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Séance du 15 mai 2004

Présents : Guy Rosa, Vincent Wallez, Stéphane Desvignes, Delphine Van de Sype, Colette Gryner, Marguerite Delavalse, Bernard le Drezen, Loïc Le Dauphin, Jean-Marc Hovasse, Mireille Gamel, Sandrine Raffin, Josette Acher, Françoise Chenet, Yvette Parent, Agnès Spiquel, Judith Wulf, Domitien Baylu, Claude Malécot, Chantal Brière, Denis Sellem, Jacques Cassier, Ludmila Charles-Wurtz, Claude Millet, Olivier Decroix.


 

Informations

Marines le 26 juin :

Celles et ceux qui participeront à la réunion du groupe chez Annie Ubersfeld pour la prochaine séance s’inscrivent sur la liste. Il faut déjà penser au « covoiturage ».

 

Audimat en ligne :

Incorrigible, Guy Rosa fait circuler la liste des téléchargements sur le site du groupe depuis l’origine de la mise en ligne. Il y a 105 000 accès sur le site, portant sur 1015 pages au sens web, sachant que dix, quinze ou vingt pages d’une communication valent pour une page « au sens web ». Le record est toujours détenu par la communication de Ludmila Wurtz sur les « interlocuteurs de la poésie lyrique » (9417 chargements).

Le détail des résultats, dont Guy Rosa se délecte quoique ses propres scores soient médiocres, n’est pas sans intérêt. Les trois bibliographies, par exemple, retiennent à elles seules 20 % des accès au site. Ou encore, les résultats annuels montrent que la chronologie a été beaucoup plus sollicitée en 2002 que les années précédentes ou suivantes. Elle en est, actuellement, à des chiffres très bas, preuve agréable que les hugoliens la connaissent par cœur.

Commentant l’existence et l’utilité de telles ressources, G. Rosa fait référence à l’entreprise conduite par Yvan Leclerc pour Flaubert sur le site de l’Université de Rouen. En accord avec la bibliothèque municipale de Rouen, qui possède les manuscrits et sait en mettre à la disposition des chercheurs d’excellentes photographies numériques, il a réuni une quarantaine de personnes pour transcrire les quelques 4500 folios des brouillons et manuscrits de Madame Bovary. Réussite qui lui permet d’imaginer l’édition électronique d’une correspondance littéraire générale du 19° siècle, avec des liens et branchements qui permettraient de passer, d’un clic, d’une lettre de Flaubert à G. Sand à une réponse de Hugo à la même, etc.

G. Rosa ajoute que cela n’a rien d’utopique. Chimistes et biologistes trouvent tout naturel de verser leurs découvertes à des bases de données colossales caractérisant les molécules ou les gènes... Les « littéraires » auraient-ils plus souci de leurs CV que du progrès du savoir et de sa diffusion?

 

Encore une dent pour la fameuse question saurienne :

Yvette Parent attire l’attention sur la polysémie du mot « crocodile » chez différents auteurs du XIXe siècle. Dans Carmen, en 1845, Mérimée attribue à son héroïne «un éclat de rire de crocodile». En 1850, Proudhon signale que « les femmes en Egypte se prostituaient autrefois aux crocodiles ». Enfin, dans son Dictionnaire des idées reçues, Flaubert dit du « crocodile » qu’il « imite le cri des enfants pour attirer l’homme ».

Cela fait rêver , mais quel rapport avec le surnom donné à Hugo par Flaubert ? Yvette Parent pense qu’on pouvait appeler « crocodile » tout homme qui aurait les dents plus longues que celles des personnes de son entourage. Dommage pour un Hugo imitant « le cri des enfants pour attirer l’homme ».

 

Au théâtre, l’autre soir :

Vincent Wallez revient sur la représentation de Mille francs de récompense qui s’est donnée du 27 avril au 15 mai au Théâtre international de langue française au parc de la Villette. Mise en scène par Vincent Colin, avec la compagnie Landy Vola Fotsy de Madagascar, la pièce a été montée à l’île de la Réunion par cette troupe malgache qui a appris le français en jouant et a fait vibrer la parole hugolienne en écho avec la situation difficile de Madagascar. Une rencontre a eu lieu le 28 avril dernier réunissant autour du metteur en scène Olivier Bara, Arnaud Laster et Florence Naugrette. Françoise Chenet rappelle que le jeu de la troupe avait beaucoup de rapports avec la tradition théâtrale malgache des « hira-gasy », ces improvisations faites à partir d’événements locaux et entrelardées de morceaux chantés.

 

Dans la presse, l’autre siècle :

Guy Rosa fait circuler les photocopies, transmises par Yvan Leclerc, d’un numéro du périodique naturaliste La Vie moderne du 28 février 1880 : « Victor Hugo à table, notes et croquis d’après nature ». L’article est signé « un naturaliste » et relate un dîner où les « naturaliste » est fort aimablement reçu, à un moment où les relations entre Zola et Hugo n’étaient pas des plus cordiales. L’article est à la fois attendu et énigmatique : renvoyant quantité d’informations connues par ailleurs –non sans erreurs manifestes mises dans la bouche de Hugo-, il pose la question de l’authenticité d’une telle rencontre, voire de sa réalité.

