GROUPE HUGO
Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 18 novembre 1989

Présents : Gabrielle Malandain, Annie Ubersfeld, Pierre Georgel, Agnès Spiquel, Pierre Laforgue, Josette Acher, Sarah Emmerich, Véronique Dufieff, Françoise Chenet, Arnaud Laster, Camille Aubaud, René Journet, Guy Rosa, Jean-Claude Nabet.


Actualité hugolienne

M. Botto; Une destinée incurable, Narratore e personaggio nei Misérables di Victor Hugo. Publications de la Faculté de Lettres et Philosophie de l'Université de Pavie, La nuova italia editrice, 1988.

M. Laster rend compte d'un spectacle donné au Grand Edgar, rue de la Gaîté, "Apostrophons-nous", parodie. G. Sand présente Elle et lui, VH Les Misérables et Baudelaire Les Fleurs du Mal.

Ce spectacle, "plein du comique grossier qui plaît aux basses classes", n'est pas méchant pour VH. On craint le pire, qui ne vient pas. Ce qui ne l'empêche pas de se fonder sur les idées reçues. Les personnages, peu ou pas du tout ressemblants, correspondent à une certaine image d'eux : Baudelaire est une épave, à la Gainsbourg; G. Sand a un faux air de Françoise Dorin; VH est épargné: il ne ressemble à personne, pas même à lui. Pourquoi porte-t-il la rosette de la légion d'honneur?

Pivot s'adresse surtout aux deux autres, et c'est en fait G. Sand qui l'intéresse. VH, très gêné, ne cesse de répéter : "Et si on parlait des Misérables ?" Il s'endort de temps en temps puis se réveille, sans qu'on puisse y lire une référence à Horace. Parfois, il parle en vers.

Une perle parmi d'autres : Il est dit que VH met la veuve dans son lit et envoie l'orphelin sur la barricade. G. Sand fait l'inverse et Baudelaire mettrait ensemble au lit la veuve et l'orphelin.


Communication de Pierre Laforgue : " La symbolisation de l'histoire chez Hugo, l'exemple de Cosette et Gavroche (voir texte joint).


Discussion

S. Emmerich demande si l'on sait quelque chose de cet "Elephant Castle" à Londres, qui désigne un lieu où jamais ne parut le moindre éléphant, et dont l'étymologie semble devoir être "Infant of Castille"? Personne ne sait rien.

G. Rosa demande, les formulations ayant oscillé et laissé penser l'un comme l'autre, si P. Laforgue en parlant de symbolisation historique dans le personnage de Cosette entend qu'elle est un symbole de la Restauration ou de l'Histoire elle-même: de l'époque ou du processus.

A. Ubersfeld approuve beaucoup l'idée de la désymbolisation du personnage par son passage au romanesque. Observant que Cosette et Eponine forment un couple antithétique, comparable à celui de Cosette et Gavroche, elle propose de lui appliquer un travail similaire. Laforgue n'a rien contre, mais il ne pouvait pas envisager tout le personnel romanesque.

F. Chenet observe qu'Eponine, elle, assume l'Histoire de bout en bout.

R. Journet rappelle qu'Eponine s'appelle d'abord Palmyre et ne devient Eponine que très tard, après l'invention de l'épisode où elle sauve Marius (ce qu'elle ne faisait pas dans la version antérieure à l'exil) et vraisemblablement en raison de ce sacrifice puisque c'est bien son sacrifice à son époux Sabinus qui a fait d'Eponine un être légendaire.

Autant qu'on puisse la suivre, la discussion s'oriente en ce sens et l'on relève (sans vouloir rivaliser avec la partie de dominos ou l'invention du vaudeville, ni non plus avec la conversation des rouliers):

P. Georgel : En fait, c'est la famille Thénardier qui fait marcher le roman.

A. Ubersfeld : Gautier était très sensible à la symbolisation historique : il a appelé ses trois chats Gavroche, Eponine et Enjolras.

A. Spiquel: dans le roman de Delisle de Sales (sur lequel Gabrielle Malandain refuse les informations attendues de la légitimité) Eponine et Palmyre sont les deux figures centrales; cela facilitait le glissement de l'une à l'autre.

P. Laforgue : Palmyre et Malvina sont les noms génériques des prostituées dans le Chapitre des Fleurs.

Plusieurs: Eurêkamen! puisque Palmyre et Malvina sont les noms primitifs d'Eponine et Azelma.

A. Ubersfeld : De plus, les noms féminins autour de Cosette disent tous la même chose : la parole et "Cosette" est la traduction familière d'"Euphrasie". Pour les jeunes, G. Rosa indique la référence:"Nommer la misère" (Paroles de Hugo) [il en aurait eu bien d'autres à indiquer,... mais y a renoncé].

