Séance du 21 janvier 2017

Présents:


Informations

Claude Millet souhaite une très bonne année aux membres du groupe Hugo. Nous accueillons aujourd’hui Gérard Audinet, conservateur en chef de la Maison Victor Hugo. Jean-Marc Hovasse et Franck Laurent s’excusent de ne pas pouvoir être là : ils sont allés écouter une intervention que Yannick Balant donne à l’ENS Ulm.

 

Conférences

Claude Millet signale que Franck Laurent parlera le 21 février au séminaire d’Antoine Compagnon au Collège de France, sur la violence dans Les Châtiments.

 

Le site du Groupe Hugo

Guy Rosa indique que les chiffres de consultation sont considérables, encore qu’on n’ait guère de moyens de comparaison. On peut tout de même signaler le chiffre de 17 700 visisteurs distincts pour le mois de mai 2017, à rapprocher des 1 200 annoncés pour le site de la Société des Etudes romantiques. En tout cas, les consultations sont le fait d’un public très élargi ; elles concernent en particulier le texte des Misérables et les commentaires sur Les Contemplations. Autre article-star : une très ancienne communication de Hoffmann sur Hugo et les noirs. Il est amusant de voir les fluctuations de la fréquentation selon les programmes de concours. En tout cas, il commence à y avoir un très grand nombre de textes sur le site, et il est notable qu’aucun n’est totalement ignoré.

On peut mesurer le public de spécialistes au nombre de consultations de la chronologie, qui n’est pas utilisée par le public élargi: environ quatre mille dans l'année.

C’est également le public spécialiste qui consulte la bibliographie interrogeable – moins consultée que la bibliographie par liste, qui est sans doute utilisée, elle, par des élèves qui ont des devoirs à faire sur tel ou tel roman.

Bref, c’est un site bien consulté, qui n’est pas en mauvaise position, quand on tape « Hugo » dans Google, par rapport aux sites de la Maison Victor Hugo, de la BnF, etc.

En ce qui concerne les statistiques par auteur, Claude Millet repère qu’il y a cinquante-trois mille consultations pour Guy Rosa ! Modestement, l’intéressé précise qu’il s’agit d’un chiffre artificiel, car chaque note d’Histoire d’un crime, par exemple, compte comme un article.

Claude Millet signale aussi que Ludmilla Charles-Wurtz en est à quarante mille. Son article sur le mythe d’Orphée a trois mille vues : c’est vraisemblable, dans la mesure où cela peut faire écho au programme d’agrégation (Les Contemplations) de cette année.

Évidemment, précise Guy Rosa, les communicants les plus anciens ont davantage de vues que ceux qui n’ont fait que deux interventions.

Guy Rosa aborde enfin la question de l’origine géographique des requêtes. La majorité de celles qui ne sont pas faite en France même vient des États-Unis (et de Grande-Bretagne, ajoute Claude Millet). Mais cela n'est pas entièrement pertinent: il suffit que le fournisseur d'accès soit américain pour que l'accès soit enregistré comme venant des Etat-Unis.

 

Actualités de la Maison Victor Hugo

Gérard Audinet signale que la Maison Victor Hugo continue le travail de mise en ligne de l’iconographie hugolienne – il faut le faire, et de façon documentée. Il y a notamment un chantier de neuf mille estampes, pas documentées.

Les deux musées (Paris et Guernesey) fermeront en 2018 pour travaux. Il y aura notamment de grands travaux de rénovation à Hauteville-House (restitution de décor). Un appel au mécénat participatif sera lancé mi-mars, auquel Gérard Audinet souhaite que les hugoliens participent activement -moins pour l'importance des sommes que pour lancer le mouvement.

 

Spectacles

Arnaud Laster rappelle que Marie Tudor sera repris au théâtre de Ménilmontant du 7 au 12 février. Le 12, la représentation sera suivie d’un débat. La mise en scène est très intéressante et honorable : Arnaud Laster précise qu’il y a participé en tant que conseiller. La pièce est jouée par dix comédiens, ce qui est de plus en plus rare. Hélas, la pièce pâtit d’un manque de communication. Le théâtre n’a pas fait le nécessaire pour que le spectacle soit annoncé dans L’Officiel des spectacles. Cette semaine, la fréquentation a été très insuffisante.

