GROUPE HUGO
Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 23 novembre 1996

Présents: Florence Naugrette, Claude Millet, Franck Laurent, Bertrand Abraham, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Arnaud Laster, Delphine Gleizes, Myriam Roman, Valérie Presselin, Jean-Marc Hovasse, Françoise Sylvos, Colette Gryner, Marie Tapié, Philippe Andrès, Véronique Dufief, Pierre Georgel.

Excusés: Ludmila Wurtz, David Charles, Bernard Leuilliot.


Informations

*Guy Rosa signale qu'il a pris contact, comme le Groupe l'y avait invité, avec l'Ambassade de France à Hanoi au sujet des célébrations de la francophonie au Vietnam.
[Entre temps, la réponse est parvenue, sous le timbre majestueux de la République Française; Ambassade de France à Hanoi. Service culturel et de coopération scientifique et technique : «... M. Robert Lacombe, notre Attaché du Livre, plus spécialement chargé de tout ce qui concerne la littérature française à Hanoi, m'a assuré qu'il s'informerait et se mettrait, le cas échéant, en contact avec vous, mais il semblerait a priori que la rumeur dont vous faites état (sur la place qui pourrait être faite à Hugo dans ce cadre -NDLR) ne corresponde à aucune réalité. »
Ma foi, que faire si ça ne correspond à aucune réalité? Good luck!]
[Et puis, non! Je vais tout de même répondre qu'il n'est pas absolument évident que Hugo ne corresponde à aucune réalité pour un sommet de la francophonie à Hanoi. La suite au prochain Groupugo.]

*A noter la parution d'un excellent article &Alain Vaillant, "La latinité hugolienne: bouche d'ombre et langue morte", publié dans La réception du latin du XIXe siècle à nos J . ours, aux Presses universitaires d'Angers, dont G. Rosa tente de donner un trop rapide aperçu.

*Frank Wilhelm, dans un courrier adressé au Groupe, remarque que dans un roman inédit de Malraux, le Règne du malin, publié dans le troisième tome de œuvres complètes dans la Pléiade et dont la rédaction a été simultanée à celle de la Voie royale, un personnage raconte diverses anecdotes sur le vieil Hugo.
Frank Wilhelm signale par ailleurs l'existence d'une très intéressante plaquette intitulée Malraux publiée en 1996 par le Ministère des Affaires étrangères, comportant une liste des références culturelles chez l'auteur de la Condition humaine.
Il faudrait, note-t-on dans le groupe, travailler la question des rapports de Malraux et de Victor Hugo [Ce rapprochement évidemment justifié est l'objet d'un PHD en cours.]. Sur les murs du métro actuellement, on peut lire un texte de Malraux citant Hugo. Et Jacques Seebacher remarque que Malraux, panthéonisé en ce jour, l'est en qualité «homme politique et non d'écrivain comme l'avait été Hugo.
Enfin, l'association des amis de Victor Hugo à Vianden a renouvelé son conseil d'administration dont le vice président est désormais Frank Wilhelm.

*Angelo tyran de Padoue va être joué, nous dit Arnaud Laster, au Nouveau Théâtre de Novembre, 7 rue des Plâtrières 75020 M Ménilmontant, du 3 décembre 1996 au 19 janvier 1997, dans une mise en scène de Francis Soubié, avec Ann-Gisel Glass et Dominique Chagneau.

*L'intervention sera représentée au Studio de la Comédie française, Carrousel du Louvre à partir du 18 décembre 1996, dans une mise en scène de Bénédicte Ardiley, à 18 heures, sans réservation préalable.

*Bertrand Abraham signale que l'émission télévisée Arrêt sur image de la Cinquième a décortiqué récemment l'adaptation de Walt Disney de Notre-Dame de Paris. [article pas sot également dans le dernier Télérama]

A propos de Notre-Dame de Paris justement, Jacques Seebacher mène une réflexion sur les influences rabelaisiennes dans l’œuvre de Hugo. Le roman de Notre-Dame de Paris a dû être écrit au cours d'une lecture de Rabelais. Les titres fantaisistes de la fin du livre, "Mariage de Phoebus", "Mariage de Quasimodo" par exemple, ne sont pas seulement des effets de surprise mais l'indication que le "suffisant lecteur" doit voir dans le roman le grand modèle de la littérature sur le mariage, le Tiers Livre, enquête de Panurge sur les conséquences de l'union conjugale. On retrouvera ainsi le thème de réflexion anthropologique sur le rôle du mariage dans la société et la physiologie.
Notre-Dame de Paris se nourrit des souvenirs du voyage à Reims en 1825 pour le sacre de Charles Y, et plus encore peut-être des voyages effectués par Victor Hugo en compagnie de Nodier.
D'autre part, paraît en 1825-1826, le dernier volume de Pétition Variorum de Rabelais qui présente les Pantagruelines, dessins étranges et composites, comme une oeuvre même de Rabelais. On ne mesure peut-être pas assez l'influence de telles publications su la vogue des grotesques et sur l'écriture de Victor Hugo. Il est certain que la rencontre de Hugo et des auteurs de cette édition a dû intervenir dans le salon de Nodier à l'Arsenal.
Enfin, Jacques Seebacher, qui prépare une réédition de Notre-Dame de Paris, en appelle aux participations et aux renseignements inédits. Le texte employé pour la Pléiade avait été celui de l'édition Garnier, Or il estompe le côté oral, théâtral de l'écriture -sans compter la normalisation de la ponctuation. Le texte de l'édition Bouquins, d'après l'édition Fume, redonne au contraire au texte la valeur expressive de sa ponctuation, qui impose les respirations.

