Séance du 13 octobre 2018

Présents: Jordi Brahamcha-Marin, Guillaume Peynet, Hélène Soulard, Hélène Thil, Agathe Giraud, Hélène Kuchmann, Jean-Marc Hovasse, Guy Rosa, Hervé François, Claude Millet, Pierre Georgel, Morgan Guyvarc’h, Judith Wulf, Victor Kolta, Xavier Peyrache, Thierry Dardanello.


Informations

On rappelle la soutenance de Jordi Brahamcha-Marin le 30 novembre à l’université du Mans : « La réception critique de la poésie de Victor Hugo en France (1914-1944) ». Claude Millet loue la thèse de Jordi ; elle précise que cette thèse marque la transformation de ce qui pour sa génération (concernant la critique universitaire) était et reste des objets fanés en objets historiques.

 

On évoque une journée d’étude pour les khâgneux  au Mans et à Paris 7 mais les dates sont à préciser.

Pour sa part, Agathe Giraud ira parler aux professeurs de Terminale de l’académie de Nancy.

 

Claude Millet annonce la création d’une sorte de « groupe Hugo junior », conçu comme un groupe de travail et de partage de lectures entre jeunes chercheurs sur Victor Hugo. Pierre Georgel suggère que le groupe publie ses compte-rendus de sorte que puissent en profiter également ceux qui ne peuvent plus rentrer dans la catégorie des « jeunes chercheurs ». Guy Rosa regrette cette orientation "communautariste": le mélange des genres est l'une des qualités distinctives du Groupe Hugo: professionnels et amateurs, étudiants et profs, parisiens et provinciaux, tendrons et chenus. Jordi Brahamcha et Claude Millet soulignent le fait que ce nouveau groupe ne serait pas en concurrence avec le GH et qu’il n’est pas question d’un schisme entre « jeunes » et « vieux ».

 

Hervé François signale le début de l’exposition Nadar à la BNF le 17 octobre.

 

Jean-Marc Hovasse annonce que l’ITEM fêtera ses 50 ans les mercredi jeudi et vendredi suivants rue d’Ulm en salle Dussane. Le samedi l’événement se déplacera à la BNF pour la journée « Grands corpus ». Jean-Marc Hovasse et Thomas Cazentre parleront de Hugo à 10h, puis seront présentés (chaque fois en présence du conservateur du fonds) Zola, Proust, Valéry, Aragon et Benvéniste. A la fin de la journée est prévue une exposition éphémère de manuscrits avec lesquels la proximité sera très grande car ils ne seront pas placés derrière une vitrine. Pour Hugo, Jean-Marc Hovasse a choisi de présenter les manuscrits de L’Homme qui rit et le carnet de 1873.

À noter également : le premier jour on procèdera à l’analyse génétique d’un disque dur (celui de Derrida).

 

Jean-Marc Hovasse a rapporté de Besançon, pour le groupe et la bibliothèque, les catalogues de deux expositions actuellement consacrées à Hugo à Besançon : « Hugo et le patrimoine » au musée du Temps et « 1848 » au Musée d’art et d’histoire. Il signale l’intérêt de celle sur 1848 : c’est l’événement vu de la Province.


Communication de Hervé François Solidarité naturelle (voir texte joint)


Discussion

La démocratie comme donnée historique

Claude Millet remercie Hervé François pour cette belle communication. Elle suggère, pour commencer la discussion, de creuser la question du temps. Dans la première citation, l’équation met en équilibre une donnée naturelle et une donnée historique : la solidarité humaine définie politiquement comme démocratie. La prose philosophique avec son écriture au présent vient comme forcer une adéquation entre donnée historique et donnée naturelle. À cela Hervé François fait remarquer que Hugo n’a jamais cessé de rabattre le politique sur le naturel. Claude Millet revient néanmoins sur l’inscription de la démocratie comme réalité au cœur du second Empire, produite par ce type d’équation – et pas seulement comme idéal. Elle fait le rapprochement avec les débats sur la démocratie aujourd’hui : on peut aussi bien dire « nous sommes » ou « nous ne sommes pas en démocratie » suivant la manière dont on considère la démocratie, comme quelque chose qui tient aux institutions ou quelque chose de rare qui advient. Un régime ou l’affirmation d’un peuple sujet. Elle suggère par ailleurs de ne pas tenir le solidarisme comme une sorte de point ultime mais de réfléchir à partir de lui sur la tradition au XIXe siècle d’une pensée de la solidarité, notamment à travers la question de l’association qui est essentielle : elle est déclencheuse de 48 à partir des banquets.

