GROUPE HUGO
 Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 20 janvier 1990

Présents: René Journet, Florence Naugrette, Agnès Spiquel, Pierre Laforgue, Claude Millet, Sarah Emmerich, Véronique Dufief, Salima Haddad, Danielle Laster, Arnaud Laster, Annie Ubersfeld, Guy Rosa, Jean-Claude Nabet, Camille Aubaud, Loïs Cooper (revenue, après si longtemps, des monts du Massachussets et que nous saluons ex imo corde), Pierre Georgel.


Actualité hugolienne

.Françoise Gerbaulet et Anne de Broca fêteront à nouveau cette année "le doux anniversaire". Ci-joint, ce qu'il faut savoir pour y aller. Inutile de dire que c'est un émouvant et beau spectacle -et bien mieux qu'un pèlerinage. Qu'on imagine le groupe Hugo ayant une scène, un texte et du talent!

.Après un passage au Vésinet, Ruy Blas sera monté en mars par Jacques Rosner au TEP. Ce n'est pas le même que celui de Sartrouville.

.A compter du 23 janvier, on pourra suivre à 18 heures au Petit Odéon, un montage de Muriel Mayette intitulé " Oh ! Mais où est passée la tête de V. Hugo ?"; le texte est fait d'extraits du Théatre en Liberté (Les Gueux, le monologue de La Grand-mère, La forêt mouillée, Sur la lisière d'un bois, Comédie à propos d'une tragédie, et les trois versions de Etre aimé).

.Press-Pocket vient de mettre à son programme de publication Les Contemplations dont la présentation et le dossier sont confiés à Gabrielle Malandain

.Pierre Laforgue soutiendra sa thèse le 9 mars à 14H, à Créteil, sous la direction de Jean Gaudon et Bernard Leuilliot soutiendra la sienne le 5 avril à Paris VII, sous la direction de Jacques Seebacher.


Communication de F. Naugrette : "Les mises en scène de Ruy Blas et Marie Tudor par Jean Vilar." (voir texte joint)


Discussion

A. Ubersfeld rappelle que si Maria Casarès a bien connu le succès à partir de Enfants du Paradis au cinéma, Gérard Philipe doit sa célébrité à son interprétation du Cid au théâtre. Elle enchaîne : VH abhorrait la traduction immédiate de ses oeuvres en termes de situation politique concrète -ce qu'il appelle "la misérable allusion". Comme pour Brecht, ce qui compte à ses yeux dans le rapport du texte à l'actualité, c'est le moyen de comprendre la situation présente et cela exige, sous une autre forme que chez Brecht, une distance.
Par ailleurs il est curieux de noter qu'on reprochait à Sarah Bernhardt, dans le rôle de la Reine, d'être trop mignarde, de trop ressembler à un petit personnage sentimental.
Pour sa part, ce qu'Annie Ubersfeld reproche à la mise en scène de Vilar, c'est d'avoir concentré le grotesque sur César de Bazan, alors qu'il est répandu sur tous les personnages de la pièce. Sans doute Gérard Philipe ne pouvait-il pas porter le grotesque: il était trop naturellement le pur héros que ses rôles avaient achevé de faire de lui. Pourtant, le "ver de terre amoureux d'une étoile" était programmé pour le rire. De même que la pluie de cercueils dans Lucrèce Borgia. Le grotesque, c'est la limite du rire et des pleurs. Sans lui, Hugo devient fade.

C. Millet : Le grotesque, c'est une chausse-trappe qui menace le sens de partir dans le rien.
A. Ubersfeld : L'une des scènes d'amour les plus drôles, n'est-elle pas celle de Mangeront-ils ? où les amants échangent des langueurs affamées?
Arnaud Laster se rebiffe. On va chercher le texte. Il a raison "J'ai/ Une faim!" ne se trouve qu'à la fin. Annie rétorque par le début: "Tu ne manques de rien, Janet? Lady Janet, lui sautant au cou. Puisque je t'ai!" Elle en mangerait, mais tout de même!

Suit une discussion pour savoir si le grotesque constitue un contrepoint comique, ou si au contraire il y a continuité du grotesque, contamination par le grotesque. Dans ce cas, comme pour le fou rire des enterrements, le grotesque apparaît comme une confrontation avec la toute-puissance du désir, de la mort.

G. Rosa soutient, sérieusement, que, dans Ruy Blas, il y a structurellement une alternance forte de scènes comiques et de scènes héroïques. Ceci est incompatible avec leur continuelle confusion.
A. Ubersfeld : La pièce propose une profonde réflexion sur le sérieux. Par exemple, la scène entre la reine et Ruy Blas, à la fin de l'acte III, quand il dit :"Je ne m'occupe pas de ces hommes du tout", c'est grotesque.
G. Rosa : Il n'y a pourtant pas grotesque chaque fois qu'il y a contradiction ou incohérence.
Tout le monde s'accorde (mais sur quoi?) et la discussion reprend sur d'autres bases.