 

Trouvailles bibliophiliques et curiosités :

Françoise Chenet fait circuler un curieux almanach conçu comme un livre d’heures, petit in-16 doré sur tranche, qui associe un extrait lyrique de Hugo à un jour –avec commentaires du propriétaire. Intitulé La Chanson de l’année et daté de 1887, ce florilège n’est pas sans faire penser à l’almanach Victor Hugo publié en 1885 par Ulbach et qu’on trouve dans la bibliographie réalisée par  Jacques Cassier.

Dans ses annotations, la propriétaire de l’exemplaire de Françoise Chenet épanche son cœur.

 

Publications

1/ Claude Malécot publie Sand Nadar (Paris, Monum éd. Patrimoine, 2004). Cet album photographique est consacré à George Sand.

2/ Chez Klincksieck, vient de paraître le tome II de la Correspondance entre Pierre-Jules Hetzel et Victor Hugo - Victor Hugo publie « Les Contemplations » et les « Discours de l’exil », édition établie, présentée et annotée par Sheila Gaudon. Ce second tome couvre la période janvier 1854 - avril 1857.

Guy Rosa attire l’attention sur l’intérêt majeur de cette édition remarquablement annotée : à l’inverse de ce qui se produit souvent, où ce qu’on sait déjà est expliqué mais pas ce qu’on ignore, Sheila Gaudon remédie à toutes les perplexités, donnant toujours l’information manquante (et jamais l’inutile), identifiant, par exemple, le moindre exilé totalement inconnu, les journaux, les publications, les allusions à d’autres échanges épistolaires que celui reproduit, etc.

Une discussion, ou plutôt un chant amébée, s’établit alors entre Guy Rosa et Jean-Marc Hovasse avant de s’élargir à l’ensemble du groupe :

Guy Rosa : Chose rare, cette correspondance se lit. La personnalité des correspondants et leur style n’y sont pas pour rien : Hetzel écrit sans complaisance ni raideur envers « le maître », avec une réjouissante liberté de ton et un tel bonheur que Hugo finit, un jour, par lui avouer qu’il a honte de ses « lettres d’avoué » en comparaison de celles qu’il reçoit de lui.

Jean-Marc Hovasse : Hetzel est bavard : il écrit de façon assez étrange, orale, en construisant ses lettres avec des tirets à la ligne. Noël Parfait, plus sage, n’est pas en reste, avec sa dignité affectueuse et la simplicité courageuse de son exil. Les « cher proscrit » de Hugo finissent par ne plus être employés que pour lui.

Guy Rosa : A quoi s’ajoute une quantité folle d’informations. Sur la paresse de Charles Hugo, par exemple, et son goût pour la féminité insulaire de Jersey. Les informations sur les questions éditoriales sont cruciales. On savait que la publication de Napoléon le Petit et des Châtiments avait été entravée par la censure et la loi Faider ; on apprend que la crainte de l’interdiction des Contemplations plane sur toute la correspondance entre Hugo et ses éditeurs –car il n’y a pas de censure préalable mais de pures et simples interdictions administratives de vente, susceptibles d’intervenir à n’importe quel moment et qui dissuadent les éditeurs d’imprimer alors que la censure préalable avait le mérite de donner droit de publier de qu’elle n’avait pas interdit. Du coup, Hugo et Hetzel imaginent toutes sortes de solutions, à commencer par la double publication, en Belgique et en France, l’édition belge faisant concrètement échec à l’interdiction et surtout, dans le cas des Contemplations, étant susceptible de prouver la pusillanimité –et la fragilité- du pouvoir. La formule sera maintenue pour toute l’ovre de l’exil.

Ce n’est pas tout. Hugo imagine de publier Les Contemplations en six ou douze livraisons, sachant que le gouvernement français n’interdira pas les premières et que la suite, moins innocente, ne pourra, dès lors, pas être interdite non plus. Hetzel trouve l’idée géniale et lui ajoute une vertu commerciale à laquelle Hugo n’avait pas songé : la publication en livraisons entraînera une augmentation des ventes (la vente par livraisons étale sur plusieurs semaines le coup, alors important, d’un livre). Hugo enthousiasmé, non par lucre mais par la perspective d’un élargissement de son public, évoque immédiatement la possibilité d’adopter ce mode de publication pour toute son oeuvre.

Autres informations : les tirages et ventes des « œuvres complètes » antérieures à l’exil, essentiels parce qu’ils permettent à Hugo de mesurer son audience dans la France qu’il a quittée.

A propos du texte même des Contemplations, on trouve des appréciations surprenantes –et répétées- de Hugo accordant un privilège décisif au livre VI : c’est  son « apocalypse » à laquelle tout le reste est subordonné. Au point que son jugement sur les premiers livres des Contemplations est presque péjoratif. Il dit qu’il y a « emmiellé » le recueil.

