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Séance du 26 septembre 1992

Présents : Guy Rosa, David Charles, Bernard Leuilliot, Jean-Claude Nabet, Corinne Chuat, Hélène Labbe, Lorène Bergeron, Jean-Claude Fizaine, Josette Acher, Salima Haddad, Franck Laurent, Véronique Dufief, Sarah Emmerich, Marguerite Delavalse, Ludmila Wurtz.


Calendrier:

17 octobre - 21 novembre - 12 décembre - 16 janvier - 20 février - 20 mars - 10 avril - 15 mai - 19

juin.

G. Rosa propose de travailler cette année sur le thème du Beau, et de garder le Bien pour l'année prochaine. Thème vaste, certes, mais susceptible de donner des idées à ceux qui n'en auraient pas encore. (Murmures approbateurs) Quelqu'un, suggère J.-C. Fizaine, pourrait se charger d'un travail ingrat, mais nécessaire: défricher le sujet, dégager de grands chapitres, faire une mise au point sur les thèses méconnues ou oubliées...

Octobre:

C. Porcq poursuit son travail sur Hugo et la folie pour la séance du 17 octobre; il centrera davantage son propos sur Hugo lui-même: Hugo clinicien devant Villemain, Lecomte et Henry, la continuité du songe effaré avec la déraison, la description hugolienne des états "subliminaux", la folie d'Adèle, seront les points qu'il abordera.

Novembre - décembre:

B. Abraham envisage de prendre la parole; le sujet de sa communication reste à déterminer.

Janvier - février:

C. Millet propose un exposé sur "Fond et forme". F. Laurent, lui, souhaiterait parler de "l'Empire" ou du "Voile européen". Apprenant qu'il a également travaillé sur Victor Cousin (aspect politique, théorie du "grand homme" ...), G. Rosa lui suggère de faire une seconde communication à ce sujet.

Mars - avril:

L'un des étudiants de J.-C. Fizaine à Montpellier pourrait, après la soutenance de sa thèse, faire une communication sur "Le romantisme en politique d'après L'Evénement" ou, puisque le thème adopté cette année est le Beau, sur "L'esthétique de l'Evénement"... J.-C. Fizaine, pour sa part, souhaiterait parler du "Problème Théophile Gautier / Hugo".

C. Chuat, qui a participé à une édition du Voyage dans les Pyrénées, propose un exposé sur "Les goûts de Hugo touriste". Son travail rencontre celui de N. Savy, dont le livre, Victor Hugo voyageur de l'Europe, devrait paraître vers Pâques et pourrait également faire l'objet d'une communication.

Mai - juin:

B. Leuilliot propose une communication sur "Le Beau et la Science" où il analyserait leur rapport contradictoire.

P. Georgel présenterait, lui, son travail sur le maniement des limites - du cadre - dans les dessins de Hugo.

G. Rosa rappelle un projet abandonné provisoirement devant l'ampleur des tâches matérielles: la constitution d'un catalogue complet des exposés du Groupe Hugo, qui permettrait à chacun de se procurer les exposés passés. Il pose également la question de la création éventuelle d'une Année hugolienne, comme il y a une Année balzacienne. Plusieurs solutions sont envisageables: trouver un éditeur qui collecte des subventions auprès du CNL et des universités; faire une publication restreinte et ciblée qui prendrait pour modèle les méthodes de travail des scientifiques: à savoir, une pré-publication destinée exclusivement à quelques personnes compétentes, suivie, quelques années plus tard, d'une publication dans une revue savante prestigieuse; ou, enfin, réunir plusieurs anciennes communications et en faire un numéro dans l'une des collections annexes de la revue de STD, Textuel. Le vrai problème reste de trouver quelqu'un qui accepte de s'en occuper...

 

Informations

J.-C. Angrand, qui demande que l'achèvement de son mémoire de DEA - l'accueil de la presse aux Misérables - lui soit une excuse de son absence, annonce une large présence de Hugo dans le programme des publications prochaines des PUF. Outre le Hugo, le calcul des profondeurs de Seebacher, il faut signaler: le livre d'Alain Pessin, Le mythe du peuple au XIXème siècle, dont le chapitre 3 est intitulé "Victor Hugo et le peuple écolier" et, dans la collection "Ecriture" dirigée par Béatrice Didier, un ouvrage de Francis Claudon: La musique des romantiques, dont plusieurs chapitres ou séquences concernent directement Hugo: "Drame romantique et grand opéra", "L'adhésion mondaine: V. Hugo officiel", "Vers le goût allemand: Hugo en privé", "Hugo juge Olympio", "Réversibilité de la métaphore hugolienne".

 

Frank Wilhelm enrichit une nouvelle fois notre chronique des activités hugoliennes avec l'annonce d'une part de la soutenance de sa thèse en Sorbonne et d'autre part de la publication, dans les Cahiers luxembourgeois, d'un article qui, partant du compte-rendu du livre de MM. Pouchain et Sabourin sur Juliette, ajoute de nouvelles informations concernant le séjour de 1871 au Luxembourg.