D’autre part, divers spectacles sont annoncés. Une Lucrèce Borgia sera donnée au Théâtre 14. Il s’agit de l’une des quatre Lucrèce Borgia qui avaient été données 2014 – et l’une des meilleures, bien qu’elle eût moins de moyens que celle de Denis Podalydès (à la Comédie française) ou que celle de David Bobée. Il faut espérer (poursuit Arnaud Laster) que soit corrigé le choix malencontreux de faire interpréter Gubetta par une actrice, qui en faisait une sorte de sorcière shakespearienne. Peut-être était-ce dû à l’exemple de Guillaume Gallienne jouant Lucrèce Borgia…

 

Livres

Guy Rosa demande des avis sur le livre de Judith Perrignon, … Claude Millet a apprécié l’ouvrage, et se propose d’inviter l’auteure à une séance l’an prochain.

Arnaud Laster signale la récente sortie en poche du livre. C’est une histoire un peu romancée, bien sûr, mais très documentée.

 

Hugo président

Guy Rosa relève qu’Arnaud Montebourg s’est comparé à Victor Hugo. Le geste devient un lieu commun, comme la comparaison avec Cicéron au XIXe siècle…

Claude Millet constate, sans en tirer aucune conclusion, que Jean-Luc Mélenchon manie moins la référence hugolienne qu’il y a cinq ans.

 

Société des Amis de Victor Hugo

Arnaud Laster rappelle que la lettre d’information des Amis de Victor Hugo est disponible sur son site, dans sa version longue. Il y a des événements concernant Hugo tous les jours. Toutes celles et tous ceux qui ont vent de quelque chose concernant Hugo sont invités à le lui faire savoir, pour que la lettre d’information puisse l’annoncer, ou au moins l’intégrer a posteriori. Chaque année, la société organise un festival « Hugo et égaux », autour de Victor Hugo et d’un autre écrivain. Cette année, c’est Colette qui sera au programme. S’il y a moyen de trouver des liens entre Hugo et Colette, on en parlera à la Maison Victor Hugo le 13 février, en partenariat avec des spécialistes de Colette. Une ébauche du programme est disponible sur le site, et on espère qu’elle s’enrichira.

 

Cinéma

Arnaud Laster indique que Chambéry va projeter Les Misérables de Raymond Bernard, dans sa version restaurée. Il s’agit d’une des plus belles versions cinématographiques du roman, malgré ses écarts avec lui.


Communication de Gérard Audinet «Lecture» de Hauteville House (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet remercie Gérard Audinet pour son travail considérable, dont pourront profiter les visiteurs d’Hauteville-House, mais également les hugoliens ! La manière qu’a l’orateur de « lire Hauteville » à partir de sa formation d’historien de l’art vient très utilement compléter les travaux de Chantal Brière et d’Elisabeth Emery.

Gérard Audinet qualifie sa lecture de volontairement formaliste, et même au ras des pâquerettes. Son métier le veut. Mais effectivement, il est bon de croiser les approches. Il est très difficile, en tout cas, de parler du visuel : on le trahit toujours en le mettant en mots.

Chantal Brière confirme que cette lecture du décor était passionnante ; c’est, selon elle, la voie où il faut à présent s’engager. Il est effectivement nécessaire de ne pas lire chaque pièce pour elle-même, mais de mettre ne parallèle les différents espaces. Plusieurs parcours sont d’ailleurs possibles : on pourrait suivre, également, le parcours chinois…

 

Le (mauvais) goût hugolien dans son époque

Gérard Audinet explique que l’éternel problème, avec Hugo, c’est toujours de savoir si l’on contextualise assez. Le mélange des éléments décoratifs disparates, c’est classique au XIXe siècle. Le but de jeu, c’est de trouver ce que Hugo a de particulier. C’est la voie d’entrée que revendique l’orateur.

Claude Millet remarque que Hugo met des roses partout où il ne faut pas, du moins pour nous ; mais que ce « mauvais goût » est symptomatique du 19e siècle.

Gérard Audinet précise, à ce sujet, que la brocatelle en question a été retrouvée pendant des travaux. On l’a fait retisser pour tapisser la chambre de Hugo ; mais pas le plafond de l’antichambre du loock-out, car on a trouvé que cela aurait été laid. Mais elle devait avoir sa raison d’être à cette place.

Chantal Brière demande si Hauteville-House, à l’époque, était kitsch : qu’est-ce que c’était, alors, un bel intérieur ?

Gérard Audinet répond que l’on manque de sources sur la question. Paul Cheney dénonce le mauvais goût de Hugo, mais il n’est pas fiable – il dit cela pour se faire valoir. Dans certains articles de visiteurs anglais, on trouve plusieurs fois le mot ugly. Mais le problème, c’est d’avoir des témoignages suffisamment contemporains. Car il y a des effets de mode, qui changent très vite. Hormis cela, on dispose essentiellement de la vision de Charles.

