GROUPE HUGO

Equipe de recherche "Littérature et civilisation du XIX° siècle"

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Séance du 25 novembre 2000

Présents: Guy Rosa, Marieke Stein, David Charles, Bernard Leuilliot, Jacques Seebacher, Pierre Georgel, Arnaud Laster, Vincent Wallez, Delphine Gleizes, Colette Gryner, Chantal Brière, Sandrine Raffin, Jean-Marc Hovasse, Philippe Andrès, Jean-Luc Gaillard, Marguerite Delavalse, Sylvie Vielledent, Stéphane Desvignes, Claude Millet, Denis Sellem, Josette Acher, Sylviane Robardey-Eppstein, Florence Naugrette, Hélène Cauchard, Stéphane Mahuet, Thomas Harlay, Claude Rétat, Caroline Delattre.

 

Excusés: Agnès Spiquel (soutenance de thèse), Bernard Degout, Annie Ubersfeld,


 

INFORMATIONS

 

Présentations

 

            G. Rosa présente les nouveaux arrivants : Hélène Cauchard travaille pour un DEA sur la nomination chez Hugo, Thomas Harlay, inscrit à Paris I avec Jean Maurel en philosophie, est en train de déterminer son sujet. Caroline Delattre prépare, en maîtrise, l'édition d’une partie de la correspondance de Juliette Drouet (en particulier l'année 1843) avec M. Thélot, à Paris 12. Contrairement à certaines autres correspondances, inintéressantes et néanmoins publiées, celle de Juliette, rappelle G. Rosa, est d'une qualité littéraire appréciable - il existe également pour 1843 son Journal de voyage. J. Seebacher ajoute que ses lettres contiennent des dessins, parfois surajoutés au texte, comme celui représentant Victor hanté par les dames...

 

Soutenance de thèse

           

            Marie Tapié soutiendra sa thèse sur les adaptations de Notre-Dame de Paris le 5 février 2001 à Paris 3 en début d'après-midi. Son jury sera constitué de Philippe Hamon, Daniel Compère, G. Rosa et Arnaud Laster.

 

Publications

            - Le Dernier Jour d'un condamné, commenté par Myriam Roman, collection Foliothèque, Gallimard. Tout à fait excellent, ajoute G. R, et conforme à l’attente.

            - Le Roi et les barricades, de Thomas Bouchet, éditions Seli Arslan. Deux chapitres importants sont consacrés aux Misérables. Thomas Bouchet, historien, maintenant maître de conférences, avait parlé au Groupe Hugo de ce sujet, abordé sous l’angle de l'écriture de l'événement [“ Une histoire des 5 et 6 juin 1832 ” : communication à la séance du 22 mars 1997, consultable sur l’Internet].

            - Victor Hugo, poète de la nature, de Louis Aguettant, L'Harmattan. Cet ouvrage, édité par Jacques Longchampt, le chroniqueur musical du Monde  et gendre de L. Aguettant, reprend les notes et chapitres rédigés de la thèse inachevée de Louis Aguettant, décédé en 1931. Dans la présentation, A. Laster est remercié d’avoir revu le livre, "sans en partager tous les points de vue" ; il n’en dit pas plus mais ne désavoue pas son intérêt pour cet ouvrage, certes daté mais où l’on peut relever beaucoup d’observations ou de rapprochements intéressants.

            - A. Laster a également collaboré au "Profil d'une œuvre" sur Les Contemplations, signé Paul Gaillard. Sous toutes réserves...

            - J. Seebacher signale l’édition en deux volumes des Mémoires de Jean-Jacques-Régis de Cambacérès par Mme de Brancion, chez Perrin. Ces Mémoires étaient considérés comme perdus, dispersés entre les Etats-Unis et le Japon. Mme de Brancion a également écrit une biographie de ce personnage fondamental du siècle dernier, inspirateur et rédacteur du Code civil, cousin des Hugo via Julie Duvidal.

