Séance du 11 octobre 2014

Présents: Mmes Claude Millet, Yvette Parent, Delphine Gleizes, Françoise Chenet ; MM. Jordi Brahamcha, Vincent Wallez, David Stidler, Arnaud Laster, Jean-Marc Hovasse, Hisashi Mizuno, Guy Rosa, Yannick Balant.


Informations

Claude Millet fait circuler un livre de M. Hisashi Mizuno consacré à Rimbaud. S’y révèle l’influence que Hugo exerça sur ce poète (Rimbaud entre vers et prose, Editions Kimé, Paris, 2014).

Arnaud Laster fait circuler un ouvrage offert à la bibliothèque Seebacher par M. John J. Janc (Hernani Edition Critique Revue et Augmentée, University Press of America, 1992).

Jean-Marc Hovasse rappelle que Mme Anne Kieffer a soutenu le 26 septembre 2014 sa thèse sur la correspondance de Juliette Drouet (1848-1851). On y voit apparaître un « cousin » de Victor Hugo, Alexandre-Victor de Montferrier, que l’Histoire retint parce qu’il hébergea l’écrivain quelques jours durant le Coup d’Etat.

Arnaud Laster aura peut-être une invitation à proposer pour la générale de Lucrèce Borgia. Le spectacle sera probablement joué dans de nombreux théâtres, y compris en région parisienne.

Guy Rosa a mis en ligne le carnet BN Nafr 25 739. Ce n'est pas un carnet de comptes -appelés "agendas" dansl 'édition Massin; ce n'est pas non plus ni un album, ni un carnet de notes, mais un peu des deux. D'une manière générale, les carnets valent la peine d'être lus en manuscrit. L'effet est saisissant: "Le premier exemplaire de William Shakespeare est arrivé à Guernesey. Payé le gaz." On peut se demander si Hugo n’écrit pas là une autobiographie tout à fait particulière, avec, parfoi, beaucoup d'humour. Si l'on tient compte du fait qu'il brûlait beaucoup de papiers, le fait d’avoir conservé ceux-là n'est pas un hasard.


Communication de Yvette ParentVictor Hugo et l'ironie romantique II (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet. Pendant que Guy Rosa cherche votre dernière référence, j’en profite pour dire ce qui me frappe dans votre exposé : l’instabilité des conceptions et des pratiques de l’ironie chez Hugo, et le fait que le romantisme français vit une tout autre histoire que le romantisme allemand. L’ironie pour Hugo est une question morale et politique, ce qui n’empêche pas des effets d’ironie romantique en tant que réflexivité. Mais ses déclarations renvoient toutes à la puissance du négatif, et interrogent la possibilité de la récupérer dans une dynamique, ce qui est une manière de franciser la chose.

 Yvette Parent. Vous avez tout à fait raison. La séparation est politique. L’idéalisme allemand a été une réponse transcendantale à la nullité de la bourgeoisie allemande, incapable de faire sa révolution. L’état de l’Allemagne est alors dramatique : elle se relève à peine au XVIIIe siècle.  Schiller a essayé de faire le drame politique en faveur du peuple, mais passer sur le plan philosophique fut une sorte de compensation. Schlegel considérait cette révolution comme plus importante que la Révolution française… Hugo a pris beaucoup de choses à Schlegel, mais il a besoin de Voltaire sur le plan politique. Par conséquent il se réconcilie avec le patriarche de Ferney.

Guy Rosa. La dernière citation de votre communication pourrait bien être ironique…

Claude Millet. S’agissant de la lecture par Sainte-Beuve  de Notre-Dame de Paris, il y a déjà eu ici un débat : Guy Rosa la trouvait stupide et je la trouvais juste. Ce qui frappe, c’est le ton railleur du narrateur, ce badinage qui sépare ce roman des autres œuvres.

Arnaud Laster. Il y a de l’ironie dans L’Homme qui rit !

Claude Millet. Mais elle n’absorbe pas le roman. Dans Notre-Dame de Paris, c’est une tonalité générale. Par ailleurs, je voulais rappeler qu’il y a une autre spécificité française, celle de « l’esprit français », c’est-à-dire l’ironie de la bourgeoisie voltairienne. 

Guy Rosa. Cette ironie n’a plus rien à voir avec l’autre.

 Yvette Parent. Oh  si !

Claude Millet. En tout cas, elle est tellement importante historiquement que tous les écrivains ont dans le collimateur cet « esprit » que l’on peut définir comme une dérision facile ou cynique, en même temps qu’habitée par les poncifs du « bon sens ».

 Yvette Parent. Hugo n’aime pas cette ironie. Il est passionnant de voir que le groupe d’Iéna est parfaitement athée, et cette rupture avec Dieu permet de dire les choses beaucoup plus librement. La tentation de ne pas croire chez Hugo est fascinante, mais continuellement il se raccroche à Dieu.

Claude Millet. Je ne suis pas d’accord sur l’analyse que vous avez reprise à A. Ubersfeld. Les bouffons ne représentent pas le peuple, et ils sont nihilistes. Les grotesques sont à l’intérieur de Cromwell une figure de la limitation d’une littérature qui se cantonnerait dans le grotesque sans atteindre le sublime. Cela est explicite  dans les énoncés méta-poétiques ou dramatiques. Quant à Gubetta, il exhibe la vanité du pouvoir pour mieux s’en servir, et il triomphe à la fin malgré lui et d’une certaine manière contre ses propres intérêts.

Arnaud Laster. Gubetta est profondément classique et anti-romantique. C’est un partisan de l’unité.

