Séance du 27 janvier 2018

Présents: Claude Millet, Agathe Giraud, Delphine Gleize, Guillaume Peynet, Jean-Marc Hovasse, Caroline Julliot, Guy Rosa, Arnaud Laster, Pierre Georgel, Florence Naugrette, Chantal Brière, Myriam Roman, Tristan Leroy, Christine Moulin, Pierre Burger, Jonathan Chiche, Françoise Chenet, Sylvie Vielledent, Jordi Brahamcha-Marin.


Informations

Bernard Leuilliot

Claude Millet nous rappelle le décès récent de Bernard Leuilliot, immense spécialiste d’Aragon et de Hugo. Il se signalait par son érudition, sa largeur de vue, sa formidable générosité. Et, chose notable, par le fait qu’on avait le droit de ne pas être d’accord avec lui.

 

Journée d’études

Claude Millet signale que les actes de la journée d’études organisée au Mans sur Notre-Dame de Paris sont désormais en ligne : http://3lam.univ-lemans.fr/fr/publications/notre-dame-de-paris.html

 

Hugo à l’écran

Guy Rosa signale que la BBC est en train de tourner une adaptation des Misérables. La conversation dérive alors sur la mini-série en quatre épisodes que France 2 est en train de produire sur la vie de Hugo en 1848 et 1851. Plusieurs membres du groupe ont été sollicités pour donner leur avis sur le scénario, et tous formulent des réserves sur le projet. Arnaud Laster précise que le tournage de cette mini-série, aura lieu à partir de mars ou d’avril, et qu’Isabelle Carré y tiendra le rôle de Juliette Drouet.

Arnaud Laster en profite pour demander si Hugo vote bel et bien contre les ateliers nationaux en 1848, ce que Guy Rosa confirme.

 

Hugo et la chanson

Claude Millet a entendu, sur France Culture (émission La Condordance des temps), l’historien Philippe Darriulat parler de son ouvrage sur La Muse du peuple. C’est un livre qui porte sur la chanson dans la première moitié du XIXe siècle. C’est un sujet intéressant pour nous autres hugoliens : pour comprendre la poésie de Hugo d’avant l’exil, il est fécond de la mettre en rapport avec la chanson de son temps. Par exemple, « Sur un bal de l’hôtel de ville » semble être un démarcage d’une chanson politique du temps. Il y a des études à mener sur la manière dont Hugo articule le grand genre de l’ode à cette pratique poétique considérée comme mineure – ce serait plus utile que les considérations sempiternelles sur « Hugo classique », pour comprendre le son neuf que rendent les odes de Hugo. Philippe Darriulat parlait de la « grande amitié » entre Hugo et Béranger : c’est sans doute excessif, mais les résonances, les phénomènes de reprise, méritent d’être considérés. Mais on a une difficulté : la culture littéraire d’aujourd’hui est dominée par le roman et le théâtre, et on a tendance à faire commencer l’histoire de la poésie en 1850…

Sur le rapport de Hugo à la chanson, Guy Rosa signale l’introduction de Jacques Seebacher aux Chansons des rues et des bois. Jean-Marc Hovasse évoque également les travaux de Luciano Pellegrini.

 

Pierre Georgel demande si Hugo explicite quelque part l’idée qu’il y a, dans sa poésie, un rapport à la chanson. Claude Millet croit que non ; Guy Rosa suggère la préface de Cromwell.

Mais Pierre Georgel trouve l’exemple peu convaincant : chanter, dans l’écriture de l’époque, renvoie simplement à la pratique de l’écriture lyrique.

Pas toujours, nuance Florence Naugrette. Cela peut aussi renvoyer au fait qu’un poème est accompagné de musique.

 

Hugo en musique

Arnaud Laster annonce un concert prochain, à la Maison de Victor Hugo, sur les mises en musique par Adèle fille de poèmes de Hugo. Et hier a eu lieu, à la bibliothèque de l’Arsenal, un concert à partir de mélodies de Marie Nodier (la fille de Charles), entrecoupées de témoignages d’époque sur le salon de l’Arsenal. L’ensemble était très plaisant.

Claude Millet ajoute que Vincent Laîné vient de faire paraître un livre sur la pratique des lectures dans les cénacles.

 

Conférence

Myriam Roman prononcera le 17 février, à Villequier, une conférence sur la pensée politique et sociale de Hugo, pour commémorer les cent soixante-dix ans de la Deuxième République. Elle parlera du droit des faibles, en s’appuyant sur les discours politiques de Hugo et sur Les Misérables.


