Présents: Pierre Georgel, Françoise Sylvos, Pierre Laforgue, Bernard Leuilliot, Josette Acher, Vanessa Vynosias, Marie Tapié, Anne Ubersfeld, Myriam Roman, Colette Gryner, Delphine Gleizes, Than-Van Ton That, Guy Rosa, Valérie Presselin, Jean-Marc Hovasse, Sandy Petrey, Philippe Andrès, Camille Aubaud, Arnaud Laster, Bertrand Abraham, Franck Laurent, Ludmila Wurtz
Excusés: David Charles, Claude Millet
* Pour son colloque sur l'invention du XIX° siècle, la Société des études romantiques demande au groupe Hugo de formuler un projet d'intervention et de donner l'intitulé de la communication. Il s'agira donc de synthétiser tout ou partie des contributions de Jean-Claude Fizaine, David Charles et Ludmila Wurtz, Claude Millet, Françoise Chenet et Jean-Marc Hovasse. Guy Rosa suggère de proposer à M. Milner deux interventions: celle de Jean-Claude Fizaine sur Napoléon le Petit et une seconde, synthétique des autres, dont le porte-parole pourrait être Ludmila Wurtz.
Arnaud Laster fait le bilan des diverses représentations
de drames hugoliens que l'on peut actuellement voir à Paris.
Angelo Tyran de Padoue, mis en scène par Fr. Sourbié
au "20° Théâtre" est loin de remporter les suffrages.
Le petit journal qui sert de programme au spectacle se révèle
une accumulation d'idées reçues. Le metteur en scène
y toise l'oeuvre et laisse entendre que cette pièce mineure a bien
besoin de lui : décors et indications scéniques, d'un autre
temps, ne méritent pas qu'on s'y attache. Une originale idée
de mise en scène, souligne Arnaud Laster, était de faire
dire le texte de la préface en prologue à la représentation.
Hélas, cette initiative ne vise qu'à produire un décalage
et à faire rire le public. Pour le reste, la pénombre générale
qui règne sur la scène ne permet guère de préjuger
l'inventivité de l'adaptation à moins qu'elle ne jette un
voile opportun sur ses défaillances. Seul, " Homo Dei "
est servi par un acteur efficace et séducteur, mais dont le jeu
ne s'accorde pas pour le moins avec sa fonction qui est, rappelons-le d'être
un espion passe-murailles. Franck Laurent ajoute qu'il est aberrant d’individualiser
ce personnage qui ne doit être qu'une puissance anonyme, instrument
du pouvoir de Venise. Bref, cette adaptation n'a pas, selon Arnaud Laster,
tenu ses promesses. Il lui préférait, et de loin, la mise
en scène donnée au théâtre des Athévains
la saison dernière.
Ruy Blas, actuellement jouée au Théâtre Mouffetard,
s'en sort beaucoup mieux. Mais le metteur en scène ne parvient pas
à soutenir le rythme au-delà du troisième acte. Cette
adaptation, initialement conçue pour une représentation en
plein air, souffre du cadre clos dans lequel elle est jouée. La
musique, énorme, envahit un espace minuscule. De plus, la gestion
de la troupe semble poser problème: certains acteurs doivent jouer
plusieurs rôles et Ruy Blas ne tance que deux ministres, ce qui fait,
somme toute, un maigre festin. Par ailleurs, le metteur en scène
a opté pour le dédoublement d'une partie du rôle de
Don Salluste; certaines répliques passent sous le contrôle
de son âme damnée, Gudiel, ce qui ne va pas sans poser de
problèmes, surtout à la fin de la pièce. Cela étant,
la mise en scène reste convaincante, la Reine est étonnante
de naïveté juvénile dans les trois premiers actes.
L'Intervention est bien : les acteurs ont de
la présence. Arnaud Laster signale néanmoins un problème
dans la diction de certaines répliques qui se chevauchent comme
dans les duo d'opéra, ce qui ne permet pas d'entendre les paroles
d'Eurydice. Mais Anne Ubersfeld n'a pas relevé ce défaut,
qui a peut-être été corrigé après les
premières représentations. Tout incite en tout cas à
aller voir ce spectacle qui se joue jusqu'au 9 février 1997 au Carrousel
du Louvre, du mercredi au dimanche à 18 heures 30.
