GROUPE HUGO

Université Paris 7 - Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 3 mars 2001

 

Présents : Guy Rosa, Arnaud Laster, Jacques Seebacher, Stéphane Desvignes, Delphine Van de Sype, Armand Erchadi, Jean-Marc Hovasse, Marieke Stein, Marie Tapié, Sandrine Raffin, Judith Wulf, Marguerite Delavalse, Olivier Decroix, Claude Millet, Vincent Wallez, Sharon Allen, Denis Sellem, Delphine Gleizes, Pierre Georgel, Josette Acher, Bernard Leuilliot, Nicole Savy (directrice du Service Culturel d'Orsay), Agnès Spiquel, Françoise Chenet, Chantal Brière, Hélène Cauchard, Colette Gryner, Sylvie Vielledent, Stéphanie Rosier, Caroline Delattre, Christiane Gumilar, Mireille Gamel, Gérard Berliner

Excusés : Florence Naugrette, Jean-Pierre Vidal, Bernard Degout, Patricia Ward


 

Guy Rosa présente, à ceux qui ne la connaîtraient pas, Nicole Savy, hugolienne directrice du Service culturel du Musée d’Orsay (thèse et ouvrages à la Bibliothèque) et Mireille Gamel, professeur de l’enseignement secondaire, spécialiste de cinéma en même temps que de littérature et qui entreprend son travail de recherche.

 

 

INFORMATIONS

Trois lettres inédites de Victor Hugo

Denis Sellem fait circuler les photocopies de trois lettres de Hugo, découvertes au Musée de la Marine, à Brest. Cette double générosité reçoit l’expression d’une reconnaissance unanime. Voir en annexe jointe le texte des lettres et les éclaircissements fournis par J.-M. Hovasse.

 

Publications

G. Rosa fait circuler le livre de Jim Phillips, Representational Strategies in Les Misérables and Selected Drawings by Victor Hugo, offert par son auteur à la Bibliothèque. Judith Wulf en proposera sous peu un compte-rendu en français.

Parvenus également à la bibliothèque, les 10 volumes d’Oeuvres choisies de Hugo traduites en japonais par MM. Toru Tsuji, Naoki Inagaki, Akio Ogata, Tomonori Matsushita, Ryozo Nouchi, Hironori Kanagaki, Natsumi Sato, Kazuko Shoji, Stsuo Nishi et Masaki Sugiyama. Claude Millet demandera à l’un de ses collègues de nous éclairer sur les qualités et les principes de cette nouvelle traduction.

 

Mme Wendy Grindberg, universitaire américaine, a écrit à Guy Rosa pour lui annoncer la publication de son livre Voix féminines dans la poésie française. Elle propose, pour Cerisy, d’intervenir sur un sujet connexe : « Hugo et la langue féminine ». Guy Rosa rappelle que René Journet avait songé publier la correspondance de Hugo avec les femmes-écrivains contemporaines, dont aucune ne manquait de lui envoyer ses oeuvres, comme l’atteste le catalogue du fonds de la bibliothèque de Hauteville-House.

 

Florence Naugrette excusait son absence par sa participation au colloque de la Sorbonne « Jeux et Enjeux du théâtre classique » où elle intervient sur « Le devenir des emplois tragiques et comiques dans le théâtre de Hugo » -communication qu’elle présentera au Groupe le 31 mars. Elle ajoutait la proposition de communication pour Cerisy de sa collègue rouennaise, Mme Françoise Court-Pérez : « Gautier critique de la langue de Hugo », et donnait l’intitulé de la sienne propre : « L’antithèse chez Hugo ».

G. Rosa saisit l’occasion pour inviter les membres du Groupe à se dépouiller de leur timidité envers Cerisy ; Mme Acher, derechef, indique son souhait d’y parler de la langue du droit chez Hugo.

 

Courrier également d’Isabelle Violente, maître de conférences italianiste, qui prépare pour les éditions « Textuel » une biographie illustrée de Victor Hugo, en collaboration avec Jérôme Picon, spécialiste de Proust.

 

A. Laster annonce la publication prochaine (fin mars) d’un article de sa plume sur quatre livrets d'opéra d'après Angelo, Tyran de Padoue. La question qu'il y pose : comment une même histoire peut-elle susciter des œuvres aux esthétiques si différentes? Cela vient-il des potentialités multiples de Hugo? Cet article devrait être publié fin mars.

