GROUPE HUGO


 

SÉANCE DU 25 AVRIL 1998

Présents : Guy Rosa, Myriam Roman, Hélène Labbe, Arnaud Laster, Stéphane Mahuet, Valérie Presselin, Vincent Wallez, Mme Haglund, Sylvie Vielledent, Claude Millet, Florence Naugrette, Ludmila Wurtz, Marie Tapié, Olivier Decroix, Franck Ruby, Josette Acher, Krishnâ Renou, Bertrand Abraham, Denis Sellem, Vanessa Vysosias, Jean-Marc Hovasse.

Excusés : Jacques Seebacher, Anne Ubersfeld, Delphine Gleizes, David Charles, Franck Laurent, Jean-Pierre Vidal.


Informations

* Tony James (on connaît son édition de Littérature et philosophie mêlées et l'on a signalé, l'an dernier, son livre Lectures secondes) donne une conférence à Jussieu le 5 mai à 20 h 30, amphi 56 A : "Rêveurs tout éveillés : regards français sur l'hallucination au siècle dernier."

* Franck Wilhelm, notre fidèle correspondant du Luxembourg, envoie à Guy Rosa un article de J.-A. Ducourneau, de 1947, sur les dessins de Victor Hugo, ainsi que des extraits d'un roman de Florence Théoret, Laurence - Les Herbes rouges, paru en 1986 à Montréal, où l'auteur évoque Les Misérables par quelques références.

* Joé Friedmann, dans la revue Humoresques des Presses universitaires de Vincennes, publie un article sur le rire dans Notre-Dame de Paris, poursuivant ainsi son enquête sur le rire hugolien.

* Rappel. L'UFR d'Histoire/Géographie de Paris 7 lance un appel à communications, pour un colloque qui se tiendra les 3 et 4 décembre 1998 : "Les guides imprimés du XVIe au XIXe siècle. Villes, paysages, voyages." Le programme actuel ne comporte encore rien sur Le Rhin, ni non plus, de manière générale, sur Hugo voyageur. S'adresser à Evelyne Cohen, UFR "GHSS", 34/44, 3° étage, case 7001, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75251 Paris cedex 05.

* Bertrand Abraham raconte qu'un jour, par hasard, alors qu'il écoutait France Inter, un reportage sur une lecture publique et populaire du Don Quichotte en Espagne incita le journaliste à proposer que la France fasse de même avec Les Misérables. Un projet de plus pour le bicentenaire, qui est immédiatement soumis à Arnaud Laster, lequel suggère de s'adresser à la compagnie "Jolie môme"; Guy Rosa pencherait plutôt pour le Royal de Luxe et rappelle qu'un projet analogue avait reçu un début d'exécution en 1985: Les Misérables comportant 365 jours, on en avait proposé une adaptation en feuilleton journalier. Le projet ne fut pas retenu; mais, sur le même principe, pendant l'été 85, la télévision avait monté chaque jour une "chose vue", imagée par le "vidéaste" Jean-Paul Fargier et lue par Michel Piccoli.

* Personne n'a encore vu Lucrèce Borgia au Théâtre de l'Est Parisien, ni l'adaptation du Dernier Jour d'un condamné au Théâtre de l'Alliance française. En revanche, Arnaud Laster a lu et entendu le prochain spectacle musical sur Notre-Dame de Paris, par l'auteur de Starmania. Il trouve le livret honorable : quant à la musique, il préfère celle de Louise Bertin.

* Claude Millet vient de relire, d'affilée, Les Travailleurs de la mer et L'Homme qui rit. Elle trouve l'intrigue du premier bien plus efficace que celle du second, ce qui permet à Guy Rosa de proposer comme sujet de thèse "qu'est-ce qu'une intrigue ?", question jusque là plutôt négligée par la critique littéraire.