Anne Ubersfeld rend compte d'une autre version de l'Intervention qu'elle a pu voir en Suisse et qui manifestait une réelle volonté d'actualiser la pièce. Bernard Leuilliot renchérit en constatant que l'actualité pénètre en ce moment par effraction dans la société suisse qu'elle appelle à une prise de conscience nouvelle...
Marie Tapié nous signale que le dernier numéro de Première se fait l'écho d'une prochaine et nouvelle adaptation des Misérables par Billy August. Affaire à suivre donc.
Bernard Leuilliot: Liszt donnait il me semble des concerts à Charenton du vivant de Eugène Hugo; mais je ne sais pas d'où je tiens cette information.
Anne Ubersfeld: La démonstration d'Arnaud Laster est tout à fait convaincante mais il faut noter que la violence est avant tout dans le texte de Hugo et que l'explication psychologique ne fait que la corroborer. La violence de la folie est dans le rythme même des vers:
Sur ce vieux banc, souffrez que je m'appuie
La souffrance est au coeur du vers comme elle est au coeur du poème.
Arnaud Laster: Oui, mais depuis la version du poème popularisée par Brassens, on avait tendance à entendre ce texte sur le mode de l'anecdote humoristique, ce que contredit l'analyse psychologique et autobiographique.
Guy Rosa: En tout cas, la comparaison des différentes versions musicales du poème fait apparaître que l'interprétation ne peut se faire sans une déformation partielle du texte. Brassens occulte l'aspect biographique, Liszt, la couleur locale anecdotique. Mais l’un n’a pas plus raison que l’autre. Les échos biographiques ne doivent pas faire oublier à quel point ce poème est un exercice virtuose de versification. Un dictionnaire de rimes montre que la rime en "agne" est relativement rare. Or, Hugo utilise toutes les rimes possibles à l'exception de "pagne" et de "Bretagne" qui n'avaient pas trop leur place ici. Il ajoute même des mots -des noms- à la liste proposée par le dictionnaire. Il y a dans ce poème une part de réflexion autobiographique et une part de pittoresque virtuose sans qu'aucun de ces axes d'interprétation ne puisse prendre le pas sur l'autre.
Arnaud Laster: Il faudrait de toute façon approfondir certaines recherches. Par exemple, la référence au comte de Saldagne peut revêtir une coloration autobiographique. Ce comté en effet appartient au duc de l'Infantado. Or, d'après le dictionnaire du XIX° siècle de Pierre Larousse, le plus célèbre des comtes de Saldagne a séjourné à Bayonne en 1808 et a ensuite servi le roi Joseph comme colonel avant de se retourner contre lui. Hugo séjourna à Bayonne en 1811. On sait par ailleurs que son père a servi lui aussi le roi Joseph. De tels échos biographiques ne sont peut-être pas insignifiants.
Franck Laurent: Je ne pense pas que l'interprétation de Brassens
donne exclusivement dans l'humoristique, le fantaisiste. Le choix de Brassens
est celui d'une mélodie simple, qui ne s'accorde pas de possibilités
expressives. Il s'agit là d'une sorte de mise à distance
par la musique du pathétique du texte, d'un contraste entre la folie
du poème et la monotonie de la mélodie.
D'autre part, on a trop tendance à évoquer le caractère
pittoresque des poèmes de Hugo. Ses textes sur l'Espagne, ses poèmes
sur l'orient sont par trop marqués du sceau de la couleur locale.
C'est le syndrome "Djinns" qui met en avant le pittoresque et
la virtuosité en occultant la violence et le souffle de l'inspiration.
Pour ce qui concerne les rapports de la poésie hugolienne et de
sa mise en musique, la question est ambiguë. La position de Hugo sur
la question tiendrait sans doute dans l'idée que les deux parties,
musique et poésie ont tout à perdre dans cette alliance.
Arnaud Laster: Oui, mais on n'a jamais trouvé la fameuse formule que l'on prête à Hugo: "Défense de déposer de la musique au pied de mes vers". Il n'était sans doute pas si hostile que cela à la mise en musique de ses textes comme en témoigne La Esmeralda de Louise Bertin.
