GROUPE HUGO

Université Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 29 septembre 1990

Présents: Claude Millet, Jean-Claude Nabet, Bernard Leuilliot, Pierre Laforgue, Agnès Spiquel, Emmanuel Pestourie, Ludmilla Wurtz, Véronique Dufief, Christian Porcq, Annie Ubersfeld, Jean Delabroy, Guy Rosa, Franck Laurent, David Charles, Pierre Georgel, Florence Naugrette, Camille Aubaud, Josette Acher. Excusés et regrettés: Jacques Seebacher, Arnaud Laster.


Présentations: (des "nouveaux" et par ordre alphabétique) David Charles, que l'on a déjà entrevu au groupe, vient d'achever son DEA (Les Travailleurs de la mer entre progrès et bricolage - Images de la machine dans un roman de Victor Hugo); il est maintenant allocataire de recherche dans l'équipe "Textes et civilisation du XIX[ siècle -Groupe Hugo" et commence une thèse consacrée à la technologie (la technique, la machine, plus généralement la production de la vie matérielle) chez Hugo. Franck Laurent, lui aussi déjà entrevu, soutiendra à la page suivante son DEA sur Shakespeare en France pendant la Restauration et, cela fait, entreprendra une thèse sur l'idée européenne chez V.H. -à moins qu'il ne choisisse un autre sujet. Christian Porcq, docteur en médecine et psychiatre, vient de soutenir sa thèse de médecine psychiatrique sur les aspects de la folie chez Jules Verne. L'importance chez Verne des références à Hugo -dont il nous parlera un jour- l'a conduit vers ce dernier; il envisage de commencer une thèse, de lettres cette fois, sous l'intitulé: "Hugo et la déraison". Ludmilla Wurtz, agrégation passée, entreprend, dans le confort matériel et l'inquiétude spirituelle propre aux normaliens, un DEA-thèse: "Les interlocuteurs de la poésie hugolienne" (qui prend la parole? adressée à qui? et tout ce qui s'ensuit).
On peut noter au passage que la nouvelle perspective prise sur Hugo, telle qu'elle apparaît dans les sujets des thèses entreprises, privilégie plus d'une fois les questions épistémologiques. Hugo philosophe ou "penseur", cela était familier; Hugo épistémologue, cela semble neuf. Peut-être y a-t-il là le pivot d'un renouveau, voire d'une révolution, dans les études hugoliennes.
Revers, peut-être, de cette médaille spéculative, la prise en compte des manuscrits -pour ne pas même parler de leur lecture et de leur publication- semble délaissée. <Ces jeunes gens ne savent pas lire la plume d'oie, scrogneugneu!>

Textes et Documents

Ajoutons à nos bibliographies les items suivants:

- Joe Friedmann, "De Melmoth à Gwynplaine: aspects du rire noir romantique", Littératures, n[ 22, printemps 1990.

- Franck Wilhelm et Michelle Reusch-Duhamel, Victor Hugo touriste à Trèves, sur la Moselle et la Sarre allemandes, Edition commentée et illustrée de ses carnets de voyage à l'usage des lycées allemands, Kulturdezernat des Stadt Trier, 1989 (remarquablement établi, présenté, commenté: les "lycées allemands" sont gâtés!).

- Roger Toumson, Victor Hugo, Bug Jargal ou la Révolution haïtienne, les deux versions du roman présentées et annotées, Fort-de-France, 1979 (ouvrage signalé par F. Wilhelm).

- Martin Feller, Des Dichter in der Politik: Victor Hugo und des deutsch-französische Krieg von 1870/71. Untersuchungen zum französischen Deutschlandbild und zu Hugos Rezeption in Deutschland, (Poésie et politique, V.H. et la première guerre franco-allemande, Recherches sur l'image de l'Allemagne en France et sur la réception de Hugo en Allemagne), Thèse, Marburg, 1988 -publiée en 1990. (également signalé par F.W. et que la bibliothèque se procurera).

- J.-C. Fizaine, "Hugo et le désoeuvrement: l'Histoire, l'exil, le fragment", Romantisme, n[ 67, 1990/1.

A signaler, en préparation à la Société des Etudes romantiques, plusieurs numéros de Romantisme et un colloque pour lesquels les esprits féconds et les plumes actives peuvent offrir leur concours: "Le Rire", "L'Edition populaire", "La Charité", "Les Nationalités".