 

Soutenance

Agnès Spiquel soutiendra son habilitation à diriger des recherches le vendredi 18 mai, après-midi, à l'université d'Amiens. Le titre du dossier, "La Légitimation du je", recouvre l’ensemble de ses travaux, consacrés principalement à Hugo et à Camus.

 

Rectificatif

Patricia Ward corrige : elle dirige le département de français et d’italien à l’Université Vanderbilt et a assumé pour deux ans la direction du Centre baudelairien de cette Université comme le fait actuellement, pour deux ans également, M. Froment-Meurice ; mais l’Université n’a pas encore désigné le successeur de Claude Pichois.

 

Recherches

Guy Rosa transmet une question posée au Groupe par M. Stéphane Guégan –responsable de la littérature au Service culturel du Musée d’Orsay : existe-t-il une biographie de Paul Meurice, à défaut une notice biographique un peu étendue, un spécialiste, un amateur ?

 

Colloques

S. Raffin annonce que la mairie de Besançon propose se propose d’organiser pour 2002 non seulement le colloque "Hugo politique" dont il a déjà été question au Groupe, mais aussi une grande fête de rue sur le thème "Hugo populaire".

 

G. Rosa transmet un appel à communications lancé par François Lecercle (11, rue du Roc, Paris 17ème ) au nom des deux équipes de recherche en littérature comparée de Paris IV et Paris 7 pour un colloque "dramaturgies de l'ombre", les 28, 29 et 30 mai 2002. Cinq axes de réflexion sont indiqués : 1) Le fantôme ; 2) Problèmes concrets de la représentation du spectre : l'ombre comme effet de spectacle ; 3) Spectres et genres littéraires ; 4) Les paramètres de l'ombre ; 5) Usages théâtraux de la métaphore du spectre : ombre et théâtralité.

 

Site internet du Groupe Hugo

A. Laster demande que de faire brocher les comptes-rendus du groupe et de les déposer à la bibliothèque. C'est trop cher, répond G. Rosa, et inutile puisque les comptes-rendus de 1997 et des années suivantes sont disponibles sur le web. L'informatisation des comptes-rendus antérieurs est en cours ; mais le passage au scanner étant long et de résultat souvent fautif, il invite vivement les auteurs des communications antérieures à 1997 à fournir l’enregistrement de leur texte, en disquette ou fichier attaché.

 

La chronologie informatisée, elle aussi disponible sur le site du Groupe (et accessible, répète G. Rosa avec une constance digne d’un meilleur succès, depuis n'importe quel ordinateur standard : nul besoin pour le web et la messagerie électronique d’une machine récente et coûteuse) a reçu plusieurs appréciations diversement louangeuses : celle d’un article de Dix-neuvième siècle ; celle du site www.citationsdumonde.fr qui, lorsque sa base de plusieurs dizaine de milliers de citations est interrogée sur un auteur complète sa réponse par l’indication de quelques cites concernant cet auteur ; celle, surtout, du WWW Virtual Library dans le site www.revues.org qui est une puissante passerelle électronique entre plusieurs revues savantes, d’histoire en particulier. Sous la plume du même auteur, Marin Dacos (Lyon 2) deux articles, très bien pensés, l’un sur l’utilité de l’édition électronique pour la communication scientifique (Revue d’histoire du 20° siècle, n° 20-21), l’autre (http://mcel.pacificu.edu/JAHC/JAHCIII3/global/dacos/dacosindex.html) sur le passé récent, l’état actuel et l’avenir de la contribution des « nouvelles technologies de l’information » aux recherches en sciences humaines (bases de données, textes en lignes, bibliographies, dictionnaires numérisés, etc.). Notre chronologie y est citée en exemple, entre cinquante autres, curieux, étonnants, indispensables.

Enfin G. Rosa a eu le bonheur de voir le professeur Jacques-Rémy Dahan, grand historien de la littérature (Nodier, Rabbe, Forneret, etc.) prendre la peine lui signaler deux erreurs, maintenant corrigées, dans la chronologie. Correspondance s’en est suivie, et convergence quant à l’utilité qu’aurait une chronologie littéraire et biographique étendue à tout le dix-neuvième siècle, puisque J.-R. Dahan avait lui-même entrepris, bien avant nous, un travail comparable pour Nodier.

