Séance du 23 mars 2013

Présents: Josette Acher, Brahamcha Jordi, Colette Gryner, Jean-Marc Hovasse, Jean-Pierre Langellier, Junxian Liu, Pierre Michon, Claude Millet, Claire Montanari, Christine Moulin, Guy Rosa, David Stidler, Vincent Wallez.


Informations

Claude Millet annonce une nouvelle adaptation par Christine Guênon de L’Homme qui rit, au théâtre de l’Aquarium. Une table ronde, à laquelle participeront Gérard Audinet et Claude Millet, se tiendra à l’issue de la représentation du 30 mars. Vincent Wallez ajoute que le film de Paul Leni est désormais disponible en DVD.

 

Jean-Marc Hovasse a vu les récentes adaptations cinématographiques : L’Homme qui rit  de Jean-Pierre Améris lui semble peu réussi, tandis que la comédie musicale Les Misérables de Tom Hooper lui paraît convaincante, contrairement à ce qu’ont pu affirmer beaucoup de critiques journalistiques. Guy Rosa et Claude Millet insistent sur la grande difficulté que représente le mélange du chant et du film historique.

 Ce film a rencontré un grand succès en Corée et au Japon, où le genre cinématographique de la comédie musicale est particulièrement apprécié. Le producteur redoutait en revanche les publics italien et français, notamment à cause du mélange de la fiction historique et de la comédie musicale ; il a anticipé un accueil peu enthousiaste dans ces deux pays ; en France, il n’a pas été prévu de VF, signe que l’on renonçait à une grosse diffusion.

La question de la réception mondiale de Victor Hugo est intéressante, y compris à son époque. Guy Rosa le rappelle : dans Les Misérables, Hugo sait que les événements décrits sont relativement lointains, et il ajoute des précisions concernant la qualité des individus tombés dans l’oubli ou le demi-oubli. Il est donc conscient de la distance temporelle. Etait-il conscient de la distance spatiale, et quelle était-elle ? Peut-être bien plus faible qu’on n’imagine : la traduction des Misérables en polonais est publiée avant l’édition originale en français. Jean-Marc Hovasse pense que cette internationalisation de la parole de Hugo vaut surtout pour les interventions politiques. Guy Rosa conclut en soulignant qu’il y a là un objet d’étude inabordé : Hugo était-il, de son vivant, un « écrivain mondial » ? a-t-il reconnu et adopté ce statut, qui n’était pas sans précédent - Voltaire ? Certains phénomènes vont dans ce sens : l’extension européenne (Espagne, Italie, Allemagne, Angleterre) de l’action des pièces de théâtre, par exemple, qui est propre à Hugo et tranche avec toutes les initiatives en faveur d’un d’un théâtre national.

 

Guy Rosa a mis en ligne ses conclusions sur la genèse d’Histoire d’un crime. Jean-Marc Hovasse salue la qualité et le grand intérêt de cette publication, à mettre en parallèle avec la création des Misérables.


Communication de Colette GrynerLes temps verbaux dans Les Contemplations (voir texte joint)


Discussion

Josette Acher : Votre conclusion rejoint tout à fait la préface des Contemplations : « Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi ».

Colette Gryner : L’expérience du temps est effectivement l’un des aspects de l’universalité de notre condition.

Claude Millet : Je ne suis pas sûre que l’on puisse juxtaposer comme des équivalents présent d’écriture et présent d’énonciation, en particulier dans la poésie lyrique. La poésie lyrique renvoie à un mythe de l’oralité. Il y a un écart entre le moment de la voix qui s’élève –et n’écrit pas–  et celui de l’écriture – en général omis ou éclipsé mais qui reste sensible. Dans Les Contemplations, ces deux présents cohabitent sans se confondre.

Guy Rosa : Ce serait vrai sans les dates, relativement rares en poésie lyrique (surtout avec la mention du jour), qui tendent à superposer le moment d’écriture et celui de la parole. Mais Claude Millet a raison et la distinction qu’elle demande ne donne que plus de pertinence à la présence des dates et d’originalité au recueil des Contemplations.

Claude Millet : Cela se complique d’ailleurs dans la partie « Autrefois », où la date stratifie l’énoncé lyrique entre un « je » passé presque cité par un scripteur qui est lui-même daté dans le passé par rapport au présent de la publication. De là des effets de superposition de temps très complexes.