Guy Rosa souligne cependant que Hugo est assez imperméable au thème de l'association, même au moment de son plus grand succès en 1848 (cf. L'Education sentimentale). Ce que Claude Millet confirme, et qui semble d’autant plus étonnant que la question apparaît non seulement dans les mouvements mutualistes mais aussi, notamment chez Tocqueville, comme une « idée mère » de la démocratie, ou plus exactement comme la « science mère » de la démocratie. Jean-Marc Hovasse rappelle que Hugo est toutefois candidat de l’association pour les Lettres et des Arts mais pour Claude Millet, ce n’est que le nom à mode pour la Société des Gens de Lettres. Il y a des lieux où Hugo pourrait faire une place à la question de l’association, dans Choses vues par exemple, et il ne le fait pas. Guy Rosa ajoute que, n’en déplaise à Jacques Seebacher qui aurait parlé des fromageries de Pontarlier (dans Les Misérables), Jean Valjean ne va pas à Pontarlier, mais fonde une entreprise individuelle, antithétique avec l’idée d’association.

Claude Millet conclut le débat en précisant qu’il faudrait poursuivre cette étude au moment de l’après Commune car il y a alors de nouvelles articulations avec les mutualistes.

 

Distinguer continuisme et solidarité

Claude Millet émet un doute en ce qui concerne la métempsycose comme figure de la solidarité ; la métempsycose postule en effet un continuum entre les règnes humains, minéraux et végétaux, mais ce qui constitue la continuité c’est le châtiment, pas la dette. Elle fait d’ailleurs remarquer qu’à la rime (dans la citation de « Ce que dit la bouche d’ombre ») n’arrive pas « solidaire » mais « solitaire ». Il faut distinguer deux continuisme distincts, celui que postule la métempsycose et celui que postule le discours sur la solidarité naturelle. Pierre Georgel ajoute que si la solidarité est un réseau, le continuisme est un fil.

 

Oscillation entre solidarité naturelle et solidarité construite

Guy Rosa fait observer que dans la citation 11, « cette souveraineté de moi sur moi, etc. » est écho voire un résumé, un peu schématique, du Contrat social. Chacun renonce à une partie de sa liberté au profit de la "société", en échange, en particulier, de sa sécurité: "cette protection de tous sur chacun". Cela ne va nullement dans le sens de la solidarité, c’est une construction contractuelle. Pierre Georgel est surtout étonné dans ce cas précis de l’emploi du terme de « fraternité » qui ne renvoie pas à du construit, mais à du naturel, ce en quoi Guy Rosa le rejoint en affirmant que le terme de fraternité n’est pas celui logiquement attendu.

Pierre Georgel précise néanmoins que c’est le mouvement de Hugo de tout ramener à du naturel. Il en profite pour interroger Hervé François sur l’oscillation entre « fraternité » et « solidarité », c’est-à-dire sur l’oscillation entre d’un côté le modèle familial, génétique (la fraternité) et de l’autre la solidarité qui est tantôt une construction tantôt un phénomène naturel. Dans la description du jardin (citation 6) on est dans l’ordre du naturel, et pourtant on a ici le mot « solidarité » et non « fraternité ». Hervé François lui répond que la fraternité renvoie au christianisme ; pour Hugo il s’agit de ne se rattacher à aucune religion sans exclure le divin. Par ailleurs ce n’est pas toujours cohérent : parfois la « fraternité » n’est qu’une humaine, parfois elle est divine. Pierre Georgel confirme le caractère flottant de la notion entre construction et lien naturel – avec Enjolras par exemple on est du côté de la construction.

 

Contradiction ou outil de guerre du paradoxe ?

Guy Rosa note par ailleurs le glissement d’une interaction causale physique (la planète attachée au soleil du fait de la gravitation) vers la solidarité, au prix d’un saut logique considérable. À cela Judith Wulf propose une autre lecture : ce n’est pas un saut logique, Hugo fonctionne par paradoxes. Il démolit la doxa en l’inscrivant dans des réseaux où chaque point mine l’autre. C’est un dispositif où l’implicite est à construire, c’est cela qui crée ces effets qui peuvent apparaître comme des contradictions mais qui sont les outils de guerre du paradoxe. Hugo mène une véritable guerre contre les évidences érigées en lois inébranlables de la société ou de la nature. Ces évidences démolies ne sont pas localisées, d’où la difficulté de lecture, et l’impression de sauts logiques. Guy Rosa l’interrogeant sur le caractère intentionnel de cette stratégie, Judith Wulf le renvoie à la systématicité du dispositif.

 

Solidarité et charité

Hervé François revient sur la nécessité pour Hugo de dégager le terme de « fraternité » de son usage chrétien. Claude Millet lui fait néanmoins remarquer qu’il faudra réfléchir à l’articulation entre la solidarité, la fraternité et la charité, car Hugo n’abandonne pas la charité – « au sens étroit » précise Pierre Georgel. Hervé François répond que Hugo réunit ces notions dans la justice.

 

Adhérence et adhésion

Pierre Georgel souligne encore la porosité de deux notions : « adhésion » et « adhérence ». Avec l’adhérence observe Claude Millet, on est dans un discours totalement matérialiste, par opposition à l’adhésion qui a un sens moral (qui correspond à « un acte subjectif » précise Judith Wulf). Cela rejoint l’éternel problème du rapport entre spiritualisme et matérialisme.

 Hélène Kuchmann