 

Le bicentenaire de 2002

G. Rosa relate l'entrevue entre Jacques Seebacher et les responsables, M. Solanet et Mme Parin, de l'Association pour la Diffusion de la Pensée française qui travaille avec et pour le Ministère des Affaires étrangères. Ils se proposent d’offrir, pour 2002, aux ambassades, centres culturels, instituts français à l’étranger, etc. une exposition d'affiches, un ouvrage (un essai biographique et littéraire nourri de beaucoup de citations) tourné vers les aspects actuels de Hugo, et enfin un porte-folio contenant une cinquantaine de cartes (format 24X32), avec recto graphique et texte au verso. Le contenu de la collaboration du Groupe à ces entreprises reste à préciser. Mais, d’ores et déjà, l’association est intéressée à pouvoir proposer aux postes à l’étranger des conférenciers compétents, entendons capables de parler de Hugo et de le faire en anglais, en espagnol ou en allemand. Appel d’offres. G. Rosa enregistre et transmettra les noms de Florence Naugrette, Sharon Allen et Judith Wulf pour l’anglais, et de Franck Laurent pour l’espagnol.

 

A. Laster déplore l'absence de volonté nationale de commémorer la naissance de Hugo en 2002. Peut-être des propositions se feront-elles connaître après les élections?

Il annonce également que la Société des Amis de Victor Hugo tiendra sa prochaine assemblée générale le 28 mars ; on peut espérer qu'elle mettra en place quelque projet pour 2002, ce qui serait plausible vu qu'elle compte parmi ses membres d'honneur plusieurs célébrités nationales…

 

G. Rosa indique que l’éventualité du demande d’une «action spécifique » présentée par Paris 7 pour le bi-centenaire a été approuvée par la Mission Scientifique Universitaire. Reste à la faire. Les crédits seront naturellement demandés pour les colloques –et actes- de Paris 7 (« La Guerre »), Cerisy (« Du visible au visuel ») et d'Orsay (« La Langue »), ainsi que pour le soutien des thèses non encore publiées, mais ils peuvent l’être aussi, le cas échéant, pour une édition, ou tout autre projet…

 

Les Œuvres complètes de Victor Hugo

G. Rosa a écrit à Madame la ministre de la Culture pour l'informer de l’indisponibilité en librairie de l'édition "Bouquins" et attirer son attention sur le reproche qui en sera fait à son Ministère. Il a signalé aussi que cet état de choses rend la propriété de leur travail aux auteurs (à savoir Paris 7 qui a signé le contrat pour le Groupe Inter-universitaire de Travail sur Victor Hugo, celui-ci n’ayant pas la personnalité juridique). Pierre Georgel rappelle que la notion de propriété du texte ne peut porter que sur les variantes inédites apportées par l'édition "Bouquins". G. Rosa assure que, la propriété littéraire portant sur la forme, beaucoup d’éléments de l’édition Bouquins en relèvent : toute l’organisation de l’édition (et en particulier les volumes qui n’ont pas d’équivalent antérieur -Histoire, Critique...), l’établissement du texte, les notes et notices et, bien sûr, les textes directement établis sur le manuscrit (Océan, Chantiers, Choses vues, une bonne partie d’Actes et Paroles...

 

J. Acher déplore que l'édition Massin ne soit pas en libre-accès à l’étage des chercheurs de Bibliothèque Nationale, alors qu'elle est disponible pour le grand public à l'étage supérieur. Elle a écrit en ce sens à la Bibliothèque Nationale et pense qu’une lettre au nom du groupe ne serait pas inutile. B. Leulliot explique cette aberration par le préjugé défavorable -collection « populaire »- dont souffre le "Club Français du Livre"

 

Agrégation

G. Rosa a écrit à M. Louis Balladier, président du jury de l'Agrégation de Lettres modernes, non pour lui rappeler le bi-centenaire mais pour lui indiquer que, les deux derniers textes de Hugo mis au programme ayant été des romans (L’Homme qui rit et Les Misérables), ses collègues hugoliens et lui-même pensaient qu’on pouvait se tourner, du côté du théâtre vers le Théâtre en liberté (Mangeront-Ils? et Mille Francs de récompense), et du côté de la poésie vers la première série de La Légende des Siècles.

