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Séance du 13 novembre 2004

Présents : Guy Rosa, Jacques Seebacher, Anne Ubersfeld, Arnaud Laster, Stéphane Desvignes, Bernard Le Drezen, Sylviane Robardey-Eppstein, Florence Naugrette, Ludmila Wurtz, Vincent Guérineau, Vincent Wallez, Loïc Le Dauphin, Marguerite Delavalse, Mireille Gamel, Claude Millet, Françoise Chenet, Chantal Brière, Josette Acher, Yvette Parent, Marieke Stein, Brigitte Buffard-Moret, Stéphane Mahuet, Bertrand Abraham, Gabrielle Chamarat, Mathieu Liouville.


G. Rosa présente Mathieu Liouville, maintenant professeur agrégé dans un lycée de la région parisienne et qui achève, sous la direction de Claude Millet, à Rouen, sa thèse consacrée au rire des romantiques. Bon sujet puisqu’il existe des travaux en ce sens pour la fin du siècle mais pas pour sa première moitié, sans doute parce qu’une image très erronée représente le romantisme comme pleureur plus volontiers que rigolo.

Il se réjouit aussi du retour parmi nous de sa collègue de Paris 10, Gabrielle Chamarat dont le dernier en date des travaux hugoliens était sa communication à notre Cerisy (secondes épreuves envoyées).

Et celui de Sylviane Robardey-Eppstein, à qui une bourse de « post-doc » permet d’être à  Paris pour une année entière –la Suède fait bien les choses.

Informations

Publications

Cette dernière –Sylviane R.-E., pas la Suède- fait circuler l’ouvrage tiré de sa thèse, publié à Uppsala sous le titre La Constellation de Thespis – Présence du théâtre et dimension métathéâtrale dans l’œuvre dramatique de Victor Hugo, Studia Romanica Upsaliensia, n° 69, Acta Universitatis Upsaliensis, Uppsala 2004.

Donnant suite à notre discussion d’octobre, G. Rosa a proposé à l’éditeur qui recherchait un auteur pour un livre sur Hugo dans sa collection « Idées reçues » la rédaction collective de l’ouvrage; l’éditeur n’y voyait pas d’objection mais proposait une rétribution peu élevée et semblait ne vouloir qu’un seul interlocuteur ; Florence Naugrette était prête à assurer ce travail. [NDLR Depuis, cette position s’est durcie jusqu’à n’accepter de signer qu’un seul contrat, à charge pour le malheureux de distribuer la somme, d’écrire ce qui manquait et de payer tous les impôts. Nous avons jugé que cette proposition n’était pas sérieuse ; sans doute l’éditeur avait-il reçu entre temps une offre de service. Cela ne nous a pas fait regretter la publicité démocratiquement donnée à cette proposition.]

F. Naugrette annonce, pour le printemps prochain, la parution du numéro annuel de la revue Orage (consacrée aux années 1760-1830), qui traitera du « Boulevard du crime » ; on y lira le Traité du mélodrame d’Abel Hugo, ainsi que des fragments de la musique originale de Piccini pour son plagiat de Marie Tudor.

 

Colloques

L’Université de Zurich lance un appel à articles pour le 13ème numéro de sa revue « Variations », à paraître en hiver 2005, sur le thème « Politique et fiction ». Les articles sont à remettre pour le 15 janvier.

F. Naugrette rappelle que le colloque « Corneille et les romantiques » se tiendra les 13 et 14 décembre à Rouen. Au programme, entre autres, une communication d’A. Ubersfeld sur Hugo et Corneille, et une autre, sur le Corneille de Hugo.

 

Plagiat, influence, etc.

Gérard Pouchain a fait connaître aux hugoliens l’issue du procès pour plagiat intenté par lui et Robert Sabourin à Henri Troyat et Flammarion. On ne peut faire mieux que de reproduire son message intitulé « Victoire » :

 

Bien chers Amis,

Avant l'envoi de  la dépêche AFP aux media, j'ai très grand plaisir à vous apprendre que le procès qui nous (Fayard, Sabourin et moi-même) opposait à M. Troyat, de l'Académie française, pour plagiat de notre biographie de Juliette Drouet, se termine à notre avantage.

Acte I ("Il est des jours abjects")

Le 9 février 2000, notre demande est rejetée par le Tribunal de grande instance de Paris (1ère chambre, 1ère section)  qui nous condamne à payer 15000 F à M. Troyat et 10000 F à Flammarion.