            - A. Laster signale un article intéressant de Sarga Moussa dans Lendemains (1999) [revue allemande, d’abord publiée par l'Université de Berlin maintenant à Tübingen.] à propos de "l'œuvre mosquée", métaphore développée dans la préface des Orientales.

 

Vente

            D. Sellem signale la mise en vente à Drouot d'objets de l'exil le 29 novembre prochain : 113 feuillets, 123 photos de Charles Hugo et d'Auguste Vacquerie.

 

Internet

            Le site du groupe Hugo (http://www.groupugo.univ-paris-diderot.fr) est désormais indexé par Nomade, site sélectif qui vérifie et commente ses références.

D. Sellem ajoute qu'un nouveau moteur de recherche, google.com, sur Yahoo!, permet de faire une recherche intelligente (en nom + prénom par exemple). Si l'on entre le nom d'un des membres du groupe Hugo, les résultats incluent tous les comptes rendus de séance où celui-ci apparaît [On peut également pour cela se servir du moteur de recherche installé sur le site même du groupe.]

E. Blewer continue d’enrichir la chronologie informatisée : elle y intègre actuellement les interventions de Hugo (ou mentions de son nom) aux réunions des organes de la Société des Gens de Lettres de France (mot clé pour la recherche sur la base : SGLF). G. Rosa dit qu’il y a là un exemple à suivre –et regrette qu’il soit peu suivi, tout en reconnaissant que ce n’est pas qu’une question de dévouement, mais aussi de savoir.

A signaler, une page web bien faite, destinée aux collèges et lycées, due à Mme Danielle Girard, professeur de lettres à Rouen (http://www.ac-rouen.fr/pedagogie/equipes/lettres/romantik/ruy-blas/accueil.html).

 

Questions de recherche (suite)

            B. Leuilliot cherche l'origine de la formule : "Pas de ça, Lisette !". Appel à tous...

            J. Seebacher réitère sa question à propos de "Bonsoir, Monsieur Pantalon !".

            G. Rosa répercute une question posée par Mme Odile Krakovitch : existe-t-il confirmation de la présence de Hugo à une représentation du Gamin de Paris par Bayard et Vanderbruch au début de l’année 1836 au Gymnase ?

B. Leuilliot ne se souvient pas de cette pièce-là mais en indique une autre, Le Tour du monde d'un gamin de Paris, de Boussenard, grand auteur de littérature enfantine de l'époque. Elle a été jouée au Châtelet. Mais quand ? Il ignore si Hugo y a assisté.

            J. Acher apporte un élément de réponse à la question de David Charles sur la "robe en pièce" dans Les Travailleurs de la mer (cf. compte rendu du 16 septembre 2000) : au XIXème siècle, les robes pouvaient être livrées à moitié finies (en "pièce" ?) et elles étaient cousues ensuite.

 

Théâtre et télévision

A. Laster : La pièce Mille francs de récompense , mise en scène par Laurent Serrano, a été donnée récemment au théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines. Toutes les représentations étaient à guichets fermés. Malgré un début agaçant (pourquoi commencer par le monologue de Glapieu ?), la pièce est réussie, et à voir. Je n'ai pas vu d'aussi belle mise en scène ni d'aussi beau décor (en particulier au 2ème acte) depuis Loyon en 1985. L'acteur jouant Rousseline est de premier ordre. La pièce sera reprise du 6 au 9 décembre 2000 au théâtre Le Village de Neuilly-sur-Seine.

L'Avant-Scène. Théâtre a sorti le texte intégral de la pièce (il existait déjà une version "scénique" de Gignoux, qui l'avait créée) en reproduisant l'édition Laffont, sans la mentionner. C'est regrettable (et peut-être pas très légal puisque Laffont reste propriétaire de l’établissement du texte). Le numéro est intéressant.

Et l'adaptation des Misérables ?

G. Rosa ne croit pas très utile d’y revenir: de l'avis de beaucoup, la série était ratée –indépendamment d’ailleurs de sa trahison du texte.