Il regrette qu'on n'ait pas parlé de L'année 1817, qui marque l'entrée en scène de Cosette.

Une polémique confuse oppose alors plusieurs intervenants sur le sens historique du chapitre. Les uns y voient un vide, un trou où l'histoire piétine, balbutie, s'effrite. Rosa avoue n'avoir jamais bien compris ce chapitre, jusqu'à lecture des ébauches, réunies dans le futur Chantiers par R. Journet. On y voit que ce chapitre tourne très clairement autour de l'idée de renversement, de contre-sens, de trahison. C'est la trahison de Napoléon par ses généraux, de toute la société telle qu'elle était née de la Révolution et de l'Empire par la Restauration. De plus, c'est à la même époque que les jeunes filles sont trahies par les étudiants : la grande et la petite histoire ont la même allure. Immédiatement après, la Thénardier va trahir la confiance de Fantine et la solidarité des mères.

R. Journet ajoute son autorité à cette lecture: Biré avait raison et tort d'ironiser: le chapitre regroupe des faits antérieurs et postérieurs à l'année qui l'intitule parce qu'il ne vise pas la date locale, mais l'époque.

P. Georgel se dit séduit pas cette idée que la transformation du personnage soit le signe d'une transformation historique telle que le symbole ne peut plus être assumé par Cosette. Le passage de la Restauration à la Monarchie de Juillet, c'est le passage de l'historique au romanesque -de Notre-Dame de Paris au Père Goriot. Plus exactement à l'épico-romanesque: il y a l'intrigue sentimentale ou policière et il y a aussi la barricade.

A. Ubersfeld : Le changement de personnage symbolique représentatif de l'Histoire correspond à un changement réel. VH dit que l'Histoire est en panne. Il faut un personnage qui vienne des bas-fonds et puisse incarner l'Histoire.

G. Rosa : On ne peut pas dire qu'il y a un personnage qui symbolise l'Histoire à lui seul. Ce serait faire l'impasse sur Jean Valjean.

P. Laforgue : Jean Valjean est le personnage qui est complètement déconnecté de l'Histoire.

G. Rosa : Oh, ciel! de mes transports puis-je être ici le maître?

F. Chenet : Jean Valjean est la force même de l'Histoire.

G. Rosa : Par exemple, il part tuer Marius et le sauve. Rien d'étonnant si cette "émeute de l'âme" s'achève en révolution intérieure et le fait participer à la Révolution.

A. Ubersfeld : Il y a une telle convergence, une telle richesse de sens autour de Jean Valjean que le symbolique prend une autre dimension. La polysémie en fait un personnage mythique.

P. Georgel imprime une nouvelle direction à la discussion. Le délabrement de l'éléphant représente la désagragation de l'épopée impériale et la misère du peuple, mais avec sa force symbolique. Celui qui a projeté l'idée de l'éléphant, c'était Bonaparte général et non Napoléon.

P. Laforgue : Ce qui est frappant, c'est que les personnages positifs sont royalistes (l'évêque, Gillenormand) tandis que les bonapartistes sont de vraies crapules (les Thénardier).

J.-C. se tait. Il n'en pense pas moins et le dira à la sortie -ou le mois prochain.

A. Laster : VH a du recul vis-à-vis de tous ses personnages.

A. Ubersfeld : Le plus fort de la part de Hugo c'est d'avoir choisi 1832 et non 1830. 1817, époque de compromis total, est l'inverse exact de 1832, période de pureté. On est deux ans après les événements, au moment où les conséquences apparaissent après décantation. Finalement, c'est autour de ce choix de 1832 que tourne la pensée politique de VH.

G. Rosa rappelle cet ancien et joli rapprochement entre la "poupée" et le pansement que Jean Valjean porte au pouce pour ne pas signer le contrat de mariage de Cosette, sans parvenir à se souvenir de son auteur -tant foisonnaient les idées, autour des Misérables, dans les années 80. P. Georgel, à son tour, rappelle que Léopoldine, autre Catherine, était surnommée "poupée"; il ajoute, rêveusement, qu'en 1838 Léopoldine raconte une visite de Mme Hugo à Mme Adélaïde, où la soeur de Louis-Philippe avait offert à cette dame une poupée, pour sa fille.

V. DUFFIEF et P. LAFORGUE

Au déjeuner, toast fut porté au vingtième anniversaire de la création du "groupe Hugo", réuni pour la première fois, à la rentrée 69, par Pierre Albouy.

Rappel du calendrier de nos réunions:


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