GROUPE HUGO


 

SEANCE DU 16 MAI 1998

  Présents: Florence Naugrette, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Krishnâ Renou, Stéphane Mahuet, Marie Tapié, Rouschka Haglund, David Charles, Josette Acher, Bertrand Abraham, Vincent Wallez, Franck Laurent, Arnaud Laster, Jean-Marc Hovasse, Myriam Roman, Olivier Decroix, Jean-Pierre Vidal, Delphine Gleizes, Sylvie Vielledent, Denis Sellem

Excusés: Pierre Laforgue, Claude Millet, Ludmila Wurtz
 


Publications

*Guy Rosa annonce la publication chez Champion de l'ouvrage de Bernard Degout, Le Sablier retourné. Victor Hugo (1816-1824) et le débat sur le "Romantisme", coll. Romantisme et modernité, n°18 et fait circuler l'exemplaire qu'il a reçu. (et qu'il reprend mais le livre est déjà commandé par la Bibliothèque XIX°).

*A signaler également la publication en Angleterre de deux ouvrages:


Informations

* Florence Naugrette et Arnaud Laster échangent leur point de vue sur la représentation de Lucrèce Borgia au T.E.P. Arnaud Laster est plutôt déçu (Etant arrivée en retard, je crains de ne pas savoir si Arnaud Laster était vraiment déçu...) Florence Naugrette est globalement convaincue par la mise en scène dont le parti pris est de faire jouer chaque personnage par plusieurs acteurs. Seul point faible, le dénouement ne fait pas apparaître les ambiguïtés de l'inceste, car il y a six Lucrèce Borgia, toutes présentes sur scène.

*Arnaud Laster a également vu Le Dernier Jour d'un condamné au Théâtre de l'Alliance française. Cela vaut à peine le déplacement. L'ensemble est assez ennuyeux et repose sur une erreur d'interprétation. Le texte du Dernier Jour d'un condamné est constitué de chapitres courts, clos sur eux-mêmes. La mise en scène ne devait pas chercher à relier les scènes entre elles. Une idée paraissait intéressante: toutes les perceptions du condamné sont déformées par l'approche de la mort. Mais ces hallucinations ôtent de la force au propos en le déréalisant. Tous les arts du spectacle se trouvent aussi mêlés, danse, marionnettes... Les scènes inspirées par l'humour noir de Hugo sont en revanche plus réussies, notamment celle où le gendarme demande au condamné de lui rendre visite après son exécution pour lui révéler les numéros de la loterie.
Guy Rosa considère que l'énonciation dans Le Dernier Jour d'un condamné interdit toute représentation sur scène. Le lecteur se trouve confronté au journal d'un mort et la représentation, tout au contraire, montre le personnage en scène, ce qui brise totalement l'effet voulu par l'écrivain.

* Guy Rosa donne lecture d'une lettre de Tony James à propos d'Ymbert Galloix et de l'intervention de Bertrand Abraham:
"Je ne sais dans quel sens les lectures que je propose seraient "secondes", mais le titre du livre que j'ai publié en octobre dernier est Vies secondes (Gallimard, "Connaissance de l'inconscient", 1997)!
"Pour ce qui est d'Ymbert Galloix, le texte ne comportant pas de bibliographie, il est impossible de savoir exactement ce qui a été lu. "Un universitaire" reproche au conditionnel à l'auteur de ne pas avoir cité Diaz. Je me permettrai, de mon côté, les observations suivantes:
"1. Même si elles remontent à 1967, on ne saurait négliger les pages que Bernard Leuilliot a consacrées à Littérature et philosophie mêlées et à Ymbert Galloix dans l'édition Massin (t. V, pp. 5-22).
"2. L'édition de Littérature et philosophie mêlées que selon la première page du Bulletin "on connaît" (Klincksieck, 1976, 2 t.) comporte:
-un texte d'"Ymbert Galloix" (1834) avec les variantes du manuscrit et de L'Europe littéraire;
-des notes plus substantielles que dans l'édition Laffont (voir par exemple t. II, pp. 414-5, un rapprochement d'une partie du texte avec des pages de critique contemporaines du Dernier jour.);
-des lettres d'Ymbert Galloix, de Hugo et de Sainte-Beuve à son propos (lettres 7, 8, 9 & 10 de la partie Correspondance);
-des remarques (déjà "intratextuelles".) dans l'"Etude" (t. 1) sur les rapports de l'art et du "réel" pour Hugo à l'époque où il écrivait "Ymbert Galloix".
Enfin, réponse à la question posée p. 22: la première visite du destinataire de la lettre, Charles Didier, à Victor Hugo, étant le 25 novembre (loc. cit., t. II, p. 410), il est impossible de penser que Hugo ait eu connaissance de la lettre avant cette date.
"3. Puisqu'il est question de "monomanie", et qu'il s'agit d'un mot médical souvent approprié par des écrivains, je signale à toutes fins utiles que le livre de Jean Goldstein, traduit désormais en français sous le titre Consoler et classifier, l'essor de la psychiatrie française Synthélabo, "Les empêcheurs de penser en rond", 1997) comporte, pp. 209-264, une analyse de la mise en place et du déclin de cette notion."