A. Laster s'émerveille de ce que, justement, Gallimard lui a demandé pour Folio une édition de chacun de ces deux textes. Mais il avoue que Gallimard et lui-même songeaient plutôt au texte Meurice de La Légende des Siècles. Alors C. Millet s’indigne scientifiquement et non sans générosité puisqu’elle vient, elle-même, de procurer le « Première série » au Livre de Poche. G. Rosa va dans le même sens et supplie Arnaud Laster de rejoindre le vaste front commun –Pierre Laforgue en est aussi- en faveur du retour aux trois séries, telles qu’elles ont été publiées par Hugo. Quitte à ce qu’il y ait doublon pour Folio, mieux vaut que ce soit avec le Livre de Poche pour la « Première série » qu’avec GF pour la Légende Paul Meurice.

 

Exposition : Hugo et la musique

M. Marchesseau organise au Musée de la vie romantique une exposition sur le thème "Victor Hugo et la musique". Nicole Savy s'étonne de ce projet, pour lequel elle ne voit pas très bien ce qu'on peut exposer à part des manuscrits et des partitions, ce qui est un peu austère. Sans compter ajoute-t-on que Hugo n’aimait pas la musique.

A. Laster s’inscrit en faux. Et le sujet, bien au contraire, est énorme! Beethoven figure dans la liste des génies de William Shakespeare et un important texte sur lui dans le "Reliquat".

G. Rosa rappelle l’origine de ce nom et de ce texte qui ne sont rien moins que spontanés. Pour une exposition, il est vrai que d'autres sujets pouvaient venir à l’esprit, "Hugo et la rue" par exemple.

A.Laster : C'est tout de même en partie grâce à la musique que Hugo vit encore aujourd'hui! Voyez Rigoletto, et même Notre-Dame de Paris! On cite souvent la phrase de Hugo, dans ses notes sur le retour des cendres de Napoléon, mais hors de son contexte. Le requiem de Mozart avait été joué aux Invalides et la phrase de Hugo s’applique à cette « exécution » : "Le requiem de Mozart a fait peu d'effet. Belle musique, déjà ridée. Hélas, la musique se ride ; c'est à peine un art". (Choses vues, 15 décembre 1840). Cette parole est féroce, c'est vrai, mais elle s'explique par l'interprétation lamentable qui avait été faite de ce morceau. Berlioz, Listz, et beaucoup d'autres témoins l'ont critiqué également… A d’autant meilleur titre que la mauvaise acoustique des Invalides avait produit un effet désastreux! La phrase de Hugo montre donc peut-être une irritation contre la musique d'alors, mais on ne peut en déduire qu'il n'aimait pas la musique. Pas plus, d'ailleurs, que de ses quelques marques d'irritation lorsqu'Adèle jouait du piano. Au reste, la musique joue un rôle important dans les romans et les pièces de Hugo.

G. Rosa : Effectivement, surtout dans les pièces.

N. Savy : Peut-être, mais je pense que le centenaire doit donner une image ressemblante de Hugo à la population, et devrait donc s'attacher aux sujets les plus importants. Surtout, l'iconographie concernant Hugo et la musique ne doit pas être bien abondante.

P. Georgel : Il faut en finir avec la légende de l’hostilité de Hugo envers la musique. Que la musique date du seizième siècle n’est pas le poème le moins inspiré de Hugo. D’autre part, on ne peut qu’approuver le principe de deux expositions couplées entre la Maison de Victor Hugo et le Musée de la vie romantique, l'une consacrée au théâtre parlé, l'autre au théâtre lyrique.

G. Rosa : En 85, Sandrine Raffin le dira tout à l’heure, l'une des mérites du comité national était de faire circuler les idées. Ce n'est plus le cas, et des propositions urgentes, nécessaires, comme une édition des Fragments, sont laissées de côté.

P. Georgel : Cela n’a pas empêché qu’il y ait eu, aussi en 1985, des initiatives contestables.

 

Spectacles

S. Raffin annonce que l'Opéra-Théâtre a le projet de présenter La Esmeralda, Hernani, Lucrèce Borgia et Rigoletto, ainsi qu'une "lecture-marathon" de La Légende des Siècles".

 

A.Laster signale, pour le soir-même, Rigoletto, film de Carmine Gallone, avec Tito Gobi, à l'auditorium du Louvre.

On pourra voir également le Notre-Dame de Franz Schmidt, opéra de 1914, au festival de Montpellier, le 30 ou le 31 juillet prochain. Fin décembre, à Montpellier toujours, le Marion Delorme de Poncielli sera présenté en version de concert. C'est à Poncielli que l'on doit déjà La Gioconda, d'après Angelo, Tyran de Padoue.