Claude Millet : Pure référence à Horace ou anticipation du néologisme, ambigu, de Queneau lorsqu’il dit « Je n’ai pas fait ma poésie pour emmieller le monde » ?

Jean-Marc Hovasse : Tout cela ne doit pas être pris dans un sens absolu. Il s’agit, le plus souvent, de redresser la lecture prévue de l’autre interlocuteur privilégié de cette correspondance : Noël Parfait. Hugo reçoit de lui des éloges abondants des premiers livres des Contemplations qui contrastent avec un silence grandissant à mesure que l’impression avance vers le livre VI.

Guy Rosa : Effectivement, et Hugo avertit Noël Parfait, non sans amusement : « Vous allez reculer devant le livre VI ». Parfait résiste : il n’est pas homme à reculer, il n’a pas reculé devant l’exil, il ne reculera pas devant le livre VI...

Claude Millet  Visiblement, cette correspondance est plus riche que dans l’édition  Massin.

Jean-Marc Hovasse : Beaucoup de lettres étaient inconnues et beaucoup plus encore sont incomparablement mieux établies : on s’aperçoit que Massin et ses prédécesseurs coupaient ...

Guy Rosa : On peut même dire que maintenant les précédentes éditions du recueil sont à refaire ! Et pas seulement pour l’ajout de ce volume dans la bibliographie.

Claude Millet : La question du livre VI des Contemplations dans cette correspondance est peut-être à l’origine de la peur de Hetzel vis à vis de La Légende des siècles et l’on comprend alors  pourquoi il veut publier tout de suite les Petites Epopées.

Jean-Marc Hovasse : Dans cette correspondance, il ne faut pas oublier, en effet comme le rappelle Jean-Marc Hovasse, la présence de Noël Parfait, le correcteur typographique des Contemplations, mais aussi celle de l’imprimeur belge Samuel et de Charles Hugo. L’une de ses lettres est étonnante : : je ne serai pas le Dumas fils de Hugo.

Guy Rosa : Le premier tome de cette correspondance, centré sur la publication des Châtiments et de Napoléon le Petit, n’est moins intéressant que celui-ci, mais moins aisément abordable. D’une part les relations entre Hugo et Hetzel sont moins familières ; d’autre part les nécessités produites par l’interdiction entraînent des échanges très contraints et prudents. Non seulement tout le monde se méfie de tout le monde et personne ne veut assumer ses responsabilités pénales, mais il ne faut pas le dire –cela tournerait à charge en cas de procès. De là un décryptage très malaisé.

Jean-Marc Hovasse : Dont les protagonistes eux-mêmes ne sont pas d’accord plusieurs années après. Hetzel voit toujours Samuel d’un très mauvais oeil et reproche à Hugo d’être trop sensible à ses rodomontades et professions de foi républicaines.

Ajoutons des considérations assez drôles sur les Belges : vous ne pouvez pas les apprécier à leur valeur, dit-il à Hugo, vous n’y avez vécu qu’une année.

Jacques Cassier : Pour revenir à la question financière, le rapport de Hugo à l’argent est important mais nullement déterminant, comme le montre l’idée d’une diffusion plus large en plusieurs livraisons, pour toucher un public plus large.

Guy Rosa : Certes mais Hugo reste vigilant sur les questions comptables. En témoigne le moment où Hetzel demande une rallonge du tirage des Contemplations en Belgique : le recueil ne devait contenir que 3000 vers, il en compte 10000, l’impression coûtera plus cher que prévu mais son contrat à lui, Hetzel, avec les éditeurs parisiens n’a pas changé. S’il n’y perdra pas d’argent, il n’en gagnera pas non plus. Hugo accepte, mais corrige les comptes d’Hetzel, observant qu’au lieu de la mise en page prévue, il n’y aura pas de page blanche entre chaque poème, ce qui réduira le volume de papier utilisé.

Jean-Marc Hovasse précise : Des pages blanches entre chaque poème comme il était d’usage dans l’édition de recueils de poésie au début du XIXe siècle.

Claude Millet :  On peut aussi voir dans l’édition de L’Archipel de la Manche que Hugo n’est pas puritain avec l’argent vis à vis de ses éditeurs et il discute avec eux pied à pied chaque détail pratique.

Guy Rosa : Autre exemple de rapport concret à l’édition : Hugo demande pour Les Contemplations que la préface soit imprimée en corps plus gros que le reste du recueil, ce qu’il n’obtient pas (mais dont il faudra tenir compte dans les rééditions futures).

En revanche, chose curieuse, il n’est pas question des virgules.

Colette Gryner : Sur ce sujet les lettres datent de 1858-59.

Guy Rosa : Je ne crois pas.

Claude Millet : La date de 1858 est possible car Hugo est en train d’écrire les Petites Epopées et ce n’est pas la même façon d’envisager l’écriture.

L’époque de cette correspondance n’est-elle pas celle où Hachette commençait à éditer des petits livres dans les gares de chemin de fer ?