Claude Millet. Le cantonnement dans le grotesque empêche la contestation. C’est dans l’aspiration au sublime que le grotesque peut permettre la contestation (ainsi de Triboulet). Mais les personnages grotesques eux-mêmes sont des serviteurs du pouvoir tyrannique. C’est la fonction historique du bouffon.

Yvette Parent. Vous avez tout à fait raison. Mais Ubersfeld explique la relation entre le bouffon et le peuple. Elle étend cette dimension aux fous, et je suis d’accord avec vous pour dire que cela ne va pas jusque-là.

Claude Millet. Prenons Ursus et son discours amphibologique…

Guy Rosa. Antiphrastique, pas amphibologique.

Claude Millet. Tout le discours d’Ursus, il me semble…

Guy Rosa. Non. Il y a le Ursus avant le sauvetage des enfants, et le Ursus après. Le personnage sait ce que représente Gwynplaine, et il peut donc prévoir des ennuis à venir. Il devrait rester à l’écart, dans son propre intérêt.

Claude Millet. Je suis d’accord pour dire que c’est un personnage extrêmement compliqué. Mais il veut se préserver du pouvoir et se cacher.

Guy Rosa. Mais il fait le contraire de sa doctrine !

Claude Millet. Mais sa propre position de personnage ironique en retrait est ironisée par le roman lui-même pour montrer que c’est une position impossible. On ne peut pas faire de son rire un rire d’engagement.

Guy Rosa. Ce  n’est pas tout à fait exact : il apprend à Gwynplaine la vérité de la société, même par antiphrase. Et Gwynplaine répètera cet enseignement. Certes, il n’y a pas un chemin de Damas aussi flagrant que pour Lantenac.

Arnaud Laster. Il n’y a pas de chemin de Damas pour Lantenac !

Guy Rosa. Mais si. Ca n'en fait pas un Père de l'Eglise, d’accord…

Françoise Chenet. Ursus est ventriloque, ne l’oublions pas. Si l’on parle de l’ironie, il faut renvoyer au ventre et au prologue de Gargantua.

Claude Millet. Le ventre est libre, mais pas la parole. Il me semble qu’Ursus montre l’impuissance de ce rire, pris dans la domination. Le schéma carnavalesque ne fonctionne jamais chez Hugo. Le rire de l’homme du peuple est toujours pris dans…

Arnaud Laster. Pas celui d’Aïrolo.

Claude Millet. Car le « Théâtre en liberté » est précisément un espace de liberté.

Françoise Chenet. Autre question. Le savant poète G. c’est Geoffroy Saint-Hilaire, et la construction est assez claire : il y a un dépassement de l’ironie. C’est la même chose dans Le Rhin. Il dit que ce charlatan est un charlatan. Il y a quelque chose à trois temps : le vrai, puis le faux, puis le vrai. Ce charlatan mérite d’être à l’Académie. La vérité est toujours cachée, et elle peut se manifester dans des choses souterraines. Ce qui est faux peut cacher une vérité. D’où cette idée sur l’ironie et le visage : l’ironie est le visage du diable. Or le diable avance toujours masqué. Il y a dans l’ironie un jeu du paraître. Par ailleurs, personnellement, je ne trouve pas très clairs ces rapports entre antithèse, antiphrase, antinomie, amphibologie…

 Yvette Parent. Non, je n’ai pas dit ça. L’amphibologie était un hommage  à Claude Millet, et je n’avais pas le temps de traiter cette question.

Françoise Chenet. Pour moi, l’ironie pose le problème de l’ambiguïté. L’antithèse celui de l’ambivalence.

 Yvette Parent. Pour le groupe d’Iéna, l’ironie est le constat de l’antithèse. Comme Hugo n’ose pas dire que Dieu est ironique, il refuse d’aller jusqu’au bout d’un constat qui touche à Dieu.

Guy Rosa. Je ne suis pas sûr que Hugo ne soit pas satisfait d’un monde antithétique. Le bien et le sombre sont nécessaires à la beauté. Je voulais dire une chose. L’ironie se perd un peu, dans votre exposé, au milieu de la dérision, du sarcasme, de la moquerie, du cynisme, du scepticisme… Si l’on cherche à faire la différence, on n’aboutit à rien. Il n’empêche que, d’une manière générale, Hugo accepte la contradiction  plutôt que de renoncer à une position thétique ou affirmative. Pour cette raison, la raillerie, le scepticisme, le cynisme ne sont pas du côté de Hugo. Il refuse cette mise à distance du sarcasme.

Claude Millet. Je dialectiserais cela. Il faudrait pour lui que le sarcasme soit dépassé pour aboutir à une affirmation.

Guy Rosa. Et c'est donc l'absence de ce dépassement, la légèreté de Voltaire qui le gêne.

Arnaud Laster. Son éloge de Sancho Pança s’achève sur « Songe à ta peau ».

Claude Millet.  Hugo dit qu’il y a des époques où le monde est pris dans un faux sublime et où il faut un Sancho.

Arnaud Laster. Mais c’est de notre temps aussi ! Quand des tyrans veulent nous envoyer à la boucherie, il faut songer à sa peau !

Guy Rosa. Tiens? Je croyais qu'il fallait lutter ou se sacrifier. C’est au bénéfice de Don Quichotte contre Sancha que Hugo parle !

 Claude Millet. Mais en reconnaissant que cette position grotesque peut avoir, parfois, son utilité. Il y a des retournements permanents. Il me reste à vous remercier pour cet échange.

(La séance s’achève à treize heures.)

 David Stidler