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Séance du 24 octobre 2008

Présents : Josette Acher, Brigitte Braud-Denamur, Brigitte Buffard-Moret, Danièle Casiglia-Laster, Jacques Cassier, Gabrielle Chamarat, Françoise Chenet, Bénédicte Duthion, Pierre Georgel, Delphine Gleizes, Jean-Christophe Héricher, Jean-Marc Hovasse, Hiroko Kazumori, Arnaud Laster, Loïc Le Dauphin, Vincent Leda, Bernard Le Drezen, Bernard Leuillot, Claude Millet, Danielle Molinari, Claire Montanari, Yoshihiko Nakano, Yvette Parent, Marie Perrin, Jean-Pierre Reynaud, Guy Rosa, Denis Sellem, Agnès Spiquel, Victoria Tebar, Nao Takata et Choï Young.


Informations

Journée d’étude :

Claude Millet présente le programme de la journée d’étude consacrée aux deux pièces au programme de l’agrégation cette année, Hernani et Ruy Blas. La journée devait avoir lieu le 15 novembre, mais sera déplacée le samedi 29 novembre. Elle sera dédiée à Anne Ubersfeld, qui présidera la seconde séquence du matin.

 

Publications :

 

Victor Hugo, le drame de la parole, ouvrage collectif sous la direction de Yvon Le Scanff, vient de paraître. Deux membres du Groupe Hugo, Stéphane Arthur et Sylvain Ledda, y ont participé.

 

Le deuxième numéro de la revue Écrire l’histoire vient de sortir.

 

Claude Millet fait circuler un livre paru sous la direction de Saulo Neiva, Déclin et confins de l’épopée au 19è siècle et dans lequel elle a publié un article : « L’Epopée, des Martyrs à la Légende des Siècles ».

 

Guy Rosa salue la parution très prochaine – au mois de novembre – du second tome de la biographie de Hugo par Jean-Marc Hovasse.

 

Il souligne la perfection, l’intérêt et la nouveauté dans  son principe de l’ouvrage d’Edouard Graham, qu’il fait circuler, intitulé Passages d’encre, Echanges littéraires dans la bibliothèque de Jean Bonna, Envois, lettres et manuscrits autographes, 1850-1900. Le livre reproduit –c’est un « beau livre »– transcrit et commente –c’est aussi un ouvrage d’érudition– les échanges de toutes sortes (lettres, livres dédicacés, billets… du fonds du grand collectionneur) entre plusieurs des plus grands écrivains pour la période 1850-1900. La section « Autour de Hugo » (pp. 177-212)  commence par l’analyse de l’exemplaire des Contemplations offert et dédicacé à Vacquerie et « truffé » par ce dernier de 32 photographies faites à Jersey qui illustrent ou prolongent le recueil.

 

Guy Rosa fait circuler un exemplaire de Ce que c’est que l’exil qui vient de paraître aux éditions des Equateurs.

 

Il fait également circuler un exemplaire –bientôt rejoint par deux autres– du catalogue de l’exposition de la Maison de Victor Hugo Les Misérables, un roman inconnu? (éditions Paris Musées) et il signale la qualité des textes qui s’y trouvent d'autant plus volontiers qu'il en a signé un. Avec un nuance cependant car on peut regretter que Jean-Claude Caron présente Hugo, celui des Misérables en particulier, comme un historien peu fiable de son siècle.

 

Guy Rosa signale enfin que le dernier numéro de la Revue d’histoire du XIXe siècle – accessible à cette adresse : http://rh19.revues.org/ – présente trois comptes rendus intéressants : l’un, du même Jean-Claude Caron, s’attache à résumer la thèse de Marieke Stein parue en 2007 chez Champion, « Un homme parlait au monde », Victor Hugo orateur politique 1846-1880. Un autre évoque l’ouvrage de Thomas Bouchet, Un jeudi à l’assemblée, Politique du discours et droit du travail dans la France de 1848. Ce jeudi en question, l’assemblée nationale discutait du droit au travail. Thomas Bouchet remarque que les notes de Hugo sur les réactions de l’assemblée sont celles qui permettent le mieux de se rendre compte de ce que pouvait être l’atmosphère dans l’hémicycle. Le troisième compte rendu évoqué par Guy Rosa porte sur un ouvrage de Charles J. Esdaile, Fighting Napoleon, Guerillas, bandits and adventurers in Spain 1808-1814. Charles J. Esdaile, rompant avec un tradition romantico-gauchiste, montre que les guérilleros espagnols ressemblaient souvent plus à des bandits qu’à des combattants au service d’une noble cause. La monarchie eut beaucoup de peine à dissoudre leurs groupes ou à les enrégimenter.