Guy Rosa : Si fait. On voit d’ailleurs Hachette demander à Hugo la permission d’éditer des extraits de son œuvre. Sans aucun succès ; aux raisons littéraires Hugo ajoute une raison politique : sous couvert de morceaux choisis, on édulcorera.

En revanche, Hetzel demande et obtient l’autorisation d’éditer à part la Préface de Cromwell ; puis, le livre étant trop petit, il demande à Hugo lequel de ses textes on pourrait joindre à la Préface. Hugo indique But de cette publication. Le livre ne sera pas publié, mais l’éditeur du volume « Critique » chez Bouquins se sent soulagé et justifié.

Enfin, ce volume met en évidence concrète une donnée importante de la genèse poétique chez Hugo : une composition en deux temps telle que Hugo commence par réunir des pièces mais a besoin d’une issue éditoriale pour construire le recueil dans une seconde campagne d’écriture, parfois plus féconde, en volume, que la première. On constate ainsi le chevauchement des opérations d’écriture et de publication. C’était une chose que l’on n’ignorait pas mais à laquelle on assiste ici au jour le jour et il est fascinant de voir à quel point le texte change, jusqu’au cours de l’impression.

Jean-Pierre Reynaud  répond à Bernard Degout à propos de Chateaubriand

Guy Rosa donne lecture du courrier que Jean-Pierre Reynaud lui a fait parvenir en réaction à la communication de Bernard Degout du 3 avril.

« Rien de plus utile assurément que la critique pour faire avancer un débat: mais en l’occurrence je crois que les reproches que m’adresse, gentiment, Bernard Degout à propos du rapport de Hugo à Chateaubriand, sont mal fondés, et je crains que cette intervention ne soit pas de nature à éclairer la question. Une mise au point me semble nécessaire, que je ferai aussi courte que possible.

 

« Qui, dans « la critique hugolienne », a jamais soutenu que la référence à Chateaubriand dans la Préface de Cromwell « ne relève pas d’un mouvement profond du texte et de la pensée » ? Personne à ma connaissance et c’est bien heureux, car  le contraire est vrai, et d’une évidence éclatante. Chateaubriand reste pour Hugo  en 1827 le contemporain capital : point d’ancrage et point de départ pour sa pensée, origine de tout, non reniable,  inoubliable. Mais justement point de départ ; et point de départ, en effet, d’un « mouvement », d’un progrès dialectique de la pensée qui s’appuie sur son origine pour bondir plus loin. Inoubliable mais non point indépassable. Chateaubriand est bien au cœur de la Préface et les références au Génie ne sont  assurément pas le fait d’une prudence hypocrite. Mais il est au cœur d’un irrésistible élan vers la nouveauté qui le réaffirme et le dépasse du même mouvement. Cela me semble tout simple.

«  Et dès lors pourquoi se voiler la face à l’idée d’un possible « malentendu » plus ou moins conscient et volontaire ?  « Mésinterpréter » l’autre, se « mécomprendre » soi-même n’est pas forcément l’apanage des demeurés et des débiles mentaux. Croire que le malentendu est seul dans l’ordre, « en ce monde où nul n’est jamais reconnu » (Camus), peut sembler le fait d’un pessimisme excessif. Mais sans doute tout accord proclamé ne peut-il l’être qu’au prix d’une certaine quantité de restriction mentale ? En tout cas, et en l’espèce, on devrait bien admettre ceci : le propre d’un génie créateur est de s’inventer un univers nouveau, une originalité, donc de se différencier de sa source. Au moment même où Hugo affiche sa fidélité à Chateaubriand il le dépasse et le trahit par une fatalité du génie  (« Qui te rend si hardi ?...- J’ai grandi… ») L’hommage rendu au grand initiateur est donc en même temps sincère et insincère (est-ce  si étonnant ? le cœur a de ces replis…) : Hugo sait tout ce qu’il lui doit, et à quoi il entend rester fidèle, et il sait aussi, ou il sent obscurément, que déjà il est bien loin de lui. Et pour être tout à fait clair et précis,  le malentendu dont j’ai parlé, et que je maintiens, consiste ici à croire ou à faire semblant de croire, et en tout cas à laisser croire au lecteur, qu’il y a accord sur l’ensemble, alors qu’il y a accord partiel sur un point capital (l’origine chrétienne de la modernité) mais désaccord flagrant sur un autre point qui n’est pas moins essentiel (le beau idéal et le grotesque).

  

« D’autre part, penser qu’on peut se « mécomprendre » soi-même, est-ce vraiment un paradoxe intenable ? C’est au contraire une idée fort banale, un lieu commun de la critique : l’œuvre en sait plus long que l’auteur, l’ « esthétique insciente » va plus loin que les déclarations programmatiques, préfaces, manifestes etc. Cette pensée très en faveur aujourd’hui se trouve déjà…chez Hugo (QVE, Le livre épique) :

        Qui sait si le génie, effrayant souverain…

        A l’intuition totale de lui-même ?

(Version burlesque chez les Savantes de Molière :

        

         Mais quand vous avez fait ce charmant quoi qu’on die

         Avez-vous bien senti toute son énergie ?

