GROUPE HUGO

Université Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 14 décembre 1996

Présents : Guy Rosa, Anne Ubersfeld, Myriam Roman, Jean-Marc Hovasse, Delphine Gleizes, David Charles, Sandy Petrey, Franck Laurent, Josette Acher, Valérie Presselin, Marie Tapié, Andrew Miller.

 

Excusés : Arnaud Laster, Philippe Andres, Claude Millet, Ludmilla Wurtz.

 


Informations

* Guy Rosa a reçu de Frank Wilhelm un article sur "Munkácsy et Victor Hugo", à l'occasion de l'exposition "Munkácsy et le Grand-Duché du Luxembourg" qui s'est tenue au musée national d'histoire et d'art du Luxembourg du 20 septembre au 17 novembre 1996. Pour ceux qui ne le sauraient pas, Michel Munkácsy est un peintre hongrois, auteur d'un fameux Dernier Jour d'un condamné, qui a rencontré, le 5 juin 1871, à Luxembourg, hôtel de l'Europe, Victor Hugo.

* Guy Rosa a reçu de l'Hebrew University of Jerusalem un article (passionnant) de M. Joé Friedmann : "Cet inquiétant rire de l'art : William Shakespeare et l'oeuvre critique de Victor Hugo" (Les Lettres romanes, Louvain, 1995, n° 49-3/4).

* Des nouvelles de l'Université Sun Yat-Sen : M. Cheng Zenghou a reçu un éditeur chinois qui s'intéresse à la publication des oeuvres de Victor Hugo en huit ou dix volumes, en commençant par Notre-Dame de Paris et Les Misérables. Il lance un appel à tous les préfaciers de bonne volonté. Public potentiel : un milliard et demi de lecteurs - un peu plus que celui des PUF, lance Guy Rosa, rêveur.

 

* Le Groupe Hugo n’a encore rien reçu à propos de l'exposition Victor Hugo et Walt Disney à la Maison Victor Hugo. Par des moyens détournés, deux invitations ont néanmoins pu être récupérées pour le vernissage, mercredi prochain. Elles sont immédiatement mises aux enchères.

 

* Mme Françoise Chenet nous écrit qu'elle a créé une association savante "Horizon-Paysage". De plus, elle viendra parler, le 22 février 1997, d'une découverte fameuse encore inédite.

 

* Arnaud Laster donnera le 25 janvier ses variations sur "Guitare" ; on testera à cette occasion l'acoustique de la nouvelle salle (Rez de chaussée de la tour 25, prendre la direction « Minéralogie-Fossiles » et s’arrêter, à gauche, un peu avant).

 

* Anne Ubersfeld attend le chercheur réellement hispanisant qui travaillerait sur Victor Hugo et l'Espagne. Du coup, plusieurs autres sujets de thèse sont proposés : "Victor Hugo orateur", "Victor Hugo et l'infini", "L'Évolution de la philosophie de Hugo à travers les âges", etc. Le sujet "Le Divin chez Victor Hugo" n'est pas suggéré, puisque cette thèse vient d'être soutenue, en Sorbonne, sous la direction de Michel Crouzet. Chose étrange pourtant, Pierre Laforgue, membre du jury, assure que Victor Hugo n'emploie jamais le mot divin.

 

* Mme Tran Thu Dung a soutenu, avec beaucoup d'honneur, sa thèse sur le caodaïsme et Victor Hugo. La figure du caodaïsme n'en sort pas grandie, ses membres ayant été de toutes les collaborations : avec les Français, les Japonais, les Américains... Guy Rosa en extrait brièvement trois pistes :

1°) Hugo se prête facilement à une lecture asiatique. Pour des raisons qui tiennent tenir à la religion, à la culture, à la sensibilité, il est immédiatement familier en Asie, bien davantage que tous les autres auteurs français.

2°) Le passage de Victor Hugo chez les caodaïstes a certainement transité par la franc-maçonnerie. La colonisation au Viêt-Nam est très franc-maçonne, ainsi que la plupart des fondateurs du caodaïsme. Victor Hugo, lui, ne l'était pas, même s'il a fait souvent l'objet de récupérations. On peut consulter une boîte de documents, place des Vosges, sur la question "Hugo et la franc-maçonnerie".

3°) Lors de la soutenance, Jean-Claude Fizaine a fait remarquer que la première publication par Gustave Simon des procès des tables tournantes datait de 1923. Victor Hugo est nommé dans le caodaïsme en 1927. Or, les caodaïstes utilisaient les tables comme moyen de révélation, au même titre que la « corbeille à bec » (outil spirite plus commode et plus rapide). On précise enfin que Victor Hugo délivre ses messages caodaïstes indifféremment en français et en viêtnamien, information qui apparaît rétrospectivement au scripteur comme une prolepse mystérieuse de la question des nations qui va être posée par "Les Trous du territoire".


 

Communication de Franck Laurent : « Les trous du territoire - Figures de la centralisation monarchique dans l'oeuvre romanesque et dramatique de Hugo de Marion de Lorme aux Burgraves ». (Voir texte ci-joint).

 


Discussion

"C'était parfait", résume tout d'abord Guy Rosa, se faisant le porte-parole de l'assemblée.

