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Séance du 25 février 2006

Présents : Josette Acher, Julie Bouteiller, Chantal Brière, Brigitte Buffard-Moret, David Charles, Mireille Gamel, Jean-Marc Hovasse, Nana Ishibashi, Hiroko Kasumori, Bernard Leuillot, Loïc Le Dauphin, Bernard Le Drezen, Claire Montanari, Yvette Parent, Luciano Pellegrini, Sandrine Raffin, Jean-Pierre Reynaud, Myriam Roman, Guy Rosa, Jacques Seebacher, Anne Ubersfeld, Mélanie Voisin, Vincent Wallez.


Jean-Marc Hovasse présente Luciano Pellegrini, en maîtrise à Pise, qui prépare un mémoire consacré aux Odes et Ballades.

Informations

Parution :

 

Chantal Brière fait circuler et commente une bande dessinée dont le premier mérite est l’intitulé : Hauteville House (Scénario de Duval, dessins de Gioux, aux éditions Delcourt). Le rapport entre l’ouvrage en question et Hugo est assez lointain., mais la maison apparaît à plusieurs reprises, hantée par son fantôme. L’histoire commence en 1864, au moment de la guerre du Mexique, lors de la proclamation  de l’archiduc Maximilien comme empereur. Sur cette trame historique des éléments de science-fiction sont brodés : Napoléon III souhaitant devenir maître des Amériques, les services secrets français recherchent une arme déterminante au Mexique. Les Républicains aussi, dont le lieu de rendez-vous est  Hauteville House. La maison est montrée côté jardin et côté rue, la salle à manger avec la cheminée, et le look-out (par erreur représenté côté rue). Quelques autres éléments évoquent Hugo : le héros républicain s’appelle Gabriel Valentin la Rochelle, ce qui autorise un nom de code formé des premières syllabes de ses noms et prénoms. Il ne cache pas que Victor Hugo s’en est souvenu pour un des personnages des Misérables qui trouve la mort sur les barricades en… 1848. Au passage, l’héroïne glisse dans une conversation : « Quand la liberté rentrera, je rentrerai ».

 

Hauteville House, tome 1 Zelda, Guy Delcourt Productions, 2004, p. 16.

 

Hauteville House tome 2 Destination Tulum, Guy Delcourt Productions, 2005, p. 12.

 

Chantal Brière rappelle qu’il existe deux lettres de Hugo, dans Actes et Paroles, qui évoquent la guerre du Mexique : l’une apporte aux insurgés sa fraternité de proscrit ; l’autre, du 20 juin 1867, s’inscrit en faveur de la grâce de Maximilien ; elle arrivera trop tard. On y trouve tout un réseau d’images poétiques autour d’un Mexique que Hugo n’a pourtant jamais vu.

La référence à Hugo dans la bande dessinée prouve l’importance qu’il conserve dans l’imaginaire collectif.

 

JEAN-PIERRE REYNAUD : Les membres de la secte Cào Dai au Vietnam adorent d’ailleurs Hugo comme un de leurs dieux !

 

GUY ROSA Ils le considèrent plutôt comme un intermédiaire, au même titre que Jeanne d’Arc ou que Confucius, par exemple, selon la thèse sur ce sujet, soutenue il y a quelques années. Il s’agit d’un syncrétisme philosophico-religieux étrange, mêlant bouddhisme, christianisme, confucianisme –et peut-être un peu de franc-maçonnerie. Très puissante au Vietnam  dans les années 30, avec parti politique et milice, elle fit le mauvais choix : celui de la colonisation française, puis américaine. Ses dignitaires, son siège et ses plus nombreux adeptes se trouvent aujourd’hui aux Etats-Unis.

 

 

Spectacle :

 

Loïc le Dauphin évoque l’édition 2006 du spectacle d’Anne de Broca : «173 ans déjà mon amour! - Les 20 000 lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo». Chaque année depuis 1986, elle se fait la soliste d’une sorte de récital amoureux tiré des lettres de Juliette, avec la ferme résolution de poursuivre jusqu’à ce qu’elle atteigne elle-même l’âge de Juliette au moment où elle cessa d’écrire à Hugo une lettre –au moins- chaque jour. Cette année la comédienne a choisi d’insister sur la souffrance et la solitude de l’amante, plutôt que sur sa vivacité. Sa diction, très ralentie, donnait au spectateur une impression presque artificielle d’étirement de la parole, avec de spectaculaires effets vocaux, séduisants au premier abord, mais qui tournaient parfois à la complaisance, comme si elle s’envoûtait du son de sa propre voix. Les passages tirés de textes de Hugo lui-même étaient en revanche plutôt réussis : le rôle que Juliette n’obtint pas dans Ruy Blas, la nuit de noces de Marius et Cosette. Sur des voiles de tulle étaient projetées les images de manuscrits de Hugo.

Anne de Broca tend vers la réincarnation métempsycotique de son modèle ; elle se dit capable jouer Juliette sans lui reprendre un mot. La voici partie vers la réinvention artistique de l’acte d’écriture.

 

GUY ROSA, à propos de ces lettres, trouve les hugoliens mollassons et sans ambition. Ne vaudrait-il pas mieux publier, intégralement, les lettres de Juliette que la correspondance de Lecomte de Lisle ?

