette revendication est démentie par l’histoire. Durant l’exil, Hugo tente de récupérer le mot " socialisme " pour arrêter le discours antidémagogue de 1848-1849 : cette position stratégique remarquable ne change rien à sa position de classe comme personnalité. Le Hugo de la Troisième République, le Hugo de l’avenue d’Eylau, cherche des points d’union entre les groupes socialistes (ou anarchistes) et les fractions les plus éclairées de la bourgeoisie voire de l’aristocratie, dont les anciens pairs de Louis Philippe comme d’Alton-Shée ou de Boicy. Dans sa biographie de Musset, Lestringant traite de ces personnages qui rejoignent les socialistes sur le thème de la République universelle.
A. Laster : Il ne faut pas oublier que Les Misérables ont été écrits avant l’exil. Hugo s’est livré à un travail subtil d’adaptation du texte des Misères à sa position d’après l’exil.
J. Seebacher. C’est vrai. Et La Guerre aux démolisseurs en est un autre exemple : Hugo justifie sa nouvelle édition sous prétexte que l’ancienne était pleine de fautes d’impression. En réalité, il fait de très nombreuses corrections pour retoucher ses positions ultra, anti-bourgeoises et anti-républicaines, comme sa réponse véhémente à Paul-Louis Courier. Sur la peine de mort (dans Le Dernier Jour d’un condamné), Hugo a une position identique à celle de Chateaubriand, Montalembert et Lamennais, des ultras -du moins des monarchistes- qui, pour des raisons sociales et religieuses, sont ennemis de la peine capitale. Entre 1832 et 1834, Hugo écrit Claude Gueux, dont la fin est extraordinaire de ralliement évangélique.
A. Laster : Il le réaffirme en 1848. Mais il ne le dirait plus en 1850.
J. Seebacher : La question religieuse est omniprésente dans Châtiments : elle donne le diapason de l’écriture hugolienne.
A. Ubersfeld : Et son sens.

Hugo et Gambetta
A. Laster : La position de Vacquerie est radicale : contrairement à Hugo, il ajoute l’athéisme à l’anticléricalisme.
J.-M. Hovasse : Hugo est caricatural dans les livres de Vacquerie.
A. Laster : Ses éditoriaux du Rappel (dont la bibliothèque possède le microfilm, incomplet) ne sont pas caricaturaux. Ils sont importants car ils nous donnent une idée des opinions de Hugo au moment où il n’écrit plus.
J. Seebacher : Il est alors bloqué par sa famille. Vous souvenez-vous des personnes qui suivaient immédiatement le cercueil lors des funérailles ? Georges, bien sûr, et Robelin, qui est un camarade du jeune Hugo, architecte et franc-maçon. Pour cette raison, il a été accueilli dans la famille, mais Hugo n’a jamais vraiment été franc-maçon. Jean Massin a analysé cette relation comme la source de la documentation ésotérique de Hugo.
A. Laster : On s’est trompé en classant Hugo comme gambettiste car toute la politique du Rappel est radicale, anti-Jules Ferry et aussi anti-Gambetta. Que l’on se reporte à la ligne éditoriale de Vacquerie et Lockroy.
J.-M. Hovasse : Ils sont plus radicaux que Hugo, surtout parce que plus violemment anticléricaux.
A. Laster : Cela paraît difficile.
J. Seebacher : Les renseignements sur Hugo à la préfecture de Police sont classés dans la rubrique "menées radicales".
A. Ubersfeld : Depuis le début, depuis le Dernier Jour d’un condamné, et jusque dans les années 1860, Hugo est paradoxal car il développe dans ses textes théoriques des positions opposées en apparence à celles des textes de fiction. Que l’on compare ce qu’il dit de la bourgeoisie dans les deux cas, à partir des Misérables. On retrouve cette dichotomie chez Gide.
A. Laster : Avec l’exil, on a une impression de rapprochement entre les positions explicites et l’œuvre.

Rectificatif
Denis Sellem rectifie le titre du film attribué au réalisateur Axel Clévenot : il faut lire " Droits d’asile " et non " Droits d’exil ".