Nicole Savy rappelle que Hugo, à Guernesey, est hors-sol, pas à Paris. Il ne connaît pas le style Napoléon III. Victor Hugo fait avec ses souvenirs de jeunesse, sa redécouverte du moyen âge, etc. Il est obligé d’avoir ses propres solutions ; et sa solution à lui, c’est cette œuvre très particulière.

Arnaud Laster souligne que Hugo a beaucoup réfléchi à cette question du mauvais goût, dans William Shakespeare notamment. Il y a chez Hugo une volonté claire de dépasser les critères traditionnels, d’extravaguer au besoin. Le désir de mélanger les styles lui est consubstantiel. Mais il existe une tradition française extrêmement lourde de la primauté accordée à la sobriété, à l’économie… Tout ce qui sort de cette ligne paraît souvent, hélas, de mauvais goût. Or la maison de Pierre Loti à Rochefort, par exemple, est admirable !

Mais le problème du « mauvais goût », nuance Claude Millet, se pose moins pour Loti que pour Hugo. Loti, c’est seulement un exotisme poétique un peu rêveur…

 

Le manuscrit de Chez un passant

Marie-Clémence Régnier indique qu’il y a deux écritures dans le manuscrit de Chez un passant. Quelle est l’autre main qui est intervenue ? Victor ? Charles ?

Gérard Audinet répond que Martine Contensoux, qui travaille sur le manuscrit, ne se prononce pas sur l’identité des deux écritures. Il se peut d’ailleurs que le manuscrit soit une copie. C’est peut-être l’écriture de Charles, mais ce n’est pas sûr.

 

Hugo décorateur

Nicole Savy rappelle que Hugo a inventé toute sorte de métiers : la conservation des monuments historiques, la mise en scène de théâtre, l’art d’être grand-père… et, donc, le métier de décorateur. Mais est-ce que ça existe, à l’époque, des hommes décorateurs, capables de dire qu’il ne faut pas mettre du rose ici ou là parce que la couleur va passer au soleil ?

Un grand manque, répond Gérard Audinet, c’est le trop peu de connaissance qu’on a de l’appartement de la Tour-d’Auvergne et de la place Royale. Certaines solutions de décoration qui ont été mises en œuvre à Hauteville House existaient place Royale. D’ailleurs, certains objets viennent de Paris.

D’ailleurs, demande Claude Millet, comment Hugo se procurait-il tous ces objets ? Est-ce que Charles en rapportait de Paris ou de Bruxelles ? Y a-t-il une correspondance de Victor Hugo avec les antiquaires parisiens ?

Gérard Audinet répond que sur l’île, c’est souvent Charles qui achète les objets. Cela dit, il y en a beaucoup dont on ne connaît pas l’origine. Les tapisseries de perle, on sait qu’elles viennent de Paris – elles étaient peut-être chez Juliette. On imagine la tête de Mme Hugo…

 

Aménagements et organisation intérieure

Claude Millet rappelle que la femme de Pierre Loti a exigé et obtenu, de son époux décorateur, une chambre normale et un salon normal. Adèle, elle, a l’air de s’être laissé envahir.

Il y a quand même, souligne Vincent Wallez, toute une partie de Hauteville House qui n’a rien de muséal, comme les chambres des enfants. Hugo est-il intervenu dans la décoration de ces pièces ?

En effet, répond Gérard Audinet, celles-ci ont immédiatement été aménagées pour être habitables. Les décors se sont faits progressivement (et on les connaît relativement mal) ; a priori, Victor Hugo n’intervient pas. C’est surtout Charles qui s’est chargé de la décoration de sa chambre, et il s’est aussi occupé de celle de sa mère.

Nicole Savy demande si le piano d’Adèle était dans sa chambre. Gérard Audinet répond qu’il y en avait un dans le salon des tapisseries, et, d’après certaines sources écrites, un dans sa chambre.

Arnaud Laster demande des précisions sur la « chambre de Garibaldi ». Gérard Audinet précise qu’il s’agit de l’autre nom de la galerie de chêne. C’est un espace très complexe, bâti sur une opposition entre le travail et le sommeil. On l’appelle « chambre de Garibaldi » à partir de La Voix de Guernesey, quand Hugo propose l’hospitalité à Garibaldi. C’est une pièce très spectaculaire pour le visiteur. Par contre, elle a beaucoup souffert du passage du temps.

Gérard Audinet explique, à ce propos, qu’on peut faire une typologie des pièces de Hauteville en fonction de leur état. Il y a les pièces en bon état et d’époque (la salle à manger…), les pièces en bon état mais qui ne sont pas comme à l’époque, et alors on les refait pas (le billard…), et les pièces qui ont beaucoup souffert, et dont l’aspect est altéré notamment dans ses aspects les plus spectaculaires. C’est le cas de l’escalier recouvert de feutre.