 

A. Laster signale une émission concernant Hugo sur la Cinquième, dimanche 26 novembre 2000, à 9h, dans le cadre de la série "Histoire personnelle de la littérature française".

 

 

BICENTENAIRE DE 2002

 

Publication prévue en 2002

            Les spécialistes de littérature comparée de l'Université de Nantes préparent pour 2001 (remise des manuscrits en juin) un ouvrage collectif sur Hugo dans une perspective comparatiste, sous la direction de Dominique Peyrache-Leborgne. Les membres du groupe Hugo –et au-delà- sont invités à communiquer leurs propositions :  Mme Dominique Peyrache-Leborgne, 15 rue des Maraîchers, 44300 Nantes.

 

Colloques  et expositions de 2002

            -  "Hugo et la langue", décade de Cerisy, août 2002.

Le compte rendu de la séance du 22 avril 2000 demande les rectifications suivantes : Cerisy organise non pas une seule décade par an mais plusieurs (2 en 2000 par exemple) et un beaucoup plus grand nombre si l’on donne au terme un sens large (19 colloques en 2000). D’autre part, les actes des colloques n'ont jamais été publiés par Cerisy même mais toujours par des éditeurs distincts de l’Association de Cerisy.

G. Rosa, avec l’accord de Florence Naugrette, indique l’intention de faire de cette décade un espace de liberté et d’initiative. Tous les autres colloques annoncés pour 2002 semblent assez strictement construits par des comités scientifiques ou comités d’organisation qui ne lancent aucun appel d’offres mais recrutent eux-mêmes les intervenants. Cela garantit la qualité des « signatures » -pas nécessairement celle des interventions-, mais écarte des sujets originaux (ceux auxquels les organisateurs n’ont pas pensé) et des personnes. La tradition de créativité et d’ouverture propre à Cerisy offre l’occasion de corriger cette pratique trop restrictive.

Déjà nous avons reçu une proposition de communication de Patricia Ward (Université Vanderbilt, Nashville, Tennessee –mais P. Ward est connue des hugoliens et elle avait participé au Cerisy de 1985) sur "Hugo et l'invective politique".

J. Acher s’engouffre dans la brèche ; S. Vielledent propose à son tour une intervention qui serait intitulée "Le galimatias chez Hugo" (c’est le terme qu’emploient, très souvent, les critiques et les parodistes). C. Millet signale au moins deux tentatives de "traduction" –en langage correct- de Hugo, dont une parue l'année de la publication des Orientales.

J. Seebacher : On se rend compte effectivement de l'originalité puissante de la prose de Hugo, quand on la compare à celle de ses contemporains, même s’ils le citent pour en dire du mal.

G. Rosa : Cela surprend pourtant : le langage de Hugo est simple et son style clair : ce n'est pas un hasard si on l’a si abondamment enseigné à l'école primaire.

C. Millet : Contrairement à Lamartine et à Chateaubriand...

P. Georgel : Un de ses contemporains disait de Chateaubriand qu'il écrivait en "bas-breton".

B. Leuilliot: Ces auteurs sont très influencés par La Fontaine et Mme de Sévigné.

 

            - "Hugo et la guerre", Université de Paris 7, juin 2002.

Organisé par C. Millet, ce colloque doit réunir historiens et littéraires. Et les militaires ? demande J. Seebacher. Les premières démarches ont montré la difficulté de trouver un spécialiste de la guerre de Crimée, pourtant "une boucherie splendide".

 

            - "Du visuel au visible", Musée d'Orsay, septembre 2002, première quinzaine.

 

            - "Hugo politique", Besançon, décembre 2002.

 

            - "Hugo et le romanesque", Université d'Amiens, ? 2002. Dirigé par A. Spiquel.

 

            - Exposition de la BnF, mars-juin 2002. Elle portera sur les dessins de Hugo, et non sur ses voyages.