Enfin, Jacques Rampal, l'(auteur de Célimène et le Cardinal, prépare une adaptation libre, mais en vers, de La Esmeralda.


 

Communication De Sandrine Raffin : « Quelques usages du nom de Victor Hugo dans la presse en 1985.(voir texte joint)

 


Discussion

 

G. Rosa : Attention à votre phrase de conclusion. Elle appartient à Littérature et philosophie mêlées pour l’immédiat après Juillet 1830. L’optique est alors assez clairement conservatrice. Mais elle est mise ensuite dans la bouche de Don Salluste où elle signale une franche bassesse de pensée. A utiliser donc avec précaution.

J. Seebacher. A propos du centenaire, en 1985, il ne faut pas sous-estimer toute une opposition à la commémoration. Anecdote : en 1985, une collègue évoque le centenaire dans un taxi, avec une certaine lassitude. Le chauffeur s’insurge et explique : "Hugo, Madame, c'est nous". Toute une tradition de popularité de Hugo s’était maintenue depuis les origines de la III° République, entretenue par l’école primaire et le cinéma, revivifiée par la Résistance et se heurtait encore à une réprobation « classique », elle aussi de très ancienne tradition. En fait, il y a eu alors une utilisation mitterrandienne de Hugo…

A. Laster : ... sans que pourtant Mitterrand lui-même, quoique connu pour son goût des Lettres, ait su profiter de l’occasion. D’autres ont parlé –Badinter, Maurice Schuman, pas lui.

P. Georgel : Lors de l'exposition au Grand-Palais, il était prévu que Mitterrand prononcerait un discours. Le discours était déjà écrit. Ce sont ses conseillers qui lui ont recommandé de ne pas le prononcer : cela donnerait de lui une image "dix-neuvième siècle", archaïque. Le mot d'ordre était : "faire moderne"!

A. Laster : Mais ce témoignage, l'avez-vous eu de la bouche de Mitterrand? Peut-être y a-t-il une autre explication. Hugo n'était pas l'un des écrivains favoris de Mitterrand, qui préférait Lamartine et Stendhal. Sans qu’il y aille de sa faute d’ailleurs : il n’y avait pas de place pour Hugo dans sa formation, très bourgeoise –pas plus d’ailleurs que dans la formation de qui que ce soit par les Lycées : longtemps et jusqu’à ma génération Hugo en était à peu près proscrit. J’ai compris ainsi qu’au Panthéon Mitterrand ne se soit pas incliné sur la tombe de Hugo. C'était sans doute une question d'honnêteté intellectuelle, le refus de feindre une admiration qu’il n’éprouvait pas.

P. Georgel : Mitterrand a bien déposé une gerbe sur la tombe de Jaurès en 1985, et pourtant il ne lui avait pas non plus voué de culte à ses débuts!

C. Millet : Je crois qu'il faut rapprocher la célébration de 1985 du discours des libéraux en 1830 : il fallait un dieu pour le peuple… c'est bien cette idée qui dispense les élites d'adorer Hugo en 85. Elaborer une culture populaire, c'est une stratégie politique.

P. Georgel (à Sandrine Raffin) : Vous auriez pu préciser que l'exposition "La Gloire de Victor Hugo" était, non pas une exposition "à sa gloire" mais "sur sa gloire".Il s'agissait d'un travail de recherche et d'histoire, qui, c'est vrai, acceptait de contribuer à la gloire de Hugo mais qui ne trouvait là ni son objet ni son but.

Vous parlez des dénominations familières que la presse utilise pour parler de Hugo : Toto, le père Hugo…Il faut signaler l’ambiguïté de ces appellations, aisément condescendantes.

Sur la question du nom porteur de sens, du nom comme objet de consommation : Hugo en était très conscient, il suffit de voir ce qu’on appelle ses « cartes de visite », ces dessins mettant son nom en image et qui sont les seuls que Hugo ait mis en circulation publique. Car ces cartes reprennent les formes de l'imagerie publicitaire, naissante alors.

A propos de la valeur marchande de Hugo, révélée en 1985 par l'utilisation de son nom dans le mécénat, je tiens à préciser que la subvention de l’American Express à l'exposition du Grand Palais était bien faible ; j’ai l’obligation de ne pas dire son montant exact, mais je peux signaler qu’elle représentait le quart de la somme moyenne accordée par les grandes entreprises aux expositions comparables. Hugo ne semblait pas aux dirigeants de cette firme mériter un effort considérable! Sans doute n’en attendaient-ils pas non plus un surcroît d’éclat pour leur propre industrie.