Communication de Agathe GiraudLe mythe de la chute des Burgraves (voir texte joint)


Discussion

Méthodes de l’histoire littéraire

Claude Millet remercie Agathe Giraud pour sa communication belle et précieuse. Cet exposé confirme ce que dit Baudelaire en 1843 : cette histoire de « chute » n’est qu’une cabale d’envieux. Pour lui, il s’agit simplement une petite guerre à l’intérieur du champ.

Claude Millet estime que la thèse d’Agathe Giraud engage la fabrique de l’histoire littéraire – au-delà des Burgraves – dans un moment très particulier, qui est celui de l’émergence de l’histoire littéraire elle-même. Cette polarisation entre classiques et romantiques est très frappante. Or quand on regarde les répertoires, ils ne sont pas organisés selon ce clivage. Ils sont dominés par le vaudeville et quelques mélodrames. Donc cette opposition classiques/romantiques est une pure construction ! Celle-ci s’explique sans doute en partie par le fait que la Comédie-Française cristallise, dans sa vocation patrimoniale, l’appel à un retour à une grande tradition nationale classique. Mais tout de même, le schéma est totalement plaqué. Et cela d’autant plus que Hugo n’a pas revendiqué cette pièce comme une pièce romantique. La permanence de ce schème de lisibilité idéologique est absolument fascinante. Et l’histoire littéraire n’en sort pas, malgré les travaux récents de Stéphane Zékian.

Il est d’ailleurs fascinant de voir à quel point l’histoire littéraire est reproductrice, et à quel point elle est modelée sur les shèmes d’ une histoire politique telle qu’on n’en fait plus. Elle méconnaît souvent les interrogations sur la pluralité des rythmes, la remise en cause de la notion d’événement, l’articulation du continu et du discontinu, etc. L’histoire littéraire est piégée par des schèmes d’écriture de l’histoire complètement naïfs et obsolètes. L’histoire culturelle fait mieux. Elle a au moins a le mérite de s’intéresser aux archives. Mais une chose frappante, c’est que cette histoire littéraire repose largement sur l’idée qu’un clou chasse l’autre. L’idée de superposition de générations, de simultanéité du non-contemporain, lui est étrangère.

À ce propos, Claude Millet précise qu’elle n’a jamais dit que le romantisme s’arrêtait en 1869. Le romantisme n’a pas de date de naissance ni de date de fin. Il vaut mieux parler, avec Kracauer, de tonus : on peut dire que le romantisme est le « tonus » de 1830. Mais une approche fondée sur des bornes chronologiques ne fonctionne pas.

La thèse d’Agathe Giraud, selon Claude Millet, va cristalliser toutes ces questions. Comment, donc, se fabrique cette histoire littéraire ? À coup de construction d’événements, de polarisations, et peut-être d’absence de distance par rapport au discours contemporain. Peut-être le problème est-il que les discours contemporains, justement, parlent de classicisme et de romantisme.

En tout cas, Claude Millet félicite l’oratrice pour son très beau sujet, qui soulève des enjeux historiographiques passionnants.

 

La « chute » des Burgraves et du Roi s’amuse

Arnaud Laster remercie l’oratrice pour son exposé très suggestif. Il lui semble que l’instrumentalisation des faits par l’histoire littéraire est, en effet, particulièrement intéressante dans le cas des Burgraves. Cette idée d’un prétendu échec de la pièce en 1843 explique d’ailleurs largement l’occultation ultérieure du théâtre de l’exil.

Cela dit, Hugo lui-même a parlé d’une « chute » des Burgraves, ce qui nuance la thèse d’un pur mythe. Dans une lettre à Lacroix de 1864, il dit : « Je me suis tu après les Burgraves… » Et Les Burgraves ont bien été sifflés. Hugo a donc un peu entériné l’idée d’une chute des Burgraves, et l’idée que cet échec explique son silence de quelques années – avec, bien sûr, la mort de Léopoldine.

Par contre, il est plus délicat de parler de la « chute » du Roi s’amuse. Là, il s’agit d’une pièce interdite par le pouvoir après une représentation. Il faudrait étudier la première, les réactions du public, etc. Mais c’est un cas très différent des Burgraves !

 

Le grotesque des Burgraves

Arnaud Laster souligne que l’idée d’une disparition du grotesque dans Les Burgraves relève d’une erreur manifeste sur le sens du grotesque pour Hugo. Le grotesque, ce n’est pas seulement le bouffon et le burlesque, mais aussi le difforme. Guanhumara est un personnage grotesque en ce sens-là. Il n’y a pas de renoncement au grotesque dans cette pièce – il y a même, ajoute Claude Millet, une invasion du grotesque ! – Mais l’histoire littéraire, continue Arnaud Laster, a figé la notion de grotesque.