Bertrand Abraham signale en réponse que le mot " monomanie " se trouve dans le texte même de la lettre d'Ymbert Gallois (" Les gens vraiment amoureux sont des monomanes comme moi, qui ont une seule idée, laquelle absorbe toutes leurs sensations.") Il  s'est contenté de le reprendre.

*Arnaud Laster signale une exposition sur les dessins de Hugo, qui se déroule actuellement aux Etats-Unis et qui y rencontre un grand succès. Le catalogue, bien illustré, se trouve à la Maison de Victor Hugo, place des Vosges.

*Denis Sellem aurait peut-être une réponse à la question de Jacques Seebacher sur la ligne pleine. Un éminent sinologue de ses amis lui a indiqué qu'il s'agissait peut-être du Yang du Yi Qing. La ligne pleine s'oppose alors à la ligne discontinue du Yin.
Denis Sellem signale par ailleurs qu'il animera une soirée Victor Hugo à la mairie du XIe arrondissement, lundi soir à 19 heures.

*Franck Laurent signale pour finir qu'à l'occasion de la remise des prix de la Ligue des Droits de l'Homme, Claire Villiers, lauréate pour son action dans l'association A.C! (Agir contre le chômage), a cité les mots de Hugo qui trouvent ici une actualité toute particulière:
" Vous voulez les pauvres secourus. Moi je veux la misère abolie "