L'Officiel des Spectacles

En l'absence d'Arnaud, on est embarrassé pour remplir cette rubrique. Allons à l'essentiel, Mille francs de récompense à Chaillot, pour lequel Annie Ubersfeld révèle ici à nos lecteurs ce que Le Monde leur cache.
Première surprise, les textes, qui ne semblent pas avoir subi de coupures, sont dits très vite et passent très bien: solution intelligente, efficace en tous cas, à l'abondance hugolienne.
Dans son ensemble, la mise en scène, belle sans afféterie ni trace de parodie, se distingue par le travail sur l'espace: une figuration généralement réaliste mais cassée par des "ricanements visuels". Ainsi le toit de la maison: visiblement en toile, mais sur lequel on s'étonne de voir Glapieu marcher sans l'enfoncer; il tombe une neige indiscontinue, mais théâtrale; meubles et tableaux, en je ne sais quel simili, sont évacués par les huissiers en un tournemain, avec une vitesse stupéfiante. Et puis, il y a de très jolies choses: la noyade initiale, les maisons ouvertes comme des maisons de poupées, les silhouettes du bal: en carton animé. Surtout le sublime décor du quatrième acte: on voit une masse informe d'une substance improbable -du papier huilé?- se gonfler et se dresser en colonnes du temple énorme de la Justice. Une fois érigé il semble aussi inébranlable qu'un monument pharaonique, sans qu'on puisse oublier pourtant son inconsistance initiale. Se sont gonflés aussi une tête géante et un bras géant, mobile et qui tient une minuscule et ridicule balance. Toutes ces astuces fonctionnelles ont, on le voit sur cet exemple, un sens symbolique clair, mais pas trop chargé, allégé qu'il est par la dérision des moyens de sa construction: le toit mouvant souligne la précarité de la situation de la famille, la légèreté des meubles son indigence soigneuse en même temps que la rapacité exercée des huissiers. La futilité répétitive d'une certaine société et sa vacuité humaine sont illustrées par les marionnettes en carton du bal.
Le traitement des personnages joue, très subtilement, sur le ridicule distancé dont son affectés les comédiens. Il atteint surtout leur allure physique, qui les fait ressembler aux images des livres d'enfants du XIXème siècle, dans le style de la Comtesse de Ségur. Glapieu est maigre comme un chat efflanqué: il a pâti mais la dureté de la vie ne lui a pas enlevé une foncière douceur. Etiennette, qui n'est pas trop belle, est remarquablement interprétée, avec un étonnant mélange d'enfance, de sûreté de soi et d'énergie cachée. Rousseline enfin porte un masque, inénarrable.
Tout cela n'est pas purement décoratif ou esthétique. La critique de Télérama a très bien vu, et dit non sans une sympathique inquiétude, que l'ensemble du spectacle tend à montrer un effort pour donner la parole aux misérables, mais qui n'aboutit qu'à la leur retirer. Glapieu, très différent de celui joué par Meyrand, en est exemplaire: il parle, et bien, mais trop et sa parole assourdie n'a pas plus de poids que son corps allégé. Sans qu'on puisse voir là un contre-sens: Jean Valjean s'efface dans la tombe anonyme du Père-Lachaise ici-bas, mais il accède à l'infini divin; Glapieu, lui, retourne au bagne: "la vérité finit toujours par être ignorée" dit-il.
F. Naugrette ajoute la le\on de piano par le Grand-Père: magnifique. Sa Marseillaise, qui a un caractère subversif indéniable, est non seulement incongrue, mais inquiétante.


Communication de F. Laurent: «Shakespeare en France sous la Restauration» (voir compte rendu joint)


Discussion

J. Delabroy souligne l'intérêt de cette première partie. Beaucoup de citations sont particulièrement bien venues (par exemple, celle de Magnin qui assigne à l'art, comme limites à ne pas franchir, la Terreur et de la Volupté). Surtout elle met en évidence, entre libéraux et romantiques, la formation d'un front tactique dont la base est discutée sans acrimonie mais avec précision -et, parfois, avec une spectaculaire astuce, telle celle qui consiste à charger le dualisme chrétien de faire voler en éclats le refoulé classique qui fait retour dans la position libérale. Retrouver les lignes de partage sous un apparent consensus n'était pas aisé et cela surtout fait le prix du travail de F. Laurent.
Celui-ci acquiesce. Son propos était bien de montrer l'essentielle ambiguïté du romantisme libéral, qui n'est en réalité qu'un aménagement du classicisme. Aménagement tout provisoire. Car il ne faudra pas longtemps pour que sa fragilité se découvre: le retour en force du classicisme dans les années 40 (dont le Port-Royal de Sainte-Beuve) ne doit pas grand chose à Rachel et presque rien à Ponsard: la classe dirigeante ne s'en était, en réalité, jamais désolidarisée. De sorte que le romantisme des années 30 apparaît bel et bien comme un marchandage. <Arrivé au bout de son escalier, 15 jours après, l'esprit de Rosa ajoute qu'on aurait donc assisté à deux marchandages successifs, à deux ententes précaires et illusoires: les libéraux en 1825-32 refont auprès des romantiques ce qu'avaient fait les ultras avant eux. Hugo pouvait recevoir honneurs et argent des uns comme des autres: il n'était pas plus proche des uns que des autres. Lorsque les deux fractions de la classe dirigeante se seront mises d'accord, il ne sera plus possible de jouer sur leur rivalité et il faudra partir en exil.>