D’autre part, il faut actualiser la bibliographie sur ce sujet : faire leur part aux travaux de Meschonnic, et aussi au colloque dont j’ai réuni les actes intitulé La Circonstance lyrique. Cette publication vous permettrait de sortir de cette fausse dramatisation, dans votre exposé, entre ce à quoi vous vous opposez (l’atemporalité de la poésie lyrique) et vos idées.

Colette Gryner : Je n’ai pas trouvé d’étude sur les temps verbaux dans La Circonstance lyrique.

Vincent Wallez : Quand un acteur doit dire un texte, il doit faire un effort sur lui-même pour être dans le présent. Sinon, le public a l’impression que l’acteur récite ou cite une parole antérieure et le texte « ne passe pas ». Il faut restituer le texte comme neuf et actuel, ce qui est difficile avec les pages anciennes. Il me semble que cette réflexion peut éclairer le rapport entre temps et poésie.

Guy Rosa : En effet, nous aurions plutôt tendance à citer, alors qu’il faut restituer.

C’est également vrai pour une thèse, une fois soutenue : comment actualiser à chaque fois son propos, sans rejouer la soutenance ? A moi, cela est facile : ayant eu la chance de soutenir « sur travaux », j’ai pu ne parler qu’au présent. L’ancienne thèse d’Etat avait de grands avantages : elle arrivait en fin de carrière, et sa soutenance se confondait à quelques années près avec le départ à la retraite. Le même « pot » pouvait fêter la publication de la thèse et celle du volume d’hommages – « Economies, économies… ». La nouvelle thèse expose au désolant « comme j’ai dit dans ma thèse » qui suscite immanquablement dans le public la réflexion muette : si tu l’as dit, ne le répète pas. Voilà donc le jeune maître de conférence contraint de se taire ou d’inventer autre chose –ce qui ne va jamais de soi et est profondément injuste lorsque la thèse soutenue était importante et novatrice. 

Claude Millet : Sans compter qu’on sort parfois de l’épreuve dans un tel état de fatigue qu’il est presque impossible d’échapper à la répétition. Rappelons-nous l’état du Groupugo après le bicentenaire. Epuisé. Nous discutions sans cesse sur l’index de l’édition Bouquins à propos des minuscules et des majuscules.

Guy Rosa : Ta mémoire te trompe ; la question de l’index fut très vite abandonnée pour cause d’abandon, par l’éditeur, de l’index lui-même. Quelques mois après ce fut le début d’une époque très productive – le nombre et la qualité des comptes rendus publiés sur le site le prouvent. Les communications de 1987 étaient celles de : Claude Millet, Annie Ubersfeld, Pierre Laforgue, Madeleine Rebérioux, Laurence Olivieri, Jean-Claude Fizaine, Pierre Malandain, Guy Rosa ; en 1988 : Françoise Chenet, Annie Ubersfeld, Pierre Georgel, Agnès Spiquel, Jean-Claude Fizaine, Bernard Leuilliot, Cheng Zeng Hou, Pierre Laforgue, Arnaud Laster. Pour l’année 1989, le site donne le texte de 14 communications –on en entendait souvent deux par séance.

Je voudrais indiquer combien la faveur dont jouit Hugo aujourd’hui peut être néfaste à nos travaux. Jusqu’au centenaire de 1985, Hugo, plus méprisé encore que contesté, était très généralement cantonné dans la littérature pour enfants, ou pour comités d’entreprise. Cela donnait de l’énergie pour travailler ; on oeuvrait pour la bonne cause. Une fois qu’il y a consensus et exploitation de nos textes, que dire ? Le public aime Hugo et n’a que faire de nos idées. Il préfère lire Les Misérables au cinéma, c’est plus vite fait. Situation inconfortable aux jeunes chercheurs. Une surprenante exception a été concédée à Jean-Marc Hovasse : il peut à la fois satisfaire aux plus hautes exigences de la recherche et raconter au public les petites histoires dont il raffole. J’ai suivi son exemple et publie du Hugo sur Internet. Vous, sauf à faire de l’édition, qui consomme du temps, ou de la biographie, qui demande en plus  du talent, vous avez toutes les chances de rencontrer l’indifférence voire le mépris ; et pas d’hostilité, malheureusement.

 David Stidler