 

 

Emissions Hugo sur France culture :

 

Claude Millet salue les hugoliens qui ont été invités, tout au long de la semaine du 20 au 24 octobre, à évoquer l’œuvre de Hugo dans l’émission de Raphaël Enthoven, « Les Chemins de la connaissance ». Les enregistrements des différentes interventions sont accessibles par ce lien : 

http://web2.radio-france.fr/chaines/france-culture2/emissions/chemins/archives.php?PHPSESSID=67862f0c179626f9072ec24a87c61ef1

Guy Rosa rappelle que Raphaël Enthoven a laissé entendre qu’il pourrait y avoir une deuxième semaine consacrée à Hugo.


Communication de Guy Rosa  : Présentation de l'édition critique, génétique et informatisée des Misérables (voir texte joint)


Guy Rosa remercie Claude Millet d'avoir accepté de déplacer la date de cette intervention et aussi d'avoir fait sienne l'idée qu'il proposait de former une séance entièrement consacrée aux Misérables en invitant parmi nous les auteurs de l'exposition de la Maison de Victor Hugo. Il remercie Madame Danielle Molinari, Conservateur en chef du musée des maisons de Victor Hugo (place Royale mais aussi Hauteville-House), d'avoir accepté de venir nous parler; il excuse enfin l'absence de Monsieur Vincent Gille, co-auteur de l'exposition, qui lui disait son regret d'être retenu à New York -ce qui n'est regrettable que pour nous.

Discussion

CLAUDE MILLET : Merci beaucoup pour cette présentation inspirée. Crois-tu que le « passage de relais » que tu évoques et qui consiste à faire du lecteur celui qui relèverait la dette pourrait aussi être appliqué aux drames ? Il est plus aisé, par exemple, de trouver un sens à la mort d’Hernani dans la subjectivité du spectateur que dans la subjectivité des personnages. Même Ruy Gomez n’arrive pas à constituer cette mort sacrificielle en une mort qui aurait une utilité pratique dans le processus historique.

GUY ROSA : Oui. Il y a là un mécanisme comparable, mais l’issue est inverse. Ce qui est affirmé n’est pas la question « en sommes-nous toujours là ? » mais « on en est toujours là ». C’est en tout cas très sensible dans Ruy Blas.

CLAUDE MILLET : La préface d’Hernani, elle, dit explicitement que « l’avenir sera beau ».

GUY ROSA : Ce n’est vrai que de l'avenir, et encore. C’est encore plus net dans Mille francs de récompense.

BERNARD LEUILLOT : Je suis frappé par le choix du titre de la quatrième partie car il n’est pas constitué par le nom d’un personnage comme c’était le cas dans les parties précédentes. J’ai toujours pensé que le vrai titre de la quatrième partie était « Éponine ». Au lieu de cela, Hugo a recours aux figures génériques traditionnelles de l’idylle et de l’épopée. Éponine aurait eu sa place ici.

GUY ROSA : Sans doute. J'en profite pour signaler qu'Éponine change peu, contrairement à Gillenormand par exemple, entre l’état initial et l’état final.

BERNARD LEUILLOT : Rien de surprenant: Gillenormand est une pure fabrication.

Je voudrais dire autre chose. Ton travail remet en cause les traditionnels lieux communs sur les éditions savantes. Il bat en brèche l’idée selon laquelle la dernière édition revue par l’auteur doit être considérée comme la meilleure et reproduite. D'autre part, la façon que tu as de présenter le texte dans son développement rend lisible ce qui est habituellement totalement inutilisable dans les apparats critiques. Tu rends compte aussi du fait que toute variante n’est pas significative. Sur ces deux plans, ton édition est essentielle.