Brève note sur Marion de Lorme et sur la bataille d'Hernani

Un travail sur Marion de Lorme conduit Guy Rosa à proposer une légère correction au récit habituel de la bataille d'Hernani, particulièrement à ses causes et à ses circonstances. Le chapitre "Une lecture" du Victor Hugo raconté rend compte de l'accueil initial fait à la pièce par les professionnels : artistes et animateurs du milieu culturel. C'est un succès sans aucune ombre. Seul Mérimée, au soir de la lecture faite par Hugo chez lui devant un parterre très brillant -voir mondain, aurait indiqué à Hugo que la fin de la pièce était rude et qu'il valait mieux faire un Didier pardonnant à Marion. Dès le lendemain, les directeurs des trois grands théâtres se présentent chez lui, demandent la pièce et offrent à son choix les trois "vedettes" du temps: Mlle Mars, Mlle Georges, Marie Dorval. La pièce est reçue à la Comédie française par acclamation, sans vote. On sait qu'avant même le début des répétitions la censure interdit Marion de Lorme. Mais avec des égards: on se contenterait de quelques coupes ou corrections; Hugo refuse; finalement, après discussion avec les deux ministres de l'Intérieur et entrevue accordée par le Roi en personne, l'interdiction est maintenue mais Hugo se voit offrir en compensation le triplement de sa pension (4000F s'ajoutant aux 2000 qu'il a déjà) et une place du côté du Conseil d'État. On sait que Hugo s'empresse de faire connaître par la presse (Le Globe) son refus.
Lorsque Hugo présente Hernani, tout semble s'être détraqué. La lecture chez lui, sans être un échec complet, ne provoque guère d'enthousiasme et le VHR n'en cache pas la raison: "Soir que cette pièce mordît moins sur les invités que Marion, soit qu'on voulut faire payer à son auteur le bruit glorieux qu'avait fait Marions, Hernani fut froidement accueilli et écouté jusqu'à la fin avec non moins de froideur." Pas de concours donc des directeurs de salles. Même froideur auprès des Comédiens-français qui, "circonvenus" ne tardent pas à saboter les répétitions; Taylor en vient à craindre la défection, voire la trahison de la claque. C'est ce qui détermine l'enrôlement des "jeunes France".
Qu'est-ce qui a déterminé cette volte-face de l'appareil artistico-culturel? Apparemment, beaucoup plus que le texte d'Hernani (qui passe sans problème à la censure), la conduite de Hugo dans l'affaire de Marion. Il a pris, envers les mours articulant le pouvoir politique et l'élite culturelle (à laquelle il appartient) une position de rupture que l'appareil culturel lui pardonne moins encore que l'appareil politique. Inutile de le censurer une seconde fois: tout le "milieu" (des grands artistes de la lecture privée aux claqueurs) se chargera de faire tomber Hernani (ce que le rapport des censeurs dit en langage noble mais clair).
Conclusion : la bataille d'Hernani s'est bien faite autour d'Hernani, mais les combattants ont été choisis et alignés par la censure de Marion. C'est elle qui fait basculer, de fait sinon de droit, Hugo du côté de la dissidence artistique et des rapins-voyous.
Du coup, Hernani est, à la lettre, 1830 anticipé, parce que les enjeux autour de la pièce sont déjà une partie (la plus visible) de ceux de 1830: la liberté, et particulièrement celle de la presse et des "intellectuels".
Une question demeure cependant: comment a-t-il pu se faire que personne, ni Hugo ni les auditeurs enthousiastes de la lecture privée, ni les directeurs des salles, ni les acteurs du Théâtre-Français, n'ait vu que Marion de Lorme n'était pas acceptable en l'état et serait interdite? Il est vrai que personne n'avait non pus prévu les ordonnances de juillet.

Arnaud Laster: Mais les comptes-rendus de Mme Hugo sont-ils vraiment fiables?
Guy Rosa: Là, ils sont confirmés par tous les témoignages.
Jacques Seebacher: Pourquoi y a-t-il censure sur Marion de Lorme?
Guy Rosa: Cette pièce fait de l'aïeul de Charles X un portrait scandaleux.
Franck Laurent: En quelle année cette censure intervient-elle?
Jacques Seebacher: Début 1829.
Franck Laurent: Donc c'est la fin du ministère Martignac.
Guy Rosa: Mais les deux ministères qui se sont succédé ont la même ligne de conduite. Et c'est le second -théoriquement le plus dur et le plus intransigeant- qui offre une compensation à Hugo, ce que le premier n'avait pas fait -ou n'avait pas eu le temps de faire.
Franck Laurent: On ne voit pas très bien quel est le reflet de l'actualité dans Marion de Lorme, sinon les références à la monarchie.
Arnaud Laster: J'ai lu un mémoire de maîtrise excellent sur la réception de Marion de Lorme. On pourrait imaginer pour la rentrée d'inviter cette étudiante à parler de son travail ou tout du moins d'en résumer le contenu.
Jacques Seebacher: Dans la préface des Orientales, Hugo se représente " entrant dans toutes les questions " au lieu de faire de la littérature. Cela a dû en indisposer plus d'un!
Guy Rosa: Apparemment pas tant que cela puisqu'on fait fête à Marion et que le ministère -celui qui approuvera les ordonnances- offre une place politico-administrative à Hugo. Curieusement, Hernani fait plus de concessions politiques que Marion de Lorme (réserve faite des échos bonapartistes qu'on peut entendre dans Hernani). Mais la pièce a eu un accueil d'avance défavorable.
Franck Laurent: Dans Marion de Lorme, il y a Louis XIII, mais il y a aussi Richelieu. Or sous la Restauration, c'est une personnalité très positive, même dans les milieux libéraux.
L'intransigeance de Hugo comme homme de lettres et comme libéral profond vis-à-vis du pouvoir politique est quelque chose de fort.
Guy Rosa: Effectivement. Et c'est largement sous-estimé. Aucun bachelier n'ignore que Flaubert et Baudelaire ont été censurés; de Marion, du Roi s'amuse, des Châtiments et de tout le théâtre de Hugo pendant presque tout le Second Empire, pas un mot. Hugo détient pourtant un incontestable record de censure. Il craint même pour Les Misérables, dont cela explique certaines procédures, plus corrosives sans doute mais moins "censurables".
Franck Laurent: Si on insiste sur la censure de Flaubert ou de Baudelaire, c'est que ce sont des ouvres de littérature pure - par opposition au théâtre, aux pamphlets ou à la satire - qui sont censurées.
Arnaud Laster: Et de plus ce sont des interdictions pour cause de moralité. D'ailleurs Le Roi s'amuse pose aussi des problèmes pour les mêmes raisons d'immoralité.
Jacques Seebacher lit le contenu de l'article d'août 1829, signé Véron et intitulé " De l'audience accordée par le roi Charles X à M. Victor Hugo ".