N. Savy : On peut se demander si, en 1985, les pouvoirs publics, alors même que la presse (de droite) leur reprochait une indiscrète immixtion, n’ont pas, en réalité, laissé passer l’occasion d’une opération politique. Mitterrand a confié à son ami Robert Badinter le soin de prononcer le discours sur Hugo. Quant à Jack Lang, il ne connaissait pas Hugo. Comme c'était avec lui que nous devions négocier, les situations étaient parfois rocambolesque! Par exemple, pour une opération dans le métro, nous cherchions un slogan. Nous avons proposé un détournement de la chanson de Gavroche : Jack Lang ne la connaissait pas. L’affiche du Hugo en cuir et foulard rouge ne fut pas de son fait, quoiqu’elle ait été choisie en sa présence.

P. Georgel : L’orientation politique de la commémoration n’est pas chose simple : elle a eu lieu sous Fabius, mais avait été décidée sous Maurois. Lui, était vraiment et personnellement intéressé par Hugo. Même n'étant plus ministre, il est venu voir l'exposition, et y a été très réceptif. La "culture Lang" a rejoint l’initiative Maurois mais était autre, se voulait plus jeune, moins ouvrière.

 

G. Rosa : Je reviens à la communication de Sandrine Raffin. Des problèmes de méthode d’abord. Les coupures de presse ne sont pas, comme vous dites, "sélectionnées" par l'Argus : il est exhaustif, et non sélectif. C'est vous qui sélectionnez, et j’ai bien peur que vous l’ayez fait de manière arbitraire.

S. Raffin : J'ai remarqué que l'Argus n'était pas exhaustif, il présente des lacunes…

G. Rosa : D’autre part, êtes-vous fondée à ne retenir que les titres ? Vous regrettez que les coupures de l’Argus dérobent au commentaire cette réalité importante dans la presse qu’est la mise en page ; mais en négligeant les textes, vous faites bien pire. Quelques journaux et seulement les titres : cela simplifie le travail, certes, mais augmente les risques d’erreur ou d’incompréhension.

Par ailleurs, vous employez des termes comme s’ils étaient dénués d’implications -"public", "lectorat" par exemple. Le lectorat est une catégorie sociologiquement construite, pas une réalité empirique. On en dit, nécessairement, ce que sa désignation implique –et de même s’agissant de ce que lit ce lectorat. Lorsque vous lisez du Hugo, avez-vous le sentiment d’être un élément de son lectorat ? Pouvait-il écrire « Je dédie mes oeuvres au lectorat pensif » ? Autant pour le « public ». Il se distingue de l'auditoire ; et pourquoi exclure d’avance que les membres du Comité national, par exemple, aient eu le sentiment et la volonté de s’adresser non pas au « public », mais à leurs concitoyens ?

Enfin, vous avez centré votre exposé sur un détail de votre objet ; cela vous a conduit à y rattacher beaucoup d’autres choses, peut-être un peu artificiellement parfois. Quel est au juste le lien entre l'usage que Hugo faisait de son propre nom et celui qu'en fait la presse en 1985 ? L’un ne provoque pas l’autre. S’agit-il de savoir si la presse a fait alors un usage "hugolien" de ce nom? De même un rapprochement acrobatique vous permet de glisser –par le biais de l’idée de « marque » ou de « label »- de l’usage du nom à la ‘marchandisation’ du Centenaire.

Tout cela a favorisé, me semble-t-il un certain anachronisme, une transposition de phénomènes actuels sur ce qui s'est passé il y a quinze ans. Le label du Comité national, par exemple, n'avait rien à voir avec une marque commerciale : il n’était pas payant –au contraire- et ceux qui le demandaient n’attendaient pas d’en voir le pris remboursé par des profits accrus. Bref, il n’indiquait qu’une adhésion à une entreprise identifiée culturellement et idéologiquement. Laquelle ? C’est la question, et vous la manquez.

Pour ce qui est des appellations familières, ne faut-il pas observer, d’abord, que le phénomène est sans exemple pour des personnages depuis longtemps disparus, et plus encore pour des écrivains ou des artistes ? Totor et Toto précédèrent immédiatement "Tonton", qui s’explique bien plus aisément.

Quant à la « culture Lang », vous ne faites usage de cette formule que pour une péjoration sans contenu. Elle est injuste parce qu’elle est anachronique : la « culture Lang » rompait avec la culture dominante d’alors, intégrait l’esprit de mai 68, mettait fin aux "années de plomb" de Giscard!

