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Séance du 17 décembre 1994

Présents : Valérie Papier, Jim Phillips, Guy Rosa, Delphine Gleizes, Christine Cadet, Arnaud Laster, Cécile Bénard, Cécile Laplassotte, Jean-Marc Hovasse, Pierre Laforgue, Florence Naugrette, Anne Ubersfeld, Valérie Presselin Claude Millet, Franck Laurent Josette Acher, Véronique Dufief, David Charles, Ludmila Wurtz, Marguerite Delavalse, Myriam Roman.


Informations

Présentations : Cécile Bénard travaille sur l'amplification; Christine Cadet écrit une thèse sur "Le Moi et le gouffre".

Publications :

Jean-Marc Hovasse vient de publier un livre intitulé Victor Hugo chez les Belges, Bruxelles, Le Cri édition, 1994.

Françoise Chenet va publier chez Nizet (sans doute en janvier-février) un ouvrage sur l'espace dans Les Misérables : Les Misérables ou "l'espace sans fond".

Véronique Dufief nous signale un article de Maria Assad sur Victor Hugo à paraître dans un recueil intitulé La Littérature et la théorie du chaos, T L E (Théorie, littérature, Enseignement), Paris VIII.

Guy Rosa signale, dans la revue de l'Université de Toulouse, Littératures, un article très intéressant de Claude Gély sur les jardins des Feuillantines.

Les communications des deux colloques sur Les Misérables, le recueil Nommer l'innommable et le livre de Pierre Laforgue sont sortis en librairie.

Les Misérables au cinéma :
Pour le numéro de L'Avant-Scène consacré au découpage des Misérables de Marcel Bluwal, Arnaud Laster a établi une filmographie revue, corrigée et augmentée des Misérables au cinéma. En feuilletant le programme du centre Pompidou, A. Laster a trouvé un titre curieux, Gossette, film de Germaine Dulac, 1923, dont il n'a pas pu savoir le contenu. Même si le film na aucun rapport avec le roman de Hugo, on peut se demander si "Cosette" ne viendrait pas de "gossette", "petite gosse".
A. Laster nous signale que trois adaptations des Misérables sont en chantier :
-Celle de Lelouch, Les Misérables au XXème siècle, avec Jean-Paul Bemondo, qui commence à la guerre de 14
-Celle de Polanski, avec Depardieu
-Un téléfilm américain, Cosette, où avec l'argent de sa dot, Cosette fonde un journal (sic). Si elle s'attaque à Thénardier devenu négrier, A. Laster ne cache pas son impatience !

Spectacles :

A. Ubersfeld nous incite vivement à aller voir l'adaptation de Notre-Dame de Paris par une troupe provençale : Le Théâtre du Kronope qui joue à Herblay, entre Paris et Pontoise (95). Tél : 39.97.40.30.

Pierre Debauche mettra en scène Ruy Blas, au Théâtre de La Métaphore, à Lille, au mois de mai.

Nouvelles :

Guy Rosa a reçu une lettre du Dr Patricia Mines, d'Aberystwyth, qui vient de soutenir son doctorat sur "La représentation du mal dans les derniers romans de Victor Hugo".

G. Rosa nous communique également la lettre qu'il a reçue de Mme Chenet où elle expose ses dernières découvertes quant au prénom de Cosette : Euphrasie a pour doublet euphraise qui vient d'euphrasia, petite plante sauvage qui soigne les écrouelles. Saint-Euphraise est un village de la Brie Champenoise non loin de Faverolles et donc non loin de Reims. Or il apparaît que dans Les Misérables :
-il y a un réseau plantes médicinales, fleurs sauvages
-un rapport étroit avec Reims (le "creux" du texte serait le sacre)
-enfin il y a un lien possible entre Faveroffes, Sainte-Euphraise et les religieuses du Val-de-Grâce qui possédaient une partie de la seigneurie de Sarcy dont auraient pu dépendre Faverolles et / ou Sainte Euphrasie. Faut-il penser que Hugo savait tout cela ? En tout cas, ce qu'il dit de Faverolles est exact. Cela n'empêche pas une surmotivation symbolique et personnelle. Mme Chenet ajoute que Blaru semblerait être un lieu-dit de la région et qu'il y a un Blaru près de Vernon. Elle termine sa lettre par deux questions: Pourquoi Léonie Biard a-t-elle choisi ce nom de plume ? Pourquoi le fonds Blaru n'apparaît-il qu'à la reprise des Misérables en 1861 ?