Communication d'Olivier Decroix : "L'orateur intime" (Voir texte ci-joint)

 

Discussion

Jacques Seebacher: Dans le poème des Orientales, " Bounaberdi ", de quoi parle le poète? Comment peut-on utiliser tout le travail de réflexion que vous menez à partir de la philosophie et de la linguistique pour comprendre ce poème? Que fait en particulier le cheval de la fin du poème?
Franck Laurent: " Bounaberdi " réagit avec le poème suivant " Lui " qui est beaucoup plus clair du point de vue des thèses qu'il soutient.
Jacques Seebacher: La seconde ode A la colonne est écrite dans un intervalle de huit jours pendant lesquels Hugo interrompt la rédaction de Notre-Dame de Paris. Dans le poème, il s'agit de peser la poussière de Napoléon dans le socle de la colonne. Or, à ce moment où Hugo s'apprête à écrire la fin de son roman, le lecteur va devoir peser la poussière de Quasimodo sous les piliers de Montfaucon. Épouvantable rapprochement; d'un côté le génie, de l'autre son contraire. Ce décalage éclaire l'ode A la colonne.
De même, le pauvre Arabe du Caire qui ne sait pas dire Bonaparte et dit Bounaberdi en dit plus par ricochet sur l'énonciateur que sur le grand homme de guerre. Le pauvre Arabe du Caire lançant à son cheval cette injonction: " Allah! ", en appelle à la Djihad, à cette guerre sainte qui est un effort que l'on fait sur soi pour répandre la prophétie.
Franck Laurent: Cela va contre l'image habituelle d'un Bonaparte protecteur de l'Islam en Égypte.
Jacques Seebacher: Hugo vide les figures mythiques habituelles; elles deviennent des figures inspiratrices et initient un mouvement. C'est le cas du cheval du pauvre Arabe du Caire, c'est aussi le cas du poème " Mazeppa ".

Franck Laurent: Effectivement, à propos de cette façon de vider la figure napoléonienne, il faut noter que Les Orientales est le seul recueil dans lequel Hugo renonce à porter un jugement sur Napoléon, à interpréter son rôle politique au profit d'une seule célébration de sa grandeur. " Tu domines notre âge; ange ou démon, qu'importe! " (" Lui ")
En ce qui concerne l'Arabe du Caire, il y a toujours eu une valorisation de l'Arabe contre le Turc, valorisation des nomades sans État contre les Ottomans. Ce sera la stratégie de Lawrence d'Arabie.
D'autre part, s'agissant de la structure d'énonciation dans Les Orientales, il y a une évolution de la position du " je ". Au début du recueil, on assiste à un arrimage du " je " dans son contexte occidental, dans " Enthousiasme " par exemple. Puis viennent des délégations de parole, des poèmes monodramatiques. Dans le poème " L'enfant ", le poète est dans une situation de témoin. A partir de là, la parole du poète intervient en cours de route et réalise son ancrage dans le monde oriental (" Les Djinns " par exemple ou " Nourmahal-la-rousse "). La situation d'énonciation est donc variable et il convient de l'étudier dans son évolution au cours du recueil.
Enfin, on a coutume de développer à propos du " je " lyrique hugolien, et plus généralement du " je " lyrique romantique, l'idée de subjectivité impersonnelle. Mais une des grandes spécificités de Hugo, par rapport à Lamartine, Vigny, Baudelaire, est la constitution d'un " je " biographique. Après l'avoir surestimé au point de ne plus lire les textes, la critique a souvent tendance, maintenant, à mettre entre parenthèses l'aspect autobiographique des poèmes alors que dans des poèmes comme " Ce siècle avait deux ans " ou dans l'ensemble des Contemplations, cette approche est essentielle.
S'agissant de " Ce siècle avait deux ans ", on souligne souvent l'articulation entre l'individuel et le collectif. Mais si l'on compare les deux groupes centraux (strophes 4 et 5), de toute évidence, l'insertion du " je " lyrique n'est pas la même. Dans la 4e strophe, il s'agit vraiment d'une thématique individuelle, d'une figuration de l'intimité tout entière dans l'approfondissement et la clôture. Le vers " Le livre de mon cour à toute page écrit! " dit bien la finitude de l'individu. Au contraire le groupe suivant, qui retrace la carrière littéraire, entre en contradiction avec ce " je " de l'intime. Il s'agit de la figuration d'une puissance évidente, d'un " je " tourné vers l'extérieur et résonnant aux sollicitations du monde. Le monde fait parler le poète de façon inépuisable. Après l'âme gouffre, c'est l'âme cristal.