 

            - Exposition sur le théâtre, Maison de Victor Hugo, printemps 2002.

 

            A. Laster signale que Cheng Zhen Hou (qui salue le groupe Hugo) veut organiser un colloque en Chine à l'université de Canton, ou peut-être une exposition, sur l'inspiration chinoise dans les dessins. Hugo, considéré comme l'écrivain français majeur, avec Balzac, est très aimé en Chine : son texte la mise à sac du Palais d'été de Pékin  est gravé, en français et en chinois, à l’entrée du Palais.

 

 

Rectificatifs au compte rendu précédent

 

J. Seebacher : A propos de Cromwell, il ne faut pas confondre Israël et d'Israéli (ou Disraeli), ministre de la Couronne.

A. Laster : Une réplique a été faussement attribuée à F. Chenet, à la suite de la lecture de la lettre du 11 juin 1843. Il s'agissait de mon propre commentaire sur l’antisémitisme de Hugo.

 


 Communication de Claude Millet : "Hugo, Lacroix, Verboeckhoven et Cie"(voir texte joint)

 


 

Discussion

 

A. Laster : On ne peut pas dire que Hugo soit gâteux en0 1878. Quand on lit les épreuves corrigées de 1881 et 1882, on s'aperçoit qu'il est parfaitement lucide. Mais je ne sais pas ce qu'il en est en 1883, à la deuxième parution des Travailleurs de la mer.

C. Millet : Hugo charge ses amis Vacquerie et Meurice des problèmes d'édition. Souvent l’âge –et une attaque cérébrale- n’affaiblissent que de manière intermittente, par attaques ou vagues plus ou moins fréquentes et d’amplitude variable. Reste qu’après 1878 Hugo n’écrit pratiquement plus rien.

B. Leuilliot : Quelques discours cependant, mais très brefs et très répétitifs. Son écriture change aussi ; la main tremble. Et les témoignages, même affectueux et respectueux concordent : il est nettement diminué physiquement.

P. Georgel : Ne serait-ce pas aussi par une espèce de consentement conscient à son statut de monument ? Il est devenu une chose publique. Son oeuvre est achevée. Il n'a plus ni à l’accroître, ni à contrôler lui-même sa réception. De là qu’il laisse faire Meurice et Vacquerie, comme s’il était déjà mort.

A. Laster : C'est l'évacuation même des textes du grand vieillard, pour des raisons politiques ou idéologiques, qui est à interroger. Hugo, à ce moment, publie des œuvres qui gênent, et encore aujourd'hui, certains hugoliens.

 

G. Rosa : Revenons au sujet principal de la communication de C. Millet. On peut lui ajouter quelques détails, quelques preuves ou interprétations supplémentaires qu’elle appelle. Quant à Lacroix d’abord, il ne serait sans doute pas faux de dire que Hugo a pu souhaiter en faire « son » éditeur  comme il avait voulu avoir, et réussi à avoir, « son » théâtre. C’est du moins ce que suggère le choix de Lacroix, qui n’a encore rien publié et n’est en rien un « éditeur », pour la publication, difficile et très coûteuse, des Misérables. Avec ce succès extraordinaire, Hugo « fait » Lacroix : sa maison d’édition et sa fortune (il y a des lettres où il ne se gène pas pour le lui rappeler). De là une déception accrue, un sentiment de trahison, lorsque Lacroix, peut-être pour secouer cette pesante tutelle («  Une chose est urgente, être ingrat »), n’imagine rien de mieux que de publier le Shakespeare de Lamartine en même temps que celui de Hugo. Ce dernier l’en empêche, mais non sans mal. On comprend qu’à ses yeux l’affaire Proudhon soit une récidive.