         Avez-vous cru vous–même y mettre tant d’esprit ? etc.)

« Qu’y a-t-il donc d’extraordinaire et de choquant à soupçonner que Hugo a pu être déconcerté par la rapidité fulgurante de sa propre évolution intérieure (qu’on mette côte à côte les préfaces successives des Odes, la polémique avec Hoffmann…), par l’audace de sa propre pensée, et qu’il n’a pas osé tout de suite la penser jusqu’au bout ? Certes, en 1827 il a acquis assez d’autorité publique pour parler en son nom et n’a nul  besoin du « paratonnerre » Chateaubriand. Mais qui dit qu’intérieurement il n’éprouvait pas le manque d’une autorité rassurante, d’un garant, d’un auctor, d’un Père ? Peut-être refusait-il de voir à quel éloignement déjà il se trouvait de ses sources et cherchait-il obscurément à se raccrocher à ses racines ? De tels conflits le déchireront plus tard, en d’autres domaines (« Réponse à un acte d’accusation », « Je vous baise, ô pieds froids de ma mère endormie », etc.)

« De là « l’équivoque sans innocence » dont j’ai parlé et que je maintiens aussi. Disons plus simplement, et mieux : une équivoque consciente et délibérée. Partagé entre la fidélité aux origines et l’appel du large, conscient d’une filiation essentielle, mais aussi d’un éloignement inévitable, il redit sa fidélité indéfectible jusque dans le reniement. Cela a peu à voir, je crois, avec le manège grossier d’un escroc qui voudrait faire passer une marchandise frelatée sous un pavillon honorable, avec ce que Bernard Degout appelle « l’entretien madré d’une équivoque » !

« Et il faut tenir compte encore du caractère  composite et fluctuant du texte de 1827. S’il est vrai que l’esthétique de Chateaubriand  n’est pas aussi rigide que pourrait le laisser croire une première lecture du Génie, que dire alors de notre Préface ? Elle est tout le contraire d’un bloc monolithique. D’autres ont souligné mieux que moi ce caractère de fiévreuse improvisation qui roule des inspirations de sources diverses sans trop se soucier des contradictions (Anne Ubersfeld : « de là cette apparente incohérence et ces incertitudes… » ; Claude Duchet : « paralogismes qui masquent l’effritement de l’idéologie antérieure…incertitude de la perspective… ») La Préface n’est pas un cours d’esthétique mais l’effervescence d’une pensée en mouvement – et qui ne s’arrêtera plus. « Telles sont les idées actuelles de l’auteur », écrit-il en conclusion, soulignant lui-même la plasticité constante d’une doctrine qui vient de connaître les « révélations de l’exécution ».Rien d’étonnant dans ces conditions s’il y a place pour l’ambiguïté dans le rapport aux origines.

 

« Ambiguïté qui ne finira jamais : l’hommage à Chateaubriand , ce n’est pas assez de dire, comme le fait Bernard Degout, qu’il n’est pas né avec la Préface et à son usage : il faut ajouter  qu’il lui survit, et même après les grandes métamorphoses de l’exil. Qu’on se souvienne de la volée de bois vert assénée, au temps de William Shakespeare, à « un certain Beyle dit Stendhal » pour avoir osé rire du grand secret de mélancolie et de la cime indéterminée des forêts, pour avoir osé se gausser d’Atala, et montré ainsi qu’il n’entendait  rien à l’art moderne !  Mais, tout à l’inverse, les témoignages d’irritation et d’éloignement abondent. Pour abréger, ce simple propos rapporté par le Journal d’Adèle : « Une fausse religion s’est fait jour sous l’Empire. Chateaubriand a été le grand poète de cette religion de boudoir. » Il faut s’y faire: Hugo n’est pas si simple qu’on croit.

   

« Mais alors qui, dans « la critique hugolienne », ira dire que Chateaubriand fait « une irruption brutale » sous la plume de Hugo en 1827 pour disparaître aussitôt ?  Il y faudrait une ignorance plus crasse que nature !  Je ne sais trop quel est ce « geste qu’effectue ou que tente Hugo sur Chateaubriand » mais nul hugolien ne soutiendra jamais qu’il s’agissait d’exhiber « un lapin sortant d’un chapeau » pour l’escamoter à l’instant même. A Dieu ne plaise que nous commettions jamais une aussi choquante incongruité! Ce coup du lapin sera épargné au vicomte. Celui de Sartre suffit. De telles caricatures me forcent à redresser certaines inexactitudes  et je regrette d’avoir à me citer, mais comment faire autrement ? Je n’ai jamais dit, ni laissé entendre, que la fureur sacrée qui se déverse sur Hugo en 1836 dans l’Essai sur la Littérature anglaise était une « réponse faite neuf ans plus tard par un Chateaubriand froissé par la Préface », ni qu’ « en 1827 Hugo s’en était pris au Génie du Christianisme.» J’ai dit tout le contraire et quiconque voudrait se donner la peine de se  reporter aux pages VII et VIII du volume Critique  de « Bouquins » s’en convaincrait immédiatement. Pour être « froissé » d’ailleurs, il aurait fallu lire la Préface: Chateaubriand l’a-t-il jamais fait ? On peut  en douter : à l’automne de 1827 il avait bien d’autres affaires que le factum d’un disciple un peu encombrant, bien d’autres villèles à fouetter ; les élections prochaines, la perspective d’un retour rapide au pouvoir l’accaparaient. Mais 1830 l’a renvoyé à ses études et l’année suivante l’éclat de Notre-Dame, auréolant cette cathédrale gothique qu’il se flattait précisément d’avoir rouverte, ne pouvait pas ne pas le frapper. C’est donc bien à propos du roman et contre le roman qu’il se déchaîne.