Jacques Seebacher: Les Orientales portent la marque du problème international de l'Orient. Cela échappe souvent au lecteur moderne, mais les contemporains de Hugo devaient trouver dans le texte des allusions plus claires. Il n'est pas inintéressant de ce point de vue de consulter les délibérations de la Chambre des Pairs retranscrites dans le Lesur.

Guy Rosa: L'idée d'Olivier Decroix me semble être de déplacer la question du " je " de ses propriétés vers les opérations qui l'instituent, envisagées comme reproduisant des modèles, plus ou moins fortement institutionnalisés. Elle est séduisante et neuve : on limite trop souvent l'analyse du " je " à ses qualités. Mais, quoiqu'il offre l'avantage d'un embrayage direct sur la rhétorique, il y a peut-être d'autres modèles que le modèle judiciaire qu'il ne faudra pas négliger: à côté du témoignage et de la plaidoirie, la lettre, le prêche, le cours, la prière, la proclamation, la confession... Ce sont des mécanismes d'interpellation distincts et que Hugo peut ne pas employer purs. Il y a bien une confession dans Ce siècle avait deux ans, mais elle est épique, pas chuchotée du tout!
En ce qui concerne Althusser, on doit bien sûr considérer que l'"interpellation" en sujet est la forme de l'idéologie. De ce point de vue, tous les discours sont idéologiques. Mais idéologie ne signifie pas forcément "public"; l'"intime" n'est pas moins "idéologique" que le "public". Il faudra éviter de les opposer, du moins à partir du seul Althusser.
Enfin, on ne peut pas faire l'économie de l'étude des diffractions, divergences, biaisages, que sais-je. que produit la lecture elle-même sur les modes d'interpellation fictifs employés par les textes. Si le poème est une prière adressée à Dieu, le lecteur n'est pas "interpellé" en tant que Dieu, ni non plus en tant que Le priant lui-même à travers le texte. C'est tout l'intérêt de la littérature, comme on a déjà eu l'occasion.

Bertrand Abraham: A propos du poème " Bounaberdi ", je suis frappé de la façon dont s'opère, par le biais des marques temporelles, une façon intime de saisir l'historicité: " Souvent Bounaberdi... ". Cela rappelle la première méditation de Lamartine. Y aurait-il une incidence?
Franck Laurent: Dans ce vers, on peut voir une forme d'aboutissement de l'orientalisation du " je ": le poète parle à l'orientale, comme le pauvre Arabe du Caire; Bonaparte devient le " sultan des Francs d'Europe ". C'est la voix du pauvre Arabe et en même temps ce n'est pas elle.
Bertrand Abraham: Je pense à un texte de Félix Guattari, Le procès de subjectivisation qui est difficile mais qui est peut-être plus intéressant à exploiter que la théorie d'Althusser sur l'idéologie.

Delphine Gleizes


 Prochaine séance chez Anne Ubersfeld à Marines, le 20 juin. On doit contacter Bertrand Abraham, qui centralise les informations, au 01.30.27.21.94.

 Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005

Tél : 0144 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa ; 94, rue de Buzenval, 75 020 Paris.