* Guy Rosa rappelle la version programmée, à la rentrée, de Marion de Lorme par Eric Vigner, jeune metteur en scène plein d'avenir qui a déjà monté L'Illusion comique de Pierre Corneille et La Maison d'os de Roland Dubillard. Vigner met en chantier un livre à paraître à la même date. Rien n'empêche les bons esprits et les plumes alertes de proposer une contribution -les sujets originaux ne manquent pas: la pièce a été presque aussi peu étudiée que jouée. Guy Rosa la transmettra. Arnaud Laster signale que c'est sans doute par Dubillard que Vigner est venu à Marion de Lorme, Roland Dubillard ayant effectivement incarné le rôle de Louis XIII dans la version télévisée de cette pièce réalisée par Jean Kerchbron et diffusée le 2 décembre (date convenable) 1967 par la 2e chaîne.



 

Exposé de Bertrand Abraham: "Enjeux d'un texte de la critique hugolienne: Ymbert Galloix" (Voir texte ci-joint).

 

Discussion

Guy Rosa : Un universitaire vous reprocherait de n'avoir pas cité les articles et travaux de José-Luis Diaz sur "le poète mourant": cette grande vague de textes, poétiques surtout, des années 20 où se manifeste un véritable mythe, largement énigmatique: pourquoi se mettre à fabuler sur le jeune poète mourant?. Hugo écrit Ymbert Galloix par rapport à ce mythe qu'il connaissait nécessairement. Cela pose diverses questions: pourquoi reprendre ce thème éculé et passé de mode depuis longtemps; quelles variations lui imprime-t-il?
D'autre part, on peut rappeler qu'il y a, chez Hugo, une curieuse propension à écrire les livres d'un mort, que ce soit dans Le Dernier Jour d'un condamné, dans Ymbert Galloix ou même dans le texte liminaire du Journal de ce que j'apprends chaque jour, qui est en quelque sorte le journal de ce qui, en moi, n'est pas de moi. Et Hugo regrette de le commencer si tard, d'être pris par le temps.

Arnaud Laster : Galloix n'a pas eu le droit à une notice dans le dictionnaire Larousse du XIXe siècle. Il faudrait peut-être chercher du côté de l'histoire de la littérature suisse qui est en cours de publication.

Guy Rosa reprend la parole, un peu gêné et content tout de même : tout ce que Bertrand Abraham a montré rencontre sa "théorie de la littérature". Elle veut que la littérature consiste -pas seulement mais au moins- en une communication à destination paradoxale: à la différence de tous les autres, le texte littéraire est adressé à son lecteur, mais ne lui est pas destiné -à moins que ce ne soit l'inverse. C'est la condition et le moteur de son universalité -il est adressé à tout le monde et à personne- et de son individualité: je le lis comme s'il m'était singulièrement destiné (sans quoi je ne le lirais pas). Cette destination paradoxale se réalise de nombreuses manières, différentes selon les époques et les fonctions idéologiques affectées à la littérature, et elle a toutes sortes d'implications. D'une certaine façon, par exemple, tout texte littéraire est lettre, mais adressée à personne: bouteille à la mer; il est mémoire d'outre tombe: il n'y a de grand écrivain que mort ou en exil parce que l'absence de l'auteur ou sa disparition est le moyen -ou l'effet- de sa non-destination au lecteur. S'il est vivant et "dans le champ", il s'adresse à moi et ne le fait que trop. Certains simulent de diverses manières cet idéal statut de mort-vivant. On peut dire en ce sens que l'ouvre tue l'auteur et cette mise à mort se figure ou s'opère par le fait d'écrire au moment de mourir ou de se détruire en écrivant -deux modalités d'un même processus (variante grossière: la vampirisation de l'écrivain par son ouvre ou par ses personnages). On comprend de la même façon que la langue littéraire soit toujours une langue autre que celle de la communication (le latin a joué ce rôle; les "écarts" exigés par la poésie le font aussi; voir aussi les jeux innombrables avec les régionalismes ou, inversement, le "français mondial" de Hugo). C'est sans doute la raison pour laquelle Ymbert Gallois se veut anglais. Bref, dans Le Dernier Jour d'un condamné, Hugo exploite cette nature même du texte littéraire ; dans Ymbert Galloix, il y réfléchit et il la définit.