P. Georgel : Mais quelle est alors l'idée de Lacroix ?

G. Rosa : Il fait preuve d'une espèce de malveillance. Et c’est effectivement une attaque personnelle et non une divergence politique puisque, comme tu le dis à  juste titre, l'Empire encourageant la scission entre socialistes et républicains, et  Hugo la combattant, il aurait dû voir favorablement la publication de Proudhon chez le même éditeur que le sien. Mais il y avait entre eux un dissentiment personnel connu de tout le monde et d’abord de Lacroix. Lamartine, puis Proudhon, et pourquoi pas Sainte-Beuve ?

C. Millet : Cela dissocie Hugo de Michelet, qui participe tout de suite en 1865 à la souscription pour la veuve Proudhon et ses enfants.

J. Seebacher : Et de Larousse : dans la préface de son Dictionnaire, il fait l'éloge de Proudhon.

G. Rosa : D’autre part, il faut prendre en compte, dans la question du « Chap. prel. », le fait qu’elle aussi a un précédent dans l’expérience de Hugo, mais tout différent. L’ajout de trois nouveaux chapitres à Notre-Dame de Paris, dans l’édition Renduel de 1832, avait des motifs littéraires et de pensée mais permettait aussi à Hugo de se venger de Gosselin en disqualifiant son édition. Rien de tel ici, tout au contraire.

Cela conduit à lier l’affaire du « chap. prel. » à cette réorientation de sa carrière après la publication des Misérables et de William Shakespeare, que je rabâche une fois de plus. Chose étonnante, pour L’Archipel de la Manche, Hugo, pour la première fois, semble n’être plus sûr de lui : il hésite à publier, imagine toutes sortes de solutions typographiques, accepte et discute les conseils de personnes qui n’ont pas lu le texte ! Les Misérables pourtant transgressaient les normes de la réception beaucoup plus profondément et en plus d’endroits, sans qu’il s’en inquiète. Il répète trop souvent dans ses lettres qu'il est content du livre pour que ce soit tout à fait évident : satisfaction surfaite et conjuratoire. Je le crois inquiet. Il y avait de quoi. Après tous les succès éblouissants (Napoléon le Petit, Les Châtiments, Les Contemplations, La Légende) couronnés par le triomphe des Misérables, l'échec de William Shakespeare et le demi-échec des Chansons des rues et des bois semblaient sanctionner son impuissance aussi bien à poursuivre le mode de relation antérieur au public, le mode du « génie » -William Shakespeare- qu’à en trouver un autre –Les Chansons. Il avait eu tort, en annonçant la fin de la rédaction des Misérables, d’ajouter : « maintenant, je peux mourir » : il était effectivement, comme écrivain, sinon tout à fait mort, du moins pas loin de l’agonie.

La raison des tergiversations pour L’Archipel réside donc peut-être moins dans la prise en considération sérieuse du tort que cela pouvait faire au roman que dans la difficulté de se reconvertir après le couronnement d’une œuvre comme déjà achevée. Inaugurant une seconde carrière, plus proche des normes de l'époque, se faisant un écrivain comme les autres, Hugo rencontre –ou joue à rencontrer- les mêmes difficultés qu’eux et  les affronte de la même manière : dans l’embarras, l’indécision, la tractation, la modestie.

C. Millet : Je pense plutôt que cette époque fonctionne comme une parenthèse dans la carrière de Hugo, où il se soucie davantage des effets de visibilité. En 1877, il est libre de tout compromis par rapport à la réception de ses textes.

G. Rosa : Il ajoute cependant toute une partie à Quatre-vingt treize pour de simples raisons de volume.

B. Leuilliot : L'origine de cet ajout est une erreur de pagination de Julie Chenay : le calibrage en trois volumes était faux. Pour rattraper cette erreur, Hugo écrit en huit jours le passage sur la Vendée.

Je crois que Hugo ne s’est jamais fait beaucoup d'illusions sur le compte de Lacroix. Plus qu’un éditeur, c’était un brasseur d'affaires, soutenu par son banquier Oppenheim. Mais sa situation politique en Belgique était différente de celle de Hugo : notable proche de la franc-maçonnerie, il était en relation avec les fondateurs de l'Université libre de Bruxelles, très libérale. D'où une stratégie politique autre que celle adoptée en France. Verboeckhoven, lui, est, effectivement, un simple exécutant sans vraies responsabilités.