Communication d’Arnaud Laster, " Mérites et limites de la transposition, le cas de Rigoletto " (voir texte joint)


Arnaud Laster dédie à la mémoire d’Annie Prassoloff cette intervention, dont il précise qu'elle a été proposée au colloque de Dijon.

Discussion et interventions pendant et après la communication
A. Ubersfeld : La banalisation de l’espace théâtral est la conséquence d’un problème technique et matériel, au XIXème comme au XXème siècle : il est impossible de changer six fois de lieu au cours d’une représentation. La couleur locale ne peut plus être qu’une couleur locale extérieure. Deux possibilités s’offrent au metteur en scène : vider l’espace ou tout montrer, mais elles sont impensables au XIXème siècle. D’où les solutions bâtardes de l’époque.
A. Laster : Ce type d’entreprise n’est-il pas possible aujourd’hui ?
A. Ubersfeld : Oui, mais cela reste très cher.
J. Seebacher : C’est pour ça qu’on a inventé le cinéma.
A. Ubersfeld : La fin du XVIIIème siècle a lutté contre la banalisation de l’espace théâtral : le décor de Mithridate, à Versailles, était esthétique – vase de fleurs et lumière - mais pas réaliste. Et la mise en scène par Vilar de Marie Tudor était extraordinairement visuelle.
A. Ubersfeld : Les didascalies de Hugo sèment toujours la confusion. Vilar, en montant Marie Tudor, les avait respectées.
F. Naugrette : Il y a deux sortes de didascalies, les unes essentielles au sens et les autres plus accessoires, dont on peut ne pas tenir compte.
A. Laster : On a tort de croire que le respect des didascalies relève du traditionalisme.
A. Ubersfeld : Le drame romantique a été victime de ses didascalies. Et la technique théâtrale n’était pas capable de les assumer.
C. Millet : Et il a été mal reçu par la critique.
A. Ubersfeld : Les mises en scène de Hugo dans les années 1840-1850 étaient épouvantables pour ces raisons-là.
A. Laster : Je m’accommode de formes très différentes de mise en scène, même d’un rideau noir et d’un décor unique, si d’autres moyens sont mis en œuvre.
A. Ubersfeld : Des moyens visuels, justement. Le drame élisabéthain utilisait des moyens visuels riches, sans être décorativiste.
A. Laster : Il faut entendre le décorativisme comme un système qui a le décor comme fin en soi, constitué en objet de plaisir esthétique indépendemment de la pièce.
J. Seebacher : Actuellement, applaudissons-nous le décor au lever de rideau ?
F. Naugrette : Jamais !
A. Laster : Cela est arrivé récemment, à l’Opéra de Massy-Palaiseau pour La Flûte enchantée. Mais il s’agit sans doute d'un comportement inspiré par celui des enregistrements télévisés dans le titre Au théâtre ce soir.
Bertrand Abraham : On a applaudi les costumes de Kenzo à l’Opéra Bastille.
A. Laster : Le reproche que je fais au décor spectaculaire mais unique de Mesguish est qu’on s'en lasse, une fois passé l’étonnement.

J. Seebacher : A l’époque de la parodie d’Arnold Mortier, Le Patron s’amuse, en 1879, les patrons ont compris qu’ils avaient besoin du prolétariat. L’amnistie des communards constitue ainsi un principe de réintégration du prolétariat dans la nation. 
A. Laster : Je doute que sur ce point la parodie reflète la réalité.

C. Millet : La pratique de transposition est liée au vedettariat actuel du metteur en scène, qui se fait voir à travers ses choix, comme Jonathan Miller. Elle joue comme signature : on va moins voir une pièce ou un auteur que son metteur en scène.
A. Laster : Ponnelle, au début des années quatre-vingt, utilise tous les moyens du cinéma dans sa mise en scène de Rigoletto. Il a lu Le Roi s'amuse et s’en inspire dans les détails ; son modèle cinématographique est le Satyricon.
J. Seebacher : Pour Les Burgraves, Jean Gaudon, pourtant amateur de théâtre, préfèrerait une version cinématographique.
A. Laster : Bernard Leuilliot, lui, se méfie de la représentation théâtrale.
J. Seebacher : A partir de la dénégation de Jean Vilar, le théâtre est devenu mental. Cela allait de pair avec ce que Jean-Bertrand Barrère appelle la " cure d’amaigrissement du roman ".

