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Séance du 17 septembre 2005

Présents : Josette Acher, Chantal Brière, Stéphanie Boulard, Ludmila Charles-Wurtz, Françoise Chenet-Faugeras, Marguerite Delavalse, Mireille Gamel, Delphine Gleizes, Colette Gryner, Nana Ishibashi, Claude Millet, Claire Montanari, Florence Naugrette, Yvette Parent, Sandrine Raffin, Jean-Pierre Reynaud, Myriam Roman, Guy Rosa, Agnès Spiquel, Denis Sellem, Marieke Stein et Anne Ubersfeld.


Le Groupe accueille Stéphanie Boulard, étudiante en Phd à l’Université d’Atlanta et, parallèlement, en doctorat à celle de Vincennes.

Informations

Statistiques :

Incorrigible, Guy Rosa fait circuler le palmarès de la fréquentation de notre site hugolien. En juillet, la communication la plus fréquemment consultée a été celle d’Yves Gohin, intitulée « Deux raisons d’être appelée Cosette ». Guy Rosa trouve émouvant cet hommage statistique et anonyme au chercheur récemment disparu et y ajoute le sien et celui du Groupe.

 

Publications :

 

Les Editions du Cephal viennent de publier, de Mireille Gamel, L’Homme qui rit [du cinéaste] Paul Léni et l’ouvrage circule.

 

Plus vite, il faut l’avouer que celui tiré d’un pli discret par Guy Rosa. Il avait cru pouvoir en apprendre l’existence à Jean-Marc Hovasse, qui l’avait dans sa bibliothèque, non sans regretter que ce ne fût pas l’édition illustrée : La Légende des sexes, poèmes hystériques, par Le Sire de Chambley, « imprimé à Bruxelles pour l’auteur », 1883. On cite souvent le titre Les chansons des grues et des boas, pourquoi pas celui-là ?

 

Florence Naugrette indique un article de Jean-Marie Thomasseau, « Les manuscrits préparatoires à la mise en scène du Ruy Blas de Brigitte Jaques-Wajeman (Comédie Française, 2001) », paru dans Le Théâtre au plus près : pour André Veinstein en 2005.

 

Elle signale aussi que le Traité du mélodrame d’Abel Hugo a été republié, présenté par Jean-Marie Thomasseau, dans le dernier numéro (4) de la revue Orage .

 

Elle évoque enfin un article d’Emilio Sala, dans cette même revue, portant sur la musique de scène de Marie Tudor lors de sa création au théâtre de la porte Saint-Martin. Des partitions ont été spécialement écrites pour Lucrèce Borgia et Marie Tudor par le compositeur attitré du théâtre, Menchini. Certains leitmotiv et phrases musicales étaient liés à des personnages ; la musique soulignait aussi l’intensité des passages les plus dramatiques. Hugo savait que ces pièces auraient un accompagnement musical, leur écriture a sûrement été infléchie par cette ressource prévue. C’est sensible, explique Florence Naugrette, à certaines didascalies d’un type spécifique. Claude Millet rappelle que l’auteur de l’article, Emilio Sala, a publié, en italien, un important ouvrage sur la musique de scène à l’époque romantique. 

 

Colloques, conférences et spectacles :

 

Un colloque consacré à José Maria de Heredia, organisé par la BNF, se tiendra le samedi 24 septembre à la bibliothèque de l’Arsenal. Jean-Marc Hovasse y interviendra l’après-midi pour étudier « Les hommages de José-Maria de Heredia à Victor Hugo ». L’inverse eût été hors de portée –même du talent de J.-M. Hovasse- : il a vainement cherché le nom de Heredia dans tous les écrits connus de Hugo.

 

A l’occasion de l’année du Brésil, des conférences sur la réception de Hugo au Brésil, données par Junia Barreto, auront lieu les 19 et 20 septembre au centre Censier. L’une de ces conférences portera sur l’opéra de Carlos Gomez, Maria Tudor.