*Le groupe Hugo s’honore de deux nouvelles présences: celle de Marie Tapié qui a travaillé sous la direction d'Arnaud Laster à Marie Tudor et va s'occuper des adaptations filmiques du théâtre hugolien, et celle de Françoise Sylvos spécialiste de Nerval.

*Arnaud Laster propose d'inviter Michel Bernard à communiquer au groupe la teneur de son intéressant article "Les Misérables ou les ciseaux à froid" qui établit des rapprochements entre les diverses occurrences de l'outil dans les Misérables et au delà dans l'oeuvre de Hugo.

*A propos de Nerval, Jacques Seebacher s'interroge sur de troublantes observations dans le manuscrit de Bug Jargal. Dans le manuscrit donné à l'imprimeur pour la publication de 1825, l'un des typographes qui portent leur nom en marge de leur travail signe Gérard. Or il se livre à d'étonnantes variations calligraphiques sur son prénom. Nerval avait dix-huit ans à l'époque. Et le bruit court de son passage dans un atelier de composition. Ne serait-il pas l'auteur de ces signatures qui reflètent tant d'hésitation et de curiosité, chez l'ouvrier typographe, sur son identité? Cependant, Jacques Seebacher a interrogé sur ce point Frank Paul Bowman, auteur d'un Nerval à paraître, et ce dernier accorde peu de crédit à cette légende selon laquelle Nerval aurait travaillé pour un imprimeur.
Les annotations marginales sont déterminantes dans les manuscrits, surtout ceux de Hugo. Et il n'est pas indifférent de savoir que celles de Notre-Dame de Paris sont contemporaines de la rédaction du livre puisque chaque passage peut être daté et que la dernière date correspond au jour de remise du manuscrit: Hugo n'aurait pas eu matériellement le temps de revoir l'ensemble de l'oeuvre le jour où il la communiquait à ses éditeurs.

*Arnaud Laster qui a assisté à la représentation de Oh les beaux jours mis en scène par Peter Brook aux Bouffes du Nord, a pallié la mémoire plus que défaillante de Winnie tâchant de se rappeler ses classiques (p. 69, édition de Minuit), en restituant pour le groupe Hugo qui trouva ça si merveilleux, l'intégralité d'une citation de Victor Hugo, présente à l'état décomposé dans l'œuvre de Beckett. Il s'agit d'un extrait de Napoléon II dans les Chants du crépuscule:

Tout s'efface, tout se délie,
Le flot sur le flot se replie
Et la vague qui passe oublie
Léviathan comme Alcyon!

*Les prochaines séances du groupe Hugo seront consacrées aux exposés de :

Franck Laurent le 14 décembre, qui parlera des hésitations de la pensée de Hugo, avant l’exil, quant à la valeur des processus monarchiques ou impériaux de formation de l'identité nationale;

Arnaud Laster le 25 janvier: Variations sur une "Guitare". Le sens qui vient à travers la chanson.


Exposé de Jean-Marc Hovasse : « Verlaine et Hugo » (Voir texte ci-joint)


Discussion

De vifs applaudissements suivent l'exposé de Jean-Marc Hovasse où Guy Rosa et Jacques Seebacher s'accordent pour voir un modèle d'histoire littéraire.

Jacques Seebacher: La reconnaissance de Verlaine par rapport à Victor Hugo est-elle strictement liée au sens du devoir comme semble l'indiquer la citation que vous avez faite? Ne serait-elle pas plutôt liée à la sphère de l'intime?

Arnaud Laster: Oui, le biographique serait un médiateur de l'enthousiasme lié à l'œuvre.