(avec une certaine gravité) De tout cela, je viens d'être un témoin de première main. Car, sans doute en remerciement de servives rendus, il m’a été récemment proposé de refaire l’édition des Misérables pour la collection « La Pléiade » -elle en a bien besoin. La question du choix du texte à reproduire s’est donc posée. A cette occasion, j’ai pris une connaissance précise de ton travail, que je n'avais que vaguement survolé. Il m'est vite appru qu'il était impossible d'envisager l’établissement du texte des Misérables sans en passer par là. J'en ai informé les dignitaires de «La Pléiade» et leur ai envoyé les 27 pages de la "notice scientifique" qui est sur le site. L'ayant mise au panier, ils voulaient reproduire l’édition de Bruxelles. Or dans cette édition, la ville de Digne n’est pas écrite en toutes lettres et se dit encore « la ville de D. mais on connaît l'instruction, écrite, de Hugo de remplace « D. » par « Digne ». Il faut respecter cette volonté… mais ce ne serait déjà plus tout à fait l’édition de Bruxelles… Et ainsi de suite. De sorte qu'on peut difficilement contester le parti pris d'une édition qui ne "reproduit" aucune des autres antérieures mais établit le texte. Avec «La Pléiade» les choses en sont restées là, pour ce qui me concerne.

Ton travail va donc sans doute rencontrer des résistances dans la mesure où il renverse les habitudes de présentation, et l’idée que la responsabilité de l'éditeur au sens scientifique se borne à choisir le texte à reproduire.

Je le dis ici nettement, pour l'instruction des plus jeunes et pour que date soit prise; car il est fort vraisemblable que «La Pléiade» ne renoncera pas à refaire ses Misérables ou qu'un autre éditeur veuille s'y attaquer, et qu'un hugolien, l'un d'entre nous sans doute, soit exposé aux mêmes choix que ceux que j'ai eu à faire.

CLAUDE MILLET : Ce sont surtout les éditeurs papiers qui rechignent.

BERNARD LEUILLOT : C’est pour cela que j’avais proposé à Gallimard de ne pas faire de commentaires sur les manuscrits dans l’apparat critique du livre -ce qui permettait d'évgiter de passer à deux volumes-, mais de l’accompagner d’un CD donnant les textes que tu viens de présenter. Ils ont refusé.

ARNAUD LASTER : Je partage en grande partie ce que dit Bernard. Il y a aujourd’hui deux tendances dans l’édition de textes : ou l’on privilégie la première édition de l’œuvre, ou l’on choisit la dernière édition du vivant de l’auteur. Ni l’une ni l’autre de ces deux solutions n’est tenable de façon systématique. Quand j’ai eu à publier La Légende des Siècles, j’ai suivi les corrections que Hugo voulait de façon nette et que les éditeurs n’avaient pas suivies, quitte à rompre avec l’homogénéité de l’édition.

Je suis étonné, Guy, que tu n’aies pas évoqué l’édition de 1863 que Hugo cite dans une de ses lettres, le 17 novembre 1864, et dont il voulait faire une édition modèle…

BERNARD LEUILLOT : Et qu’en est-il de l’édition petit format ?

GUY ROSA : Non, je ne les ai pas utilisées mais j'y suis allé voir. Toutes les éditions suivantes, dans les premières années du moins, reproduisent l’édition de Paris qui n'est pas de loin la meilleure, et en y ajoutant, comme toujours, leurs propres fautes. Sans doute Hugo désignait-il cette édition de 1863 -c'était pour le texte à suivre dans la première édition illustrée- parce qu'elle contenait les ultimes corrections et ajouts, dans Waterloo en particulier, sur lesquels le Victor Hugo publie Les Misérables de Bernard Leuilliot fait le point.

BERNARD LEUILLOT : J’ai demandé à des techniciens de l’imprimerie comment a été composée l’édition de Paris. Il est en effet souvent question de la transposition de l’édition de Bruxelles à celle de Paris. Comment cette transposition a-t-elle été effectuée ? Par clichés carton ?

GUY ROSA : On faisait, en carton apparemment, un moulage en négatif par feuille, dans lequel était coulé un moulage positif, en plomb. Cela permettait de démonter la composition et de réemployer les caractères qui, autrement, auraient été longuement immobilisés. Mais il y a des différences importantes entre l’édition de Paris et celle de Bruxelles. S'il y a eu clichage de Bruxelles pour Paris, il ne portait sûrement pas sur la totalité. Il est plus probable qu'il s'agisse du démontage des compositions au fur et à mesure de l'impression en raison de son volume.

ARNAUD LASTER : T’es-tu appuyé sur les épreuves avec les bons à tirer ?

GUY ROSA : Non, uniquement sur les transcriptions des instructions de correction envoyées par Hugo à Bruxelles et transcrites par Bernard Leuilliot dans Victor Hugo publie Les Misérables.