 

Silence de Hugo après Les Burgraves

Pierre Georgel est frappé par le fait qu’entre Les Burgraves et la mort de Léopoldine, Hugo entreprend un grand travail d’écriture.

Il a cessé de publier, reprend Arnaud Laster, mais pas d’écrire. C’est l’histoire littéraire qui a déformé la chose en prétendant qu’il n’avait plus écrit.

Quand il publie Le Rhin, précise Françoise Chenet, tous ses amis déplorent le fait qu’il ait renoncé à une carrière littéraire, et que ce soit sa dernière œuvre. Il semble bien quand même que dans son esprit Les Burgraves soient un point d’aboutissement. Il sera ensuite nommé à la pairie, et peut envisager une carrière politique : il n’est pas sûr qu’il ait eu envie de continuer à écrire. En tout cas c’est ainsi que ses contemporains perçoivent la chose, et l’intéressé ne dément pas.

Mais Claude Millet n’est pas d’accord pour dire que l’activité politique de Hugo entre 1843 et 1848 a pu l’empêcher d’écrire. La chambre des pairs, ce n’est pas la chambre des députés : ça n’a pas dû le phagocyter énormément. Il écrit tout de même beaucoup de poèmes. Certes, il y a un certain assèchement dépressif… Mais il faut aussi faire la part d’un phénomène propre au théâtre : c’est un genre très absorbant. Il ne suffit pas de livrer un volume à l’imprimeur. Il faut batailler, s’occuper des actrices caractérielles, etc. Quand on est en phase dépressive, on n’a pas forcément envie de s’engager dans ce genre de conflits.

 

Les Burgraves et Phèdre

Françoise Chenet est frappée par un possible parallèle avec Racine et Phèdre. Là aussi, on a un échec dû à une sorte de cabale. On a la même impression d’un auteur qui a voulu donner le maximum, en transgressant les codes, et en dépassant les notions de genre (ainsi, Les Burgraves relèvent-ils du mélodrame, du drame épique… ?).

 

Anglophobie

Françoise Chenet précise que les problèmes géopolitiques de l’époque concernent aussi bien l’Allemagne que l’Angleterre. L’opinion publique est anglophobe, et va contre Louis-Philippe qui, lui, est anglophile. L’Europe du Rhin et des Burgraves, c’est une Europe avec l’Allemagne, pas avec l’Angleterre. L’œuvre hugolienne est marquée par une anglophobie latente.

 

La réception du vieil Hugo

Pierre Georgel remarque que l’oubli de l’œuvre hugolienne tardive ne concerne pas que le théâtre. Dans l’histoire littéraire traditionnelle et dans la lecture scolaire de Hugo, il n’y a presque rien après 1860, et en particulier il manque les grands romans de la fin de l’exil.

Claude Millet déplore cette idée désastreuse selon laquelle le romantisme s’arrête au milieu du XIXe siècle, erreur qui induit des lectures fausses.

Mais Arnaud Laster relève que la figure de Hugo déborde le romantisme. Dans le mythe hugolien, c’est l’image du vieillard barbu qui l’emporte ! Et L’Art d’être grand-père a nourri des générations d’écoliers.

Oui, avec « Jeanne au pain sec », précise Pierre Georgel.

Il est d’ailleurs difficile, ajoute Arnaud Laster, de faire admettre aux gens que Hugo, à une certaine époque, n’a pas été barbu !

Pierre Georgel estime que le portrait de Bonnat a joué un grand rôle dans la fixation de cette image. Hugo y apparaît comme un Moïse de la République, peint par le peintre officiel de la Troisième République.

 

La réception politique des Burgraves

Claude Millet Planche a fait un article plutôt positif sur Les Burgraves. C’est un fait intéressant : les rapports entre Planche et Hugo sont une vaste question.

Par ailleurs, il faudrait regarder de très près les obédiences politiques des journaux. C’est un point essentiel, car les appréciations esthétiques peuvent être des manières de consolider des partages politiques. D’autant plus qu’il n’y a pas eu, semble-t-il, de réception politique explicite de la pièce.

Agathe Giraud répond que non en 1843. Mais en 1902, on se rend compte d’une possible lecture politique de la pièce.

Claude Millet remarque que la pièce pose aussi la question du napoléonisme : on est trois ans après le retour des cendres. Finalement, la réception semble avoir été très polarisée sur des questions de dramaturgie.

Quelques journalistes posent la question politique, ajoute Agathe Giraud, mais au détour d’une phrase. Ils abordent notamment la question du napoléonisme.

