Séance du 14 septembre 2013

Présents: Mmes Claude Millet, Claire Montanari, Colette Gryner, Béatrice Ferrari, Emilie Pezard ; MM. Luciano Pellegrini, Vincent Wallez, Denis Sellem, David Stidler, Jean-Pierre Langellier, Pierre Burger, Jean-Claude Fizaine.


Informations

Claude Millet prie l’auditoire de bien vouloir excuser les absents, la journée du patrimoine faisant une concurrence féroce à la rentrée du Groupe Hugo.

 

Vincent Wallez signale que Pierre Georgel prépare une édition de La Légende des siècles. Claude Millet précise que cette édition paraîtra aux éditions Citadelles et Mazenod et que le résultat sera très certainement superbe.

 

Jean-Pierre Langellier signale la parution aux éditions Belfond d’un ouvrage de M. Hugo Boris intitulé Trois grands fauves, consacré à Danton, Hugo et Churchill. C’est principalement un exercice de style littéraire, avec de véritables qualités d’écriture. Claude Millet voit dans un tel choix une belle trinité, et un rapprochement intéressant.


Communication de Luciano PellegriniRemarques sur la poésie du jeune Hugo (voir texte joint)


Discussion

Claude Millet. Je vous remercie pour cette communication très riche, et portant sur un sujet auquel peu d’études ont été consacrées. Je voudrais tout d’abord vous dire combien j’ai apprécié votre travail sur les traductions du latin au français. Nous devrions recruter des italiens pour enseigner cette langue morte : votre prononciation était si musicale ! (sourires) Je laisse la parole à l’auditoire.

Jean-Claude Fizaine. Il faut bien comprendre que l’enfance de Hugo se déroule dans un climat d’angoisse insoutenable. Ses parents se disputent, et l’Espagne est un pays où nul n’est en sécurité. Je parlerais de « résilience », même si je n’apprécie pas trop ce terme. Ce mécanisme psychologique procure une résistance au malheur le plus extrême. Cela est perceptible dans les écritures de jeunesse, et de ce point de vue votre travail est passionnant. Victor Hugo s’est construit sur un rien. Bien sûr, sur un rien et beaucoup de choses. Mais disons qu’il s’est construit sur du chaos. Le récit va alors extérioriser la violence, qui n’est plus subie mais vue. Nous pouvons dire qu’il s’agit d’une euphémisation, qui va malheureusement influencer les biographes, y compris notre collègue Jean-Marc Hovasse. J’insiste sur le fait que l’Espagne est un voyage catastrophique, et c’est cette tourmente que traverse la famille Hugo. Comme vous le dites très bien, il s’agira alors, pour l’écrivain, de transformer une blessure en énergie. Évoquons seulement le retour au pays : le territoire tenu par les français est un cordon, avec un soldat tous les dix mètres pour garantir la sécurité du convoi. Les voyageurs dorment dans les voitures, en rase campagne. Certes, il est possible d’assister à un beau lever de soleil, mais au milieu de nulle part ! Adèle raconte que le jeune Hugo assiste à une mise à mort, mais c’est nécessairement une invention ! Cela n’est tout simplement pas possible. On voit comment ce traumatisme d’enfance devient subitement la découverte de la violence sociale. Il s’agit d’un mensonge, et d’une tentative pour rendre positive cette angoisse d’une violence insoutenable. On en fait alors la source de son génie.

Claude Millet. N’oublions pas que nous vivons dans une culture de la victimisation, du trauma, des trauma studies  importées des États-Unis, etc… Mais quand nous lisons les récits de la Bérézina, chez Stendhal par exemple, nous ne trouvons pas le pathos que nous attendrions. Le contexte psychologique et culturel a évolué.

Luciano Pellegrini. Au centre de ma thèse sur la jeunesse de Hugo se trouve cette conscience de ce que je nomme la « familiarité du mal ». Mais je préfère fonder mon discours sur l’analyse de textes, non sur les faits biographiques. Très jeune, l’auteur élabore un système autonome dans ses premières poésies, dans lesquelles on trouve le retour du refoulé, contrairement à ces euphémisations des récits autobiographiques que vous mentionnez.

Claude Millet. Contrairement à ce que vous suggérez, certaines mères sont épouvantables dans l’œuvre de Hugo. Je vous renvoie à L’Art d’être grand-père  (et aux Misérables).

Luciano Pellegrini. Selon moi, il ne faut pas trop distinguer entre mère et père. Il faut plutôt faire appel au concept d’autorité.

Jean-Claude Fizaine. Sur la question du mal, je voudrais préciser que Victor Hugo n’a jamais été aussi heureux poétiquement que lorsqu’il chante la Révolution, qui est la figure du mal absolu dans ses œuvres de jeunesse. La Révolution était décrite comme nous parlerions aujourd’hui du nazisme. Hugo a déployé ses ailes d’auteur dans ce climat-là.