Par ailleurs, si le romantisme peut être défini comme la conquête d'une position de sujet absolu, le sujet romantique implique une viduité égale du moi. Plus le je est je, plus le moi est vide (et vice versa) et l'absoluité du sujet demande l'annulation de la personne, qui peut être imagée par sa mise à mort. Cette contradiction réalise automatiquement la contradiction inhérente à l'écriture littéraire elle-même. De là que la littérature n'ait pris conscience d'elle-même et ne se soit pleinement autonomisée qu'avec le romantisme. C'est aussi ce que dit Ymbert Galloix en revenant au "poète mourant", mythe originel du romantisme.

Claude Millet : Tu as lu Ymbert Galloix comme un article de 1833 ; mais on peut aussi le lire comme l'avant-dernier texte, et donc comme une première fin, de Littérature et philosophie mêlées. Or, ce livre pose la question du rapport entre la littérature et le Verbe, et finit par démontrer que la langue française, au XIXe siècle, est suffisamment riche pour générer une littérature. Ce triangle langue/verbe/littérature est repris dans Ymbert Galloix : le poète rate sa vocation parce qu'il ne parvient pas à habiter sa langue, et que, plus largement, il ne fait confiance à aucune langue. La seule réalisation du verbe à laquelle il parvient se fait à travers l'écriture intime (la lettre). Et cette abolition de toute distance entre l'intimité (le corps) et la langue, on la retrouve dans le Mirabeau du Sur Mirabeau : c'est le corps de Mirabeau dans sa monstruosité qui parle.

Guy Rosa : Il y a effectivement dans Sur Mirabeau un développement sur la différence entre son génie dans le discours et son absence de talent dans la littérature écrite.

Claude Millet : Oui, le XIXe siècle doit essayer de dégager le troisième terme de ce triangle : la littérature.

Arnaud Laster : Galloix, comme les deux ouvriers Gilbert dans Marie Tudor et Edmond Gombert dans L'Intervention (trois G) ont effectivement des rapports difficiles avec la langue.

Guy Rosa : Ymbert Galloix est bien un texte très troublant, très fascinant.

Une question de Josette Acher sur la recherche d'une vérité littéraire à partir d'équations scientifiques fait revenir la discussion au sujet dernièrement abordé : "Hugo et les sciences", et de là vers le fonctionnement du Groupe Hugo. Sur le conseil de Bernard Diu, Guy Rosa s'est enquis de la disponibilité d'un collègue scientifique de Paris 7, spécialiste d'histoire des sciences et de son intérêt pour un travail commun. La réponse est positive et nous interroge à notre tour : sommes-nous ou non disposés à travailler sur ce sujet? Car on ne doit pas attendre grand chose d'une ou deux séances où le savant répondrait à notre interview: le résultat est connu d'avance et, si nous ne sommes pas nous-mêmes disposés non seulement à relire du Hugo mais à apprendre un minimum d'histoire des sciences, mieux vaut s'abstenir. Mais doit-on (et peut-on) donner un thème annuel au Groupe Hugo ? Ou bien alterner des séances à thème et des séances hors thème ? Ou faire des explications de texte collectives ? Questions. Dont on reparlera.

 Jean-Marc Hovasse


La prochaine séance -16 mai- entendra (et discutera) le compte rendu de ses recherches par Olivier Decroix: lyrisme intime et discours public chez Hugo avant l'exil.
 

  Equipe " Littérature et civilisation du XIX° ", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005. Tél : 0144 27 69 81. groupugo@paris7.jussieu.fr
Responsable de l'équipe : Guy Rosa, rosa@paris7.jussieu.fr ; 94, rue de Buzenval, 75 020 Paris.