Jacques Seebacher: L'attitude de Victor Hugo à l'égard de Verlaine en 1867 est à commenter. Il est important de noter la cohérence stratégique dont fait preuve Hugo à partir de 1864. Toutes ses activités, son oeuvre, sa vie familiale, son attitude politique, tiennent au respect de sa thèse -celle de Utilité du Beau mais d'autres textes aussi- selon laquelle le Beau civilise de lui-même. Ainsi Horace, misérable opportuniste en politique, mais qui, par la seule splendeur de son éloge larbinesque d'Auguste, se trouve source de Beau et de civilisation.
Il y a une façon hugolienne de lier le comportement personnel à une intelligence profonde du vrai. Hugo sait articuler la sphère de l'intime aux questions politiques. Son salon réunit des représentants ouvriers et des confrères de la Chambre des Pairs -acte politique fondateur. M. et Mme Hugo étaient aussi l'un des rares salons à accepter ensemble Théodore Leclerc et son conjoint M. de Sainte-Barbe. Il y fallait alors un certain courage, que l'on retrouve dans l'attitude de Hugo face à Verlaine aux prises avec la justice après son coup de feu contre Rimbaud. Hugo manifeste ainsi une présence paternelle, chaleureuse et virile à l'égard du jeune homme. On pourrait dire que cette homogénéité du comportement, qui ne fait pas volontairement le départ entre la sphère de l'intimité et les considérations politiques, manifeste une stratégie générale de l'œuvre hugolienne.
Cette position ne va pas sans risques de représailles. Le notable installé peut voir remise en cause sa légitimité de parole au nom des misérables par exemple. On a montré, il y a plusieurs années déjà, que Rimbaud, dans le poème "Le juste restait droit sur ses hanches solides… ne manifeste pas sa véhémente hostilité contre le Christ, comme le concluait une lecture rapide, mais bien contre Victor Hugo dont il accuse la propension de bourgeois à faire le populaire.

Arnaud Laster: Il n'est guère pensable que la question religieuse n'ait pas précipité la rupture avec Hugo. A la longue, les désaccords de fond étaient devenus trop profonds pour permettre à la relation amicale de perdurer. Je peux comprendre ce changement rapide que Verlaine opéra au travers de mon propre rapport à André Malraux, tout entier dominé par l'exécration politique. Verlaine ne peut aimer Hugo que quand il le comprend. L’incompréhension foncière est source de rejet -en bloc.

Jacques Seebacher: C'est pourtant Péguy et non Verlaine qui portera dans la ferveur catholique quelque chose de l'héritage stylistique de Hugo, un écho -et même plusieurs- de son souffle, de son éloquence.

Claude Millet: Pour en revenir à l’année 1867, il faudrait sans doute politiser plus nettement encore la rencontre entre Verlaine et Hugo. Si ce dernier choisit de distinguer Verlaine parmi les jeunes poètes, c'est peut-être parce qu'il était en relations avec ceux qui fourniront les gros bataillons des Communards - Louise Michel, par exemple, présente à son mariage avec Mathilde. Borel dit que Verlaine fréquente de façon régulière des hommes de gauche; fi est très probable que Hugo le savait. Verlaine lui-même a au nombre de ses projets poétiques un Aux morts de 1832 et 1834, évidemment engagé; fi ambitionne d'écrire les Vaincus après les Fêtes galantes.

Jean-Marc Hovasse: Peut-être, mais les signataires de la lettre à Victor Hugo étaient louis-philippards.

Jacques Seebacher: Ce n'est pas décisif Les orléanistes sont de fermes opposants à l'Empire et la participation de Hugo à l'édition de Paris-Guide ne se comprend pas sans le projet de faire se rejoindre la bourgeoisie orléaniste et ce qu'on appellerait maintenant les forces productives.

Claude Millet: Et, de fait, certains poèmes saturniens de Verlaine penchent plus du côté de Hugo que de Leconte de Lisle. César Borgia ou la Mort de Philippe II sont comme des variantes mélancoliques de la Légende des siècles. Un poème comme Effet de nuit fait penser au "Pendu" de Victor Hugo. C'est un poème à l'eau-forte. Peut-être d'ailleurs Verlaine connaissait-il les dessins de Hugo à travers l'album Chenay de 1862.

Jean-Marc Hovasse: Mais Verlaine ne fait jamais allusion aux dessins de Hugo.

Arnaud Laster: Dans Après trois ans, il y a, au delà des différences de forme que vous souligniez dans votre exposé, des références textuelles à la Tristesse d'Olympio

Claude Millet: L'enchaînement des dates 1789, 1830, 1867 opéré par Hugo relève de la manipulation flagrante. Et ses implications ne sont pas toutes pures. Il y a une sorte de provocation à l’œdipe dans le geste de ce vieux poète affirmant à la jeune génération que la révolution littéraire est depuis bien longtemps achevée.

Franck Laurent: Verlaine, d'après Borel, semble avoir combattu durant la Commune. Y a-t-il des carnets, des lettres qui le vérifient?

Jean-Marc Hovasse: Verlaine était si engagé que cela?

Claude Millet: Au reste, Hugo trouve finalement un complice dans cette entreprise de clôture de la « révolution du langage poétique ». Sous la Troisième République, Hugo et Leconte de Lisle se sont rapprochés-, Hugo appelle à voter pour Leconte de Lisle à l'Académie; ils appartenaient à la même génération.

Arnaud Laster: Rapprochement mesuré. Hugo note que Leconte de Lisle dit de lui qu'il eu bête comme l'Himalaya et ajoute que Leconte de Lisle n'a pas besoin d'une telle comparaison.

Delphine Gleizes


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