Quant aux choix de carrière de Hugo, ils peuvent se comprendre, Rosa n’a pas tort, à partir de la réception terrible de William Shakespeare. La critique n’avait pas été indulgente avec Les Misérables, mais le ton diffère et, de toute manière, le livre s'est beaucoup vendu. Rien de tel pour William Shakespeare. Pour la première fois, la critique est non seulement violente, mais insultante ; on ose écrire "Maintenant, il est bon à enfermer à Charenton."

A ce moment-là, Hugo écrit quelque part, textuellement, qu'il sent qu'il commence à être de trop. Comment gérer un tel débordement, de tels règlements de compte ? Les romans comme Les Travailleurs de la mer et L'Homme qui rit abordent alors des questions de poétique : la nature même de l'écriture romanesque est remise en cause, plus que dans Les Misérables à mon sens, contrairement à ce que pense Rosa.

 

C. Millet : Ajourner la parution du chapitre préliminaire des Travailleurs de la mer est une façon pour Hugo de garantir la réception du roman lui-même. Il se soucie en priorité de la réception de L'Archipel de la Manche.

B. Leuilliot : Je crois que nous touchons ici au lien entre le drame et le sujet, formulé dans un projet de préface de L'Homme qui rit : toute introduction est étrangère au drame, mais pas au sujet.

D. Charles : Il s'agit alors explicitement de L'Archipel de la Manche.

B. Leuilliot : Ces réflexions constituent l'aboutissement du problème de la digression. La différence entre drame et sujet réside dans leur rapport aux lecteurs. Le drame s'adresse directement aux lecteurs, qui ne s'intéressent qu'à l'éventualité du récit. Le sujet semble plus extérieur.

J. Seebacher : Je pense que le sujet est du côté du légendaire. La caractéristique de l'Archipel de la Manche est la mise en place d'un système de déconstruction, de démolition (apparu depuis Les Misérables, William Shakespeare et la première série de La Légende des siècles). La mer mange peu à peu l'archipel.

A. Laster : Je suis d'accord avec B. Leuilliot en ce qui concerne la réception des Misérables et celle de William Shakespeare ; L'Homme qui rit a été également très attaqué. En revanche, Les Travailleurs de la mer ont permis à Hugo de reconquérir les journalistes et même ses propres amis : Baudelaire par exemple veut faire un long article, qu’il ne termine pas. Ceux-ci pensent qu'enfin Hugo ne fait plus de politique... Ils se trompent.

D. Charles : 1883 est l'année de la parution de L'Archipel de la Manche simultanément sous trois formes : en feuilleton, avec Les Travailleurs dans les œuvres complètes (Quantin-Hetzel) et en édition séparée. Peu à peu, Hugo abandonne ses projets de sérialisation : Les Travailleurs de la mer devait être le premier terme d'une série.

B. Leuilliot : C'est le cas pour tous ses romans, et déjà pour Notre-Dame de Paris. Hugo en imaginant une trilogie relie Les Travailleurs de la mer à Quatre-vingt treize qu'il est en train d'écrire.

D. Charles : La raison première du refus de l'Archipel de la Manche par les éditeurs est commerciale, comme cela avait été le cas pour le livre VII des Misérables, "Parenthèse". Lacroix explique cela lui-même (voir l'édition Massin).

G. Rosa : Si j’ai bien entendu Claude, il n’y a pas eu à proprement parler refus. Hugo n'était pas sûr de vouloir publier en l'envoyant.

D. Charles : Il me semble que les hésitations de Hugo arrivent ensuite. Il invoque tardivement des raisons politiques.

D. Gleizes : Qui a eu l'initiative du projet de publication de l'Archipel de la Manche en feuilleton, Millaud, le directeur du Soleil, ou Hugo ?