Communication de Guy Rosa  : «Victor Hugo et la République universelle»  (voir texte joint)


Discussion

F. Laurent: avant 1848, et même avant 1830, il y a une période où Hugo s'approche d'un républicanisme autre que de paroles. Ce n'est qu'après les Chants du crépuscule qu'on constate un reflux: les poèmes de 1835 sont marqués de ce retrait. Qu'on songe, en effet, à la phrase de Hugo dans le Journal révolutionnaire de 1830, reprise dans Victor Hugo raconté: "La République proclamée par la France en Europe sera la couronne de nos cheveux blancs." Ce républicanisme n'est pas seulement lié à une exigence d'universalité. Qu'on me permette, pour m'expliquer, de faire un détour: la légitimité de l'Empire résida longtemps pour Hugo dans la vastitude de son territoire, certes, mais pas uniquement; le personnage de l'empereur dans l'œuvre de Hugo, qui réfère toujours obliquement à Napoléon, est un personnage sans hérédité, sans passé ni futur. L'empereur est celui qui échappe au droit divin: ni la tradition, manifestation d'un droit divin ancré dans le passé, ni l'hérédité, qui est la perpétuation du droit divin dans l'avenir, ne lui donnent sa légitimité. L'empereur usurpe le pouvoir ou y accède par un moyen autre qu'héréditaire: Don Carlos revendique comme titre à l'empire sa qualité de "bourgeois de Gand". La fascination de Hugo pour l'absence d'hérédité de l'Empire a son fondement dans la recherche du jeune Hugo d'une solution au problème de la légitimité du pouvoir. Le pouvoir des rois n'est, pour lui, plus légitime. Que reste- t-il? Hugo élabore sa propre "formule libérale": la légitimité réside dans la raison, dans l'esprit, d'où le personnage récurrent du "penseur". Mais, vers 1830, la république lui semble instituer un pouvoir "dilué" qui le séduit: la place du pouvoir est vide, elle n'est plus occupée par une dynastie ni par un grand homme. C'est pour cela que Hugo y adhère à cette époque.

 

D'autre part, poursuit F. Laurent, la civilisation est l'une des formes que prend la légitimité. Cela se cristallise avec Le Rhin, où la civilisation est représentée comme la circulation des personnes et des marchandises, dans une apologie libérale et bourgeoise du commerce. Mais, en même temps, Le Rhin ironise sur la "marchandisation" générale du monde. on voit le tombeau de Charlemagne pour trois sous! Il y a un écart entre le propos rassurant, louis-philippard, et "autre chose", qui le contredit.

B. Leuilliot cite la phrase de Hugo dans Paris Guide: "C'est un oui qui dit non."

G. Rosa estime que ce que dit F. Laurent de la civilisation va dans son sens. L'adhésion de Hugo à l'idéologie libérale n'est pas sérieuse, c'est une commodité.

B. Leuilliot: Dans Pleine mer et Plein ciel, les abîmes où sombre le Léviathan de la civilisation et ceux où s'enfoncent les aéronefs de l'avenir constituent un espace homogène, il n'apparaît entre eux aucun écart temporel, aucune chronologie du progrès.

F.Laurent: dans les années 40, on peut constater chez Hugo une volonté de mettre l'horreur sociale à distance: la civilisation va tout arranger. Du coup, il n'est même plus nécessaire de parler de ce monstrueux social - qui, pourtant, fait retour de temps en temps. Hugo, en effet, est à la recherche, à cette époque, du "grand" historique; or, il a sous les yeux l'horreur du peuple en travail, qui ne peut manquer de s'imposer régulièrement à lui, et cela de manière à invalider définitivement toutes les autres formes possibles de la grandeur. Qu'on se réfère à l'épisode de Heidelberg dans Le Rhin: toutes les formes de grandeur y sont, militaire, historique... Pourtant, en digression, Hugo descend dans une cave, y trouve un tonneau à vin. Derrière le tonneau se dresse, intacte, la statue peinte du fou d'un comte palatin du XVIIIème siècle: Hugo décrit la haine du bouffon derrière la grimace et conclut en disant que le bouffon fait peur, qu'il semble railler Charlemagne, qu'il faut le fuir. La vraie grandeur historique du moment fait peur à Hugo, qui essaie de la cacher, de la recouvrir. L'universalité ne prendra sa pleine dimension que quand elle pourra être reliée à l'universalité des misérables.

 

B. Leuilliot: Hugo est toujours resté plus ou moins ultra. Son idée d'une République universelle qui ne peut relever que d'un droit naturel renvoie à la critique ultra (celle de Bonald par exemple) des "prétentions" révolutionnaires à légiférer la république. La thèse de Hugo rejoint la critique contre-révolutionnaire: la république ne se "décrète" pas. De même, la départementalisation est une limitation de l'espace "décrétée", alors que l'espace impérial est illimité. Hugo lui oppose le modèle de la commune. Mais, derrière la commune, se dessine l'image de la seule unité politique viable aux yeux des contre-révolutionnaires: la cellule familiale. C'est du Bonald pur! D'ailleurs, Hugo ne dit-il pas lui-même dans Réponse à un acte d'accusation: "je n'ai pas changé, j'ai songé"?