Anne Ubersfeld : Il me semble que cette défiance vis à vis du pouvoir centralisateur est permanente chez Hugo. On en trouve des exemples dans Ruy Blas comme dans Angelo, monarchie espagnole ou pouvoir de Venise - "Tout pour punir, rien pour pardonner". En même temps, il faudrait regarder les tentations populistes (impérialo-populistes) de Hugo après 1848.

Franck Laurent : Il me semble en effet que la figuration romanesque et dramatique a une grande cohérence et met l'accent sur cette défiance à l'égard du pouvoir central.

Anne Ubersfeld : Il y a certes un "anarchisme profond" de Hugo. Mais un anarchisme intelligent : il voit tout de suite et toujours les vices du pouvoir. Les officiels ne s'y sont pas trompés, dont l'inquiétude vis à vis de Hugo n'a jamais diminué.

David Charles: Que devient cette question dans Les Misérables? À Montreuil-sur-mer?

Franck Laurent : L'utopie de Montreuil ne peut pas fonctionner comme un modèle car c'est là que la tragédie de Fantine trouve son dénouement. C'est tout le problème de la personnalisation du pouvoir : elle est effective dans les empires, mais défaillante dans les royautés, où l'État est impersonnel et le roi faible. À Montreuil, c'est un rouage de l'État Madeleine qui broie Fantine, mais sans qu'il en soit averti. Il y a effectivement une tendance très profonde chez Hugo à critiquer l'institution étatique comme machine impersonnelle, désindividualisante.

Guy Rosa : Montreuil ne peut pas rentrer comme analogie, car c'est une utopie avec deux extérieurs qui l'invalident : Fantine (l'extérieur de la misère), Javert (l'extérieur de la répression).

Anne Ubersfeld : D'ailleurs, Montreuil n'est pas vraiment une utopie : on trouve ailleurs des exemples réels de développement industriel. Mais là, le ver est dans le fruit : c'est de l'intérieur que vient la catastrophe de Fantine.

Guy Rosa : J'aimerais bien savoir quel est, dans tout cela, le statut de la France, de l'Espagne, disons de la nation. Pour prendre l'exemple de la France, le pouvoir est mauvais, mais la France est bonne. Que devient la France sans le pouvoir ?

Franck Laurent : La réponse se trouve dans Paris-Guide : l'avenir de la France est dans sa disparition, sa transfiguration en civilisation.

Guy Rosa : J'entends bien. Le problème n'est pas dans le pouvoir mais dans la France elle-même.

Franck Laurent : Il me semble pourtant que, dans Hernani, quand Don Ruy Gomez demande à Don Carlos : "À ce compte, seigneur, vous êtes roi d'Espagne ?", ce dernier lui répond en disant : "Je suis bourgeois de Gand", c'est-à-dire en se posant comme au-delà des nationalités. La question est de savoir si, oui ou non, il y a mise en cause de la nation comme réalité historique donnée.

Anne Ubersfeld : Je crois que oui. Mais en même temps il y a valorisation d'autre chose qui serait une autre définition de la nation.

Guy Rosa : Ces discussions sur la nation se font donc à l'intérieur d'une perspective nationale, voire transnationale.

Franck Laurent : La seule réalité de la nation, c'est le travail du pouvoir centralisateur. Il y a, dans l'oeuvre de Hugo, de véritables mises en cause, très profondes et très précises, de la réalité de la nation - abstraction faite du pouvoir d'État.

Guy Rosa : Le peuple dans Ruy Blas est espagnol. C'est le peuple, et c'est l'Espagne. L'Espagne n'est pas réductible à son organisation étatique.

Franck Laurent : Le peuple se caractérise pourtant en ce qu'il ne peut se réclamer d'aucun lieu, en ce que ses membres n'ont pas d'ascendance familiale. Les misérables, dans l'oeuvre de Hugo, n'ont pas de nation.

Guy Rosa : La Cour des miracles n'est pas le peuple.

Anne Ubersfeld : Le drame de la littérature du XIXe siècle, c'est bien que le peuple n'y est jamais représenté, exception faite des Misérables et de certains romans de George Sand.

Franck Laurent : C'est la critique développée par Michelet. Cela l'amène à reconstruire un "bon peuple", après avoir expulsé tous les indésirables, car son objectif est de fonder le peuple en nation.

Guy Rosa : Il faudrait étudier le rapport entre le politique et l'humain dans les drames de Hugo, s'interroger sur l'articulation entre le politique et le reste.

Franck Laurent : Il y a juste un drame où cette articulation fonctionne mal, c'est Les Burgraves.

Guy Rosa : Qu'est-ce que le pouvoir est d'autre que la condamnation et la punition ?

Franck Laurent : Difficile à trouver.

Guy Rosa : Le goût du pouvoir et celui d'un certain anarchisme cohabitent étroitement chez Hugo. Mais Ruy Blas devient grandiose au moment où il prend le pouvoir.

Franck Laurent : Non, il devient grandiose au moment où il le perd en mourant comme un laquais. Les meilleures représentations du pouvoir sont celles qui sont minées par l'intérieur.

 

Jean-Marc Hovasse


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