 

« De toute façon, ces critiques, un peu vétilleuses, ne peuvent masquer une évidence centrale, qui crève les yeux, et qui  importe seule : c’est que même si, en effet, Hugo ne s’est pas attaqué au Génie du Christianisme dans la Préface, même s’il y a redit sa dette envers Chateaubriand  la rupture s’y trouvait fatalement inscrite. C’est tout ce que j’avais voulu dire et certes je ne m’en dédis pas.

 

« La vraie question pourtant est encore ailleurs. C’est celle que  pose Guy Rosa dans l’ébauche de discussion: où est l’origine de la modernité selon la Préface ? Dans la naissance du christianisme ou dans la Révolution ? L’idée de Rosa qui « s’amuse », lui aussi, à lire en filigrane du passage célèbre sur la chute de l’Empire romain, une image de notre révolution est séduisante, trop peut-être  pour qu’on se laisse convaincre tout à fait. Dès 1824, il est vrai, (Préface des Odes), Hugo avait admis que la littérature nouvelle était le « résultat » de la Révolution ; mais il refusait qu’elle en fût « l’expression ». Si sa pensée allait plus loin en 1827, qui l’empêchait de le dire clairement ? Mieux vaut sans doute respecter sa réticence. Je ne crois pas qu’il ait jamais renié l’idée mère du Génie, même quand il dira, plus tard, que le romantisme est la littérature de la Révolution. Peut-être faut-il voir ici les choses simplement. Sans doute y a-t-il à ses yeux deux sortes de romantismes : un romantisme diffus, issu du christianisme, répandu à travers l’Europe gothique, et que, pendant trois siècles, brimera à contre sens un néo-classicisme officiel (c’est de ce romantisme-là qu’il parle en 1827). Et le romantisme proprement dit, le nôtre, particulier d’abord à la France, fils de notre Révolution, forme virulente du romantisme chrétien, démon progressiste et conquérant, révolutionnaire à son tour…Resterait à savoir si Chateaubriand aurait accepté cette idée neuve. Je laisse à plus savants le soin d’en débattre, mais je sais bien du moins que l’esthétique du Génie du Christianisme ne fut pas son dernier mot. Et je dirai à ce sujet, pour finir, qu’une question que pose Degout me semble passionnante et digne d’être creusée : y eut-il jamais une influence de Hugo sur Chateaubriand ? Je ne connais pas les études qu’il cite, mais il est en effet difficile de ne pas évoquer le génie grotesque devant certains passages des Mémoires.  Je pense aux portraits de Marat et de Fouché (I, 9, 3), terribles et bouffons tout ensemble, et qui semblent sortis de la Préface (« A la mort et allons dîner »). Avec quelque chose peut-être de plus effrayant, et de véritablement infernal, comme le songe d’une nuit de Sabbat : «Fouché, accouru de Juilly et de Nantes, étudiait le désastre sous ces docteurs : dans le cercle des bêtes féroces attentives au bas de la chaire, il avait  l’air d’une hyène habillée. Il haleinait les futures effluves du sang…Quand Marat était descendu de sa planche, ce Triboulet populaire devenait le jouet de ses maîtres : ils lui donnaient des nasardes, lui marchaient sur les pieds… Marat, comme le Péché de Milton, fut violé par la Mort… »  On peut penser que Hugo n’atteindra à ce génie d’invention verbale et de fantastique vision que bien après Cromwell, dans le grandissement de l’exil. Mais on peut aussi se demander si les grimaces de Notre-Dame, dénoncées  avec tant de virulence, n’ont pas montré ici la voie à Chateaubriand. A vrai dire ce passage est daté, dans le texte, de 1822. Mais n’a-t-il pas été réécrit lors des grandes révisions de 1831-1833 ? La question pourrait être résolue par les spécialistes de Chateaubriand ; et elle intéresserait au plus haut point les hugoliens. Si ces tableaux sont postérieurs à 1827, on pourra creuser l’hypothèse paradoxale d’une influence du grotesque selon Hugo. Sinon, il faudra penser que le beau moderne naissait irrésistiblement de l’histoire, et que le génie de Chateaubriand était capable à lui seul et un peu contre lui-même, d’en capter les sources. »

JP.R (charger ce texte)

 


Communication de Judith Wulf : "Hugo et la question de l'idiolecte" (voir texte joint)


 

Discussion

Caractéristique ou typique : le rapport du « Je » au monde et aux autres « Je »

Guy Rosa : A propos, notamment, de l’expression « Keksekça » de Gavroche, j’aurais plutôt parlé de caractéristique que de typique.