Franck Laurent: D'ailleurs un épisode du Rhin fait référence à une scène durant laquelle on entend chanter en allemand le choeur de La Esmeralda. Il est intéressant de noter que Hugo semble accorder plus d'importance au devenir populaire de ces poèmes mis en musique qu'à la pratique bourgeoise de la mélodie, accompagnée au piano dans les salons. Il évoque les rengaines des rues dans le Voyage de 1843 ou dans le Rhin, mais pas la diffusion de ses airs dans les milieux bourgeois.
Arnaud Laster: Cosette pourtant joue du piano dans Les Misérables.
Franck Laurent: Oui, mais il ne s'agit pas de poésies de Hugo
lui-même.
Le poème "Guitare" est intéressant à analyser
du côté du populaire. Il montre d'une certaine manière
comment se constitue le légendaire dans la tradition populaire.
Nerval, dans " Angélique ", explique que la
légende s'élabore par écrasement temporel et raccourcis.
C'est le cas ici, où Cléopâtre est associée
à l'empereur d'Allemagne par un jeu de polysémie sur le mot
de César, à la fois Jules et titre générique
des empereurs.
Ce qui me frappe aussi dans ce poèmes, ce sont des ambiguïtés
que je ne parviens pas à lever. Quel est par exemple le statut social
de Sabine? Elle porte un titre au début du poème ("Dona
Sabine") et pourtant, c'est la fille d'une vieille maugrabine. De
même, l'idée même de sa vénalité est ambiguë:
l'anneau d'or est-il symbole du mariage ou bijou?
Guy Rosa: Vraisemblablement, l’apposition est à mettre au compte du personnage qui ne voit dans l'alliance qu'un bijou -à moins que Gastibelza ne manque de respect pour le mariage. Par contre, il y a bel et bien une ambiguïté dans la localisation: Madrid et la Tour Magne...
Arnaud Laster: Autre élément à verser au crédit de la thèse autobiographique: Hugo devient vicomte à la mort d'Eugène. Le titre porté par l'homme du poème peut là encore sonner comme un rappel des rivalités amoureuses entre Victor et son frère.
Pour clore la séance, Arnaud Laster lit un texte qu'un site californien d'Internet, spécialisé dans le dessin animé, lui a commandé sur Le Bossu de Notre-Dame. L'adaptation de Walt Disney, largement inspirée des films qui l'ont précédée, semble réductrice dans ses choix scénariques: Claude Frollo devient juge, pour ne pas heurter les sensibilités religieuses encore très vives outre-Atlantique (quoiqu’il ne soit pas très évident qu’on y respecte plus les prêtres et les pasteurs que les juges N.D.L.R.). Il est tout entier peint comme un esprit du mal, ce qui est contraire au texte qui le montre capable aussi de mouvements de charité. La scène du Bossu de Notre-Dame, au demeurant très réussie, où Frollo est torturé par la tentation de la chair tire le dessin animé du côté d'une interprétation manichéenne. On peut ainsi mesurer, par comparaison, à quel point le livre de Hugo ne l'est pas. De même, le personnage de Phoebus est fort enjolivé. On lui attribue une exigence morale dont il ne fait guère preuve dans le roman. L'épilogue, grotesque et grinçant de Notre-Dame de Paris perd sa force dans le "happy end" auquel on assiste. A la fin tragique de la Esmeralda et de Quasimodo est substitué un mariage conventionnel.
Bernard Leuilliot se promet de présenter au groupe une étude sur Quasimodo et Jean Valjean.
En attendant, la prochaine séance du 22 février 1997 sera consacrée aux dernières découvertes de Françoise Chenet.
Arnaud Laster invite le Groupe Hugo à la projection privée de Notre-Dame de Paris dans la version Delannoy/Prévert de 1956, Mercredi 29 janvier 1997 à 14 heures à la Vidéothèque de Paris, 2, Grande Galerie, Tarif 15 francs.
Delphine Gleizes
P.S. La séance du samedi 22 mars sera consacrée à " Proust lecteur de Hugo " : Mme Than-Van Ton That, M.C. à l’Université de Reims, y parlera –"sous le contrôle" de Danielle Gasiglia-Laster.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa, rosa@paris7.jussieu.fr ; 94, rue de Buzenval, 75 020 Paris.