B. Leuilliot profite de l'occasion pour rectifier une erreur d'un précédent compte-rendu: c'est Renouvier qui est à l'origine d'un projet de loi sur le régime communal, et Hugo en fait mention dans Napoléon-le-Petit, seul endroit où il propose ce qui ressemble le plus à un "programme" politique.

F. Laurent souligne la polyvalence de l'image de la commune: il s'agit aussi d'une tradition révolutionnaire, d'une référence à la démocratie directe. Mais il est vrai, reconnaît F. Laurent, que le triangle familial n'est pas instauré par une loi: naturalisme et socialisme se mêlent. Il est possible que ce soit ce que Hugo prend ou comprend de Rousseau.

La fascination de Hugo pour les frontières naturelles n'est pas sans rapport avec ce refus de décréter, de légiférer: il y a là l'idée de nations naturelles, délimitées par Dieu.

B. Leuilliot: dans les éditions originales des discours du début de l'exil, il y a des appels de Hugo à la république "démoc.- soc." Ce n'est que dans un second temps que la référence démoc.- soc. disparaît. Hugo a eu des prises de position partisanes, ce qui n'est pas anodin à l'époque. Ce n'est qu'après qu'il parle de république universelle.

J. Acher: le droit naturel vient du bas, du peuple, du suffrage universel - pas de Dieu. A condition, répond B. Leuilliot, que ce soit dans le cadre d'une démocratie directe, donc au sein d'unités naturelles. Hugo est réticent à toute loi, à toute création artificielle.

 

Pour J.-C. Fizaine, l'interprétation que donne Hugo des événements d'octobre 49 manifeste une contradiction entre la logique républicaine et la logique impériale. Hugo est en proie à une incertitude constitutionnelle qui le fait croire encore à l'Empire. Quand il proclame, dans La Pitié suprême, la mise hors-la-loi de tout homme qui en commande un autre, il "omet" de citer Napoléon. Pour lui, l'empereur est, directement, serviteur de l'idée: aussi ne rentre-t-il pas en contradiction avec le principe républicain. Cette dialectique explique l'évolution de Hugo. Sa pensée politique est marquée par une instabilité permanente, due à une dénégation permanente, en travail. On trouve de façon récurrente, sous la plume de Hugo, des formules comme: "la République, ce n'est pas... c'est...". Il y a chez Hugo une pensée de l'enracinement, de la nature, même si le mot "race" n'apparaît jamais; cette pensée fait l'objet et d'une dénégation et d'une sublimation. Or, dans "nature", il y a "nation": aussi la nation est-elle absente à l'issue du travail de dénégation. Ce phénomène culmine dans l'image de la Vendée dans Quatrevingt-treize. Il y a une tension dans la pensée de Hugo, due au travail constant qu'il est obligé de faire sur lui-même. Le cosmopolitisme n'est pas possible au XIXème siècle à cause de la lourdeur de l'enracinement dans la nature, dans la terre nationale. Cet enracinement, sa lourdeur, Hugo les brûle, les sublime ou les nie - mais il ne les ignore pas. Il y a, au XIXème, une tradition qui pense le progrès de l'humanité comme arrachement au déterminisme du sol, de la race. Peut-être Hugo fait-il partie de ce courant, mais avec une conscience particulièrement forte de la lourdeur de l'enracinement national. C'est une pensée qui va dans le sublime.

G. Rosa: chez Hugo, en effet, la pensée de l'universalité n'est pas abstraite, mais idéale. Chaque grande réalité a pour lui son "assomption": celle de la France est sa transformation en universel. Pourtant, ce n'est pas Hugo qui brûle, sublime et nie pour résoudre des contradictions personnelles, c'est le mouvement même de l'histoire.

J.-C. Fizaine: pour Hugo, il y a une tension entre la gestion d'un espace, d'intérêts immédiats, et le service d'une idée. Tout gouvernement a un travail double: gérer ce qui est et travailler à sa transformation, donc à sa mort. Cette dialectique explique le tragique de la vision de l'histoire de Hugo après 1870.

B. Leuilliot. on trouve un bel exemple de dénégation dans Le Rhin, dont l'un des chapitres s'intitule: "Ce que l'auteur n'a pas vu".

G. Rosa remarque, pour conclure, que la conception du je de Hugo est à la base de la logique impériale. Un empereur, c'est un je qui se réalise historiquement. S'il n'y a pas d'autre légitimité que celle du je, l'empereur est légitime. D'autant plus, ajoute F. Laurent, que l'empereur prouve qu'on peut agir sur l'histoire.

 Ludmila Wurtz


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