G. Rosa a compris dans l'analyse de la réception du Ruy Blas de Vilar que le spectacle était l'objet des critiques de la gauche et des louanges de la droite. A gauche on lui reproche une compromission dont on se félicite à droite. Vilar n'a-t-il pas perdu le pari qu'il avait fait de récupérer ce "classique" dans une culture de lutte? On le croirait à voir l'entreprise louée par les conservateurs comme une avancée vers le théâtre institutionnel.
F. Naugrette accepte l'interprétation, encore qu' il y ait eu approbation et refus des deux côtés.
G. Rosa y voit le signe de l'ambiguïté, pas nouvelle, de la position de Hugo: grand auteur toujours suspect de populisme et militant toujours suspect de trahison de classe.
C. Millet : En 1952, Picasso avait proposé un concours pour une statue de VH qu'on n'a toujours pas vue.
A. Ubersfeld : Une année, j'avais mis Les Misérables au programme de licence à Besançon, et cela avait suscité un tollé de la part des étudiants; les mêmes, après trois semaines de travail, s'enthousiasmaient pour VH.
A. Laster reprend ce qu'a dit A. Ubersfeld à propos de la stratégie de VH en matière d'allusions politiques : Vilar, Vitez, comme beaucoup de metteurs en scène, vont un peu vite, ils pensent qu'il ne faut pas trop analyser et que c'est simple. Or, on ne peut dénier toute réalité contemporaine, alors qu'elle fait partie intégrante des pièces.
A. Ubersfeld : Oui, mais ce que VH dit, il le dit en soi : le rapport à la réalité politique contemporaine n'est pas présenté au spectateur comme une nécessité. Il faut qu'il construise ce rapport.

A. Laster reprend sur la façon dont Gérard Philipe sacrifie le vers. Cela nous heurte, mais à l'époque, c'est une réaction contre l'éloquence traditionnelle. Cette prosaïsation a peut-être au moins le mérite de revenir à une certaine intention de VH qui est de ne pas faire de beaux vers, mais des dialogues "aussi beaux que de la prose". Et cela n'empêche pas la plupart des metteurs en scène d'avoir en tête un schéma d'incantation pour les alexandrins. Or, VH est entre les deux. On peut préférer que les vers soient quelquefois sacrifiés.
D'autant plus, ajoute G. Rosa, que l'articulation des vers, comme toute diction, ne s'apprécie que par rapport aux savoirs et aux pratiques en cours. Ce n'est pas la même chose de rendre l'alexandrin naturel pour un public qui sait en écrire et en improviser en parlant, qui sait parler en vers comme tous les lycéens savaient le faire jusqu'en 40, et de le faire pour un public qui ne les entend pas plus lorsqu'ils sont justes que lorsqu'ils sont faux. Arnaud Laster a raison: l'équivalant du purisme de Vitez au temps de Hugo eût été d'écrire en vers latins!

R. Journet fait remarquer que le retour de VH au théâtre avait déjà été amorcé depuis longtemps avec le Théâtre en Liberté : Mangeront-ils ? avait été donné en 1919 ou 1920, puis en 1952. C'était très imparfait, mais merveilleux.

P. Georgel suggère de traduire les intentions des photos de scène réalisées par Agnès Varda. [La proposition est ardue; elle fait le silence...]

A. Laster : Dès 1873, Mounet Sully -en qui l'injustice et l'ignorance voient un modèle de boursouflure- avait voulu mettre une sourdine à certains effets. On ignore tout de l'évolution de la diction entre 1830 et la fin du XIXè siècle. On a des enregistrements depuis le début du XXè. La diction a-t-elle suivi les modifications du décor, qui s'alourdit au cours du siècle? C'est assez probable. Et, dans ce cas, il y a toute chance pour qu'elle ait été plus grandiloquente à la fin du siècle qu'en 1830.

G. Rosa revient aux mises en scène de Vilar : On sous-estime peut-être la violence du contexte politique; c'est la guerre froide, la fin de l'Indochine. Le TNP était très rouge.
C. Millet : On peut se demander la signification du choix de ces pièces à l'époque.
F. Naugrette : Pour Ruy Blas, il y a le rôle des ministres médiocres.
A. Laster : Pour Marion de Lorme, c'est la première fois qu'un ouvrier est un héros.
G. Rosa a retrouvé son impression en entendant Florence Naugrette citer ce critique qui incriminait le "ton geignard" de Gérard Philipe. J'avais gardé le souvenir d'un Ruy Blas vaincu d'avance, au-dessous de la situation. Or, on est frappé de l'extrême violence de l'enregistrement. Il y a une tradition d'héroïsation du personnage dans l'infériorité douloureuse d'un Lorenzaccio.
A. Ubersfeld : Si on ne fait qu'entendre Philipe, on perd plus de la moitié de ce qu'il faisait. Car il y avait un décalage entre sa diction, artificielle, et sa présence scénique, forte et parfaitement naturelle. C'est ainsi qu'il donnait aux rôles leur profondeur et leur noblesse.

Revenant au vers, A. Laster rappelle la référence d'un ouvrage apparemment familier aux acteurs: Dire l'alexandrin de J.C. Milner et F. Regnault.
A. Ubersfeld : Le patron musical de l'alexandrin de Racine est beaucoup plus souple que celui de VH. Or, cela est porteur de sens. Quand G. Philipe ne marque pas la fin du vers alors qu'il y a un rejet, il fait un contre-sens. La diction dans les vers de Racine n'est pas préconstruite. On a la possibilité de faire entendre les accents secondaires ou de déplacer l'accent principal. Par contre, c'est très difficile chez VH qui travaille par rapport à l'alexandrin pseudo-classique rigide. Il fait des alexandrins ternaires, des rejets sur la césure et casse ainsi la monotonie.


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