BERNARD LEUILLOT : Et que ferait-on s'il y avait écart entre les épreuves et les lettres? Surtout, les épreuves disponibles sont très loin de courvrir la totalité du texte. La correspondance avec Lacroix est infiniment plus complète, encore qu'elle ne le soit pas tout à fait. Il y a des lacunes.

GUY ROSA : Certes, mais elles ne portent que sur l'un ou l'autre des jeux d'épreuves successifs. La totalité du texte est couverte par un jeu au moins.

 

L’assemblée laisse la parole à Danielle Molinari, directrice de la Maison de Victor Hugo.

 


Communication de Danielle Molinari : Présentation de l'exposition « Les Misérables, un roman inconnu?» voir texte joint


Discussion

Coût de l’exposition :

 

CALUDE MILLET  : Est-ce une exposition qui coûte cher ?

DANIELLE MOLINARI  : Ce qui coûte cher, ce sont les assurances, le transport des œuvres, et la scénographie, que l’on espère compenser par les recettes. Ce qui peut rapporter, c'est surtout le catalogue. Le coût global est un mystère, mais on peut dire en gros que le budget prévu se situe entre 400 000 et 450 000 euros, ce qui est relativement modeste. Comme élément de comparaison, pour une exposition au Musée d’art moderne sur Giacometti, j’ai eu un budget de douze millions de francs. Ce qui entre en considération est la capacité d’accueil : dans la maison de Victor Hugo, place des Vosges, on ne peut pas avoir, au mieux, plus de 400 ou 500 visiteurs par jour, le samedi et dimanche. C'est pourquoi on fait un calcul qui se base sur le nombre des entrées : on espère en gros 20 à 25000 visiteurs. Mais plutôt que de parler de « petit musée », je préfère dire qu’il s’agit du « plus grand des moyens musées de la Ville de Paris ». Il faut reconnaître que de plus en plus de musées cherchent des financements privés.

 

Organisation de l’exposition

 

CLAUDE MILLET : Ce qui frappe, c'est qu’il y a une organisation thématique de l’exposition, impression très largement produite par l’exposition d’œuvres qui appartiennent à l’art contemporain, voire à l’extrême contemporain, analogies fondées sur le partage d’un thème, et d’un certain rapport ému à ce thème.

Et puis il y a une autre lecture qui est construite par le roman, et qui est l’exposition du roman par scènes. Vous en avez parlé dans votre présentation. Et c'est vrai qu’il s’agit d’une spécificité de ce roman. On pense tous à Cosette avec le seau, et si cette image n’y figurait pas, c’était complètement raté !

DANIELLE MOLINARI : Oui, tout à fait ! En outre, pour enchaîner ces thématiques, il fallait quand même un fil conducteur : ainsi dans une salle se trouvait Cosette avec le seau, dans l’autre la poupée, dans une autre encore le jardin du Luxembourg et une famille aristocratique avec un portrait censé représenter M.Gillenormand. C'est pourquoi aussi au milieu de Waterloo et des barricades, il fallait un portrait aristocratique, pour montrer contre quoi l’on s’est battu. Il faut faciliter la lecture, ce sont nos mots à nous.

 

Interprétation générale de l’œuvre

 

Jean-Pierre Reynaud : Une petite critique, qui ne vise en rien les œuvres exposées, mais porte sur l’interprétation générale du roman et en particulier sur celui du mot « misérables », expliqué sur un panneau à l’entrée. Vous expliquez que tout se joue sur le basculement entre le sens ancien, avant l’exil, et le sens nouveau, après l’exil, qui fait que le coupable, le criminel, est devenu la victime. Il s’agissait d’une idée, inspirée par le livre de Louis Chevalier[1], et reprise par Raymond Escholier, qui était déjà au centre de l’exposition de 1961 et du numéro de la revue Europe de 1962. Je m’appuie sur le chapitre intitulé « Le judas de la providence », chapitre où l’on découvre qu’il y a un moment fatal où le coupable apparaît comme une victime. Or, selon Guy Rosa, il n’y a pas de doute, cette phrase date de 1846 car le personnage ne s’appelait à cette époque pas encore Marius mais Thomas.

CLAUDE MILLET : le Hugo de la monarchie de Juillet est un Hugo très complexe, il est souvent difficile d’être tout à fait affirmatif…

 

 

[1] Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du xixe siècle, Paris, Plon, 1958 (Perrin, 2002).

 Claire Montanari et Marie Perrin


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