 

Le spectacle de François Rollin, Victor Hugo et moi, est donné le 25 septembre à l’Européen, place Clichy. François Rollin, le célèbre « Professeur » de « Palace », a un lien inattendu mais réel et ancien avec Hugo.

 

Soutenance :

 

Mathieu Liouville soutiendra le mois prochain, à Lille, sa thèse sur « les rires de la poésie romantique (1830-1856) préparée sous la direction de Claude Millet; G. Rosa en dit grand bien et qu’elle fait à Hugo une place exactement mesurée –et bonne- avec quantité d’excellentes explications de textes et des perspectives capables de régler toutes sortes de problèmes. Dont des faux. M. Liouville montre, par exemple pourquoi et comment l’hypothèse d’une orientation auto-parodique ne doit jamais être exclue de la lecture d’un texte romantique, acquis souvent précieux pour Hugo.

 

Question posée au Groupe :

 

Un mail d’un visiteur du site ayant en cours un travail biographique sur  Richard Lesclide, le secrétaire de Hugo, demande si l’on aurait connaissance d’un livre sur lui. J.-M. Hovasse rappelle l’article de Packenham sur Paris à l’eau-forte, paru dans le recueil d’hommage à Jean Gaudon.

 

Programme (incomplet) des séances 2005-2006 :

 


Communication de Florence Naugrette : Ruy Blas, scénario et dialogues de Jean Cocteau (voir texte joint)


Discussion

Sur la perspective politique des deux Ruy Blas :

 

Guy Rosa, tout en remerciant Florence Naugrette pour son brillant exposé, lui propose une retouche à propos non de la valeur d’actualité du film –sur ce point, elle a bien raison- mais de sa nature. Elle a très bien montré que Cocteau substitue des interrogations anthropologique (l’identité, la gémellité) ou civilisationnelles (la décadence, la religion) à des questions strictement politiques. Tout cela, dans l’immédiat après-guerre, disculpe ceux qui ont applaudi à l’arrivée des allemands après y avoir aidé, ce qui est un exploit s’agissant d’une pièce qui met en accusation la classe dominante, coupable de trahison non seulement à l’égard du peuple mais aussi de la nation, de la grandeur de l’Espagne, de son Empire.

Jean-Pierre Reynaud  acquiesce ; Florence Naugrette se défend : Cocteau gomme la dimension sociale et politique du drame de Hugo, mais son film baigne dans une ambiance générale de profonde décadence dont on ne peut pas dire qu’elle est absente de Ruy Blas. Dans l’Espagne de son Ruy Blas, tout est visuellement branlant et mal fichu, à l’exception de l’étiquette de la Cour, qui fait contraste dérisoire.

Guy Rosa : Il n’y a pas de décadence chez Hugo, mais une nation au pillage

Anne Ubersfeld : Cocteau n’évoque-t-il pas une certaine forme de détresse populaire ?

Florence Naugrette : Non, cela ne l’intéresse pas réellement. La décadence qu’il montre renvoie clairement à la seconde guerre mondiale.

Guy Rosa récidivant : C’est bien ce qu’on peut lui reprocher : un Etat ruiné par une classe dirigeante traîtresse n’est pas victime d’une fatalité ni d’un destin historique. L’adaptation de Cocteau s’oppose directement à la pensée de Hugo et fait tout pour éviter la mise en accusation que comporte la pièce. Dans le contexte, c’est un film de réconciliation.

Florence Naugrette : Effectivement…j’ai sans doute eu trop en vue la référence, elle-même, à la guerre toute proche, qui est indéniable mais pas évidente.

 

Sur la vraisemblance :

 

Yvette Parent s’interroge sur la vraisemblance du film en pointant du doigt un détail du scénario ; elle demande ce que fait le duc d’Albe, dans le film de Cocteau, lorsqu’il s’aperçoit que l’un des deux sosies – Ruy Blas et Dom César – est devenu premier ministre.