B. Leuilliot rappelle que le débat sur Shakespeare date du XVIIIème siècle. Entre-temps, la Révolution a eu lieu, et Shakespeare est devenu un enjeu politique. Il aurait été utile de situer les termes de la discussion des années 20-30 par rapport à ceux, connus de tous alors, qui avaient cours dans la génération précédente.

P. Georgel indique l'utilité, dans un pareil débat, de se reporter à des ouvrages comme le Journal de Delacroix, où l'auteur n'a pas le souci d'une position à prendre.

G. Rosa : On dit souvent que V.H. a du retard dans sa prise de position en faveur du romantisme: elle est tardive et timide. Le mot "romantisme" n'est accepté, du bout des lèvres, que dans la préface des Odes, en 1826; on souligne volontiers la prudence oecuménique de la Préface dont le ton serait plus hardi que les thèses; on oppose ce ralliement mitigé à l'audace prophétique d'un Stendhal, vrai héraut de la modernité. Et, du coup, on ne comprend plus du tout comment les contemporains ont pu voir dans la Préface les "tables de la loi", ni pourquoi les chevelus cassaient les banquettes du Zénith. L'exposé de Laurent a l'utilité de rendre compte de cette contradiction: Hugo pactise, c'est vrai; mais on ne pactise qu'avec l'ennemi -qui en fait autant. De là cette modération radicale ou cette radicalité modérée. Nous avons peine à l'imaginer mais les contemporains ne s'y trompaient pas.

Embryon de discussion sur la 2ème partie

G. Rosa : Oui, les héros hugoliens sont marqués d'irrationalité, et ils ne se gênent pas pour le dire: Hernani comme Ruy Blas avouent, ou plutôt proclament leur opacité à eux-même. Il faudrait faire un mémoire de maîtrise sur les "Pourquoi? -Je ne sais." du théâtre de Hugo. Il faudrait également vérifier ce que les romantiques et les libéraux disent de la détermination des personnages par leur condition sociale. Celle que Hugo donne aux siens est systématiquement contradictoire, du moins chez les héros, au point que leur "héroïsme" même tient tout entier dans cette contradiction.

Programme de l'année 1990-1991

C. Millet propose de réfléchir cette année sur la Vérité. Comme les spectateurs de Mille francs de récompense, et selon l'expression d'A. Ubersfeld, nous "hurlons de joie". <et de faim, comme dans Mangeront-ils? Ce qui hâte les dévouements:>

20 oct. : La technologie dans les Travailleurs de la Mer par  D.Charles & La vérité du légendaire par C. Millet
24 nov. : Hugo et J. Verne par C. Porcq.
15 déc. : L'"affaiblissement de la pensée" chez VH, par  J. Delabroy
26 jan. : Faust dans Hernani et Ruy Blas, par F. Naugrette.
16 fév. : L'exercice poétique comme outil d'exploration du cosmos par A. Ubersfeld.
23 mars : Exposé non encore déterminé, mais en rapport avec le désir de connaissance chez VH par V. Dufief.
20 avr. : Le voile de la vérité par A. Spiquel.
25 mai : Le résidu par P. Laforgue.
22 juin : Les voix de la vérité par L. Wurtz.

N.B. Nos séances sont longues, assez pour qu'on entende deux orateurs. Ce calendrier est donc incomplet. Depuis le 19 septembre, J.-C. Fizaine nous a fait connaître qu'il interviendrait. Ceux qui imiteraient son exemple seront bienvenus.
Et puis, l'on songe à une rencontre, vers le printemps, du Groupe de Paris avec celui de Montpellier. Elle pourrait être encore élargie, occuper une journée entière, voire un week-end. Le lieu reste à trouver et le programme à faire.

V. Dufief et G. Rosa


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa ; 94, rue de Buzenval, 75 020 Paris.