GROUPE HUGO

Université Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 16 décembre 1995

Présents: Carole Descamps, Jean-Marc Hovasse, Marguerite Delavalse, Stéphane Desvignes, Guy Rosa, Annie Ubersfeld, Valérie Presselin, David Charles, Josette Acher, Frank Laurent.

Excusés: Kevin Smith (de retour aux E.U.), Myriam Roman (bloquée dans sa petite ville de province et dont l'absence s'ajoutant au reste explique la brièveté de ce compte rendu).


Nouvelles: -Disney se propose d'adapter Notre-Dame de Paris (Hugo n'avait pas tort de demander le "domaine public payant"; quant au "droit moral"....)

- Un assez beau dessin de V. Hugo est en vitrine et en vente au 11, quai Malaquais, daté de 1875 à Guernesey (où Hugo se rendit effectivement cette année-là pour un voyage éclair).

- Rappel du beau texte d'Alain, "Hommage à Victor Hugo", daté du 15 juin 1935, publié dans Humanités, éditions du Méridien, 1946 -mais aussi (à vérifier) dans le numéro d'Europe de 1935 consacré à Hugo.
Extraits: "...le Sénat tout entier se levait à son entrée. Il n'alla point à cette gloire; ce fut cette gloire qui vint à lui. Ce serait une raison suffisante de défendre la République."
"...il s'essayait à l'état de prophète lorsqu'il y fut précipité."
"...Quant à la nécessité, qui est l'objet propre de l'intelligence, que voulez-vous qu'elle fasse? Elle descend. Celui qui se leste de nécessité, je le connais bien; devant les rêves généreux il commence par rire; bientôt il se mêle de haïr; il attend de frapper. Or nul à cela ne l'a condamné, nul dieu ni diable; c'est lui qui s'est condamné lui-même.[...]
Nous sommes tous pris dans un problème seulement moral. Car, pour celui qui veut premièrement être fort, il n'y a point d'autre espoir avouable à soi que de mourir. Tout le mal possible résulte de ne pas se fier. Soyez sûr que le monde des forces ne sait pas où il va; soyez sûr qu'il ne va nulle part. De la paix il s'arrangera, comme de la guerre. Le pilote ne change pas la mer."
"... Cette manière de dire nous manque. Ce qui m'intéresse, c'est que Victor Hugo ici ne demande pas mais commande; et je le suis avant de savoir où il va, comme lui-même va avant de savoir. A force d'être pris par ce poète et par d'autres, j'ai voulu savoir comment cela était possible, et j'ai trouvé que la poésie était en tout temps et pour n'importe qui la première pensée ou la première matière de la réflexion. Comme le poète le dit du poète:
"L'esprit, force et clarté, sort de sa voix sonore."
"...Le malheur est qu'il faut abréger [...]. Le mal, c'est l'abrégé, l'abrégé qui rend nos pensées infructueuses. L'abrégé, pourrait-on dire, est la philosophie des tyrans... Il en est de la règle de comprendre comme de la règle d'aimer: nous essayons une fois et nous avons trahi bien plus d'une fois. Tel est le sens que je trouve finalement à ces poèmes immenses; il n'en fallait sans doute pas moins pour nous apaiser. Nous sommes ainsi bâtis que le moindre éclair de vertu nous met en colère. Et nous demandons d'où vient la guerre, d'où vient le tyran, d'où vient le crime! De ce que nous sommes prosaïques et pressés. L'alexandrin est le vrai pas de l'homme."


Exposé de Jean-Marc Hovasse: "L'invention du XIX° siècle dans les recueils posthumes de Victor Hugo" (voir texte joint).


La discussion, pour l'essentiel, s'étonne de l'écart, à première vue du moins, entre ces poèmes et les textes en prose (mais La Légende des siècles aussi) où l'originalité épiphanique du siècle et sa mission historique semblent mieux défendues : n'est-ce pas le fait de poèmes isolés, plus ou moins inachevés et rejetés par Hugo de son oeuvre publiée? Ils datent, pour beaucoup, du Second Empire auquel les livres publiés ne permettent pas de mettre en cause à lui seul -il y faudra la Commune- le renouvellement de l'Histoire par la Révolution.

Frank Laurent note l'intéressant chassé-croisé, dans les années 30, entre les "romantiques" qui trouvent dans l'art le lieu de l'innovation séculaire (c'est l'une des idées constantes de Hugo) par opposition aux termes caducs du débat politique et les "libéraux", eux-mêmes classiques mais qui accusent le romantisme de passéisme et ne trouvent de promesse d'avenir que dans le champ du politique.

On soulève enfin plusieurs questions qu'il appartiendra aux autres exposés d'explorer: celle de l'assignation de l'origine du siècle (la Révolution? Napoléon? 1815?); celle d'une qualification du siècle par retournement rétrospectif ("ce siècle sera..."), d'autant plus surprenant qu'il est surtout fréquent au début du siècle; celle d'une évolution de l'appréhension du siècle (plus sûre et plus optimiste au début qu'à la fin) et, particulièrement, de l'intuition d'une coupure vers le milieu du siècle; celle de la prégnance des modèles anthropomorphiques (jeunesse, maturité, déclin du siècle).

En post scriptum, je profite du délai de ce compte rendu pour attirer l'attention sur la façon dont un projet de préface pour Dieu trouve moyen d'historiciser la question divine: "Ce sera une des grandeurs de ce grand XIX° siècle d'avoir posé, dans une sorte d'immense débat public et libre, avec toute latitude laissée à la négation comme à l'affirmation, en dehors et au-dessus des religions, la question suprême: Dieu." (Chantiers, p. 360)

La prochaine séance, le 27 janvier, entendra l'exposé de Jean-Claude Fizaine sur le XIX° siècle dans Napoléon le Petit, Histoire d'un crime et les textes connexes.

Joyeux Noël et bonne année!

Guy Rosa


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