Pour Anne Ubersfeld, "Blaru" apparaît seulement à la reprise des Misérables à cause de la mauvaise conscience de Hugo, comme un souvenir qui ressurgirait. Il n'apparaît pas dans Les Misères, car à cette date Hugo est encore avec Léonie Biard.

Arnaud Laster, cherchant l'origine du pseudonyme de Léonie Biard, trouve dans le Larousse un certain Blarru, né à Paris, en Lorraine. Frappé de cécité pendant sa vieillesse et passionné &oiseaux. Versé dans le droit civil et le droit canon. A écrit La Nancéide, poème qui l'a fait passer à la postérité. Comparé à Virgile et à Homère par ses contemporains.

Le cochléaria des Guillons (suite) : Le groupe Hubert de Phalèse a effectué une recherche sur ces deux mots, dont Arnaud Laster nous communique les principaux résultats:
-le mot "cochléaria" est employé par Bernardin de Saint-Pierre (Études de la nature)
-le mot "Guillon" apparaît 1.dans Les Mémoires d'Outre-tombe (t. 2. 1848. p. 95. 2ème partie, livre 2), à propos de l'abbé Guillon qui, selon Chateaubriand, se vante d'être l'auteur du discours de Robespierre à l'Être Suprême. 2.chez Michelet dans son Journal.
Guillon est aussi un journaliste à La Démocratie.

Arnaud Laster voudrait faire quelques remarques sur le dernier numéro de Romantisme. Il s'interroge d'une part sur l'opportunité de la présence du dernier article dont le ton tranche avec les autres textes du recueil. Il souhaiterait d'autre part rappeler qu'il n'a pas, pour sa part, protesté auprès du Ministère contre la coupure des Misérables pour l'agrégation, étant donné qu'il n'est pas convaincu de la pertinence de l'agrégation dans son principe actuel. Enfin, il rappelle que le Groupe Hugo est un Groupe de recherches inter-universitaire et s'oppose à ce qu'on l'abrège en "Groupe Hugo de Paris VII".

Les quatre soutenances de thèse hugoliennes se sont parfaitement déroulées et nous félicitons nos jeunes et brillants docteurs ! Guy Rosa constate toutefois avec peut-être un peu de tristesse qu'il n'a su insuffler suffisamment de passion aux hugoliens du Groupe pour qu'ils assistent aux soutenances.
A. Ubersfeld pense que la fatigue de la fin de trimestre a été pour beaucoup dans la désaffection du public. Ainsi que les impératifs de l'emploi du temps et des empêchements matériels, ajoute Arnaud Laster.

A noter, la brillante communication de David Charles au colloque "Écrire-Savoir" de Saint- Étienne, sur l'épistémologie dans L'Âne.

Modifications de calendrier :

Frédérique Remandet viendra le 20 mai nous parler sur "Hugo et les Institutions"

Le 21 janvier Véronique Dufief et Ludmila Wurtz nous exposeront l'essentiel de leurs thèses respectives et discuteront des prolongements possibles de leurs recherches.


Communication de Franck Laurent : L'Europe impériale et la question du centre dans l'œuvre de Victor Hugo. 1827-1848. L'Urbs et l'Orbs. (voir texte joint)


applaudissements) "Nous sténographions de notre mieux le dialogue qui s'engagea." (II, 8, 3)

Discussion

Guy Rosa : Tu as utilisé un historien actuel sur l'Empire romain; je me demande dans quelle mesure il n y a pas là un problème de méthode. Ne faudrait-il pas avoir recours à un historien contemporain de Hugo ?
F. Laurent : en effet il aurait fallu justifier ce choix. Toutefois, à l'époque, le modèle impérial romain, l'idée de la duplication de I'Urbs à l'Orbs, sont largement répandus.