Luciano Pellegrini. Ce qui est particulier dans les Odes, c’est la tendance du poète à s’identifier aux victimes de la Révolution, qui représentent pourtant le pouvoir. Hugo changera après 1823-1824.

Claude Millet. De ce point de vue, les Odes font partie de ce premier moment d’une histoire centrée sur la victime, et polarisée par des schémas sados-masochistes.

Luciano Pellegrini. Dans les Odes, l’identification avec la victime est dans le même temps un engagement en faveur du pouvoir établi, ce qui ne sera plus le cas par la suite.

Claude Millet. Je voudrais aborder un autre aspect de votre communication. Je ne suis pas sûre que l’on puisse imaginer un Hugo effaçant les traces de l’influence de la littérature étrangère pour souligner a posteriori la novation de ses poèmes. Hugo ne s’inscrit pas dans une téléologie de la modernité.

Luciano Pellegrini. Mais n’est-il pas étrange qu’il ne parle jamais de la poésie de l’Empire ?

Claude Millet. Non, il est parfaitement normal qu’il parle de Virgile et d’Horace.

Luciano Pellegrini. Et le cas de Jean-Baptiste Rousseau ?

Claude Millet. Il faudrait pouvoir comparer avec les lectures et la culture d’autres écrivains, au même âge et à la même date. Mais regardons l’œuvre de Mme de Staël. Elle n’a de cesse qu’elle ne présente la culture française comme repliée sur elle-même, narcissique, et dans la contemplation de sa propre splendeur. Quelques revues tentent de faire entrer un peu de littérature étrangère, mais la véritable ouverture se produit dans les années 1820.

Luciano Pellegrini. Dans les poésies, Voltaire est plus présent que Chateaubriand.

Claude Millet. Mais c’est sa culture ! Les tragédies de Voltaire !

Luciano Pellegrini. Mais il est influencé par le gothique dans ses romans. Pourquoi ne retrouve-t-on pas d’influences étrangères dans sa poésie ?

Vincent Wallez. Le roman est un plus tardif. Peut-être Hugo a-t-il eu accès à de la littérature espagnole quand il était dans ce pays… (désapprobation de l’auditoire) Non ? Dans tous les cas, les poésies semblent en retard par rapport au roman, mais très probablement parce qu’il y a eu des avancées dans le genre romanesque pour sortir du classicisme, et moins dans le domaine de la poésie.

Claude Millet. Hugo, selon moi, avait plus vite fait d’imiter Virgile.

Pierre Burger. Je voudrais revenir sur la Bérézina. Peut-être ne voyons-nous plus qu’un tel épisode était normal pour les contemporains.

Claude Millet. Non ! Ce n’est pas normal de casser un cheval gelé avec une hache pour manger, entouré de ses amis morts.

Pierre Burger. Certes non ! Mais la coupure au XIXe siècle se fait avec Solferino et la Guerre de Sécession, événements avant lesquels personne ne s’émeut. L’apparition de la Croix Rouge est aussi une date importante, et significative de ce point de vue.

Claude Millet. Sur ce point, je suis tout à fait d’accord.

Vincent Wallez. La campagne de Russie fut vécue comme un franchissement de seuil dans l’horreur, tout comme la guerre d’Espagne. L’ouverture toute récente des archives russes devrait faire évoluer la recherche.

Pierre Burger. Pour revenir sur le père et les débats qui nous occupent, je voudrais rappeler l’intervention du père dans Quatrevingt-treize : le narrateur précise qu’il peut parler de la guerre, car ce dernier lui a raconté.

Claude Millet. Le père, ou un substitut du père. Nous avons tous été élevés dans le souvenir et la transmission des souvenirs de guerre.  

Jean-Claude Fizaine. Il y a eu très peu de transmissions familiales. Il faut faire la part du silence dans ces questions.

Claude Millet. Nous pouvons aussi rappeler l’extrême violence du cadre scolaire. Hugo a connu le lycée napoléonien, qui devait être épouvantable.

Jean-Claude Fizaine. Il faut distinguer le lycée et la pension, où l’on faisait ses devoirs.

Pierre Burger. Sur ces questions, il faut lire Antoine Compagnon. C’était pareil en 1960. Certes, ils ne sont pas battus. Mais pour le reste… L’ouvrage d’Antoine Compagnon est un magnifique témoignage sur ces survivances.

Claude Millet. Nous sautons de la Bérézina aux classes de rhétorique (rires). Votre travail s’inscrit-il dans un cadre précis ?

Luciano Pellegrini. C’est un chapitre de ma thèse, consacrée à la poésie avant l’exil.

Claude Millet. Nous vous remercions pour cette communication très intéressante. Nous nous retrouverons le 5 octobre dans le cadre de la journée d’étude sur Cromwell.

 David Stidler