Arnaud Laster commente ensuite sa contribution au programme de Rigoletto à l’Opéra Bastille, saison 1996-1997 ( " …Un roi qui s’amuse est un roi dangereux ", pp. 47-58). Dans une lettre à son librettiste Piave, Verdi écrit : " Triboulet est un personnage digne de Shakespeare ". Il ne faut pas se fier à l’idée répandue qu’il a transfiguré une mauvaise pièce en la transposant. De plus, Verdi et Hugo font cause commune contre le Théâtre Italien.
Il est étrange de noter la corrélation entre la mauvaise réception des pièces de Hugo et la mise en question de leur qualité intrinsèque : comme elles souffrent des oppositions de la critique, elles sont considérées comme mauvaises. La solution de l’écrivain maudit ne semble pas fonctionner pour Hugo : le refus de ses œuvres n’en fait pas un génie incompris.
La transposition de Verdi modifie les données de la pièce de Hugo : l’orgie disparaît de l’opéra (d’où l’intérêt de la mise en scène de Ponnell). Le personnage de Gilda, marqué par la simplicité, s’oppose à Blanche, très complexe, à la fois précoce et naïve, capable de dire " mourir ayant si froid ". Certains spectateurs ont refusé cette naïveté. De la même façon, lorsque Catarina dit sa peur de mourir dans Angelo, tyran de Padoue, mis en scène par Barrault, les spectateurs ont réagi en ricanant. Or cette phrase, " Ciel, il va me faire bien du mal ! " est loin d’être une faiblesse de Hugo. Chez Verdi, Gilda est plus héroïque. L’œuvre renvoie davantage à Eschyle qu’à Shakespeare : la mort de Blanche ressemble à celle d’Agamemnon.
Les audaces du grotesque sont atténuées dans l’opéra : les plaisanteries, les insolences de Triboulet comme ses traits d’humour noir disparaissent.
L’opposition est marquée entre la dimension populaire de Triboulet, entouré par le peuple à la fin, et la solitude de Rigoletto. Verdi choisit de faire constater par Rigoletto l’accomplissement tragique de la malédiction ; il suit en cela la préface a posteriori de Hugo , mais il fait oublier que la malédiction n’a pas pour seul destinataire le bouffon. Le personnage le plus altéré est le duc, successeur du roi. Le drame résulte de l’amusement du roi : Hugo a été très audacieux de prendre François 1er - fondateur du Collège de France, protecteur des Arts et des Lettres - comme figure de roi, et d’en donner une mauvaise image. L’opéra en fait un libertin touché par l’amour. Est-ce une concession à la censure ? Au dernier acte, Verdi fait disparaître l’illusion du régicide. Mais on ne peut pas parler d’édulcoration ou de trahison de la pièce de départ.
A. Ubersfeld : La richesse du personnage du duc, par rapport à la faiblesse de son texte, est dans la musique, comme pour Gilda. Verdi passe du Roi s’amuse à un niveau proprement musical.
A. Laster : Le livret, dès la création, a été l’objet de nombreux changements tandis que la musique a été tout de suite établie définitivement. Tantôt la fin a été modifiée : l’héroïne ne meurt pas et c’est la Providence qu’on invoque, tantôt le personnage du duc est un arriviste qui mène deux cours à la fois. Une autre adaptation, Lionello, montre le méchant puni et le bouffon en honorable père de famille qui reproche au prétendant de ne pas tenir sa promesse d’épouser sa fille. Dans une autre version, la fille est remplacée par une maison…

Sandrine Raffin



Prochaine séance
Samedi 29 mai : communication de Sylvie Vielledent sur les parodies d’Hernani.



 

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