Acte II ("Eblouissements")

Le 19 février 2003, la Cour d'appel de Paris (4e chambre, section A) ordonne le retrait de la vente de l'ouvrage de M. Troyat (150 € par infraction constatée), interdit de poursuivre sa fabrication, son exploitation et sa commercialisation, condamne M. Troyat à 30000 € de dommages et intérêts - préjudice économique -, à 15000 € de dommages et intérêts - atteinte au droit moral -, à 7000 € - au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile -, et nous autorise à trois insertions du jugement dans trois journaux - chaque insertion ne devant pas excéder 3000 €.

Acte III (La reculade")

M. Troyat qui a déposé peu de temps après sa condamnation un pourvoi en cassation, se désiste la veille (28 octobre 2004) de l'examen de ce pourvoi.

L'arrêt est donc définitif.

Mais ... y aura-t-il un Acte IV ("L'expiation")?

L'article XIII des statuts et règlements de l'Académie française, en date du 22 février 1635, stipule que: "Si un des académiciens fait quelque action indigne d'un homme d'honneur, il sera interdit ou destitué selon l'importance de la faute"?

M. Troyat occupe le 28e fauteuil qui fut entre autres celui de Sainte-Beuve, Jules Janin, Louis Barthou.

Il a publié en 1988 un roman intitulé Toute ma vie sera mensonge.

Il prépare en ce moment, nous apprennent Les dossiers du Canard enchaîné, son 102e ouvrage.

Merci de votre fidélité.
Très cordialement.
Gérard Pouchain

 

J. Seebacher , qui relisait récemment une préface aux Scènes de la vie de bohème, évoque l’influence probable de Murger sur les vers « Eperdu, possédé d’un immortel ennui, / Elle n’étant plus elle et lui n’étant plus lui » (Les Contemplations). A Laster rappelle que Victor Hugo et Murger se connaissaient bien, et semblaient s’apprécier.

J. Seebacher transmet la demande d’un hugophile de La Haye qui n’a pas trouvé dans la collection « Bouquins » la fin de Dieu telle qu’il avait pu la lire dans la collection Nelson (« Il me toucha le front du doigt et je mourus »). Chacun pense que le texte de Nelson n’est qu’un choix et que Journet et Robert avaient quelques raisons d’en faire un autre. « Mais avons-nous publié ce texte ? » interroge J. Seebacher tout de même inquiet. Déjà A. Laster a parcouru les rayons et en revient avec le volume « Chantiers » ouvert à la bonne page (432) où une note (p. 1900) explicite le dissentiment des éditeurs de Dieu avec l’IN.

La conversation dérive (obscurément) vers un débat sur les « fondamentaux », le peu d’intérêt de l’enseignement français pour les langues étrangères, et  l’évacuation des langues anciennes.

A. Laster clôt ces échanges en annonçant un nouveau spectacle – annonce n’est pas conseil, prend-il soin de préciser : Le Dernier Jour d’un Condamné, à Fresnes (!), dans une adaptation de François Colombo, au Théâtre en rond, Chemin de la tour aux Chartiers. On déplore que l’économie de personnel et de décor l’emporte si souvent sur l’intelligence d’un texte essentiellement rebelle au théâtre parce que l’écriture s’y avoue comme ultime ressource contre l’incommunication.

Preuve a contrario :


Communication de Florence Naugrette : Les premiers souvenirs de théâtre des romantiques (voir texte joint)


N.B. La discussion sera obscure : on voit chacun chercher ou se remémorer ses propres souvenirs en même temps qu’il intervient, tantôt pour les dire et tantôt pour les taire.

Discussion

J. Seebacher : Pouvez-vous rappeler à quel propos vous avez mis en relation Freud et les premiers souvenirs de théâtre des romantiques ?

F. Naugrette : Je disais qu’il n’est pas certain que les premiers souvenirs de théâtre correspondent à des expériences réelles : un « premier souvenir » fait parfois écran à d’autres, antérieurs, mais occultés. Tous, d’ailleurs, sont fortement érotisés.

J. Seebacher : En effet, le souvenir est toujours reconstruit, et on ne peut jamais affirmer qu’il correspond à une première expérience. Mais la pulsion qui le fait retenir comme tel, elle, est première.

Souvent, la première expérience de théâtre représente une entrée dans le monde social que l’enfant ignorait jusque-là. Le prestige de la musique, des décors, des costumes, cache la réalité et fait du spectacle un beau rêve. Le théâtre est une construction historique et sociale, accaparée par les riches, les puissants, et tout à coup mise à la portée de l’enfant. Car, au XIXe siècle, le théâtre irriguait les moindres communes, comme le cirque dont il se différenciait à peine.