G. Rosa : à partir de quand et pour quelle raison l4Empire Romain a-t-il été tant dévalorisé ?
F. Laurent : à partIr de la République. Auparavant, l'Empire romain est perçu comme ambivalent (par Guizot, Michelet). L'Empire à ses débuts apparaît comme un modèle de civilisation, ayant créé l'Europe et le motif est repris même par des nationalistes comme Michelet. En revanche, la fin de l'Empire et les grandes invasions représentent comme une période sombre : l'Empire décline pour des raisons économiques et sociales; le système de l'esclavage, par exemple, n'est pas viable.
Claude Millet : Le Moyen-Age de Michelet montre bien cet appauvrissement de l'Empire par le prélèvement des impôts et un système étatico-militaire.
F. Laurent : L'Empire est dévalorisé et représente alors un système tyrannique.
Anne Ubersfeld : Cette ambivalence existe déjà chez Montesquieu, et Michelet se situe à cet égard dans le prolongement de sa pensée.
L'exposé de F. Laurent montre qu'une vraie question s'est posée à Hugo, qu'il n'a pu résoudre, celle des liens entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel. Et ce débat complique de manière très intéressante l'idée d'un Hugo anticlérical.
F. Laurent : l'intérêt que Hugo porte à la Papauté tient à son intérêt pour l'Empire, pour l'idée d'une unité, d'une ville, d'un État qui rayonne sur l'ensemble de la civilisation. La Papauté est le seul reste de l'idée d'une unité spirituelle de l'Europe. Et cette idée apparaît très tôt chez Hugo, dès 1825 dans le Voyage aux Alpes.
Cl. Millet : Où places-tu le monologue de Don Carlos dans Hernani, et le rapport Don Carlos / Charles Quint au Pape ?
F. Laurent : C'est la question du césaro-papisme, ce modèle idéal où le Pape et I'Empereur, les deux moitiés de Dieu, ne feraient qu'un et incarneraient la vraie légitimité de droit divin. Mais ce modèle n'a jamais existé dans les faits, et c'est ce que Hugo montre dans son théâtre. Le césaro-papisme s'effondre dans Hernani, d'autant plus que le vrai fond de l'histoire, c'est le "peuple océan".
A. Ubersfeld : Il y a là un problème d'arithmétique : poser le Un contre la multiplicité des rois est a priori bénéfique, mais ce Un se compose en fait de Deux, d'où la dégénérescence en tyrannie, d'où le recours à un néant qui a l'avantage de donner à l'Un le sentiment de sa vanité.
F. Laurent : La question de l'articulation entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel revient en effet sans cesse chez Hugo. Le passage à la réalité politique pose problème.
Arnaud Laster : Prends-tu en considération La Vision de Dante, qui permettrait de mettre en perspective l'ensemble de l'œuvre hugolienne et toute son évolution politique ?
F. Laurent : Non, car je m'en suis tenu à Hugo jusqu'en 1848. La plupart des propos de Hugo à cette époque ne sont plus tenables par Hugo républicain, mais ne sont pas non plus en discontinuité totale avec ses positions républicaines ultérieures. Il est intéressant d'observer les éléments en tension dans la pensée de Hugo de 1827 à 1848 : ainsi, l'Empire est une architecture, mais l'Empereur apparaît souvent comme une figure de nomade.
A. Laster : Oui, mais Hugo ne peut être compris que si l'on tient compte de l'ensemble de son évolution.
F. Laurent : En effet, toutefois la complexité de Hugo n'est pas seulement diachronique. Chaque œuvre porte en elle toute une série de tensions qui servent de dynamique à cette évolution.