C. Millet : Meurice en a l'idée sans en parler à Millaud. Et Hugo désire que le projet aboutisse.

G. Rosa : Pourquoi demande-t-on au début son avis à Hugo pour la publication des Travailleurs en feuilleton, alors qu’on s’en passe ensuite ?

C. Millet : Cela résulte du contrat : l'accord de l’auteur n’était requis que pour une publication en feuilleton simultanée à celle en livre ; ensuite, l’éditeur était libre de vendre le droit –et seul bénéficiaire.

V. Wallez : Cela a-t-il été l'occasion de la rupture avec Lacroix ?

J.-M. Hovasse : Non, elle a eu lieu à la publication de L'Homme qui rit. Lacroix voulait l'offrir contre deux livres achetés dans son catalogue...

A. Laster: Hugo est très hostile à Villemessant.

C. Millet : Il le nomme "le marchand".

A. Laster: Il dit qu'il y a du vil dans Villemessant comme dans Barbey d'Aurevilly.

C. Millet : Hugo méprise tous ces gens-là...

B. Leuilliot : Pas  Hetzel.

C. Millet : ...mais il ne doit pas se fermer l'accès à des personnes aussi importantes du monde médiatique de l'époque. C'est une stratégie. Contrairement à Hugo, Ledru-Rollin s'est coupé d'eux et n'a pas réussi à réintégrer la vie publique au retour d'exil. Hugo a une vraie intelligence pratique, n’hésite pas repeindre lui-même une porte de décor de théâtre ...

A. Laster : Il distingue cependant Villemessant de Millaud, le premier étant davantage marqué à droite.

V. Wallez : Les coups éditoriaux sont peut-être de plus en plus difficiles à réussir, du fait de l'élargissement du public.

C. Millet : La génération romantique tente toujours d'aller jusqu'au bout, même jusqu'à l'échec. Finalement Hugo porte une attention très pédagogique à son public, qui doit avancer, que l'auteur doit faire avancer. Ce type de stratégie suppose un auteur possédant une conscience historique informée par l'idée de progrès.

J.-M. Hovasse : Peut-on revenir sur la préface du Dernier jour d'un condamné, à laquelle il est fait allusion dans une lettre ? Hugo a-t-il fait imprimer séparément la (les) préface(s) ajoutée(s) au fur et à mesure des éditions pour que l’empressement des premiers acheteurs ne soient pas pénalisé ?

C. Millet : Je l’ignore.

 

G. Rosa : Dans le courant de la discussion P. Georgel m’a fait passer une petit papier. Il y suggère, pour le colloque d'Orsay de 2002, une communication sur la pratique hugolienne de l'espace visuel de la typographie. Qui veut s’en charger ? Georgel a raison ; c’est un vrai sujet. Les épreuves corrigées de sa main –celles, par exemple, qui sont conservée à la Maison littéraire de Bièvres- prouvent, au moins, son coup d’œil : il voit tout et corrige d’infimes erreurs de positionnement des caractères qu’on ne repérerait pas sans sa correction. On sait aussi qu’il est extrêmement attentif aux blancs en poésie.

C. Millet: Conclusion méthodologique : pour comprendre la structure d'une œuvre hugolienne, il faut toujours se reporter à l'édition princeps : Hugo calcule soigneusement l’endroit des coupes entre volumes ; mais il bouge ou disparaît aux éditions ultérieures.

 

 

Prochaine séance : samedi 16 décembre 2000. Exposé de Marie Tapié sur le sujet de sa thèse : les adaptations cinématographiques de Notre-Dame de Paris.

Sandrine Raffin


Equipe "Littérature et civilisation du XIX° siècle", Tour 25 rdc, Université Paris 7, 2 place Jussieu, 75005 Tél : 01 44 27 69 81.
Responsable de l'équipe : Guy Rosa ; 94, rue de Buzenval, 75 020 Paris.