A. Laster : On trouve une autre référence aux Ruines de Babylone dans le Journal de ce que j’apprends chaque jour du 25 décembre 1846 : « Tautin qui jouait en 1811, au grand applaudissement de Nodier, le visir Barmécide dans Les Ruines de Babylone, est mort aux Incurables de la rue des Récollets n’ayant plus qu’une pension de 200f que lui faisait l’association des comédiens. Lafargue, qui faisait le calife Aaroun-al-Raschid, est mort de la poitrine, après avoir joué à l’Odéon de 1819 dans Les Vêpres siciliennes et Les Comédiens. Mlle Lévesque qui faisait la jeune princesse, est grosse laitière à Charonne. »

 

G. Rosa, à F. Naugrette  (après s’être rêveusement interrogé sur ce qu’est au juste une « grosse laitière ») : Il est curieux que Hugo renvoie à Nodier ce qui aurait dû être son souvenir à lui et son propre applaudissement. En étant un peu retors, on pourrait interpréter les souvenirs de première expérience théâtrale à l’inverse de la lecture que tu en fais : ils disent ce que le théâtre ne doit pas être. Du moins ces textes ont-ils une grande part d’ironie – d’autant plus aisément que l’enfance et ses goûts ne sont pas valorisés alors comme ils le sont maintenant. Ils diraient donc non l’art mais l’enfance de l’art …

F. Naugrette. Je ne conteste pas que ce soit une lecture possible, mais rien, dans le texte qui entoure le souvenir, ne met ce spectacle à distance. Aucun jugement dévalorisant n’apparaît jamais !

G. Rosa : Tout de même, Les Ruines de Babylone et Pixerécourt ne sont pas un sommet de l’art pour Hugo !

F. Naugrette : Non, bien sûr, dans d’autres textes. Mais dans les récits de souvenirs, le spectacle est toujours positif.

Y. Parent : Je pense que la Esmeralda, dans Notre-Dame de Paris, avec sa force érotique, est bien plus proche du théâtre de Hugo que les mélodrames de l’enfance. Les Ruines de Babylone a dû déterminer en partie l’imagination onirique de Hugo, ses dessins, peut-être, plus que ses textes.

Je ne pense pas cependant, contrairement à Guy Rosa, que Hugo rejette ce théâtre populaire que sont ces spectacles vus dans l’enfance ; il rejette le théâtre bourgeois. Moi-même, je me souviens d’avoir été bien plus frappée, dans mon enfance, par des montreurs de chiens rencontrés un jour que par Molière joué à la Comédie-Française.

C. Millet, à Florence : Tous les textes que tu as cités mettent en scène une adhésion naïve au spectacle.

G. Rosa : La confusion, chez George Sand, entre la messe et le théâtre est révélatrice d’une mauvaise appréciation du spectacle. Je ne veux pas dire que les textes romantiques mènent une critique systématique de l’expérience et de l’appréciation enfantines. Certaines anticipent sur l’expérience ultérieure : les premières amours sont les bonnes, sinon les meilleures ; même continuité pour la rencontre par Hugo de la pénalité. Mais il ne me semble pas que ce soit le cas des expériences esthétiques. Tous ces textes disent que les enfants ne savent pas voir, n’ont pas la bonne attitude face au théâtre : ils s’enchantent à tort.

A. Ubersfeld : Je ne crois pas. La plupart des souvenirs des romantiques renvoient à des expériences esthétiques, et non psychiques ou sentimentales, et soulignent la joie de participer à un objet d’art. Je pense que ces enfants sont conscients d’assister à une pratique esthétique, c’est pourquoi ils la recommencent dans le texte de Hugo. Je me souviens d’avoir vu, à l’âge de cinq ans, Le Barbier de Séville. Pour moi, le spectacle était certes une fête, un luxe, mais mon souvenir me montre que je n’étais dupe d’aucune illusion, j’y voyais une histoire d’amour agréable, mais sans aucune réalité ! C’était un jeu, sur une scène.

G. Rosa : Parce que vous connaissiez Lire le théâtre et L’Ecole du spectateur.

J. Acher : Moi-même, quand j’avais cinq ans, j’ai joué dans une pièce de théâtre, sachant très bien qu’il s’agissait d’une création ; en revanche, ma petite sœur âgée de trois ans ne faisait pas la différence entre théâtre et réalité, et fit même une crise de colère à propos de jouets déposés dans un soulier, pendant la pièce !