Florence Naugrette : Le duc d’Albe… au fond… s’en moque bien. Cocteau pare à la difficulté en faisant dire à Salluste que Ruy Blas et César ressemblent à un troisième larron, qui, celui-là, est devenu ministre…

Myriam Roman : Il est curieux  et bien intéressant de voir que, sous prétexte de rendre la pièce de Hugo plus vraisemblable, Cocteau lui ajoute des invraisemblances –la gémellité n’est que la plus manifeste- plus grossières encore. A faire douter de la pertinence du critère.

 

Sur la dramaturgie :

 

Guy Rosa souligne que les manipulations et les complots fomentés par Salluste sont atténués dans le film de Cocteau à cause de la modification des scènes d’exposition et du quatrième acte.

Le  Salluste de Hugo est un Thénardier : il exploite, détourne et dénature systématiquement les réalités humaines les plus élevées –l’amour, la fraternité, l’ambition, la solidarité familiale- et les réalités sociales les plus révérées –le pouvoir de l’Etat, la supériorité de la noblesse, la légitimité historique du trône. Ainsi font peut-être tous les  vrais méchants de Hugo, avec la question métaphysique que cela pose : quel bien opposer à un mal qui n’est que l’exploitation par inversion du bien ?

Florence Naugrette : Il n’en est rien chez Cocteau. La seule attitude politisante du film tient dans son anticléricalisme.

Anne Ubersfeld : Je suis frappée par la faiblesse dramatique du film de Cocteau ! Le passage au romanesque amortit tout choc ; en particulier celui du troisième acte qui fait passer Ruy Blas du bonheur au malheur de façon radicale et brutale. Cocteau réduit ainsi considérablement la force dramatique de la pièce.

Florence Naugrette : Il n’y a, de toute façon, pas de réel bonheur pour Ruy Blas dans le film de Cocteau. L’amour est aussi pesant pour la reine que pour lui ; ils le subissent plus qu’ils ne le vivent Le jeu de Danielle Darrieux a d’ailleurs été critiqué ; on la jugeait froide, insensible. A tort : elle joue ce que Cocteau lui a fait jouer : une Reine, en réalité, déjà morte. Jean Marais, lui, est moins ardent qu’accablé. L’histoire d’amour est entièrement placée sous le signe de la terreur.

Anne Ubersfeld : Ceci explique pourquoi le drame de Hugo est devenu mélodrame sous la plume de Cocteau. Si on ôte à une pièce son aspect dramatique et son aspect socio-politique, elle tend vers le mélodrame.

Florence Naugrette : Sans doute faut-il aussi replacer le film de Cocteau dans le contexte qui est le sien. Il se situe dans une époque qui a tendance à gommer toutes les motivations, politiques ou psychologiques, au profit d’un doute existentiel. Tous les héros romantiques, alors, sont, en quelque sorte, des Hamlet qui s’ignorent. Il s’agit d’une interprétation datée.

 

Sur la « dépoétisation » du Ruy Blas de Cocteau :

 

Claude Millet ajoute que la transformation du drame en mélodrame tient à la « dépoétisation » du texte de Hugo ; selon elle, cette « dépoétisation » n’est pas seulement due au fait que Cocteau a réécrit le texte en prose. Le gag, dans le film de Cocteau, parasite le sublime de façon anti-poétique, il empêche de faire le lien entre le grotesque et le poétique.

Florence Naugrette : Il arrive néanmoins que le sublime soit atteint par l’intermédiaire du gag. Ainsi, lorsque Dom César s’échappe de l’église en passant à travers la rosace, il est magnifié, alors qu’il ne s’agit au départ que d’un gag. 

Claude Millet : Oui, mais il vaut mieux, dans ce cas, parler de romanesque, plutôt que de poétique. Selon moi, un plan est particulièrement réussi dans le film : celui qui met en scène le repaire des brigands… mais en général, tout est assez platement filmé. D’autre part, je suis assez étonnée par la phrase de Cocteau, qui veut « dessécher le texte sans abandonner le lyrisme » !  Formule d’autant plus surprenante que l’asséchement n’affecte que le dialogue. La musique dégoulinante qui accompagne le film, insupportable, tire la fable vers une sorte de lyrisme de l’effusion, de coulée d’émotion, de fluide continu. C’est particulièrement frappant lors de la scène des pénitents. On se trouve alors face à une curieuse disjonction : le film est « lyrisé » en même temps qu’il est « dépoétisé ». Le lyrisme n’est plus vecteur de poésie ; il prend un tour sentimental –qui d’ailleurs lui permet de rejoindre le romanesque de cape et d’épée.