 

Éditer la réception des Burgraves

Jean-Marc Hovasse estime qu’il serait utile de faire une édition de toute la réception des Burgraves. Ce qu’on a dans l’édition de l’Imprimerie nationale est très partiel.

Il y manque même l’article de Baudelaire, signale Claude Millet.

 

Reprises des Burgraves

Jean-Marc Hovasse demande si la pièce a été reprise entre 1843 et 1902.

Florence Naugrette répond qu’elle a été reprise en 1846, avec plusieurs représentations. Or une pièce qui avait chuté n’était pas reprise.

Agathe Giraud ajoute que d’après les archives de la Comédie-française, il semble que la pièce n’ait plus été reprise ensuite.

Cela en fait une pièce à part, reprend Jean-Marc Hovasse. Le Roi s’amuse, lui, a été repris en 1883.

Cela démontre bien, répond Claude Millet, le caractère performant des discours critiques. À partir du moment où la pièce a été construite comme un échec, elle le devient.

Quand elle la reprend en 1846, précise Florence Naugrette, la Comédie-Française sait que la pièce n’a pas chuté. Ce discours sur la chute s’est consolidé après 1846, et est entré dans l’histoire littéraire.

 

Guy Rosa souligne qu’il s’agit de la pièce la moins jouée de Hugo.

Mais c’est une pièce extravagante ! répond Claude Millet. Les jeunes premiers ont quatre-vingt-dix ans.

Arnaud Laster ajoute que Les Burgraves restent, même après 1902, l’une des pièces les moins jouées de Hugo. En dehors de la mise en scène de Vitez, l’adaptation la plus réussie est une production télévisuelle.

 

Le romantisme théâtral après Les Burgraves

Florence Naugrette signale que dans les manuels scolaires de la Troisième République, on trouve souvent l’idée que les dramaturges romantiques prennent acte de la catastrophe des Burgraves, et que celle-ci leur ouvre les yeux : alors les romantiques ont arrêté d’écrire de la littérature romantique, et sont devenus réalistes, c’est-à-dire classiques. Or Dumas et Musset n’ont pas arrêté d’écrire après Les Burgraves.

La première chose à faire, suggère Guy Rosa, serait de faire la liste des textes écrits et des représentations sur la période 1843-1902. Est-ce que la production romantique se maintient ? Et les représentations ? L’idée d’un déclin du romantisme théâtral à partir de 1843 n’est peut-être pas si fausse que cela.

Le travail a déjà été en partie mené, répond Florence Naugrette.

 

Le jeu des acteurs en 1843 et en 1902

Sylvie Vielledent est très intéressée par la comparaison entre 1843 et 1902. En 1843, le jeu des acteurs était ridiculisé dans les parodies (on leur reprochait de crier trop fort) tandis qu’en 1902 le jeu de Segond-Weber a été encensé, alors que l’actrice se lacérait, adoptait un jeu frénétique – qui, à l’époque, s’était complètement acclimaté.


Communication de Delphine Gleizes : Histoire de mains (Les Misérables)


Discussion

Claude Millet remercie Delphine Gleize pour sa très belle communication, qui mettait en évidence la manière dont l’extrême corporalisation va vers la spiritualisation, comme dans l’exemple de la main de la conscience. En fait, Hugo refuse l’opposition entre corporalité et spiritualité.

Guy Rosa observe que l’exposé de Delphine Gleize ajoute un réseau inédit à un certain nombre d’autres, déjà repérés : les jardins, les vêtements… C’est un exploit d’en repérer un ! Et cela nous donne une sorte d’explication du génie de Hugo : chaque réseau est cohérent, et tous sont cohérents entre eux. Il est assez satisfaisant de savoir pourquoi Hugo est génial !

 

D’autres mains littéraires

On a envie, dit Claude Millet, d’aller voir sur Frantext ce qui se passe chez les autres écrivains réalistes. Dans un texte de 1974, Thomas Pavel oppose la description « classique » d’Éllénore, dans Adolphe de Constant, et la description « réaliste » de Mme Arnoux dans L’Éducation sentimentale. Flaubert note que Mme Arnoux a des ongles roses, justifiés par le regard désirant de Frédéric, tandis que le portrait d’Ellénore reste abstrait. Or dans les exemples pris par Delphine Gleize, le zoom sur le détail est parfois justifié par le regard d’un personnage, mais parfois simplement par la narration. On pourrait aussi aller voir du côté des descriptions balzaciennes…

Florence Naugrette signale une étude de Régine Borderie sur la main chez Balzac. L’auteur, spécialiste des portraits, commente notamment la main poilue de Vautrin. Elle a aussi étudié par ailleurs le portrait de Catherine Leroux, dans Madame Bovary – le portrait est focalisé sur ses mains et sa manière de les tenir.