Judith Wulf : Dans le contexte oui, mais le commentaire de Hugo à cette occasion dit bien que cet emploi est élargi.

Guy Rosa : La distinction entre « caractéristique » qui se rapporterait à l’individu et « typique » qui se rapporterait à une classe pourrait tout aussi bien être inversée. Et Hugo emploie d’ailleurs très souvent l’adjectif « caractéristique » pour des réalités collectives : telle expression est « caractéristique » de toute une période. Le caractéristique ne se distingue pas du typique par son objet (typique d’une classe, caractéristique d’une mentalité plus ou moins individuelle) mais par le lien avec lui : le typique est métonymique, le caractéristique métaphorique. Peu importe, encore que la distinction caractérise l’écart, dans la représentation de la réalité, entre Hugo et Balzac.

Pour l’essentiel, j’aurais deux remarques à faire. Il me semble tout d’abord que votre conclusion concentre la périodisation de l’exposé en deux périodes au lieu de quatre : avant et après le départ en exil. Judith Wulf n’en est pas d’accord : dans son esprit seule l’exil n’est, principalement, concerné que par sa quatrième partie.

Ma seconde remarque porte sur l’objet de votre propos : il parcourt moins quatre aspect de la même réalité que quatre réalités différentes (sous le même point de vue). La première partie vise le rapport de l’idiolecte ou du je à la totalité du réel ; la seconde leur rapport à la particularité du réel ; la troisième la capacité du je idiolectal à entrer en rapport avec les autres locuteurs, la quatrième la possibilité, pour le je de ne pas être l’autre des autres. Ce ne sont pas des conceptions différentes de la même réalité –l’idiolecte-, ce sont des conceptions différentes des différentes réalités dans lesquelles l’idiolecte est engagé.

Judith Wulf : Oui, mais ma perspective, qui est linguistique, me permet d’inscrire ces signalisations dans le rapport de la parole individuelle avec la structure qui la conditionne.

Ludmila Wurtz : Tu as parlé du rapport entre la parole de l’individu et le Tout infini ainsi que du rapport de cette même parole et celle de la collectivité. Mais que pourrais-tu dire, pour boucler le triangle, du rapport entre le Tout et la parole collective ?

Judith Wulf : Hugo opère des glissements dans ses textes : c’est souvent un même objet qu’il voit selon deux modalités différentes. Il met l’accent sur tel ou tel élément en fonction de ses préoccupations mais garde les autres en réserve : on peut alors parler de dominante car il n’y a pas de différence ontologique entre les trois pôles. Il les pense ensemble, dans un continuum.

« Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe » ?

Yvette Parent : Je suis gênée par le mélange que votre propos fait entre des problèmes de grammaire et des problèmes de genre. Vous mélangez la singularité de la parole hugolienne, l’idiolecte de Hugo, et le problème de l’idiolecte des personnages qui serait un sociolecte. Or ce n’est pas le même problème.

Par ailleurs, il me semble que vous séparez trop vite vocabulaire et syntaxe. Quand Hugo attaque Port-Royal, il s’attaque aux Trissotins de son époque qui édictent des normes figées alors que, si l’on veut libérer le langage, la syntaxe devient gênante mais difficile à attaquer pendant que la question du lexique est beaucoup plus facile à régler. Lorsque Hugo s’attaque à la syntaxe, c’est en faisant mal parler ses personnages alors que ce qui ressortit directement à sa parole respecte évidemment la syntaxe. Finalement, en ne vous concentrant pas sur un petit corpus ciblé, vous pouvez toujours parler du travail de Hugo par rapport au vocabulaire mais c’est plus difficile pour la syntaxe que Hugo ne touche pas.

Enfin, j’ai été assez choquée par l’utilisation de termes grammaticaux et philosophiques mélangés : un problème de terminologie touche par exemple la partition du singulier et du général alors qu’on pouvait s’attendre à une opposition du singulier et du pluriel.

Judith Wulf : C’est l’objet de ma méthode que ce glissement du linguistique et du stylistique au philosophique. Il faut avoir à l’esprit que Hugo, lui, est loin de faire des distinctions strictes  puisqu’il est dans la pratique. Or elle touche tout à la fois au philosophique et au linguistique –ce qui fait son intérêt- et c’est précisément cette pratique que j’analyse.

Claude Millet : On ne peut d’ailleurs pas donner tort à ce glissement quand on lit le texte des [Traducteurs] sur la question des idiomes, à propos du caractère non superposable des idiomes : Hugo dit bien que cette question est métaphysique, soulignant ainsi que la réflexion linguistique est proche de la réflexion philosophique.

Judith Wulf : Si la question est de savoir si Hugo est chomskien, c’est non.