G.Rosa : Tu opposes le système impérial aux nations, mais la caractéristique de l'Empire, c'est d'accepter les nations.
F. Laurent : au niveau local seulement, dans le partage des tâches, mais l'État se définit comme une entité supranationale.
G. Rosa : Il faut alors distinguer nation et nation-État. L'intérêt de l'Empire est de laisser subsister les nations, et c'est peut-être un des intérêts que Hugo lui trouve.
F. Laurent : Cependant quand Hugo parle de l'Empire, cette thématique n'apparaît pas, alors qu'elle apparaît chez Michelet par exemple.
G. Rosa : Ce n'est pas l'existence de la nation qui s'oppose à l'Empire, mais celle de l'État-nation.
F. Laurent : A l'époque, l'idée d'une nation sans État n'a plus cours. Les Roumains, les Tchèques, les Hongrois veulent un État souverain pour chaque nation.
G. Rosa : L'unité austro-hongroise ne se fait pas tant contre l'Empire que contre les principautés, les monarchies. C'est très net dans La Chartreuse de Parme. L'Autriche est loin.
F. Laurent : Les grandes mobilisations au contraire, se font contre les Autrichiens. L'Unité de l'Allemagne se fait ainsi contre l'Autriche.
G. Rosa : mais aussi contre les monarchies locales.
F. Laurent : Oui, mais le problème est ici sensiblement différent car il n'y a pas d'Empire en Allemagne.
G. Rosa : Il y a l'Autriche. Il me semble que le système impérial n'est pas un système unifié, que la citoyenneté romaine n'était réservée qu'à un petit nombre.
F. Laurent : à partir de 212, tout le monde est citoyen romain; il est vrai que nous sommes dans le Bas-Empire.
G. Rosa : On peut se demander en effet à quel Empire Hugo fait référence.
A. Ubersfeld : Le modèle que Hugo a sous les yeux est l'exemple dévalorisant de l'Empire Austro-hongrois.
G. Rosa : N'est-ce pas plutôt l'Empire Ottoman qui est le grand modèle ? Si le modèle impérial était si dévalorisé que cela, pourquoi Hugo se poserait-il la question ?
A. Ubersfeld : Parce que c'est un rêve. L'Empire est un modèle idéal, mais les réalités impériales au XIXème sont largement décevantes.
G. Rosa : Les modèles d'Empire sont pourtant nombreux : Alexandre, Rome, l'Empire Russe, l'Empire Ottoman. La France et l'Angleterre sont les seules monarchies.
F. Laurent : Mais on pense que les formes impériales sont à part, monstrueuses. c'est le cas de Quinet, Michelet ou Guizot.
G. Rosa : Mais l'Angleterre, par exemple, possède un Empire colonial.
F. Laurent : C'est bien tout le problème. La fin du Rhin montre que sont ennemis de la civilisation les régimes qui se constituent en Empires impérialistes au sens marxiste du terme. Le Rhin présente une tentative de Hugo pour penser une Europe non impériale, unie autour d'un fleuve et de deux centres, la France et l'Allemagne.
G. Rosa : Il y a eu un Empire français, républicain. On peut penser aussi à l'Empire américain. En revanche un Empire monarchique est impensable.
F. Laurent : L'Empereur est pourtant une forme de monarque.
G. Rosa : Ce n'est pas évident du tout. l'Empire se caractérise par deux facteurs : d'une part, c'est une organisation politique d'état entre l'empereur et ses sujets, d'autre part, c'est un mode d'organisation d'entités diverses. L'Empire n'est pas une grande monarchie.
F. Laurent : Si Napoléon ne prend pas le titre de Roi, c'est en référence à l'histoire romaine : la République avait succédé à des Rois décadents. Les Rois sont dévalorisés, si bien que l'on ne peut reprendre le nom de "rex"; celui d'"imperator" est préférable. Si l'héritier de Napoléon se nomme "Roi de Rome", c'est encore en référence à la tradition de l'Empire romain. La référence à Rome fonde toujours la réalité dun prestige impérial.
A. Laster : Cela prouve qu'il n'y a pas de contradiction entre l'Empire et la Monarchie.
G. Rosa : L'Empereur n'est pourtant pas un monarque. Cromwell est un Empereur républicain, qui, passant à la monarchie, perd sa nature d'Empereur.
A. Ubersfeld : La catastrophe au XIXème est que les Empires sont vécus comme des monarchies tyranniques et décadentes. La révolte hongroise de 1848 constitue un choc. L'Empire, qui pouvait apparaître comme un modèle positif de système fédératif, perd sa crédibilité. L'Empire devient un passé mythique et utopique; quant aux réalités impériales du XIXème, elles ne sont plus des Empires, mais des grosses monarchies.
G. Rosa : Qu'en est-il du Reich ?
F. Laurent : Les historiens allemands ont créé de toutes pièces l'idée de Saint Empire Romain Germanique. L'unité fédérale de l'Allemagne se fait autour de la Prusse : les autres monarques restent rois mais laissent leur souveraineté à l'Empereur.
Josette Acher : Dans L'Ode à la colonne, Hugo utilise l'idée d'Empire, mais pour promouvoir l'idée de nation; Hugo s'élève contre les étrangers.
F. Laurent : C'est ce qu'on pourrait appeler la "tendance Béranger" : utiliser Napoléon comme parangon de la nation française. Louis-Philippe fera de même. L'utilisation classique de Napoléon au XIXème est une utilisation nationaliste. Mais Hugo ne s'en tient pas à ce point de vue et s'intéresse aussi à l'organisation de l'Europe par Napoléon.
Les mots d'Empire, de monarchie, ne sont pas des concepts. Dans notre tradition, parler d'Empire, c'est réaffirmer la liaison avec Rome.
A. Laster : "Le passé n'est beau ainsi, qu'en ruines"; un passage des Misérables fait écho à cette notation sur les ruines de Vianden: II, 7, 3 "A queue condition on peut respecter le passé". A condition "qu'il consente à être mort." C'est dans "Parenthèse", livre qui contient autant d'anticléricalisme que de respect pour la prière.

Guy Rosa aurait bien continué ce débat passionnant mais nos estomacs crient famine...

-Ah çà, mômes, avons-nous dîné ?
-Monsieur, répondit l'aîné, nous n'avons pas mangé depuis tantôt ce matin.

 Myriam Roman


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