Claude Millet se demande si les narratologues cognitivistes ont des choses à dire là-dessus. Une chose est la présence de mains dans un portrait illustré, autre chose est leur présence dans une description du personnage. L’évocation de la main suggère un morcellement du corps et produit une distorsion de l’image mentale via un effet de zoom. Les lecteurs de Hugo ou de Flaubert, habitués au régime de description de Constant, ont dû subir de petits chocs de distorsion.

Delphine Gleize relève que dans les textes du XVIIIe siècle, l’évocation des mains (comme des dents perlées, ou de la gorge faite au tour) est habituelle.

Claude Millet précise que d’après Pavel, le portrait en régime classique renvoie à ce qu’un honnête homme peut dire d’une personne dans une conversation mondaine. On peut évoquer la joliesse des mains, mais pas les ongles roses, et encore moins les accidents sur la peau.

 

Jean Valjean hystérique

Claude Millet demande à Delphine Gleize comment elle conçoit son rapprochement entre Hugo et Charcot, en dépit de l’anachronisme ?

Pour Delphine Gleize, ce n’est pas un anachronisme : la conscience du phénomène hystérique est antérieure à sa théorisation médicale. Et de fait, le repérage clinique et physique des signaux du texte renvoie à des faits psychiques. Ce que propose Charcot, c’est un modèle interprétatif, une manière de relier entre eux les symptômes ; d’ailleurs, de manière intéressante, il les rapporte à une constitution physique robuste. Donc il n’y a certes pas, chez Hugo, de plagiat par anticipation, mais il y a peut-être une certaine acuité à certains phénomènes cliniques.

Claude Millet reconnaît que cette acuité est indéniable. Cependant, le fait de noter des signes cliniques de manière fluide n’est pas identique au fait de les ramasser dans un diagnostic clinique, celui de l’hystérie.

Mais Hugo, répond Delphine Gleize, a conscience qu’il y a du trauma qui s’exprime dans la gestuelle. D’ailleurs il y a des moments où Jean Valjean, souffrant, en crise, est rapporté au féminin. L’oratrice explique qu’elle n’avait pas cette idée quand elle a commencé son enquête, mais la scène entre Valjean et Marius a été pour elle un déclencheur. L’idée de geste hystérisé a alors cessé d’être pour elle une simple métaphore. Le tableau clinique de Charcot résonne en fait très bien avec le personnage de Valjean.

D’ailleurs, note Guy Rosa, on déforme le personnage en l’imaginant plus fort et plus monolithique qu’il ne l’est : il connaît des effondrements, des sanglots…

Et de fait, reprend Delphine Gleize, dans le premier portrait de Valjean (lorsqu’il devient soutien de famille), il est caractérisé par une banalité lourde et pesante, une sorte d’apathie taciturne. Mais si on résume le personnage à cela, alors on nie la leçon du texte.

Claude Millet remarque que les sujets de l’hystérie masculine chez Charcot sont les mêmes que ceux de l’homosexualité masculine populaire chez Genet.

Ce sont les catégories identifiées par Cesare Lombroso, note Pierre Georgel.

 

Mains travailleuses

Guy Rosa souligne un fait de civilisation important. Aujourd’hui, les garagistes mettent des gants comme les chirurgiens, et la crasse ne s’incruste plus dans la peau des mains. D’autre part l'outillage a fait disparaître les travaux de force. Or il est vrai que les travaux de force rendent les mains grandes et calleuses. La main énorme de Champmathieu correspond à une réalité socio-physiologique : elle est vraiment énorme, ce n’est pas un fantasme. C’est que Champmathieu est charron, travail où les main souffrent, son intervention le dit.

Delphine Gleize projette alors à l’écran une photographie de mains qui travaillent, prise par Charcot. Guy Rosa regrette qu’il manque les dimensions.

 

Les recueils d’images de gestes

Myriam Roman demande s’il existe dans l’histoire des beaux-arts des études systématiques de mains et de gestes ? Le dessin de Hugo fait penser à un autre dessin de main réalisé par Hugo, « Le rêve » : s’agit-il d’une pratique propre à Hugo, ou bien d’un code de l’histoire de l’art ?

Pierre Georgel confirme qu’il existe des recueils d’images de geste.

 

Thénar-dier

Françoise Chenet relève que le nom de Thénardier fait penser au mot thénar, qui désigne une partie de la paume de la main.

 Jordi Brahamcha-Marin