Cette matière avait probablement une fonction isolante, précise Gérard Audinet en réponse à une question de Nicole Savy. Ce devait être un tissu d’ameublement courant, puisqu’on en produisait de l’imprimé. C’est plus une pratique anglo-saxonne que française, en tout cas.

Arnaud Laster revient sur la question du billard. L’une des choses qui rend le témoignage de Cheney suspect, c’est qu’il dit que Hugo était passionné de billard ; or il a fait fermer la pièce.

Mais Gérard Audinet confirme que Hugo était bel et bien passionné à l’époque où il y jouait. Il cesse d’y jouer simplement parce qu’il n’a plus de partenaires de jeu.

Vincent Wallez relève qu’il y a des pièces d’apparat, faites pour être vues par les visiteurs, et qui semblent surtout destinées au public. A-t-on pu un peu y vivre, ou bien chacun restait-il dans son lieu privé ?

Gérard Audinet confirme que Hauteville était finalement très peu occupée. On a quand même quelques descriptions de soirées, autour du billard. Dans les grandes occasions, on se déplace vers le salon rouge et le salon bleu. On fait du théâtre dans le salon bleu, qui est aussi utilisé comme boudoir par Mme Hugo. Mais assez vite, Hugo y est quasiment seul.

 

Visites

Claude Millet demande des précisions sur les visites qui se faisaient à Hauteville du vivant de Hugo. Dans quel cadre avaient-elles lieu ?

Gérard Audinet confesse n’être pas expert sur la question. Mais Hugo note dans un carnet que la cuisinière s’est fait un peu d’argent en faisant visiter la maison.

Cela arrive quand Hugo est en voyage, précise Chantal Brière.

 

La serre

Guy Rosa souhaite que l’on revienne sur les rapports entre Hauteville House et Marine-Terrace.

Ceux-ci, expliquent Gérard Audinet, tiennent surtout à la serre. Il y a quelque chose de significatif dans cette histoire de serre ; on a parfois confondu les deux serres… Hugo y tient beaucoup en tout cas. C’est une construction typique de l’architecture anglo-normande, qui avait pour les Hugo un effet de nouveauté.

Chantal Brière précise qu’il est fréquent, à Guernesey, de voir des vignes plantées en intérieur. On trouve même cela dans certains restaurants.

Et cela a dû intéresser Hugo dès l’époque de Marine-Terrace, reprend Gérard Audinet. Il a voulu recréer cela à Hauteville.

Marie-Clémence Régnier rappelle que la serre est à la mode, en France, sous le Second Empire. Maupassant a un bureau-serre à Paris. Et cette serre de Hugo est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de commentateurs ont vu en lui un pionnier de l’art décoratif.

Claude Millet rappelle qu’il y a aussi une serre dans La Curée de Zola.

Et Zola, ajoute Marie-Clémence Régnier, prétend que ses intérieurs sont romantiques (en mélangeant le romantisme à la Balzac et le romantisme à la Hugo).

 

Les maisons de Juliette

Arnaud Laster rappelle la légende selon laquelle Hugo aurait acheté moins cher Hauteville House, parce qu’elle avait la réputation d’être hantée.

Gérard Audinet explique que cette idée vient de Vacquerie. Mais il parle de la première Hauteville House, future Hauteville II, la demeure de Juliette Drouet.

Une autre légende, précise Arnaud Laster, veut que Hugo ait acheté Hauteville avec l’argent des droits d’auteur des Contemplations. En fait, il a juste payé l’acompte.

Vincent Wallez demande si c’est Hugo qui dirige la décoration des deux maisons successives de Juliette.

Oui, répond Gérard Audinet. Il y a encore tout un travail à faire sur les maisons de Juliette. Certaines choses appartenant à la famille sont réemployées à Hauteville II. Les cadres en bois peint découpé viennent de Hauteville House, et on les retrouve chez Juliette… On attend beaucoup de l’édition des lettres de Juliette après 1856 : elles seront une mine de renseignements !

Vincent Wallez note qu’elles permettront peut-être de faire la liste de tout ce qu’ils se sont offert – ils s’envoyaient énormément de petits cadeaux.

Jeanne Stranart rappelle qu’au cours de ses séjours à Bruxelles, Juliette écrivait à Hugo que tel tissu lui plaisait, et lui demandait l’autorisation de l’acheter. Elle a pu participer aux décorations.

 Jordi Brahamcha-Marin