 

BERNARD LEUILLOT objecte le nombre: plus de vingt mille.

 

LOIC LE DAUPHIN : Gérard Pouchain essaie, lui, de rendre compte des objets dédiés à Juliette par Hugo. Il semble qu’à partir de l’exil Hugo lui ait plus volontiers offert des bibelots et des objets que des livres et des poèmes.

 

GUY ROSA : Avant l’exil, il offrait pourtant déjà paravents et tableaux.

 

LOIC LE DAUPHIN : Oui, mais ensuite il ne lui donnait quasiment plus de livres. Il chinait beaucoup pour lui constituer son salon chinois.

 


Communication de David Charles : Buvard, miroir, poème (Les Misérables, IV, 15, 1), (voir texte joint)


Discussion

Sur la notion de « révélation » :

 

JACQUES SEEBACHER : Votre exposé était plein de choses merveilleuses. Vous avez en particulier mis en valeur le terme de « révélation », qui est en effet capital, puisqu’il a à la fois un sens photographique et un sens religieux. Il montre que pour être réellement soi au monde, il faut paradoxalement cesser d’être soi.

En grec, révélation se dit « apocalypse ». Le monde de Jean Valjean s’écroule quand la vérité se dévoile. 

BERNARD LEUILLOT : On pourrait également parler d’« épiphanie ».

 

Sur la notion d’homophonie :

 

YVETTE PARENT : Vous avez insisté avec raison sur l’homophonie qui existe entre « buvard » et « bavard ». Peut-être pourrait-on aussi s’attacher à un plan plus syntaxique et mettre l’accent sur la virgule : elle signale la présence d’un adjectif apposé qui a une valeur logique. L’absence d’article du titre « Buvard, bavard » donne en outre au nom une valeur d’apostrophe. Tout se passe comme si l’auteur s’adressait à un « tu ». Le titre en lui-même semble alors elliptique. On pourrait le gloser en disant : « Toi buvard, parce que bavard, … ». Il manque la suite de la proposition. Ce qui comble l’ellipse se trouve au cœur du chapitre.

 

JACQUES SEEBACHER : Qu’est-ce d’ailleurs qu’un buvard, sinon un bavard ?

 

ANNE UBERSFELD : Vous avez en tout cas parfaitement montré, à travers l’étude du titre de ce chapitre, l’importance que Hugo accorde à la matérialité du langage. La parole est à la fois matérielle et source de poésie capable de nourrir la fable. Il s’agit là de deux fonctions différentes qui, au fond, sont la même. J’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit à ce sujet.

 

JEAN-MARC HOVASSE : Et qu’en est-il des autres chapitres des Misérables fondés sur l’homophonie, comme par exemple « Foi, loi » ?

 

DAVID CHARLES : Il y en a certains que je n’ai pas évoqués car ils ne se rattachaient pas immédiatement à mon angle d’approche. Je ne voyais pas dans le contenu de ces chapitres de rapport avec la paronomase présente dans les titres. Les jeux de paronomase sont néanmoins nombreux dans Les Misérables. 

 

Sur le jeu de miroir :

 

JEAN-PIERRE REYNAUD : On peut se poser la question de la matérialité de l’objet. Hugo dit que le buvard était ouvert. Il s’agirait donc d’un sous-main, et le fait de le fermer aurait permis sécher l’encre.

 

DAVID CHARLES : J’ai fait plusieurs essais pour me rendre compte de la complexité du système mis en place par Hugo. Il présente la scène comme évidente et naturelle ; en réalité, elle est en réalité très artificielle, plus exactement « construite ».

 

Sur la notion de poème dans le chapitre :

 

JEAN-PIERRE REYNAUD : Vous avez dit que la lettre de Cosette se rapprochait du poème. Elle semble pourtant d’une extraordinaire platitude. Tout se passe comme si elle ne pouvait pas dire l’amour. Marius est poète, Cosette non. Peut-être Hugo s’inspire-t-il de son ancienne correspondance avec Adèle. Il s’est parfois plaint de la froideur de ses lettres. Plus tard, il l’a comparée à une blanche colombe qui déchire le cœur.

 

DAVID CHARLES : Ce qui constitue le poème, dans « Buvard, bavard », n’est pas l’énoncé, le contenu de la lettre. C’est le reflet du miroir qui fait de la lettre un poème.

 

Nouvelle paronomase : entre révolution et révélation :

 

JEAN-PIERRE REYNAUD : Un détail de votre exposé m’a frappé. Vous dites que l’on ne sait pas si Jean Valjean, en sortant de chez lui, veut sauver Marius ou le tuer. Je pense qu’il veut le sauver ; s’il voulait vraiment sa mort, il le laisserait sur les barricades et resterait chez lui.

 

JACQUES SEEBACHER : Je ne sais pas si l’alternative est si présente que cela à son esprit. Il a, à ce moment du chapitre, un mouvement instinctif, mais la parole disparaît. Jean Valjean va au sang. Sait-il vraiment pourquoi ?

 

JEAN-PIERRE REYNAUD : Il peut aussi y aller pour mourir.

 

JACQUES SEEBACHER : C’est finalement la révolution qui fait révélation !

 Claire Montanari


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