Guy Rosa : Il est vrai que, lorsque les linguistes analysent ce que Hugo dit de la langue, leur conclusion immanquable est qu’il n’en dit que des sottises.

Yvette Parent : Certes, mais il faut bien distinguer ce que dit Hugo de la langue de ce qu’il écrit dans ses textes fictionnels, ses textes de création.

Judith Wulf : Mais dans les faits, tout est lié ensemble ! Si vous voulez parler des idiolectes des personnages, ils sont bien sûr notés comme idiosyncrasiques mais il y a des dérives et des débordements. C’est d’ailleurs ce qui en fait l’intérêt : Hugo s’est démarqué des perspectives de son époque en élaborant sa pensée à partir de sa pratique. C’est donc non en terme d’exactitude mais en terme de puissance qu’il faut parler de sa pensée de la langue.

Claude Millet : Si l’on revient sur la question du vers « Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe », on a l’impression que cette expression « paix à la syntaxe » est abordée fréquemment de façon anachronique, comme si cette syntaxe était figée… On interprète trop souvent ce vers comme « audace lexicale et paix syntaxique ». Cette approche vient du faux sens historique sur le terme d’ « ordre syntaxique ». Il faut alors se référer au sort du rythme dans « But de cette publication » à l’entrée de Littérature et philosophie mêlées, ou à la pratique même du vers dans la Préface aux Odes et Ballades. On y découvre ainsi que l’ordre syntaxique n’est pas normatif, pour Hugo, mais qu’il est un ensemble infini de possibilités de la langue : une organisation vivante. En substance, Hugo préconise la paix au vers mais pas à la norme ; il lui faut alors se loger dans cet ordre vivant qu’est la syntaxe.

Judith Wulf :  Vous avez raison : la logique interne de la langue donne des impulsions, il s’agit d’une puissance. C’est ailleurs qu’il parle du mot, du lexique.

Idiolecte au théâtre et variations :

Claude Millet :  En creux, le théâtre échappe à cette praxis de l’idiolecte telle que vous l’avez montrée. Hugo ne semble en effet pas tenté par l’idée de mettre de l’idiolectal dans son théâtre.

Guy Rosa : C’est à voir, car dans le théâtre de l’exil, dans le « théâtre en liberté », c’est moins évident.

Vincent Wallez : Avant l’exil, les personnages parlent comme Hugo mais leur vocabulaire leur est propre.

Claude Millet : Ce vocabulaire particulier est plutôt de l’ordre du motif, non ? En revanche, il est vrai qu’avant l’exil, il est des moments où le grand vers sublime est investi par quelque chose de populaire parfois. Chez Dona Sol par exemple, le dénuement de l’expression et la familiarité apparaissent dans les moments d’effondrement. Cette particularité renvoie à la singularité de sa position à un moment précis et non pas à son personnage. Mais ce qui me frappe c’est l’homogénéité de la langue théâtrale en regard avec l’hétérogénéité de la langue romanesque.

Guy Rosa : (à Judith Wulf) Hétérogénéité de la langue même de Hugo ! Vous posez comme acquis que la langue de l’auteur est une, qu’il y a un idiolecte Hugo. Il pourrait bien y en avoir plusieurs…

Judith Wulf : Non ; il s’agit de variations prédominantes qui convergent. Le cadre discursif change plus que l’idiolecte qui, du coup, doit s’adapter et varier. L’idiolecte n’est peut-être pas unique mais ce sont surtout les pratiques qui diffèrent, et démultiplient l’idiolecte hugolien. Il n’y a pas de catégories différentes pour établir une typologie stricte, il y a des variations : c’est pourquoi il est difficile de typifier un discours dans l’absolu. Hugo explore en effet tous les domaines (genres, styles) et c’est là qu’est sa grande capacité de variation. 

Françoise Chenet : Mais ces variations ne sont pas toujours données comme sa langue à lui ; elles sont celles des personnages. La diversité n’est donc pas mise à son compte lorsqu’il y a des italiques par exemple, ou plus encore lorsque c’est le discours indirect libre qui est employé.

Judith Wulf : Il y a deux logiques : la polyphonie à la façon flaubertienne ou le marquage avec des italiques etc… Et Hugo n’est ni dans l’une ni dans l’autre : ce qui est donc remarquable, c’est l’absence de frontière chez Hugo.

Claude Millet : Je voudrais revenir sur le mot même d’« idiolecte » : il signale la particularité d’une langue qui se figerait sur des habitus, il a à voir avec le tic de langage. Dans la perspective de ce rapport à la langue qui touche au « figé », on comprend mieux ce que les critiques hugophobes visent : c’est la permanence d’un lexique comme « effroyable », « sombre » qui rime avec « ombre »… Or, il me semble qu’on ne peut pas réifier l’idiosyncrasie hugolienne dans une perspective fixiste.

Judith Wulf : C’est bien pour cela que penser l’idiolecte hugolien comme variation est plus pratique et plus riche de sens.

Le départ de plusieurs, requis ailleurs et/ou découragés, mit un terme à cet échange.

 Olivier Decroix


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