S’ensuivent diverses appréciations sur la griffe que le petit Hugo enfonce dans la cuisse de la jeune interprète de Geneviève de Brabant.

F. Naugrette : J’ai d’autant plus de raisons de croire que la première expérience de théâtre n’est pas dévalorisée, chez Hugo, que Inès de Castro, par exemple, est à bien des égards une réécriture des Ruines de Babylone !

S. Robardey-Eppstein : Le souvenir est reconstruit, et montre combien le mélodrame intéresse Hugo.

G. Rosa : Lorsqu’il reparle des Ruines de Babylone dans le Voyage aux Pyrénées, Hugo renvoie ce souvenir à Nodier –pionnier du snobisme des  arts populaires ; lui-même n’en a plus rien à faire !

A. Laster : Au contraire ! Nodier est une caution ! D’ailleurs, je remarque, comme Florence, qu’il y a beaucoup de souvenirs des mélodrames de l’enfance dans le Théâtre en liberté : un tyran qui fait d’une jeune fille sa prisonnière, les captives, les costumes abricot (dans Mille Francs de récompense, au début du deuxième acte)…

S. Robardey-Eppstein : Ce costume abricot revient dans les fragments dramatiques.

V. Wallez : Quand Hugo a-t-il écrit Le Château du diable ? où il y a des trappes, des pièges...

F. Naugrette : Après 1811, date où il dit avoir vu Les Ruines de Babylone.

F. Chenet : Si Hugo revient à plusieurs reprises dans son œuvre sur Les Ruines de Babylone, ce n’est pas gratuit, mais cela prouve bien que c’est là que tout a commencé.

G. Rosa : Comme celui de Hugo, et mis à part le souvenir de Berlioz –le seul placé dans la continuité d’une compétence artistique-, tous ces souvenirs de première expérience théâtrale sont désavoués.

F. Naugrette : Non ! Aucun n’est désavoué ! Le spectacle lui-même enchante. Hugo, en 1826, raconte ce souvenir devant les Nodier, tout le monde rit et retourne voir Les Ruines de Babylone.

V. Wallez : Désavouer ces spectacles reviendrait à désavouer l’enfance ?

G. Rosa : Et pourquoi pas ?

J. Seebacher, médiateur : On s’enchante de la naïveté du souvenir qu’on dénonce…

G. Rosa, s’enferrant : Oui, mais on le dénonce ! Dans toute la série des événements enfantins rapportés dans le Victor Hugo raconté, il y a ceux qui s’inscrivent dans une continuité, et qui sont donc assumés par Hugo (la peine de mort, les émois amoureux, l’horreur du catholicisme répressif du collège…), et il y a les autres, qui sont donc implicitement récusés : c’est le cas de ce souvenir-là.

S. Robardey-Eppstein, retorse : Si vous dites que Hugo enfant admire Les Ruines de Babylone pour de mauvaises raisons, quelles seraient les bonnes ?

F. Chenet : L’histoire des Ruines de Babylone me fait penser à Sartre, dans Les Mots, qui a pour ses premières expériences esthétiques à la fois enthousiasme et recul.

G. Rosa : Pas pour les mêmes ni de la même manière. Dans Les Mots, il s’agit de deux expériences dont l’une est désavouée (le petit  Sartre rejouant Pardaillan dans sa chambre), et l’autre valorisée -la lecture d’un texte par sa mère lui fait éprouver l’essence même de la communication littéraire : « Anne-Marie me fit asseoir en face d’elle, sur ma petite chaise ; elle se pencha , baissa les paupières, s’endormit. De ce visage de statue sortit une voix de plâtre. Je perdis la tête : qui racontait ? quoi ? et à qui ? [...] Et puis je ne reconnaissais pas son langage. [...] Au bout d’un instant j’avais compris : c’était le livre qui parlait. [...] Assurément ce discours ne m’était pas destiné. [...] et je me sentis devenir un autre. [...] Anne-Marie aussi c’était une autre, avec son air d’aveugle extra-lucide : il me semblait que j’étais l’enfant de toutes les mères, qu’elle était la mère de tous les enfants.»

C. Millet, trouvant qu'on tourne en rond : En tout cas, ce que disent ces textes des romantiques, c’est que le théâtre, c’est fabuleux, car ça marche même quand c’est mauvais !

G. Rosa : Oui, ce sera le mot de la fin pour mettre tout le monde d’accord, et allons déjeuner !

 Marieke Stein


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