Florence Naugrette : Le fait est que Ruy Blas, dans le film, apparaît souvent comme un personnage grotesque, au sens moderne du texte. Jean Marais est bien meilleur en César qu’en Ruy Blas.  

        

Sur le genre du film de Cocteau :

 

Delphine Gleizes : On peut considérer que le film de Cocteau porte l’empreinte générique du western. Formellement, mais aussi idéologiquement. Comme le western, Cocteau naturalise la violence. On n’y trouve pas d’instance politique, ni historique, forte. Or si le but de Cocteau était réellement de pointer du doigt l’état décadent d’un état, il ne le traiterait pas sur le simple mode du constat. Le Ruy Blas de Cocteau est décevant dans la mesure où il ne s’inscrit pas dans la veine du cinéma d’avant-guerre qui laissait souvent entrevoir des héros brisés par un destin politisé. Le rôle de Jean Marais est limité par rapport à ce qui s’est fait avant lui.

Yvette Parent : Cocteau a un point de vue mythique et non historique ou politique. Florence l’a bien montré. Cette mythologisation apparaît en particulier dans le fait que la décadence est montrée par l’image, jamais dite dans les dialogues.

Jean-Pierre Reynaud : Le film de Cocteau fait finalement plus songer à l’univers de Dumas qu’à celui de Hugo. Il vire dans le romanesque.

Jusque dans le détail peut-être. Le gag de Casilda me semble venir tout droit de Vingt ans après où d’Artagnan ayant kidnappé Mazarin, l’emporte dans une voiture, est arrêté par une sentinelle et répond à son « Qui va là ? » -« Mazarin !». Le garde rit et  laisse passer.

Claude Millet : Il me semble que La Folie des grandeurs de Gérard Oury est autant –sinon plus – inspirée du film de Cocteau que de la pièce de Hugo. On y retrouve le même goût pour les cavalcades, le même côté « western », la même gestion du hors-scène.

Guy Rosa : Cette volonté de montrer ce qui n’apparaît pas sur scène chez Hugo touche au criminel : pour une fois que Hugo faisait du Racine !

Françoise Chenet : Mais Cocteau ne sort pas du monde de Hugo. La scène où l’on voit Ruy Blas en train de cueillir les fleurs pour la reine fait songer aux dessins de Hugo.

 

Sur la pensée politique de Hugo au moment de l’écriture de Ruy Blas :

 

Guy Rosa : Je ne me suis jamais expliqué –et on ne m’a pas expliqué non plus- comment il se fait que, de toutes les pièces du premier théâtre, Ruy Blas est sans doute la plus violemment oppositionnelle, alors qu’elle est écrite au moment où Hugo abandonne l’opposition et devient indulgent à l’égard du pouvoir.

Jean-Pierre Reynaud : Certes, mais Hugo s’y rêve en ministre réformateur.

Guy Rosa : Peut-être, mais la pièce serait une sérieuse autocritique de ce genre de rêve.

Jean-Pierre Reynaud : Sans doute vaut-il mieux parler de « folie ». Une folie qui est celle de Ruy Blas et qui, dans un certain sens, touche au poétique.

 

La séance se clôt sur la projection de l’extrait le plus spectaculaire du film, où l’on voit Jean Marais traverser la rosace d’une église suspendu à un filin providentiel –bientôt sectionné, sauter du haut d’une façade, atterrir sur la selle de son cheval et partir au galop à travers les rues,  pour finir emprisonné – au sens propre - dans les beaux draps d’une jeune lingère… La séquence réconcilie avec le film.

 Claire Montanari


Composante " Littérature et civilisation du 19° siècle"de l'équipe CERILAC; responsable Claude Millet
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