Généralement, dans ce type de commémoration, les "spécialistes" éprouvent un sentiment de dépossession. Je n'ai rien ressenti de tel. Le Centenaire m’a ravi l'âme…Sans doute mon bonheur n’est-il pas un objet historique –encore moins le sujet de votre thèse-, mais il était largement partagé [acquiescements dans les rangs des anciens] et enregistrait un phénomène moral d’ensemble assez éloigné de ce que vous décrivez.

 

C. Millet. La commémoration était plurielle, elle réunissait des universitaires, des acteurs, Maurois, etc. différents et poursuivant des buts différents. Admettons qu’une certaine convergence se soit opérée. Du moins les instances qui avaient l'argent tablaient-elles, elles, non sur le prestige de Hugo, mais sur son côté carnavalesque.

P. Georgel : Je ne pense pas. American Express, dont le président était un Giscard d'Estaing, frère de l'homme politique, voulait surtout faire entrer une référence américaine dans la culture française. Les intentions n'étaient pas si mercantiles.

G. Berliner : Hugo a pensé son nom comme un logo ; cela se voit à ses dessins, au Mobilier de Hauteville-House…

 

G. Rosa : D’une manière générale, je dirais que 1985 a été l'occasion d'une fusion culturelle autour de Hugo, d'un affaiblissement des clivages (gauche/droite ; classique/moderne ; bourgeois/populaire ; maisons de la culture/situationnistes ; chrétiens/laïques).

P. Georgel : C’est très vrai. L'un des effets de la commémoration a été de conjuguer des cultures très différentes ; prenez, par exemple, le Hernani de Vitez, qui est un chef-d'œuvre, et qui est né de la culture Lang.

G. Rosa : Il faut parler avec prudence de "produits commémoratifs", c’est vexant pour les intéressés. Georgel, Seebacher, Annie Ubersfeld en PDG de marques de produits commémoratifs !

A. Laster : D'autant plus que les marques commerciales présentes en 1985, Casino, Géant, n'ont pas marqué la population! C'était pour elles une opération ratée!

D. Gleizes : On se souvient de la représentation de Rimbaud avec un blouson en jean sur l'épaule. Rimbaud se prête plus à ce type de représentation que Hugo, pourtant représenté en 1985 en loubard, avec un blouson en cuir et un foulard rouge…

P. Georgel : Peut-être les concepteurs de cette image avaient-ils l'idée de "rimbaldiser" Hugo… Il est difficile de donner une image à Hugo

C. Millet : Gallimard, en réimprimant les Orientales, a représenté en couverture un Hugo de quatre-vingt ans!

A. Laster : A l'issue de Notre-Dame de Paris, en 1985, Hugo apparaissait sur scène en barbe blanche! On voulait que Hugo soit reconnaissable par le public, mais on n'a pas tenu compte du fait qu'il avait vingt-neuf ans quand il a écrit Notre-Dame de Paris!

A. Laster : Lang ne connaissait pas Hugo avant 1985, mais après, il s'y est intéressé. Ne critiquons donc pas trop Jack Lang… Claude Allègre est, lui, un fervent hugolâtre… Est-ce mieux?

Après 1985, Hugo a été en vogue. La commémoration a joué en sa faveur et a contribué à sa gloire.

G. Rosa : Les institutions ne forment pas un bloc homogène. En 1985, la commémoration bénéficiait de l'appui des institutions politiques, des collectivités locales, beaucoup moins des éditeurs et pas du tout de la presse, ni de la télévision. La presse parisienne nationale, en particulier, était très hostile à Hugo, peut-être parce que l’initiative ne lui appartenait pas.

P. Georgel : Libération, en particulier, s'est montré en-dessous de tout! C'est un journal très condescendant à l'égard de la culture populaire.

A. Laster : Le gouvernement a voulu donner une image "jeuniste" à Hugo, et la presse entendait montrer qu'elle n'était pas dupe.

Françoise Giraud avait invité un jour Massin, lors de la première émission des "Vaches sacrées". Elle voulait "désacraliser Hugo" et s’est trouvée un peu désarçonnée lorsque Massin a répondu qu’il voyait mal de quoi elle voulait parler, Hugo n’ayant, depuis longtemps, plus rien de sacré pour personne.

 

Marieke STEIN

 


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